Vieillesse et politique de la vieillesse au début des années 1960
Publié en 1962, le rapport de la Commission d’études des problèmes de la vieillesse, présidée par le haut fonctionnaire Pierre Laroque, fait le point sur une France qui, alors, privilégie la jeunesse et délaisse les vieillards. Ce travail, élaboré comme un « Code de la vieillesse », appelle à développer les politiques en direction des personnes âgées. La lecture de ce document historique important permet de mesurer ce qu’étaient la situation et les préoccupations, avec des traits communs mais aussi des caractéristiques opposées à la période contemporaine, notamment en termes de retraites.
Du vieillissement
Le vieillissement de la population est un phénomène démographique propre à tous les pays évolués. En rapport avec l’ancienneté du développement industriel, il a atteint, à une époque plus ou moins récente, les États européens – et notamment ceux d’Europe occidentale. D’une définition malaisée, le vieillissement d’une population pose un ensemble de problèmes économiques, financiers, sociaux et médicaux qui n’ont été appréhendés, jusqu’à présent, que d’une manière diffuse et partielle.
La mesure même de ce phénomène implique des options : si l’on peut prendre en considération l’âge moyen d’une population déterminée, il est également possible de comparer le nombre des personnes âgées (de plus de 60 ou 65 ans) à la population jeune (moins de 20 ans). La méthode la plus valable – et généralement retenue – consiste à comparer le nombre des personnes âgées à la population totale. La proportion des vieillards, et plus précisément l’augmentation de cette proportion dans la population totale, met en évidence le vieillissement démographique.
À cet égard, la France est, actuellement [rappelons que nous sommes au début des années 1960], de tous les pays du monde (exception faite de l’Allemagne de l’Est, dont la situation s’explique par des considérations exceptionnelles), celui qui compte la plus forte proportion de personnes âgées : 16,7 % de ses habitants avaient, en 1960, dépassé 60 ans. Cette proportion atteindra, selon les perspectives de l’évolution démographique, 18 % en 1970 et continuera de croître jusqu’en 1980 à peu près.
La cause essentielle de cette situation réside, certes, dans l’insuffisance de la natalité française, marquée dès avant le début du XXe siècle. D’autre part, l’allongement moyen de la vie humaine a accru régulièrement le nombre absolu des vieillards. C’est un fait que l’espérance de vie à la naissance est passée, pour les hommes, de 45 ans à plus de 65, pour les femmes, de 49 à plus de 71 ans.
Le vieillissement de la population entraîne des conséquences dans tous les domaines de la vie nationale ; progressivement, mais d’une manière inéluctable, il grève les conditions d’existence de la collectivité française.
Tout d’abord, l’entretien des personnes âgées inactives fait peser une charge de plus en plus lourde sur la population en activité ; quelles que soient, en effet, l’origine et la nature juridique des revenus des personnes inactives : pensions de retraite financées par des cotisations, aides sociales à la charge des collectivités publiques, revenus d’un capital ou pensions alimentaires, il est établi que toute personne inactive vit de prélèvements sur la production de biens ou la création de services des actifs. La population active supporte donc, pour assurer la subsistance des personnes âgées inactives, sur le produit de son travail, un prélèvement important. Or, compte tenu des prévisions démographiques, la charge de ce prélèvement, en admettant que le niveau des ressources assurées aux vieillards reste constant, augmentera jusqu’en 1975. C’est seulement à partir de 1975-1980 que la proportion des parties prenantes sur les parties versantes actives se stabilisera au moins provisoirement au taux de 20 % environ.
Sur le plan économique, d’autre part, le vieillissement démographique exerce une influence certaine sur les structures professionnelles, l’équipement et les méthodes de travail, du moins dans les secteurs où les travailleurs vieillissants ou âgés sont employés en proportion relativement importante.
Enfin, politiquement et psychologiquement, le vieillissement se traduit par le conservatisme, l’attachement aux habitudes, le défaut de mobilité et l’inadaptation à l’évolution du monde actuel.

Pierre Laroque (1907-1997)
Habituellement présenté, avec le ministre communiste Ambroise Croizat, comme le « père » de la Sécurité sociale, Pierre Laroque est un éminent membre du Conseil d’État. Figure du système français de protection sociale, il compte, parmi ses multiples contributions, le « rapport Laroque » sur la vieillesse, dont le titre exact est Politique de la vieillesse (1962). Ce texte, demandé par le Premier ministre, représente un tournant majeur dans les orientations en faveur des personnes âgées.
Les données générales du problème de la vieillesse
Poser le problème de la vieillesse, en France, c’est essentiellement rechercher quelle place peut et doit être faite aux personnes âgées dans la société française d’aujourd’hui et, plus encore, dans celle de demain. C’est donc étudier dans quelle mesure et par quels procédés, devront – dans les vingt années à venir – être assurées les conditions d’existence de la population âgée, tant en ce qui concerne l’emploi de celles des personnes âgées aptes à exercer une activité professionnelle et désireuse de se maintenir en activité, qu’en ce qui concerne les revenus qui doivent être assurés aux vieillards, leur logement et l’aide que, sous toutes ses formes, la collectivité doit leur apporter.
1. Les données de ce problème sont complexes ; elles ne peuvent être ramenées à des éléments constants, valables pour des catégories nettement déterminées de la population âgée. En effet, l’expression « personnes âgées » recouvre elle-même une réalité disparate, qui ne correspond à aucune notion moyenne.
Du point de vue de l’emploi, par exemple, on sera conduit à constater que les manifestations physiologiques et psychiques du vieillissement apparaissent souvent dès l’âge de 45 à 50 ans et n’ont pas seulement des conséquences importantes dans les conditions d’exercice de l’activité professionnelle (nature des emplois occupés, rendement, absentéisme, rémunération), mais sont à l’origine des difficultés d’embauchage et de reclassement que rencontrent les travailleurs « vieillissants ». De même, au regard de l’action sociale qui doit être dispensée au profit de la population âgée, l’âge chronologique ne constitue pas un critère valable, mais bien plutôt le degré de validité, l’état psychologique, l’aptitude ou l’inaptitude à mener une vie relativement indépendante. Ces données individuelles du vieillissement déterminent seules la forme d’intervention adaptée à chacun, du point de vue du logement, de l’aide à domicile, du placement en collectivité.
Non seulement le vieillissement se manifeste de manière différente d’un individu à l’autre, mais la condition des personnes âgées varie également en fonction du milieu social auquel elles appartiennent : rural ou urbain, provincial ou parisien, salarié ou travailleur indépendant.
Enfin, la société française est mouvante : les migrations intérieures, l’apport de l’immigration, le progrès technique et l’évolution économique impliquent une transformation continue de la communauté nationale.
2. En second lieu, ces problèmes ne peuvent être isolés de ceux qui se posent à l’ensemble de la population. Il est essentiel, en effet, de maintenir les personnes âgées dans la société, en contact avec les autres générations, et d’éviter également toute rupture brutale dans leurs conditions de vie.
Cela est vrai tout d’abord au regard de l’activité professionnelle. Gérontologues et sociologues sont d’accord pour affirmer que l’inaction soudainement imposée à un individu qui a régulièrement travaillé pendant la plus grande partie de sa vie et n’a pas d’activité extraprofessionnelle est généralement un facteur défavorable. Plus encore, dans la vie sociale, la rupture du vieillard avec son environnement habituel, le changement de résidence et de logement – s’il survient trop tard –, l’éloignement de ses relations constituent autant de facteurs d’aggravation du vieillissement.
Maintenir les personnes âgées dans la société
Compte tenu de ces deux facteurs essentiels, le problème de la vieillesse est dominé par la nécessité de concilier, d’une part, l’adaptation du milieu et des conditions d’existence à l’état physique et psychique des personnes âgées et, d’autre part, leur maintien dans la société, en excluant toute ségrégation.
Le vieillissement n’est pas seulement différencié d’un individu à l’autre. Chez une même personne, il affecte plus ou moins rapidement, et profondément, les aptitudes physiques et intellectuelles et se traduit par leur transformation progressive. Corrélativement, les besoins de l’individu évoluent avec l’âge, et les conditions d’existence qui lui sont faites devraient simultanément évoluer pour être, à tout moment, adaptées, autant qu’il est possible, aux besoins et aux capacités de l’intéressé.
Certes, une telle adaptation peut, dans certaines conditions, s’opérer naturellement et spontanément. C’est le cas dans les sociétés patriarcales, où la cohésion familiale est demeurée intacte, et où la place et la fonction de chaque membre du groupe familial sont, à tout instant, déterminées par son âge et ses aptitudes, non seulement en raison des exigences de la vie commune, mais conformément aussi à la tradition.
Ainsi rencontre-t-on encore certains exemples de telles communautés, dans les campagnes ; les problèmes d’emploi, de revenu, d’insertion dans la vie quotidienne des personnes âgées y trouvent leur solution, sans intervention extérieure.
Mais un tel état de choses devient exceptionnel. Dans la société contemporaine, et surtout en milieu industriel et urbain, les conditions de la vie professionnelle, du logement, l’éclatement ou, à tout le moins, le relâchement des liens familiaux entre générations successives ont rendu nécessaire la recherche de solutions adaptées aux besoins spécifiques des personnes âgées, qui ne peuvent plus trouver leur satisfaction dans un cadre de vie traditionnel.
L’intervention des pouvoirs publics dans le domaine de la vieillesse est devenue, dans ces conditions, indispensable ; elle doit s’étendre à tous les aspects de la vie des personnes âgées, et implique, comme nécessaire préalable, qu’une analyse exacte et précise de leurs besoins propres soit faite et, en premier lieu, celle des activités qui leur conviennent.
L’emploi des personnes âgées
On pourrait penser que le problème de l’emploi des personnes âgées ne se pose pas, puisque cette catégorie de la population est – ou devrait être – inactive. Et cependant, quelle que soit la conclusion à laquelle conduira l’examen de cette question, une première approche permet déjà de constater qu’une fraction importante de gens âgés de 65 ans et plus exerce une activité professionnelle, participe à la production des biens ou à la création des services. Ce fait, qui n’est point particulier à notre pays, ne procède pas seulement de l’insuffisance, à beaucoup d’égards regrettable, des revenus dont disposent les personnes âgées et notamment du niveau moyen des pensions de retraite, plus encore des allocations de vieillesse non contributives. Il n’est pas non plus la résultante d’une pénurie de main-d’œuvre telle que la prolongation de la vie active ne se heurte pas – en l’état actuel des choses – à une impossibilité économique.
La vérité est que l’exercice d’une activité, l’occupation d’un emploi demeurent, dans bien des cas, un facteur d’équilibre physique et psychologique pour ces personnes.
Aussi serait-il, du point de vue de la collectivité, peu raisonnable de se priver de l’apport que les travailleurs âgés peuvent fournir à l’économie nationale, alors que les progrès de la médecine et de l’hygiène permettent aux hommes de conserver, plus longtemps qu’autrefois, la majeure partie de leurs aptitudes et que, socialement et humainement, il serait déplorable de condamner à une inactivité déprimante, au sentiment d’inutilité et au repliement sur soi-même qui en résulteraient, des individus encore en possession de leurs moyens.
Certes, il ne saurait être question ni de dénier aux travailleurs le droit de prendre une retraite méritée, après une vie de labeur, ni par conséquent d’obliger, voire d’inciter par une pression quelconque les personnes âgées à se maintenir en activité au-delà d’une limite convenable – et d’ailleurs variable selon les individus. De même ne peut-on s’engager dans la voie d’une prolongation de la vie active et du maintien des vieux au travail sans mesurer les risques qu’une telle option ferait peser sur la promotion des jeunes.
Mais, dans la mesure où, d’une part, la participation à l’activité des gens âgés qui le souhaitent présente un intérêt pour la société où les conditions économiques sont telles que l’emploi des personnes âgées ne limite nullement l’entrée des jeunes gens dans la vie active et ne risque en rien d’engendrer un chômage et, ainsi, est non seulement possible mais rentable ; dans la mesure où, d’autre part, l’augmentation de la durée de la vie professionnelle permettra d’alléger les charges financières de la vieillesse que l’évolution démographique va inéluctablement accroître, on ne peut, a priori, écarter la solution qui consiste à éliminer les obstacles, de fait et de droit, matériels et psychologiques, qui, en l’état actuel, tendent à décourager les gens âgés et leur rendent impossible, dans de nombreux cas, l’exercice d’un « droit au travail » dont beaucoup voudraient continuer à user, pour autant qu’ils s’y sentent encore aptes.
Encore faut-il, dès maintenant, préciser que les activités exercées par les personnes âgées doivent correspondre à leurs aptitudes, physiques et intellectuelles, et que l’étude à entreprendre, sur le plan de l’emploi, doit tendre essentiellement à rechercher les moyens, d’une part, d’éviter ou, en tout cas, de retarder l’apparition des difficultés dues au vieillissement et, d’autre part, de faciliter l’adaptation constante de l’homme à l’emploi, ce qui implique la recherche d’une répartition rationnelle des tâches entre groupes d’âge, en fonction des possibilités de chacun.
Cet objectif touche à tous les domaines de la politique de l’emploi, qui se trouve ainsi globalement mise en cause puisqu’il impose, au-delà de l’adaptation des conditions de travail propres aux gens âgés, l’étude des types d’emplois susceptibles de convenir à leurs aptitudes, la révision de la formation et du perfectionnement professionnels, la recherche de débouchés pour les travailleurs vieillissants, c’est-à-dire la mise en œuvre de mécanismes de conseils professionnels, d’orientation et de reclassement.
La nécessité de retraites suffisantes
Il est, en second lieu, essentiel de permettre aux personnes âgées de satisfaire, dans les meilleures conditions possibles, les besoins qui leur sont propres et, pour cela, de leur assurer des ressources suffisantes et notamment des revenus suppléant – ou complétant, le cas échéant – les revenus professionnels. Que ces ressources proviennent de l’épargne, d’un effort collectif de solidarité professionnelle ou interprofessionnelle, ou bien de la solidarité nationale à l’égard des vieillards, il convient d’en adapter le niveau aux exigences de leur situation.
L’âge entraîne généralement une diminution des revenus. Il est à l’évidence très difficile, voire impossible dans la plupart des cas, de maintenir aux personnes âgées le niveau de ressources dont elles disposaient pendant la période de leur pleine activité. Il convient, toutefois, d’éviter que les réductions de revenus liées au vieillissement n’aient pour conséquence de bouleverser radicalement les conditions d’existence des intéressés.
Les pensions de vieillesse, revenus de substitution, doivent tendre à assurer aux retraités un niveau de vie en rapport avec celui dont ils bénéficiaient avant la cessation de leur activité.
À cet égard, si plus de 80 % des Français âgés de 65 ans et plus bénéficient de pensions de retraite, notre législation, conçue au gré des circonstances, fractionnée entre une multiplicité de régimes professionnels, a pour résultat de comporter, entre catégories sociales, des inégalités injustifiées.
Si la plupart des régimes dits « spéciaux », maintenus en vigueur en 1945 pour préserver des droits acquis, assurent à leurs bénéficiaires des avantages souvent substantiels, la masse la plus importante des anciens salariés, relevant du régime dit « général », est beaucoup moins favorisée, encore que la création, par voie conventionnelle, de nombreux régimes complémentaires ait apporté une amélioration notable en superposant aux pensions du régime général des prestations parfois importantes. D’autre part, il existe, même parmi les personnes âgées affiliées à un régime de retraites contributives, un grand nombre de travailleurs qui, n’ayant pas suffisamment cotisé, perçoivent des pensions d’un taux particulièrement faible. Enfin, celles des personnes âgées qui, n’ayant pas bénéficié d’un régime de retraite, relèvent de l’aide sociale se trouvent dans une situation encore plus défavorisée.
Certes, ni le régime général de l’assurance vieillesse ni les régimes de non-salariés n’ont encore atteint leur plein, et le niveau moyen des pensions est appelé à s’élever progressivement dans les années qui viennent. Il reste que le minimum assuré actuellement aux vieillards par le jeu de diverses allocations non contributives – d’ailleurs trop diversifiées, régies par des législations inutilement complexes et soumises à des procédures trop lourdes – est manifestement insuffisant.
Le problème des retraites doit donc être réexaminé dans son ensemble, dans une perspective non point d’unification systématique, qui se heurterait à l’opposition des particularismes professionnels et dont l’expérience, en certains pays étrangers, a montré les inconvénients, mais d’harmonisation progressive, notamment des conditions de liquidation et des procédés de calcul des pensions.
D’autre part, et à plus court terme, il est essentiel de garantir aux vieillards les plus démunis de ressources un minimum de base qui permette de leur assurer des conditions d’existence décentes.
Des services adaptés et intégrés
Il n’est pas moins nécessaire de mettre à la disposition des personnes âgées, que ce soit dans le domaine du logement, dans celui de l’action sociale, dans l’organisation médicale et hospitalière, un ensemble coordonné de moyens et de services adaptés à leurs besoins et mis en œuvre en fonction des perspectives de l’évolution démographique et d’une politique à vues lointaines.
À cet égard, il convient de se garder de la tentation de trouver à ce problème la solution de facilité qui consisterait à isoler les personnes âgées dans un milieu entièrement autonome, dans lequel les intéressés trouveraient plus aisément la satisfaction de leurs besoins propres. La maison de retraite, le village des vieux peuvent apparaître, au premier abord, comme la solution idéale et, sans doute, la moins onéreuse, tant il est vrai qu’elle permet d’assurer des conditions de vie adaptées, avec le maximum de confort, à des vieillards groupés en communauté. Le risque de se laisser gagner par cette orientation est d’autant plus grand qu’elle permet d’apaiser les scrupules de conscience de ceux qui, tout en souhaitant que les personnes âgées jouissent de conditions d’existence satisfaisantes, sont peu soucieux de se voir indirectement rappeler leur devoir à l’égard des vieux par la présence de ceux-ci dans leur environnement quotidien.
Au surplus, la solution de ségrégation rejoint la tendance même des personnes âgées à se replier sur elles-mêmes, à renoncer progressivement à tout effort de contact avec l’extérieur ; elle a donc de bonnes chances d’accélérer leur vieillissement, psychologique tout au moins.
Il importe donc de réagir avec vigueur contre cette solution, aussi bien dans l’intérêt des personnes âgées que dans celui de la société, qui a besoin d’un équilibre entre le dynamisme des jeunes et l’expérience des anciens.
Certes, il ne faut pas dissimuler que le placement collectif de certains vieillards, physiquement ou psychologiquement incapables de mener une vie indépendante, continuera de s’imposer. Du moins convient-il de faire en sorte que, tant sur le plan de l’équipement que sur celui de l’organisation de la vie quotidienne, les organismes chargés de les accueillir soient adaptés à leur état et qu’y soit ménagée la possibilité, pour les vieillards ainsi placés, de garder le plus de contacts possible avec l’extérieur.
Mais cette solution doit demeurer exceptionnelle. L’accent doit être mis, par priorité, sur la nécessité d’intégrer les personnes âgées dans la société, tout en leur fournissant les moyens de continuer, le plus longtemps possible, à mener une vie indépendante par la construction de logements adaptés, par la généralisation de l’aide-ménagère à domicile, par la création des services sociaux de toute nature qui leur sont nécessaires, par l’organisation de leur occupation et de leurs loisirs.
Ainsi, tout en évitant de faire naître chez les vieillards un sentiment de dépendance, pourra-t-on respecter le besoin qu’ils éprouvent de conserver leur place dans une société normale, d’être mêlés constamment à des adultes et à des enfants.
Ces données fondamentales commandent toute politique de la vieillesse. Celle-ci doit tendre à une adaptation sans ségrégation. Il est même préférable de renoncer à une adaptation trop parfaite si elle ne peut être réalisée qu’au prix d’un isolement des personnes âgées. C’est dire que la politique de la vieillesse ne se suffit pas à elle-même. Elle n’est et ne peut être qu’un aspect d’une politique plus large, tendant à assurer un aménagement harmonieux de l’ensemble de la société, en vue de permettre à chacun d’occuper, à tout moment, la place qui lui assure l’épanouissement le plus complet de sa personnalité, dans son intérêt propre comme dans l’intérêt de la communauté elle-même, compte tenu tant de l’âge que des autres éléments qui déterminent cette personnalité.
[…]
Une vieillesse qui ne doit plus être sacrifiée
La population âgée a été, dans une large mesure, sacrifiée par la politique sociale française des quinze dernières années [rappelons à nouveau que nous sommes au début des années 1960]. La priorité donnée au cours de cette période à l’encouragement de la natalité, à la politique de la famille et de l’enfance, était à coup sûr légitime, car le redressement de notre démographie était la condition de l’expansion économique, et il eût été vain de vouloir améliorer le sort des vieux sans développer la population active, la production nationale, et, par là, les revenus à répartir.
Mais il est un moment où la misère et les souffrances de la population âgée ne sont plus supportables, ne sont plus dignes d’un pays civilisé. C’est un fait qu’une masse importante de personnes âgées ont des ressources insuffisantes pour s’assurer des conditions matérielles d’existence décentes et vivent dans des conditions psychologiques et morales déplorables, dans un état d’isolement et d’abandon générateur d’une détresse psychique plus grave encore que la détresse matérielle. Si l’insuffisance de l’effort accompli au profit de ce groupe social peut s’expliquer par la nécessité de favoriser les jeunes, elle ne saurait en tout cas justifier l’absence de toute politique de la vieillesse au cours de la dernière période.
Ce n’est pas à dire, certes, que rien n’a été fait au profit des personnes âgées. Bien au contraire, l’analyse des initiatives publiques et privées en faveur de celles-ci révèle une multitude de mesures ou de réalisations dans les domaines les plus divers, au niveau local, régional ou national. Peu de pays sans doute comptent autant de régimes de retraite légaux ou conventionnels ; les hospices sont nombreux et accueillent une fraction non négligeable des vieillards les plus déshérités ; c’est peut-être dans le domaine de l’aide aux personnes âgées que les administrations municipales et les œuvres privées font l’effort le plus grand. Mais ces initiatives, prises en ordre dispersé, au gré des pressions des uns, de la générosité des autres, laissant subsister trop de lacunes, consacrent aussi trop d’inégalités choquantes. Elles n’ont pas suffi à supprimer ou à éviter les injustices et les souffrances qui se font sans cesse plus criantes.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2025-6/vieillesse-et-politique-de-la-vieillesse-au-debut-des-annees-1960.html?item_id=7956
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