Gérard LAIZÉ

est directeur général du Via (Valorisation de l’innovation dans l’ameublement)

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Le « beau » n’est pas sans contraintes !

Le « beau » est devenu multiculturel au fil des temps et ne peut plus se limiter à un geste esthétique. Le design en est la preuve : le « beau » doit aussi être fonctionnel… et accessible au plus grand nombre.

Au siècle des Lumières, l’architecte Claude-Nicolas Ledoux considère que « le beau rend bon » et que « le beau fait du bien ». Son projet utopique de « Cité idéale », témoigne de ses réflexions et propositions pour une société harmonieuse qui permet à l’homme de s’améliorer, de se bonifier.

Belle intention fondée d’abord sur un principe d’organisation dans laquelle chaque activité se situe par rapport aux autres avec équilibre et harmonie, mais qui laisse également une place à l’imaginaire et à la poésie. Si une telle intention est louable, on ne peut considérer la notion du « beau » comme une fin en soi. A fortiori, lorsqu’elle impose des « canons esthétiques » réputés parfaits mais parfois invivables. Sur ce plan, l’histoire témoigne de nombreuses tyrannies en la matière, notamment lorsque ces canons s’imposaient aux humains, en particulier à l’apparence des femmes : le corset, les pieds bandés des Japonaises… mais aussi les standards publicitaires de sveltesse des pays occidentaux.

En France, notre histoire est parsemée de registres qui se sont plus ou moins imposés par la volonté d’un leader, qu’il soit roi, mouvement intellectuel ou personnalité de la création, lequel, en fonction de la puissance internationale du moment, faisait référence et rejaillissait au-delà de nos frontières.

Métissage culturel

Aujourd’hui, la confrontation avec d’autres cultures a pour conséquence non seulement de ne plus cantonner l’idée du beau à une seule référence culturelle mais aussi d’en remettre en cause certains principes « académiques » qui en fixaient les règles et les contours.

De manière indiscutable, les populations sont dorénavant plus cultivées, plus informées. Leur sens critique s’en trouve développé. Le fait de voyager de plus en plus favorise les métissages culturels, ouvrant d’autant le champ d’appréciation de chacun, en particulier en ce qui concerne la notion du « beau ». Dans tous les domaines, cette notion subit moins de critères unilatéraux et discriminatoires dans la forme et la culture.

Par ailleurs, cantonner le « beau » à un geste esthétique est réducteur dans son appréciation même. En effet, s’il suffit à un visage d’être joli pour séduire, pour être forte, la beauté doit être plus qu’une façade et symboliser quelque chose de plus grand, quelque chose qui touche l’âme. Que dire d’un vêtement d’apparence « beau » mais importable par comparaison à celui qui sera jugé comme tel lorsqu’il se déplace sur la silhouette qu’il habille et dont il facilite le mouvement ? Et que penser d’un immeuble qui ne serait que « beau » mais inutilisable, pire, inhabitable ?

En ce qui concerne le design qui, rappelons-le, est une discipline jeune, le « beau » ne peut être la seule finalité. On ne s’intéresse pas seulement au « beau » qui paraîtrait alors comme un simple exercice de style formel, mais également à l’efficacité.

En effet, par définition, le design est un acte de création mis au service d’une fonction d’usage. Il est donc soumis à contraintes, qu’il s’agisse de respecter les logiques comportementales et fonctionnelles liées au type d’activité concernée et au temps qui y est consacré ou les logiques relatives à l’utilisation des matériaux, des technologies et des procédés de fabrication de préférence innovants, auxquelles s’ajoutent les facteurs socio-économiques des marchés-cibles, et enfin les logiques de consommation spécifiques au produit et à ses modes de distribution.

Efficace autant que beau

L’acte de design consiste ainsi à créer un produit « bon », c’est-à-dire efficace autant que « beau », c’est-à-dire aimable et séduisant. Ce qui sous-entend que le design doit non seulement intégrer et signifier les performances fonctionnelles du produit mais aussi prendre en charge les facteurs de facilitation de l’usage : accessibilité, praticité…, et également jouer des critères sensoriels et culturels pour provoquer du sens, de l’émotion.

Dans le contexte de l’habitat, le design dépasse largement le contour formel des produits, dans la mesure où chacun des objets ou mobiliers qui composent notre cadre de vie doit répondre à des règles d’harmonie et d’ambiance autant que de confort et de bien-être. Ce qui invite à raisonner « design d’aménagement » au-delà du design produit.

Enfin, le design a vocation à démocratiser l’idée du « beau » en le rendant accessible au plus grand nombre. C’est le cas lorsqu’il s’applique à des produits de grande diffusion. Leur reconnaissance sociale et leur succès dépendent de leur adéquation aux besoins révélés ou latents du moment et de leur pertinence à être en osmose avec les aspirations culturelles du public.

Cette recherche d’adhésion du public nécessite de la part du monde du design de toujours placer l’humain, en tant qu’usager au cœur de ses préoccupations et de faire preuve d’une plus grande « générosité d’âme » dans l’acte de créer, fondée sur le partage d’une vision des choses de la vie.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-11/le-«-beau-»-n-est-pas-sans-contraintes.html?item_id=2440
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