Les conséquences économiques du vieillissement de la population
L’impact du vieillissement dépend des grandes variables démographiques que sont la mortalité, la natalité et l’immigration. Il relève également des flux monétaires entre générations ainsi que du taux d’emploi des seniors et des femmes. Potentiellement compensées par des gains de productivité, et par la technologie en particulier, les évolutions économiques majeures attachées au vieillissement n’induisent pas forcément un fléchissement fatal. La nouvelle donne démographique peut même être considérée comme une opportunité pour s’adapter et se réinventer.
Le vieillissement démographique représente l’un des principaux défis du XXIe siècle. Alors que le nombre d’enfants par femme diminue et que la longévité humaine progresse, les sociétés doivent profondément se réorganiser pour s’adapter à une population de plus en plus âgée. Ce phénomène mondial, bien qu’évoluant à des rythmes différents selon les pays, affecte toutes les économies en modifiant les dynamiques du travail, de l’épargne et de la redistribution. L’Union européenne est particulièrement concernée et se caractérise par un âge médian élevé : il atteint aujourd’hui près de 45 ans, soit une hausse de 5 ans en deux décennies. La France suit une trajectoire comparable, son âge médian étant passé de 38,6 ans en 2005 à 42,5 ans aujourd’hui.
Composantes du PIB et composantes démographiques
Le vieillissement est souvent perçu comme un frein à la croissance du niveau de vie. Pour le comprendre, il est utile de décomposer le produit intérieur brut (PIB) par habitant en trois composantes : d’abord, le PIB par quantité de travail, approximée par le nombre de personnes employées dans le processus de production, que l’on appelle la productivité apparente du travail ; ensuite, la quantité de travail par personne en âge de travailler, soit le taux d’emploi ; enfin, la proportion de personnes en âge de travailler dans la population. Il en découle que le taux de croissance du PIB par habitant équivaut à la somme des taux de croissance de chacun de ces éléments.
Si l’on suppose que la productivité du travail et le taux d’emploi sont constants et indépendants des évolutions démographiques, alors le PIB par habitant est directement influencé par la proportion de personnes en âge de travailler dans la population, autrement dit par la structure par âges – que l’on appelle parfois « pyramide des âges », bien qu’elle n’ait souvent plus cette forme. Le principe est simple : ce sont les personnes en âge de travailler qui produisent les richesses, tandis que les plus jeunes et les plus âgés les consomment. Plus il y a de producteurs par rapport aux consommateurs, plus le niveau de vie moyen est élevé. L’économiste Yunus Aksoy et ses coauteurs ont récemment démontré que la proportion de personnes en âge de travailler exerce un effet causal positif sur le PIB par habitant 1. Les différentes variables démographiques – natalité, migration et mortalité – influencent cette proportion de façon différente.
L’effet de la natalité peut être analysé simplement en considérant un choc temporaire, que l’on qualifie habituellement de « baby-boom ». Trois périodes successives doivent être distinguées. Dans un premier temps, les naissances supplémentaires sont des individus à nourrir et à éduquer, qui représentent un coût pour la société sans qu’ils produisent de biens ou de services. La part des actifs dans la population baisse, entraînant une diminution du PIB par habitant. Le boom démographique exerce donc initialement un effet dépressif sur l’économie. S’ouvre ensuite une période durant laquelle ces naissances deviennent des travailleurs. La proportion de personnes en âge de travailler augmente, ce qui a un impact positif sur l’économie. Enfin, la troisième période survient lorsque ces personnes partent à la retraite et cessent de produire des richesses : le baby-boom devient un papy-boom, ce qui diminue le niveau de vie moyen.
Le raisonnement s’inverse en cas de choc démographique à la baisse. L’effet est dans un premier temps positif, car il réduit la pression liée aux enfants à charge, mais cette « fenêtre d’opportunité » est de courte durée. Ce dividende démographique doit être mis à profit pour investir dans les infrastructures et l’éducation, afin d’anticiper le choc lié au vieillissement. La durée de cette période favorable préoccupait notamment les décideurs chinois, qui espéraient que leur pays pourrait « s’enrichir avant d’être vieux ».
L’immigration, seconde composante de la croissance démographique, joue un rôle comparable à celui de la natalité. Le phénomène migratoire concerne principalement de jeunes adultes, ce qui entraîne deux périodes pertinentes (et non trois comme dans le cas de la natalité) : l’arrivée et la retraite. Un choc migratoire temporaire a donc immédiatement un effet positif sur la proportion de personnes en âge de travailler. À long terme, toutefois, lorsque ces individus prennent leur retraite, l’effet s’inverse. L’absence de phase initiale coûteuse (comme dans le cas des enfants) explique pourquoi l’immigration a un effet économique positif à court terme, contrairement à la natalité. L’émigration, logiquement, a un effet symétrique, à condition que les deux phénomènes touchent des populations similaires en âge.
La question de la baisse de la mortalité est plus complexe, car elle dépend de l’âge auquel elle intervient. Historiquement, les progrès de l’hygiène et de la connaissance des maladies infectieuses ont principalement permis de réduire la mortalité infantile. Cette baisse, souvent antérieure à celle de la natalité, est à l’origine d’une croissance rapide de la population, appelée transition démographique. Son effet sur la part des actifs dans la population est similaire à celui d’un baby-boom. Progressivement, les progrès médicaux ont permis de réduire la mortalité aux âges plus avancés, notamment grâce à une meilleure compréhension des maladies cardio-vasculaires et neurodégénératives. Cette évolution a été qualifiée de transition épidémiologique. Aujourd’hui, la baisse de la mortalité concerne surtout les personnes âgées, ce qui tend à réduire la proportion de personnes en âge de travailler.
Transferts et équilibres entre générations
L’impact économique du vieillissement dépend aussi des flux monétaires entre générations. En moyenne, les personnes en âge de travailler génèrent plus de revenus qu’elles ne consomment, tandis que les plus jeunes et les plus âgés consomment davantage qu’ils ne perçoivent de revenus. Leurs dépenses sont donc rendues possibles par un ensemble de transferts.
Certains de ces transferts sont organisés par l’État via le système socio-fiscal. De manière schématique, ce sont les impôts, prélevés sur les actifs (et aussi sur les retraités), qui financent l’éducation des jeunes, mais également la santé et les retraites des plus âgés. D’autres transferts ont lieu au sein des familles : notamment la prise en charge des enfants par les parents, mais aussi des aides monétaires à l’âge adulte. Enfin, le système financier et assurantiel organise des transferts intergénérationnels implicites, les plus jeunes épargnant tandis que les plus âgés utilisent les rendements de cette épargne.
Les comptes de transfert nationaux permettent de mesurer ces flux dans un cadre commun à de nombreux pays, élaboré par les économistes Ronald Lee et Andrew Mason. Leur analyse, portant sur une quarantaine de pays, offre une lecture nuancée des effets économiques de la baisse de la natalité. Dans un article publié en 2014, ils montrent qu’une fécondité supérieure au seuil de remplacement (2,1 enfants par femme) est favorable aux finances publiques, mais que le niveau de vie moyen est optimal lorsque la fécondité se rapproche de ce seuil, sans le dépasser 2.
Il est important de réaliser que le ralentissement économique induit par le vieillissement n’est pas une fatalité. Il peut être en particulier partiellement compensé par des gains de productivité (via la numérisation, la robotisation, le développement du capital humain). Des politiques de formation continue et de soutien à l’innovation peuvent également stimuler la productivité totale des facteurs. Les technologies représentent ainsi un levier essentiel pour répondre au défi du vieillissement : dans le domaine de la santé (télémédecine, objets connectés, plateformes de suivi), mais aussi dans l’automatisation des tâches productives. Les innovations technologiques favorisent également la formation tout au long de la vie, le télétravail et l’inclusion sociale des seniors. Des politiques de formation et d’équipement sont bien sûr nécessaires pour prévenir un accroissement de la fracture numérique.
L’enjeu de l’emploi des seniors et des femmes
Le vieillissement peut aussi être atténué par des politiques actives d’emploi ciblant les seniors et les femmes. L’emploi des seniors a très fortement progressé depuis la fin des années 1990. Cette évolution coïncide avec la mise en place d’une succession de modifications des paramètres des systèmes de retraite visant à prolonger la vie active en conditionnant les droits à un âge minimal de départ plus élevé ou à une durée de cotisation plus longue. Ces réformes ont eu un effet positif sur les taux d’emploi, mais surtout sur celui des populations bien insérées sur le marché du travail, telles que les hommes qualifiés et habitant dans les grandes métropoles. Elles nécessitent, en complément, des efforts massifs qui doivent être réalisés tout au long de la vie active. Ces efforts doivent porter prioritairement sur la formation afin de maintenir l’employabilité des travailleurs dans un contexte de changements technologiques rapides.
Mais l’enjeu de l’emploi des seniors ne repose pas que sur les politiques publiques, les employeurs doivent également prendre leur part. Même si une inflexion salutaire est observée depuis quelques années, les pays dans lesquels les travailleurs seniors sont les moins nombreux sont aussi ceux dans lesquels ils ont été le parent pauvre des politiques de ressources humaines. L’accent est souvent mis sur les jeunes – comment les attirer, les motiver, les fidéliser – et très peu sur les seniors, victimes collatérales d’un consensus social qui font d’eux les variables d’ajustement des retournements conjoncturels. Cette habitude de gestion du personnel a conduit à convaincre le monde du travail que les seniors n’y avaient pas leur place, car moins productifs, occupant la place de jeunes, inaptes à s’adapter aux changements technologiques, etc. L’adaptation au vieillissement de la population passe par une meilleure inclusion des travailleurs seniors 3.
Le travail des femmes est également un élément clef de l’équation. Une question majeure concerne l’impact de la baisse de la fécondité sur la participation des femmes au marché du travail. La relation de causalité peut être réciproque, ce qui rend l’analyse complexe. De nombreuses études empiriques ont été menées pour évaluer l’effet d’une variation exogène de la fécondité sur l’offre de travail. Elles concluent que la baisse de la fécondité augmente significativement l’emploi féminin. Ainsi, dans notre décomposition, l’effet positif de la baisse des naissances sur la proportion d’actifs s’accompagne d’une hausse du taux d’emploi. En revanche, des politiques visant à relancer la natalité peuvent avoir un effet doublement récessif. Toutefois, les politiques de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale peuvent limiter cet impact, en permettant aux mères de rester en emploi. La promotion des formations tout au long de la vie et de la mobilité d’emploi et une offre adaptée de garde d’enfants sont à cet égard très efficaces.
Modifications dans la consommation et silver economy
Le vieillissement ne transforme pas uniquement l’offre de travail, il modifie aussi la structure de la demande. À mesure que la population vieillit, les comportements de consommation évoluent : augmentation des dépenses en santé, en services à la personne, en logements adaptés et en loisirs, et réduction de la consommation de biens durables, de technologies ou de transports.
Ce basculement favorise l’émergence de la silver economy, une économie centrée sur les besoins des personnes âgées. Selon certaines estimations, ce marché mondial pourrait atteindre 27 000 milliards de dollars d’ici à 2050. Il est particulièrement dynamique en Europe, où les plus de 60 ans détiennent environ 60 % du patrimoine et réalisent plus de la moitié de la consommation. Les entreprises doivent adapter leur stratégie : conception universelle, accessibilité, ergonomie, services personnalisés. Le vieillissement devient un moteur d’innovation, tant dans le domaine numérique (télémédecine, objets connectés, domotique) que dans les services de proximité.
Cependant, le vieillissement n’affecte pas tous les territoires ni tous les groupes sociaux de manière égale. En zone rurale, les jeunes migrent souvent vers les villes, laissant une population âgée plus isolée. Par ailleurs, les inégalités sociales s’accentuent avec l’âge : les personnes aux carrières longues, précaires ou interrompues perçoivent souvent des pensions plus faibles. Les femmes sont particulièrement exposées. Ces disparités se traduisent par un accès inégal aux soins, à un logement adapté, à la prévention et à la qualité de vie. La silver economy peut revitaliser certains territoires à condition de garantir une offre de services suffisante. Mais les acteurs publics et privés doivent anticiper ces évolutions pour adapter les infrastructures et les services aux besoins d’une population vieillissante.
Le vieillissement est un phénomène mondial, qui appelle des réponses coordonnées. Les pays jeunes peuvent encore bénéficier d’un dividende démographique, tandis que les pays avancés peuvent les soutenir via des transferts technologiques ou des partenariats. La mobilité internationale peut aussi jouer un rôle d’ajustement : des flux migratoires accompagnés de réelles politiques d’intégration peuvent compenser le manque de main-d’œuvre tout en offrant des perspectives d’emploi aux jeunes générations.
Le vieillissement démographique constitue une évolution historique aux effets économiques majeurs. Il modifie les structures de production, les modèles de consommation, les systèmes de protection sociale et les équilibres budgétaires 4. Mais il peut aussi représenter une opportunité de réinventer la croissance, de valoriser l’expérience et de bâtir une société plus inclusive. Cela suppose une stratégie de long terme intégrant santé, emploi, éducation, fiscalité et solidarité intergénérationnelle. Le défi est immense, mais à la hauteur des ambitions d’une société de la longévité, active, solidaire et innovante. ?
- Yunus Aksoy, Henrique S. Basso, Ron P. Smith, Tobias Grasl, « Demographic Structure and Macroeconomic Trends », American Economic Journal : Macroeconomics, vol. 11, no 1, 2019, pp. 193-222.
- Ronald Lee et Andrew Mason, « Is Low Fertility Really a Problem ? Population Aging, Dependency, and Consumption », Science, 346 (6206), 2014, pp. 229-234. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC4545628/.
- Pour davatange de développements, voir Hippolyte d’Albis, Les Seniors et l’Emploi, Paris, Presses de Sciences Po, 2022.
- Pour une étude de l’impact différencié des changements démographiques sur les revenus du travail et ceux du capital, voir Hippolyte d’Albis, Ekrame Boubtane, Dramane Coulibaly, « Demographic Changes and the Labor Income Share », European Economic Review, no 131, 2021. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0014292120302440.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2025-6/les-consequences-economiques-du-vieillissement-de-la-population.html?item_id=7960
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