Richard ROBERT

Éditeur de Telos (Telos-eu.com)

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L’immigration, une solution ? Cinq expériences nationales

De nombreux pays se demandent comment pallier les conséquences du vieillissement. Partie possible de la solution, l’immigration suscite un rejet croissant. Quelle place lui faire, comment l’insérer dans un ensemble de politiques efficaces ? L’OCDE, qui ne croit pas à la baguette magique de politiques natalistes, a émis des préconisations. Mais chaque pays développe ses options – ou se retrouve face à ses impasses. Tour d’horizon à partir de cinq grands pays riches.

Les pays développés connaissent des situations très variées, des États-Unis toujours jeunes au Japon des têtes grises. Même la perspective d’une population stabilisée, comme en France, n’empêche pas que le vieillissement de la société ait de lourdes conséquences. En se penchant sur quelques grands pays touchés par le vieillissement, on s’aperçoit que l’option de l’immigration s’insère dans des configurations très différentes.

Le Japon : panne de travailleurs et recours récent à l’immigration

En 2023, le Japon a crevé le plafond des 2 millions de travailleurs immigrés, et il compte désormais 3,4 millions de ressortissants étrangers, soit 2,7 % de la population, contre 1,3 % en 2000. Venus du Vietnam, des Philippines, de Chine, d’Indonésie, du Népal, de Birmanie, les nouveaux venus occupent des emplois dans les soins à la personne et la construction.

Les chiffres publiés début 2024 par le ministère du Travail signalent de fortes tensions : avec un taux de chômage à 2,4 %, il existe 120 offres d’emploi pour 100 demandeurs 1. En cause : un déclin démographique désormais grave. Avec aujourd’hui 1,3 enfant par femme, la population est passée de 128 millions de personnes en 2008 à 123 millions en 2025. Elle devrait diminuer de 19 millions entre 2023 et 2050. Pour atteindre son objectif d’une croissance de 1,24 % par an d’ici à 2040, le Japon aurait besoin de 6,74 millions de travailleurs étrangers d’ici à 2040 2.

Réputé peu ouvert, le pays a discrètement fait évoluer ses politiques. Le gouvernement vise à la fois une immigration de travail temporaire sur des postes peu qualifiés et une immigration permanente sur des emplois très qualifiés. Les visas de courte durée sont accordés plus facilement et leur durée maximale a été portée de trois à cinq ans. Une politique d’accueil d’étudiants étrangers a été mise en place, avec l’objectif de passer de 280 000 en 2023 à 400 000 en 2033, et de les inciter à rester. Le poids des personnes nées à l’étranger, qualifiées ou non, est désormais significatif dans les classes les plus jeunes. À Tokyo, 10 % des 20-30 ans sont nés à l’étranger, un chiffre qui peut atteindre 15 % dans des villes plus petites.

En Corée, face à une « urgence nationale », une politique nataliste au-dessous des enjeux

Le 9 mai 2024, le président sud-coréen Yoon Suk-yeol annonçait la création d’un ministère de la Natalité, sujet érigé en « urgence nationale ». Depuis plus de deux décennies, les études s’inquiètent de la faible fertilité et du vieillissement.

La Corée, qui pour sortir de la pauvreté avait mis en place des politiques antinatalistes dans les années 1960, a officiellement le taux de fécondité le plus bas du monde : 0,72 enfant par femme en 2023, et la baisse continue. Un véritable suicide démographique, fait de petites décisions individuelles : choix de carrière, refus pour les femmes de se laisser cantonner au rôle traditionnel, baisse du taux de mariage. D’autres facteurs sont en cause : difficulté à se loger, mais aussi longueur de la semaine de travail dans le pays (le maximum légal de 52 heures a les allures d’une norme).

La politique du gouvernement est nataliste, avec un spectre large de mesures censées inciter les jeunes couples à faire des enfants : prime à la naissance (720 euros par mois pour un enfant de moins d’un an, 360 euros par mois de 1 à 2 ans), allocations de congé parental, congé paternel, horaires de travail flexibles et politique de soutien scolaire pour décharger les parents de ce souci. Mais le cœur du modèle, une société où l’on surtravaille, n’est pas mis en cause.

Le programme de prime à la naissance n’a guère d’incidence ; plus de 74 % des versements effectués concernent des naissances qui auraient eu lieu sans incitation financière et, selon certains experts, il faudrait multiplier par 15 le budget de ce programme déjà très coûteux pour obtenir l’effet désiré 3. Des critiques ont pointé que les politiques axées sur l’égalité des sexes et l’amélioration de la vie des femmes sont plus efficaces que ces dispositifs à l’ancienne. D’autres considèrent que l’immigration est la seule voie possible pour éviter le désastre 4. Mais le gouvernement coréen n’a aucune stratégie en la matière.

La Pologne devient un pays d’immigration, sans résoudre son problème de vieillissement

La Pologne devrait perdre plus de 1 million d’habitants d’ici à 2030, et passerait de 37 millions d’habitants en 2025 à 34 millions en 2050. Ce déclin cache un vieillissement accéléré. « La Pologne est confrontée à une transition démographique particulièrement brutale. Le taux de dépendance des personnes âgées (le nombre de personnes âgées de 65 ans ou plus pour 100 personnes en âge de travailler) devrait passer d’un peu plus de 20 % en 2000 à plus de 60 % en 2050 5. »

Un facteur mitigeur est le développement récent de l’immigration, surtout ukrainienne depuis 2022, mais aussi depuis d’autres anciennes républiques soviétiques et de pays asiatiques. Il s’agit principalement d’une immigration temporaire.

En 2024, pour la première fois, une stratégie d’immigration a été définie. L’objectif principal est de créer un système de migration efficace qui répondra aux besoins du marché du travail : faciliter les formalités, raccourcir les temps d’attente et inciter la venue de spécialistes hautement qualifiés. Il s’agit d’une politique probusiness plus que d’une stratégie destinée à compenser le vieillissement de la population.

Des experts ont tenté de prédire l’évolution du solde migratoire (quasiment à l’équilibre aujourd’hui) et son impact sur le vieillissement 6. « Les résultats montrent que la Pologne passera d’un statut d’émetteur net à un statut de récepteur net vers 2030-2034. L’effet combiné des flux migratoires sur le vieillissement de la population ne sera pas significatif. »

En Italie, la contrainte politique empêche de sortir du cercle vicieux

La population italienne, passée de 60 millions en 2014 à 59 millions en 2022, pourrait tomber à 47 millions d’ici à 2070. Avec un taux de fécondité descendu à 1,18 enfant, le pays n’a enregistré que 370 000 naissances en 2024, contre plus de 700 000 décès. Parallèlement, l’espérance de vie augmente régulièrement (83,4 ans en 2024, près de cinq mois de plus qu’en 2023), et un cercle vicieux s’est enclenché : comme le note une étude du FMI, le poids des pensions sur les actifs est tel que la croissance en est affectée et que le pays connaît un mouvement d’expatriation de ses jeunes les plus diplômés 7. En 2024, 191 000 personnes ont quitté la péninsule, dont 156 000 citoyens italiens.

La réponse politique à ce défi est notoirement insuffisante. Des politiques natalistes ont été mises en place mais la stratégie fait débat (mesures antiavortement) et, surtout, leur effet sera insuffisant car ce sont déjà des classes creuses qui sont concernées. Des facteurs majeurs de la dénatalité, comme les tensions sur le marché du logement qui conduisent à une mise en ménage très tardive, ne sont traités qu’à la marge.

L’immigration apparaît dans ces conditions comme un recours, mais la nécessité d’une stratégie ambitieuse est bridée par les contraintes politiques. L’Italie est devenue depuis une trentaine d’années un pays d’immigration. On comptait 5,3 millions de résidents étrangers (Roumains et Albanais, notamment) au 1er janvier 2024, soit 166 000 de plus que l’année précédente. Cette immigration ne suffit pas à compenser l’émigration et le déficit de naissances par rapport aux décès 8.

Selon certains experts il faudrait au moins 280 000 travailleurs étrangers par an jusqu’en 2050 9. Le gouvernement italien a produit en septembre 2023 un document de programmation qui ne prévoit de satisfaire que la moitié de ces besoins, et qui ne mentionne plus, contrairement aux documents précédents, de politique d’intégration. L’impasse politique sur la question de l’immigration accompagne en tout cas le déclin démographique italien.

En Allemagne, le volontarisme politique se heurte à l’essor des extrêmes

En 2021, le président de l’Agence fédérale pour l’emploi déclarait que l’Allemagne avait besoin de 400 000 immigrants par an dans les années à venir pour combler les lacunes du marché du travail, citant notamment le personnel médical et infirmier. Le pays, qui a construit depuis les années 1960 son succès économique sur une stratégie d’immigration de travail (Gastarbeiter), a maintenu au fil des décennies une culture d’accueil, qui s’est traduite notamment en 2015 lorsque la chancelière Angela Merkel a décidé d’ouvrir les portes à 1 million de réfugiés en provenance notamment de Syrie.

Mais, aux besoins de l’économie et au devoir moral tels qu’ils ont été affirmés alors, s’ajoute désormais la contrainte démographique, qui pèse de plus en plus : si le taux de fécondité, longtemps faible, remonte un peu, il n’atteint que 1,36 enfant par femme en 2023 (contre 1,68 en France). L’âge moyen des Allemands en 2022 était de 44,7 ans, deux ans de plus qu’en France : l’Allemagne comptait alors 17 % de moins de 18 ans et 22 % de plus de 65 ans.

L’importance de l’immigration a permis de contenir la menace de déclin démographique, avec une perspective stable. Mais deux écueils sont apparus. Le premier est que la vision d’une immigration de travail a conduit à sous-estimer la nécessité d’une politique d’intégration ; les correctifs apportés depuis le début du siècle (droit du sol notamment) n’ont guère changé cette approche, qui a son pendant dans la vision d’une société « multiculturelle » dont la chancelière Merkel avait reconnu les limites dès octobre 2010 : « Cette approche Multikulti – “nous vivons côte à côte et nous nous en réjouissons” – a échoué, totalement échoué. » Le second écueil est l’essor récent d’une extrême droite (AfD) et d’une extrême gauche (Alliance Sahra Wagenknecht) opposées à l’immigration : une situation démographique maîtrisée d’un point de vue quantitatif peut aller de pair avec de graves perturbations politiques.

Des recommandations de l’OCDE face au vieillissement : d’abord augmenter le taux d’emploi et prolonger la vie active

Dans une étude de 2014, l’OCDE recommande d’accroître la participation au marché du travail des femmes, des jeunes et des seniors. Pour les femmes, la qualité des emplois peut permettre d’atteindre cet objectif quantitatif, en favorisant un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. L’organisation recommande aussi d’investir dans les compétences, en améliorant l’adéquation entre l’offre et la demande sur le marché du travail et en augmentant la productivité. Une étude plus récente se concentre sur la prolongation de la vie active, dont la première condition est un vieillissement en bonne santé : pour ce faire, on doit rechercher une meilleure intégration des individus dans l’économie et la société, la promotion de modes de vie plus sains à tous les âges, l’adaptation des systèmes de santé et l’amélioration des déterminants sociaux et environnementaux de la santé. Il est également essentiel de faire tomber les obstacles qui dissuadent les personnes âgées de continuer à travailler.

Migrations et immigrés ont également un rôle à jouer. Les auteurs de l’étude de 2014 plaident pour une meilleure utilisation des compétences des immigrés déjà présents, qui souffrent souvent d’un déclassement. Ils suggèrent des cours de langue et la reconnaissance des qualifications acquises à l’étranger. Une note de 2023 complète ce point en abordant plus précisément la question des immigrés déjà présents dans le pays. « Parmi les immigrés, les taux d’emploi des hommes et des femmes ont progressé, mais les mères immigrées restent confrontées à des difficultés spécifiques. Des mesures spéciales contribueraient à stimuler leur taux d’activité, par exemple en facilitant un accès rapide aux services de garde d’enfants. »

Voir

  • OCDE, Commission européenne, Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du travail, Paris, OCDE, 2014. Lire le rapport
  • Christophe André, Peter Gal, Álvaro Pereira et Matthias Schief, « Demographic challenges to productivity: how to reconcile population ageing with economic growth? », Ecoscope, 17 juin 2024. Lire l’article
  • OCDE, « Les flux migratoires internationaux vers les pays de l’OCDE et les résultats des immigrés sur le marché du travail atteignent des niveaux records », 23 octobre 2023. Voir le communiqué
  1. Philippe Escande, « Faute de bras, l’immigration est en hausse constante au Japon », Le Monde, 30 janvier 2024. https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/01/30/faute-de-bras-l-immigration-est-en-hausse-constante-au-japon_6213857_3234.html.
  2. Low De Wei et Marika Katanuma, « Japan to face 11 million worker shortfall by 2040, study finds », The Japan Times, 30 mars 2023. https://www.japantimes.co.jp/news/2023/03/30/business/economy-business/japan-worker-shortfall-study/.
  3. Dahae Choo et Hugo Jales, « Childbearing and the distribution of the reservation price of fertility : The case of the Korean baby bonus program », Journal of Asian Economics, 77, 2021. https://doi.org/10.1016/j.asieco.2021.101395.
  4. Michael A. Clemens, « Migration or stagnation : Aging and economic growth in Korea today, the world tomorrow », Peterson Institute for International Economics working papers, 18 juillet 2024. https://www.piie.com/publications/working-papers/2024/migration-or-stagnation-aging-and-economic-growth-korea-today.
  5. Marcin Bielecki, Michal Brzoza-Brzezina et Marcin Kolasa, « Aging, migration and monetary policy in Poland », Gospodarka Narodowa. The Polish Journal of Economics, 309 (1), 2022. https://gnpje.sgh.waw.pl/pdf-145536-73841?filename=Aging_%20Migration%20and.pdf.
  6. Agnieszka Fihel, Anna Janicka et Marek Okólski, « Predicting a migration transition in Poland and its implications for population ageing », Central and Eastern European Migration Review, 12 (1), 2023, pp. 265-292. http://ceemr.uw.edu.pl/vol-12-no-1-2023/special-series/predicting-migration-transition-poland-and-its-implications.
  7. Fonds monétaire international, « Population Aging in Italy : Economic Challenges and Options for Overcoming the Demographic Drag », Italy : Selected Issues, 274, 2023. https://www.elibrary.imf.org/view/journals/002/2023/274/article-A001-en.xml.
  8. Pierre Farineau, « L’Italie face au défi démographique », Trésor-Éco, 24 octobre 2023. https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2023/10/24/l-italie-face-au-defi-demographique.
  9. Agenzia Nazionale Stampa Associata (ANSA), « With aging population, Italy needs 280,000 migrants a year – IDOS », InfoMigrants, 23 octobre 2023. https://www.infomigrants.net/en/post/52742/with-aging-population-italy-needs-280000-migrants-a-year--idos.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2025-6/l-immigration-une-solution-cinq-experiences-nationales.html?item_id=7970
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