Yannick MOREAU

est présidente du Conseil d’orientation des retraites

François JEGER

est chargé de mission au secrétariat général du Conseil d’orientation des retraites

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Retraites : un choix collectif de société

Le système de retraite par répartition, fondé après la Seconde Guerre mondiale, a permis d’assurer des revenus satisfaisants aux Français pour une période de vie de plus en plus longue. L’espérance de vie à 60 ans est de 20 ans pour les hommes et de 25 ans pour les femmes. Elle augmente d’environ un trimestre tous les deux ans. Les progrès de la médecine ont par ailleurs amélioré l’état de santé à tout âge ainsi que les conditions de vie de la majorité des « jeunes » retraités.

L’allongement de la vie, ainsi que l’abaissement de l’âge de cessation d’activité, ont déjà conduit, pour équilibrer les régimes, à des réformes : en 1993 pour le régime général, en 1996 et en 2001 pour les régimes complémentaires (voir encadré).

Le système français de retraite par répartition

Le système français d’assurance-vieillesse est différent pour les travailleurs du secteur privé et ceux du secteur public (fonctionnaires et entreprises publiques).

Pour les salariés du secteur privé, il existe deux étages : le régime de base (CNAVTS) et les régimes complémentaires obligatoires (Arcco pour tous les salariés et Agirc pour les cadres). Le taux de cotisation est globalement de 10% pour le salarié et de 15,5% pour l’employeur.

Depuis la réforme de 1993, pour bénéficier d’une retraite à taux plein dans le régime de base, il faut être âgé de 60 ans et avoir cotisé pendant 40 ans. Une année de cotisation manquante se traduit par un abattement de 10%. Cette décote est supprimée pour ceux qui liquident leur retraite à 65 ans.

Les régimes complémentaires, gérés par les partenaires sociaux, reposent sur un système de points en fonction de l’ensemble des salaires perçus au cours de la carrière. Ils ont été également réformés en 1996.

Ces deux étages du régime du secteur privé assurent ainsi un taux de remplacement brut (première retraite/dernier salaire) de 71% en moyenne pour les non-cadres et de 63% pour les cadres. Les pensions du secteur privé sont maintenant indexées sur les prix et les réformes conduisent à un niveau de retraite moins élevé.

Les non-salariés (artisans, commerçants, professions libérales) ont des régimes spécifiques. Les taux de cotisation varient entre 20 et 25% suivant les professions. L’âge de la retraite est en général de 65 ans. Le taux de remplacement varie également entre 50 et 60%.

Les fonctionnaires titulaires (de l’Etat, des collectivités locales, de la fonction publique hospitalière) peuvent partir en retraite à l’âge de 60 ans. Leur retraite est de 75% s’ils ont cotisé pendant 37,5 ans, ce qui rend leur taux de remplacement comparable, voire légèrement inférieur à celui des salariés du secteur privé.

Les retraites sont indexées sur le point de la fonction publique, qui a évolué ces dernières années à un rythme voisin des prix. Le taux de cotisation est pour la partie salarié de 7,85% et de 25,6% pour la partie employeur (collectivités locales et hôpitaux, l’Etat sert directement les pensions des fonctionnaires et donc ne cotise pas à une caisse de retraite).

Les entreprises publiques ont aussi des régimes spéciaux qui donnent accès à la retraite à 60 ans (ou à 55 ans dans certaines entreprises).

Les autres pays européens ont aussi procédé à des réformes importantes au cours des dernières années. Le vieillissement de la population, qui va s’intensifier du fait de l’arrivée à l’âge de la retraite des générations nombreuses, ne conduit pas à une impasse pour des systèmes de retraite mais il concerne directement son avenir.

Le Conseil d’orientation des retraites, dans son premier rapport (voir tableau besoin de financement ci-dessous), a examiné cette nouvelle situation et les manières dont elle peut être prise en compte.

Le taux de dépendance démographique va doubler d’ici à 2040

Dans notre système de retraite par répartition, où les cotisations des actifs financent les retraites versées aujourd’hui, le ratio de dépendance démographique1 est un facteur déterminant pour l’équilibre financier des retraites. Ce rapport est de 0,38 en 2000, il sera de 0,54 en 2020 et de 0,73 en 2040. Il y aura ainsi, à cette date, près de deux fois plus de personnes en âge d’être à la retraite par personne en âge de travailler qu’aujourd’hui.

Cette évolution tient à deux phénomènes : l’allongement de la vie et le « papy boom ». L’allongement de la vie devrait se poursuivre au même rythme que durant les dernières décennies : autour d’une année et demie tous les dix ans. Son effet est plus incertain que l’autre phénomène démographique auquel nous serons confrontés à partir de 2005 : l’arrivée à l’âge de la retraite des générations du baby boom. Les générations nées après 1945 sont de 800 000 personnes, soit 200 000 de plus que celles nées avant cette date. Elles atteindront 60 ans en 2005 et contribueront ensuite à l’évolution du ratio démographique pendant une trentaine d’années.

Ce changement démographique conduit à ce que la richesse produite par les actifs devra être partagée par une population plus nombreuse, que ce soit dans un système de retraite par répartition ou dans un système par capitalisation.

La situation démographique modifiera les conditions d’équilibre des régimes de retraite

Le Conseil d’orientation des retraites a réalisé des projections économiques à l’horizon 2020 puis 20402. Des travaux analogues avaient déjà été réalisés auparavant : livre blanc sur les retraites en 1990, rapports du Commissariat général au plan en 1999 (rapport Charpin) et du Conseil économique et social (rapport Teulade). Ces rapports avaient mis en évidence d’importants problèmes de financement des retraites. L’ampleur des besoins de financement dépend notamment des hypothèses économiques sur la croissance et l’emploi. Ces évolutions sont difficiles à prévoir, à court terme comme à long terme. Les projections sont donc fondées sur un scénario économique de référence qui est accompagné de plusieurs hypothèses et de différentes variantes. Le scénario de référence proposé par l’OFCE et la direction de la prévision comporte un retour au plein emploi en 2010 avec un taux de chômage de 4,5% puis une croissance de la production par actif de 2% par an.

Les différentes variantes envisagées autour de cette hypothèse ont naturellement une incidence sur les projections mais elles ne remettent pas en cause l’ordre de grandeur des besoins de financement des régimes de retraite.

Un besoin de financement considérable

En l’absence de réforme, c’est-à-dire avec la réglementation actuelle, le besoin de financement global du système de retraite serait de l’ordre de 35 milliards d’euros en 2020 et de 100 milliards d’euros en 2040. La part des dépenses de retraite dans le PIB passerait ainsi de 11,6% en 2000 à 13,7% en 2020 puis à 15,8% en 2040.

Les projections, dans l’état actuel de la réglementation, sont les suivantes :

Besoins de financement En Md€

2000
2020
2040

Régime général des salariés du privé

1,5
- 10,9
- 39,7

Régime complémentaire des non-cadres du privé

3,9
0,0
- 13,2

Régime complémentaire des cadres du privé

0,3
- 1,6
- 3,8

Fonction publique d’Etat (*)

0,0
- 20,2
- 36,8

CNRACL (fonction publique territoriale et hospitalière)

2,7
- 7,5
- 20,5

(*) Pour la fonction publique d’Etat, c’est par convention que le solde est nul en 2000.

Il convient de noter que le maintien de la réglementation n’implique pas le maintien du ratio retraite moyenne/ salaire moyen. Si cette réglementation était maintenue jusqu’en 2040, ce ratio passerait de 0,78 à 0,64. Cette baisse serait imputable à l’indexation des pensions sur les prix dans la plupart des régimes, et aux réformes du régime général de 1993.

Les trois paramètres de l’équilibre

Pour assurer le rééquilibrage financier et donc la pérennité des régimes de retraite par répartition, il est possible de jouer sur trois paramètres :

  • le taux de cotisation (employeur et salarié) ;
  • le montant des retraites qui dépend du niveau de la pension au moment du départ à la retraite mais aussi des règles d’indexation des pensions ;
  • du départ (en fonction de l’âge et de la durée de cotisation).

Le graphique suivant montre qu’il est possible d’agir sur ces trois paramètres pour assurer l’équilibre des retraites en 2040 et que des choix très différents peuvent être faits dans leur combinaison.

Pour illustrer la variété des choix possibles, on peut donner quelques exemples repérés par des lettres sur le graphique. En prolongeant la réglementation actuelle jusqu’en 2040, le ratio entre la pension moyenne nette et le revenu moyen net d’activité passerait de 78% en 2000 à 64% en 2040. Il faudrait alors, pour assurer l’équilibre des régimes, en jouant sur une seule des variables possibles, augmenter le taux de prélèvement sur les actifs d’un montant équivalant à 9 points de cotisation (point A), ou décaler l’âge de départ à la retraite de 6 ans (point D), d’ici 2040. Si on souhaitait conserver le ratio entre la pension moyenne nette et le salaire moyen net à son niveau actuel (78%), il faudrait, pour assurer l’équilibre des régimes d’ici à 2040, augmenter le taux de prélèvement sur les actifs d’un montant équivalent à 15 points de cotisations (point B), ou décaler l’âge de départ à la retraite de 9 ans (point E). Si on ne relève ni le taux de cotisation ni l’âge de la retraite, la pension moyenne ne sera plus que 42% du salaire moyen.

Source : COR, daprès un graphique de François Lagarde. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Toute combinaison de ces mesures est bien sûr envisageable. Le choix de cette combinaison et son calendrier de mise en œuvre constituent l’essentiel de la réforme des retraites.

Si les deux premiers paramètres relèvent des décisions gouvernementales (régimes de base) ou des accords entre partenaires sociaux (régimes complémentaires), l’âge de départ à la retraite doit s’envisager dans le contexte actuel du marché du travail qui, progressivement, a exclu depuis plus de vingt ans les travailleurs âgés. Actuellement, moins d’une personne sur deux de 57 ans est encore en emploi. Dans ces conditions, repousser l’âge de la retraite ou augmenter la durée de cotisation nécessaire pour la retraite à taux plein n’aurait qu’un faible effet sur l’équilibre des retraites.

Garantir un taux de remplacement et relever les taux d’activité des quinquagénaires

Le Conseil d’orientation des retraites a rassemblé un consensus autour de l’idée que toute réforme devra comporter deux préalables :

Il faut fixer un objectif de taux de remplacement3. Les Français doivent être rassurés sur l’avenir de leur retraite. Le choix du niveau des retraites est un choix collectif de société qui doit assurer la solidarité entre les générations. Il faut débattre des efforts supplémentaires qui seront demandés aux générations moins nombreuses et donner à tous une visibilité sur l’avenir.

Si les deux premiers paramètres (durée et taux de cotisations) étaient inchangés, le rapport entre la pension moyenne et le revenu d’activité moyen, actuellement de 0,78, serait réduit de moitié puisqu’il y aura deux fois plus de retraités par actif cotisant.

Le choix du mode d’indexation est aussi fondamental : si les pensions sont indexées sur les prix, le niveau de vie des retraités est maintenu mais sa valeur relative par rapport aux salaires diminue.

L’augmentation du taux d’activité des plus de 50 ans doit être une priorité nationale. Le recul de l’âge du droit à la retraite sans évolution de l’âge de cessation réelle de l’activité n’aurait pas d’effet sur les finances publiques. Le taux d’emploi des 55 à 59 ans est de 55% en France et se situe à un des plus bas niveaux de l’Union européenne. La gestion des sureffectifs par la mise à la pré-retraite systématique des plus de 55 ans, voire des plus de 50 ans n’est plus possible. Il s’agit d’un problème de financement des retraites mais aussi d’équilibre du corps social, d’autant plus que ces générations vont être plus nombreuses. Le Conseil préconise une grande politique nationale visant à encourager le maintien en activité des quinquagénaires. Les dispositifs de préretraites ou assimilés doivent être restreints. Les entreprises doivent s’adapter au vieillissement de la population en offrant des possibilités de formation et des conditions de travail adaptées à tous les âges, voire de deuxième carrière. L’action volontariste menée par la Finlande sur le thème « L’expérience est une richesse nationale », qui a permis de remonter significativement l’activité des quinquagénaires, montre qu’il est possible de mener une telle politique.

Le Conseil d’orientation des retraites

Créé en mai 2000, le Conseil d’orientation des retraites est une structure permanente d’étude et de concer-tation, associant des parlementaires, des partenaires sociaux, du secteur public comme du secteur privé, des représentants de l’Etat, des experts et des représentants des associations familiales, des retraités et des personnes âgées. Il a pour mission essentielle de suivre régulièrement les évolutions de notre système d’assurance vieillesse et de faire des diagnostics et des propositions de réforme ou des recommandations. Il a publié un premier rapport en décembre 2001 et poursuit ses travaux.

Comme on le voit, si le choix des paramètres est l’un des éléments d’une réforme des retraites, on ne saurait réduire la réforme à ce choix.

Le rapport du Conseil d’orientation des retraites a permis de présenter les enjeux financiers des prochaines décennies, d’illustrer les choix des paramètres possibles qui relèvent des négociations et des décisions des partenaires sociaux et des pouvoirs publics. Il a proposé des orientations importantes qui lui paraissent un préalable à ces choix : la fixation d’un objectif sur le taux de remplacement, une politique ambitieuse pour l’emploi des salariés âgés et un contrat clair sur les principes du système de retraite. Parmi ces principes figurent notamment le développement d’une plus grande égalité d’effort entre les cotisants et des marges de choix pour les assurés.

  1. Rapport entre la population de plus de 60 ans et celle âgée de 20 à 60 ans.
  2. Retraites : renouveler le contrat social entre les générations. Conseil d’orientation des retraites. Premier rapport 2001. En vente à La Documentation française et accessible sur le site Internet www.ladocfrancaise.gouv.fr
  3. Le taux de remplacement situe le niveau des retraites par rapport au niveau des revenus d’activité.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-11/retraites-un-choix-collectif-de-societe.html?item_id=2441
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