Prendre la bonne mesure des conséquences économiques
Le thème du vieillissement démographique
recouvre plusieurs débats entremêlés. Il y a d’abord
un conflit de vocabulaire : on reproche au terme de vieillissement d’être
excessivement connoté et de véhiculer une image trop négative
des processus démographiques en cours. La deuxième interrogation
porte sur la réversibilité de ce processus. Ce «
vieillissement » est-il
inévitable ? Y a-t-il des politiques démographiques qui
pourraient l’inverser ? Le dernier débat a trait aux conséquences
de ce vieillissement : quelle est l’ampleur des charges qu’il
implique pour les dépenses sociales, quelles sont ses conséquences
pour l’équilibre macroéconomique et notamment pour
l’emploi ?
Le premier débat est légitime mais ne doit
pas être surestimé : le terme de vieillissement pose effectivement
problème, mais la langue française n’offre guère
d’autre choix, et ce problème ne retire rien au fait brut
que constitue l’élévation prévisible de l’âge
moyen de la population ou de la part des plus de 60, 70 ou 80 ans au cours
des décennies à venir.
On peut également passer relativement vite sur
le deuxième débat. Ces prévisions démographiques
sont-elles fiables et ce « vieillissement » est-il inéluctable
? Les réponses à ces deux questions sont largement positives.
La remontée de la fécondité ou la relance des flux
migratoires ne peuvent prétendre faire plus que contrebalancer
la part de vieillissement qui est liée à la contraction
de la population active1.
Or cette part reste relativement restreinte, au moins dans le cas de la
France. Comparativement à un certain nombre de ses partenaires
européens, la fécondité s’y maintient depuis
vingt-cinq ans à un niveau qui n’est que faiblement inférieur
au seuil de remplacement des générations. L’essentiel
du vieillissement y résulte donc plutôt de la maturation
des deux tendances acquises que sont l’allongement de la durée
de vie et la poussée du baby boom : après avoir alimenté
la croissance de la population active, ce baby boom va désormais
nourrir la croissance du nombre de retraités2.
Prétendre inverser ces tendances lourdes déboucherait sur
des scénarios démographiques irréalistes, avec des
niveaux de fécondité ou de solde migratoire sans précédents
historiques qui entraîneraient la population sur une trajectoire
de croissance rapide que rien ne justifie.
La vraie question est donc plutôt la dernière
: quelle est la bonne mesure des conséquences de ce processus ?
Ce qui conduit à s’interroger sur l’équilibre
des retraites et sur les incidences des variables démographiques
pour les autres variables économiques.
Un objectif réaliste
Sur la retraite, plus d’une décennie d’études
et de rapports a au moins permis de converger sur les constats chiffrés.
Le premier rapport du Conseil d’orientation des retraites3
chiffre à six points de PIB le montant de la « facture »
du vieillissement démographique, dans l’hypothèse haute
où l’on souhaiterait le maintien total du niveau de vie relatif
des retraités à son niveau actuel.
Que représentent exactement ces six points de
PIB ? Sur le papier, et resitué dans la longue période,
un tel effort de financement supplémentaire n’apparaît
pas forcément hors de portée. Les défenseurs du strict
maintien des droits acquis arguent qu’il ne représente pas
plus de la moitié du chemin déjà fait pour porter
les dépenses de retraite à leur niveau actuel, puisqu’elles
représentent aujourd’hui 12% du PIB. Une certaine dose d’augmentation
supplémentaire des cotisations retraite n’est donc pas à
exclure. Mais il serait clairement imprudent d’y voir l’unique
réponse au vieillissement, notamment parce que d’autres besoins
sociaux sont eux aussi croissants : il n’y a pas de raison d’affecter
par avance à la retraite l’ensemble des marges de manœuvre,
d’ailleurs incertaines, qui peuvent s’avérer utiles pour
d’éventuelles hausses de prélèvements obligatoires.
L’équilibre des marchés financiers
en question
D’où la place qui est laissée aux
deux autres formes d’adaptation, éventuellement modulables
selon les catégories de population : une certaine baisse des taux
de remplacement, d’ailleurs entamée pour le secteur privé
avec la réforme de 1993 et les évolutions en cours dans
les régimes complémentaires, et une hausse de l’âge
de la retraite. Or ces deux pistes ouvrent précisément vers
des questions plus larges qui dépassent le cadre strict de la retraite.
La baisse des taux de remplacement conduit potentiellement à un
recours accru aux compléments de retraite préfinancés,
qu’il s’agisse de supports d’épargne existants ou
d’éventuels fonds de pension. D’où l’interrogation
sur les conséquences des changements démographiques pour
l’équilibre des marchés financiers. Quant à
la politique de remontée de l’âge de la retraite, elle
pose le problème de l’évolution du chômage :
une reprise de sa baisse sera-t-elle facilitée ou au contraire
rendue plus problématique par la nouvelle donne démographique
?
Considérons d’abord le cas des marchés
financiers. Une analyse usuelle est la suivante : nous avons d’un
côté des individus d’âge actif qui se préparent
à leur retraite et qui épargnent donc pour compenser la
chute de revenus qui les attend lors de leur cessation d’activité.
Nous avons de l’autre côté leurs aînés
qui, étant passés à la retraite, financent une partie
de celle-ci en liquidant progressivement le capital qu’ils ont accumulé
tandis qu’ils étaient encore en activité. Les effets
du passage à la retraite des baby boomers se font sentir en deux
temps : dans un premier temps, les générations du baby boom
gonflent les effectifs en âge d’épargner, alors que
les retraités en phase de désépargne restent d’effectif
modéré : le marché du capital est donc un marché
de demandeurs, d’où une hausse de la valeur des actifs.
Ce phénomène est d’autant plus marqué
que les actifs anticipent des chutes de revenu importantes pour leur passage
à la retraite. C’est bien le contexte dans lequel nous nous
trouvons. Ce phénomène a pu en partie nourrir la bulle spéculative
sur les valeurs technologiques mais a aussi été amplifié
par elle.
Dans un second temps, le basculement de ces générations
vers la retraite doit créer les conditions inverses : celle d’un
marché d’excès d’offre où les valeurs se
déprécient. Il est indéniable que cette nouvelle
donne est beaucoup moins favorable à la bonne tenue des marchés
: c’est d’ailleurs une limite bien connue au recours massif
à la capitalisation pour le financement des retraites. Le rendement
de cette retraite par capitalisation baisse avec le vieillissement de
la population, ce qui est une des façons de dire que capitalisation
comme répartition sont deux techniques de financement des retraites
qui sont également affectées par les chocs démographiques.
Jusqu’où ira la désépargne
?
Les choses doivent toutefois être nuancées
: la démographie détermine au plus une tendance de fond
de ces marchés, qui peut être masquée par leurs autres
mouvements erratiques. En outre, l’ampleur des déséquilibres
entre offre et demande d’épargne dans les années à
venir compte encore un certain nombre d’inconnues : les nouvelles
incertitudes sur la prise en charge future de la dépendance aux
âges avancés, le maintien d’un désir de transmission
vers la génération suivante sont autant de raisons, pour
les retraités, de ne pas désépargner si fortement
une fois passés à la retraite. L’impact du choc démographique
sur le solde épargne-désépargne et le rendement des
actifs dépendra aussi du rôle et des stratégies des
investisseurs institutionnels en charge de la préparation de la
retraite : placements purement financiers, investissements en capital
productif, investissement immobilier, part des investissements effectués
à l’étranger.
Un frein à l’investissement
Que se passe-t-il maintenant si l’on porte le regard
vers le marché du travail, plutôt que le marché des
capitaux ? Le problème est là encore d’anticiper les
effets du retournement démographique sur une offre et une demande,
l’offre et la demande de travail. Côté offre, l’effet
est relativement mécanique : après plusieurs décennies
de croissance soutenue, l’offre de travail devrait progressivement
ralentir puis s’inverser dans la mesure où les générations
qui vont arriver sur le marché du travail sont légèrement
moins nombreuses que celles qu’elles remplacent, les générations
du baby boom.
C’est du côté de la demande que les
choses sont plus complexes, avec plusieurs conséquences possibles
de l’évolution démographique sur la demande de travail.
Un scénario serait celui dans lequel la demande continuerait sur
une trajectoire ascendante, par exemple parce qu’elle est portée
par l’effectif de la population totale qui, lui, continue de croître
jusque vers au moins 2020. Dans cette vision simpliste, le retournement
démographique est bien synonyme de reprise de la baisse du chômage.
Mais ce n’est qu’un scénario parmi d’autres et pas
forcément le plus réaliste, car de nombreux effets indirects
du vieillissement sur la demande de travail peuvent venir contrebalancer
l’impact a priori favorable du freinage de l’offre.
Dans un contexte keynésien, le choc démographique
peut s’accompagner d’une poussée du chômage s’il
conduit à un fléchissement important de certaines composantes
de la demande, par exemple la demande d’investissement, investissement
immobilier de la part des ménages, investissement en capital productif
de la part des entreprises confrontées, dans une population moins
dynamique, à des perspectives de débouchés réduites.
Dans un contexte classique où le chômage
dépend du coût du travail, les choses sont encore plus nettes.
L’impact du choc démographique dépend de la dynamique
des salaires. Si la baisse du chômage qu’on enregistre dans
un premier temps se traduit par une remontée des aspirations salariales,
alors l’effet initialement favorable du choc démographique
est annulé. Le risque d’un tel scénario est particulièrement
marqué si des hausses de prélèvements pour la retraite
viennent s’ajouter au coût du travail, notamment pour les plus
bas salaires, ou si l’on considère que le vieillissement de
la population active peut freiner la productivité et accroître
les coûts de production.
En résumé, la démographie se traduit
par un coût croissant des retraites – ce que plus personne
ne conteste –, par l’apparition possible d’une nouvelle
donne pour les marchés financiers, et elle n’est pas nécessairement
porteuse d’une embellie radicale sur le marché du travail.
Tous ces constats ne sont pas forcément synonymes de catastrophes
économiques : il faut se démarquer des courants de pensée
qui associent vieillissement et perte d’efficacité du système
économique, et qui en tirent argument pour d’irréalistes
relances de la croissance démographique. Il n’en reste pas
moins que ce nouveau contexte affectera très significativement
les conditions de pilotage des politiques économiques et sociales.
Peut-être un retour inopiné de la croissance facilitera-t-il
la traversée de ces décennies de vieillissement accéléré,
mais ce serait un pari hasardeux de ne miser que sur cette bonne fortune.
Bibliographie
- Démographie et Economie, M.Aglietta, D.Blancher et F.Heran, Rapport du Conseil d’analyse économique, La Documentation française, 2002
- Le choix du système de retraite, P.Artus et Fl.Legros,Economica, 1999
- Le nouvel âge de la vieillesse. Histoire du vieillissement de la population. P.Bourdelais, Odile Jacob, 1993
- Retraites : renouveler le contrat social entre les générations. Orientations et débats. La Documentation française, Conseil d’orientation des retraites, 2002
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-11/prendre-la-bonne-mesure-des-consequences-economiques.html?item_id=2439
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