Pierre-André PÉRISSOL

est député-maire de Moulins et ancien ministre

© Laeticia Guyot, Conseil général de lAllier

Christian BÉLIGON

est vice-président du Conseil général de l’Allier et conseiller municipal de Moulins

Partage

Donner à nos aînés la place qui leur revient

L’élévation constante de la durée de vie dans nos sociétés constitue un défi majeur pour les responsables politiques, en termes économiques, sociaux, urbanistiques et culturels. Les élus locaux, par leurs relations de proximité avec les personnes âgées, sont sur ce sujet en première ligne. L’enjeu est essentiel : à travers la place que nous faisons à nos aînés dans nos collectivités se joue la cohésion même de l’ensemble de notre société. Nous voyons pour notre part sept défis dans cette nouvelle donne.

Le premier défi, le plus urgent, concerne l’effort de solidarité en faveur de ceux parmi nos aînés qui sont en situation de dépendance physique ou de handicap.

Depuis sa mise en œuvre en début d’année, l’Allocation personnalisée autonomie (Apa) connaît une montée en charge beaucoup plus rapide que prévu. Dans l’Allier, par exemple, après six mois d’existence, le nombre de bénéficiaires de l’Apa a presque quintuplé, par rapport au nombre d’anciens bénéficiaires de la prestation spécifique dépendance. Cela va inéluctablement poser un problème financier de taille à nombre de départements – en charge du financement de l’Apa – notamment les plus petits d’entre eux, à forte proportion de population âgée et à ressources fiscales faibles.

Simplifier le dispositif d’accès aux aides

On estime que, en raison de la faiblesse de la dotation d’Etat au titre de la péréquation, plus de la moitié des départements ne pourront faire face aux dépenses sans une augmentation considérable de la fiscalité locale. C’est pourquoi une péréquation plus forte permettrait d’atténuer les difficultés de ces départements : la politique sociale ne peut faire abstraction d’une politique d’aménagement équilibrée du territoire.

Deuxième défi : simplifier le dispositif d’accès aux aides pour les familles. Lorsqu’une famille est aujourd’hui confrontée à une situation difficile de l’un de ses parents âgés, elle doit entreprendre des démarches d’une grande complexité et se débattre dans un véritable maquis. Se repérer dans ce domaine est bien souvent un vrai casse-tête. Les dispositifs sont multiples, dispensés par de nombreux opérateurs (professions médicales et para-médicales, services sociaux des conseils généraux et des communes, acteurs hospitaliers, associations, etc. (voir encadré). Un effort de coordination entre les opérateurs est donc indispensable. Certaines collectivités ont agi afin d’associer les différents intervenants et de simplifier pour l’usager l’accès aux aides et aux soins, dans le sens d’une forme de « guichet unique ». Les Centres locaux d’information et de coordination (Clic), expérimentés par certaines collectivités, tout en évitant des dépenses inutiles, apportent une simplification et les moyens d’avoir un service mieux adapté aux besoins.

Troisième défi, toujours lié à la question de la dépendance : améliorer la formation des personnels. Aujourd’hui les besoins croissants des personnes âgées sont solvabilisés par la prestation dépendance puis désormais par l’Allocation personnalisée autonomie. Encore faut-il qu’un personnel qualifié suffisamment nombreux soit à même d’y répondre. Il y a là des « métiers émergents », voués inévitablement à se développer, car répondant à des besoins cruciaux en termes de service. C’est pourquoi il convient de mettre en place rapidement une filière de formation adaptée, comprenant plusieurs niveaux de qualification, une authentique filière autorisant une progression de carrière et qui soit attractive pour les jeunes, en particulier en zone rurale. Les Régions, à travers leurs plans de formation, ont incontestablement un rôle-clé à jouer dans ce domaine.

La problématique du vieillissement ne doit cependant pas, selon nous, se réduire à la seule question des prestations et des allocations liées à la dépendance, même si nous mesurons pleinement les difficultés des familles concernées. Dans un département comme l’Allier, on estime que ce sont environ 6% de la population âgée de plus de 60 ans qui seront pris en charge à terme au titre de l’Apa. C’est à la fois beaucoup et peu. Ce chiffre prouve en tout cas qu’il ne faut pas se laisser enfermer dans une approche purement financière, dans un traitement « social » de la vieillesse. Le véritable enjeu est, nous semble-t-il, bien plus général et concerne le regard que nous portons sur le vieillissement et la place que nous entendons accorder à nos aînés dans nos sociétés.

Faciliter la vie

C’est pourquoi les autres défis, tout aussi essentiels, concernent notre capacité à considérer les seniors comme des citoyens à part entière, qu’il convient de faire participer le plus largement possible à la vie de la cité.

En 2002, toujours pas facile de s’y retrouver…

Exemple : lorsque le besoin s’en fait sentir, comment choisir entre les innombrables aides à domicile ? Gré à gré et chèque-services ? Organisme mandataire ? Ou prestataire ? Quels avantages fiscaux ? Quelles contraintes pour le bénéficiaire s’il adopte le statut d’employeur ? Autant de questions angoissantes auxquelles les familles doivent faire face… S’y ajoute, naturellement, l’inévitable souci des prises en charge financières, fussent-elles partielles : que peut-on attendre concrètement des caisses de retraite, des mutuelles, de l’Allocation personnalisée autonomie (Apa) ? Quel intérêt y a-t-il à souscrire une assurance individuelle particulière liée à la couverture de la dépendance ?

Le choix même de l’opérateur n’est pas franchement évident, parmi les services d’aide à domicile départementaux, les opérateurs institutionnels ou associatifs, ou encore les sociétés privées.

Ajoutons à cela les initiatives facultatives des communes, structures intercommunales, et caisses de retraite qui interviennent à plusieurs titres pour faciliter l’accès ou la mise en œuvre de prestations diverses comme le sont : le portage de repas à domicile, les petits travaux, la télé-alarme, les gardes à domicile.

Dans un autre registre, lorsque le médecin traitant ne peut plus, seul, assurer la prise en charge sanitaire, une multitude d’interventions sont également possibles : à côté des classiques prestataires paramédicaux libéraux agissant ponctuellement à la prescription, citons les SSIAD ou services de soins infirmiers à domicile ; mis en place par les centres sociaux mutualistes, les centres communaux d’action sociale, les associations locales ou les infirmières libérales, sous couvert de conventions spécifiques ; la prise en charge de leur prestation repose sur les caisses d’assurance maladie – sur la base d’un forfait journalier. Citons enfin les services d’hospitalisation à domicile ou HAD, le plus souvent en lien avec l’établissement hospitalier du bassin de santé où l’on réside.

Bien sûr, de nombreuses alternatives à l’hébergement à domicile existent : à côté des établissements, tels les foyers logements, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les résidences pour personnes âgées, citons l’hébergement en familles agréées, les appartements communautaires, ainsi qu’un nombre croissant de structures intermédiaires comme les accueils de jour (à distinguer des hôpitaux de jour gériatriques) ou encore les hébergements temporaires proposés par les établissements déjà cités.

Chacun le devine aisément, à chaque mode d’hébergement correspondent des règles d’accès et de cofinancements impliquant à des degrés variables les résidents eux-mêmes (associés, le cas échéant, à leurs obligés alimentaires) et, là encore, les conseils généraux (notamment par le biais de l’Apa et de l’Aide sociale à l’hébergement), les caisses d’assurance maladie, les caisses d’allocations familiales...

Il semble difficile de faire plus intriqué !

Quatrième défi : aménager l’environnement des personnes âgées pour leur « faciliter la vie » chez elles, dans leur cadre quotidien. Le maintien à domicile suppose de réfléchir à une meilleure adaptation des logements, de l’habitat, de la ville. Les normes de construction et d’urbanisme doivent mieux intégrer les besoins spécifiques des personnes âgées, lorsqu’elles deviennent progressivement moins sûres, moins mobiles. Des politiques d’aides ciblées doivent viser notamment à l’adaptation des logements, à faciliter l’extension des systèmes de télé-assistance, à une meilleure accessibilité des lieux publics, à des aménagements de trottoirs et de transports collectifs.

Cinquième défi : ouvrir la vie culturelle et sportive aux seniors, en étant plus à l’écoute de leurs besoins et de leurs possibilités. Songeons à l’inadaptation fréquente de l’offre dans ce domaine à un public âgé ! Les personnes âgées préfèrent les spectacles en matinée. Elles souhaitent des disponibilités horaires en piscines. Elles veulent des commerces proches de chez elles pour faire leurs courses. Il faut en tenir compte pour permettre l’accès de nos seniors à la culture, aux sports, bref, à tout ce qui fait la vie de la cité.

Changer de regard

Sixième défi : s’adresser aux personnes âgées comme à des citoyens à part entière. Trop souvent le message, en particulier politique, qui leur est adressé, est restreint aux seuls problèmes qui les intéressent spécifiquement. On ne mesure pas qu’elles sont concernées, pour la plupart d’entre elles, au même titre que les plus jeunes et les actifs, par les grands enjeux économiques et sociaux, ne serait-ce que parce que, en tant que grands-parents, elles se préoccupent de l’avenir de leurs petits-enfants ou de leurs arrière-petits-enfants.

Septième défi - qui conditionne tous les autres : changer notre regard sur nos aînés. Trop souvent, la vieillesse est considérée comme une charge. Voyons-la plutôt comme une opportunité pour notre société. Opportunité parce que dans l’esprit de solidarité qui doit rapprocher les générations, la personne âgée, le retraité, peut participer activement et utilement à la vie sociale. Loin d’être seulement synonyme de handicap ou de dépendance physique, la vieillesse peut être un temps de disponibilité pour les autres et de transfert de connaissances, d’expérience.

Mobiliser les disponibilités

C’est à nous — au tout premier plan les collectivités locales, en lien avec le secteur associatif — de savoir mobiliser les gisements de disponibilité et d’altruisme dont sont capables les seniors. Songeons à ce que nos aînés peuvent apporter aux plus jeunes ou aux plus démunis : tutorat, soutien scolaire, aide aux chômeurs, actions humanitaires, etc. En retour, de nombreuses expériences en témoignent, les seniors découvrent leur utilité sociale, tissent des liens et se sentent mieux intégrés dans la vie de la collectivité. Encore nous faut-il leur proposer des interventions adaptées à leurs capacités et à leurs motivations.

La vieillesse interpelle notre société. Seule une large mobilisation de l’ensemble des forces vives d’une cité ou d’un territoire peut être à la mesure de l’enjeu du vieillissement de nos populations. Mobilisation des élus, mobilisation des familles, mobilisation de toute la société. C’est à ce prix que nous pourrons faire en sorte que l’histoire personnelle et l’identité de chacun soient dignement respectées.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-11/donner-a-nos-aines-la-place-qui-leur-revient.html?item_id=2443
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article

Enjeux sociaux en France : L’élévation constante de la durée de vie dans nos sociétés constitue un défi majeur pour les responsables politiques, en termes économiques, sociaux, urbanistiques et culturels. Quelle place donner à nos aînés ?