Régis HERBIN

est urbaniste-architecte, expert en APE (accessibilité et perception de l’espace), directeur du Cridev (Centre de recherche pour l’intégration des différences dans les espaces de vie) et président du Capt (Concevoir avec & pour tous), association nationale des experts en APE

Partage

Aménagement de l'espace : quelques règles à suivre

La ville doit s’adapter afin que tout être humain, quels que soient son âge ou son handicap, puisse y utiliser l’espace sans difficulté ni inconfort. D’où une série de recommandations à prendre en compte dès la conception d’un équipement ou d’un ouvrage.

Les personnes en situation de handicap sont, en réalité, des révélateurs d’un problème urbain plus vaste : celui de l’inconfort et de l’insécurité de nos espaces construits. Là où les personnes en situation de handicap et les personnes âgées trouvent « naturellement » leur place, une personne « ordinaire » doit évoluer avec convenience (c’est-à-dire utiliser l’espace sans inconvénients), aisance et sécurité. Et inversement. C’est dire qu’il est essentiel que les solutions apportées à un besoin spécifique d’une catégorie d’usagers ne créent pas de gêne pour d’autres catégories. Cette approche de « l’accessibilité et de la perception de l’espace » (APE) nécessite un changement radical des méthodes de conception.

En effet, la qualité en matière d’accessibilité et de perception de l’espace ne se satisfait pas d’une démarche approximative. Elle demande de la vigilance et de la précision. L’espace construit ne doit plus être un parcours d’obstacles, mais une invitation à l’échange et à la détente.

De la vigilance, car la moindre discontinuité dans les procédures ou les réalisations peut rendre tout un espace inaccessible ou imperceptible.

De la précision, car le moindre centimètre, ou le moindre pourcentage de pente en trop ou en moins peut mettre en situation de difficulté ou exclure une personne vulnérable.

Pour prendre en compte les besoins des personnes âgées et des usagers en difficulté, voici quelques règles à suivre.

En matière de confort physique

Assurer des passages suffisamment larges pour autoriser l’usage d’engins de nettoyage, donner de l’aisance motrice à la personne en fauteuil roulant et permettre aux piétons de se déplacer à plusieurs, confortablement, même encombrés de paquets…

Limiter les pentes sur le cheminement (5% maximum) afin de ne pas arrêter une personne en fauteuil roulant manuel et de réduire la fatigue de la personne âgée ou de l’assisté respiratoire...

Diminuer les dévers latéraux (inférieurs à 2%) qui, d’une part, sont à peine supportables pour une personne hémiplégique en fauteuil roulant et, d’autre part, évitent aux personnes aveugles ou simplement distraites de dévier de leur trajectoire.

Limiter les ressauts (maximum de 2 cm) pour qu’ils ne bloquent pas la roue du fauteuil roulant, et qu’ils évitent aussi au malvoyant ou à la personne à l’équilibre précaire de trébucher. Cela diminue les risques d’accidents pour l’ensemble des piétons.

Réduire la largeur des fentes au sol (à moins de 2 cm) afin qu’elles ne croisent ni la roue du fauteuil, ni la canne de l’aveugle ou de la personne âgée. Cela évitera également aux usagers de se tordre les pieds en marchant.

Assurer un état des sols de bonne qualité (lisse, dur, antidérapant et non meuble), pour permettre le passage de la personne en fauteuil et éviter de nombreuses chutes aux personnes âgées et aux personnes à l’équilibre précaire.

Libérer les espaces de tout obstacle ou mobilier urbain gênant, afin de permettre de circuler en toute sécurité et avec aisance.

Choisir une hauteur judicieuse des différentes commandes ou boutons d’appel pour une utilisation à la fois par la personne tétraplégique assise en fauteuil roulant et par la personne souffrant de ne pouvoir se baisser.

Adapter la forme des éléments préhensibles pour en faciliter l’usage par tous et offrir à la personne malhabile ou manquant de force la capacité d’effectuer les gestes minimaux sans effort et sans risque.

Permettre le repos des utilisateurs en aménageant des zones où il est possible de s’asseoir ou de prendre appui (main courante) ou de se reposer en position assis-debout en dehors de la densité des flux de déplacements (y compris piétons). Cela est indispensable pour la sécurité de certaines personnes à l’équilibre précaire ou assistées sur le plan respiratoire, mais dans tous les cas, c’est un élément de confort pour tous.

En matière de confort sensoriel

Renforcer les perceptions des espaces construits par un éveil des sens.

Assurer la bonne audition des messages en fonction des ambiances sonores du moment.

Etre vigilant pour ce qui concerne les nuisances acoustiques, visuelles, tactiles, olfactives.

Réduire les sources des mauvaises odeurs en mettant en place des repères olfactifs pour l’aide aux personnes aveugles ou sourdes et, bien sûr, pour le plaisir de tous.

Doubler le plus souvent possible les informations visuelles par des messages sonores, afin que les malvoyants et les malentendants trouvent un mode de communication qui leur convienne. Une attention sera portée aux intensités et fréquences.

Simplifier la lisibilité en réduisant les messages et en utilisant des pictogrammes qui permettront d’aider la personne déficiente intellectuelle, illettrée, ou tout simplement étrangère.

Renforcer la visibilité à tous les niveaux par une position et une taille adaptées de chaque équipement ou information. Une étude particulière des couleurs, des contrastes et de la luminosité permettront aux plus mal voyants un minimum de perception. Il y aura lieu d’être vigilant quant aux effets néfastes d’éblouissements et de reflets parasites. Cette qualité d’usage sera particulièrement intéressante pour les malvoyants et malentendants.

Mettre en place des repères acoustiques pour faciliter le guidage, le repérage et la vigilance des personnes déficientes visuelles ou intellectuelles, des enfants, des personnes âgées et des distraits.

Introduire des éléments podotactiles dans les revêtements de sol pour guider la personne aveugle et les « distraits » dans leur cheminement et renforcer leur vigilance dans les zones sensibles.

Soigner la qualité tactile en choisissant des matériaux appropriés (texture, dureté, température, forme, taille…) pour permettre un meilleur repérage par les mal voyants et une sensation plus agréable pour tous.

En matière de confort psychique

Renforcer le repérage, l’identité des espaces urbains, ce qui facilite le repérage des lieux pour les personnes qui perdent la mémoire ou qui sont intellectuellement déficientes.

Assurer la continuité de la signalisation aide aussi bien l’étranger au quartier que la personne en situation de handicap.

Simplifier et diversifier la communication par l’usage de symboles et en doublant les modes de lecture (visuelle, sonore, tactile…) permettent à chacun, quelle que soit sa différence, de percevoir l’information.

Informer l’usager de toute modification, afin de l’accompagner dans les changements d’habitudes et les dispositions particulières à prendre.

Eviter les « espaces morts » sur les cheminements principaux (recoins cachés des regards, zones d’ombre, lieux déserts…) réduit l’anxiété de l’usager, limite les fantasmes de la personne fragile intellectuellement et donne à tous une sensation de sécurité.

En matière de prévention

Supprimer les formes dangereuses susceptibles de blesser un usager (en particulier à la tête et au niveau des genoux).

Renforcer la détection des éléments – constructions ou équipements – situés sur ou en bordure d’un cheminement sur les plans visuel, tactile et/ou acoustique.

Réduire la fatigue en choisissant les parcours accessibles les plus directs possible et en limitant les dénivelés et les pentes. En cas de fort dénivelé, installer des élévateurs.

Donner la priorité aux élévateurs et ouvertures automatiques en utilisant les systèmes de commande ou d’ouverture le plus sensibles possible. De préférence et en fonction de la fréquentation on aura recours à l’automatisme.

Aider au maintien de l’équilibre en assurant des sols stables, lisses, consistants et antidérapants (même par temps de pluie). Si nécessaire, les passages délicats seront équipés d’éléments d’appui.

Assurer la pérennité des aménagements par un choix de qualité dans les matériaux et la mise en œuvre.

Enfin, que vous soyez maître d’ouvrage, maître d’œuvre ou entrepreneur, informez-vous et formez-vous pour maîtriser la démarche de l’accessibilité globale et :

  • susciter la prise en compte de l’APE dès l’origine d’un projet ;
  • favoriser la coordination et la communication entre les différents intervenants ;
  • assurer le bon usage des espaces construits et des équipements ;
  • mettre en place une culture de constructeur axée sur la qualité d’usage pour tous ;
  • permettre l’expression des usagers avant, pendant et après les opérations d’aménagement, afin de renforcer la prise en compte de leurs besoins.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-11/amenagement-de-l-espace-quelques-regles-a-suivre.html?item_id=2446
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article