Favoriser l’emploi des seniors : enjeux et perspectives
Auparavant considérés comme des variables d’ajustement au chômage des jeunes, les seniors reprennent place dans l’emploi. Afin de s’adapter au vieillissement du pays, ils vont être appelés à rester en activité à des âges toujours plus élevés. Des stéréotypes négatifs perdurent cependant. Il importe de les combattre afin de construire un monde du travail permettant d’exercer ses talents jusque tard dans l’existence, en améliorant la qualité de l’emploi et en aménageant des transitions plus heureuses avec l’univers de la retraite.
Comme le reste du monde, la France vieillit ! L’âge moyen, dans le pays, est passé de 32 ans en 1970 à 43 ans au 1er janvier 2025. Selon les projections de l’INSEE, d’ici à 2070, la population totale augmenterait légèrement, mais continuerait de vieillir. Le nombre de personnes âgées de 70 ans ou plus augmenterait de 5,2 millions, avec l’arrivée de générations nées pendant le baby-boom, tandis que celui des moins de 70 ans diminuerait de 3,1 millions 1.
Ce vieillissement s’accompagnera à moyen terme d’un repli de la population active 2, c’est-à-dire de la ressource en main-d’œuvre, même en tenant compte des effets des réformes passées des retraites, qui contribueront à l’augmentation du taux d’activité de seniors.
En 2023, la France comptait 30,3 millions d’actifs, dont 28 millions en emploi et 2,3 millions au chômage. Selon l’INSEE, cette ressource en main-d’œuvre continuerait à augmenter jusqu’en 2036, autour de 31 millions, puis diminuerait ensuite pour repasser sous la barre des 30 millions à la fin des années 2060 3.
Évolution du taux d’activité et du taux d’emploi des seniors
Ainsi, la population active va cesser de croître et va elle-même vieillir. La question du taux d’activité des seniors va donc être de plus en plus un enjeu majeur pour la société dans son ensemble. Plus précisément, l’enjeu va être de permettre aux seniors de se maintenir en emploi à des âges de plus en plus élevés, et donc d’augmenter leur taux d’emploi.
Ces dernières années, ces taux d’activité et d’emploi ont fortement progressé, mais de façon différenciée selon les tranches d’âge. Depuis 2000, le taux d’emploi des seniors (55-64 ans) a progressé continûment : + 29 points de pourcentage entre 2000 et 2023, pour atteindre 58,4 % (contre 82,6 % pour les 25-49 ans). Désormais, le taux d’emploi des jeunes seniors (55-59 ans) – avec 77 % – a rattrapé celui des pays comparables (il est supérieur, par exemple, à celui du Royaume-Uni et des États-Unis ; la moyenne de l’Union européenne [UE] est à 76 %). L’écart reste plus important pour les 60-64 ans (38,9 % en 2023 en France ; moyenne de l’UE à 50,69 %) et plus encore pour les plus de 65 ans.
Par le passé, l’augmentation du taux d’activité des seniors a d’abord été portée par celle de la participation des femmes au marché du travail et, au début des années 2000, par l’arrivée des premières générations nombreuses du baby-boom à l’âge de fin d’activité. Elle a fortement été encouragée aussi par la suppression de dispositifs publics encourageant les départs anticipés en fin de carrière (préretraites puis dispense de recherche d’emploi indemnisée). Justifiés alors par la conviction que la sortie du marché du travail des seniors permettrait de recruter plus de jeunes, ils ont finalement été abandonnés pour encourager les seniors à rester en emploi plus longtemps. Depuis 2008, les évolutions des taux d’activité traduisent surtout, au-delà de l’impact de la conjoncture économique, les effets des réformes des retraites, en particulier celle de 2010, qui a décalé les bornes d’âge 4. Mais si les réformes des retraites ont un effet direct sur le décalage de l’âge de départ en retraite et, ainsi, sur l’augmentation des taux d’activité, elles ne se traduisent pas pour autant par un maintien dans l’emploi de l’ensemble des travailleurs. Les évaluations des réformes passées ont montré qu’une part d’entre eux se retrouvaient en situation « intermédiaire », n’étant plus en emploi mais sans pouvoir encore percevoir leur pension de retraite. Après 2010, « le surcroît d’activité induit par la réforme se traduit majoritairement par un accroissement de l’emploi, mais également par un accroissement du chômage, voire de l’inactivité (hors retraite) 5 ».
Un tiers des personnes qui quittent leur emploi en fin de carrière ne transitent pas directement vers la retraite 6. Ces sorties précoces de l’emploi s’expliquent par trois causes principales : des raisons de santé (10 % de ces départs), de chômage (4 %) ou d’inactivité (15 %) 7. L’ampleur de ces sorties précoces est très hétérogène selon les catégories socioprofessionnelles et les métiers. Elles sont d’autant plus importantes que l’on descend dans l’échelle des qualifications : elles concernent 21 % des cadres contre 46 % des ouvriers peu qualifiés. Parmi les métiers les plus concernés, on trouve surtout des métiers relevant des domaines de l’hébergement-restauration (employés polyvalents, cuisiniers), du bâtiment (second œuvre et gros œuvre, conducteurs d’engins), des services aux particuliers et aux collectivités (services à la personne, agents d’entretien) et de la manutention.
Comment progresser encore pour permettre l’augmentation de l’emploi des travailleurs expérimentés ? Les leviers sont multiples et doivent être mobilisés conjointement.
Changer les perceptions
Si le taux d’emploi des seniors est en forte hausse depuis plusieurs années, ceux-ci restent confrontés à d’importantes difficultés de maintien dans l’emploi ou d’accès (surtout après être passés par le chômage), notamment en raison d’une image encore trop souvent négative de la part des employeurs. Des perceptions négatives, voire des comportements discriminants, qui sont plus fréquents en France qu’ailleurs. Dans son dernier baromètre annuel, le Défenseur des droits mesure l’ampleur de ces stéréotypes âgistes, qui véhiculent notamment une image de seniors « manquant de dynamisme, dépassés par les nouvelles technologies et difficiles à intégrer au sein d’équipes plus jeunes 8 ». Selon ce baromètre, « un quart des seniors déclarent avoir vécu des discriminations. Ces situations surviennent tout au long du parcours professionnel et de façon plus marquée au moment de l’embauche, après une rupture professionnelle. De plus, un quart des seniors au chômage déclarent qu’on leur a déjà fait comprendre qu’ils étaient trop âgés pour le poste lors d’un entretien d’embauche. Enfin, la moitié des seniors déclarent avoir connu des relations de travail dévalorisantes au cours des cinq dernières années 9 ».
La seule augmentation du taux d’emploi des seniors depuis plus de vingt ans ne suffit donc pas à tordre le cou à ces représentations. Comme dans d’autres pays qui, par le passé, ont mis en œuvre des stratégies globales de communication et d’action pour agir sur les comportements, la ministre du Travail a annoncé le lancement, en avril 2025, d’une initiative pour la valorisation des salariés expérimentés pour « faire évoluer les mentalités, combattre les stéréotypes et valoriser les atouts de ces salariés 10 », appuyée notamment sur une large campagne de communication.
Mais au-delà des stéréotypes, voire des discriminations dans certains cas, c’est un problème de choix collectif qui est posé. En 2020, les auteurs d’un rapport de préconisations portant sur l’emploi des seniors notaient que « le paradoxe français est que, si le taux d’emploi des seniors s’est redressé – sous l’effet principalement des règles de départ en retraite –, la transformation culturelle semble avoir peu progressé. La “préférence collective” des employeurs et des salariés pour les départs anticipés est toujours bien visible, et si les seniors sont souvent plus longtemps en emploi, l’idée que le déclin professionnel en milieu de vie est une donnée immuable semble encore très partagée 11 ». La première étape est donc de franchir cette barrière « culturelle ». De rappeler que ces perceptions peuvent être battues en brèche par la mise en avant des atouts de l’expérience : niveau d’expertise et savoir-faire, notamment dans les domaines techniques, capacité à être opérationnel immédiatement, détention de compétences transversales utiles, notamment pour le management, capacité à débloquer des situations complexes, adaptabilité, disponibilité, compétences numériques moins liées à un effet d’âge qu’à un effet de génération, etc.
Néanmoins, il ne s’agit pas pour autant de nier les effets du vieillissement sur la population active et sur la capacité à se maintenir en emploi de plus en plus tardivement.
Rendre le travail plus soutenable
Ceux qui travaillent plus longtemps, y compris au-delà de l’âge auquel ils auraient pu partir à la retraite, le font pour plusieurs raisons 12. D’abord des raisons financières : pour continuer à cotiser et augmenter le montant de leur future pension de retraite (69 %) ou pour percevoir plus longtemps leur salaire (67 %). Mais l’intérêt de l’emploi exercé et des conditions de travail satisfaisantes jouent également un rôle important, pour 67 % d’entre eux, dans leur décision.
Au contraire, des conditions de travail dégradées et un mauvais état de santé sont aussi des facteurs importants de faible « soutenabilité du travail » et, in fine, de sorties précoces de l’emploi. Parmi les métiers qui connaissent un taux élevé de sorties précoces de l’emploi, onze d’entre eux correspondent aussi aux métiers pour lesquels les personnes répondent le plus souvent ne pas se sentir « capables de faire le même travail qu’actuellement jusqu’à la retraite 13» (dont les métiers d’ouvriers peu qualifiés et qualifiés – notamment du gros œuvre du BTP –, d’employés et d’agents de maîtrise de l’hôtellerie et de la restauration et les caissiers).
Le vieillissement à venir des actifs va renforcer ces enjeux de qualité de l’emploi et la nécessité d’agir de manière préventive en matière de santé en général et de santé au travail en particulier 14. Les besoins sont multiples. Il s’agit à la fois de prévenir l’usure professionnelle, et notamment celle induite par le cumul d’expositions au travail mais aussi en dehors du travail (dans un contexte de changement climatique qui risque d’avoir un impact direct sur certains métiers, dont ceux exercés à l’extérieur 15), et d’encourager la transmission des savoirs et des savoir-être de sécurité au travail et de culture de prévention. Mais également de penser le recours à des solutions technologiques qui permettent de réduire la pénibilité tout en veillant aux effets induits (intensification des rythmes, risques de perte de sens du métier, réduction de l’autonomie…) et à une analyse préalable précise des besoins.
Faciliter la transition entre emploi et retraite
Faciliter le maintien dans l’emploi des travailleurs expérimentés passe également par des possibilités d’une transition progressive entre travail et retraite. Plusieurs dispositifs existent en France et à l’étranger, dans la législation ou parfois négociés dans les entreprises, pour permettre une organisation du travail qui facilite ces passerelles, telles que le cumul emploi-retraite ou la retraite progressive. Cette dernière, qui permet de réduire son activité à l’approche de la retraite en travaillant à temps partiel tout en percevant une part de sa pension, a été récemment élargie aux salariés en forfait jours, aux indépendants, aux professions libérales et aux agents publics.
L’accord national interprofessionnel conclu le 14 novembre 2024 prévoit également de faciliter son recours à partir de 60 ans, d’inciter à une plus grande communication et à une plus grande visibilité du dispositif. Il précise les possibilités de refus par l’employeur et vise aussi à faciliter plus largement le passage à temps partiel en fin de carrière. De même, le cumul emploi-retraite a été encouragé en permettant de continuer à acquérir des droits additionnels pour la retraite pendant la période de cumul.
Le recours au cumul a fortement progressé depuis 2018. Aujourd’hui, près de 500 000 personnes perçoivent dans le même temps une pension de retraite et un revenu d’activité, dont 42 % de femmes. Si le nombre de bénéficiaires augmente également depuis 2015, la retraite progressive reste un dispositif très marginal et ne concerne que 25 000 personnes en 2022 16. Ces dispositifs souffrent notamment d’un problème de lisibilité et de connaissance par les futurs retraités. Les nouveaux pensionnés sont régulièrement interrogés 17 sur leur connaissance du système de retraite. Si les trois quarts se disent satisfaits du niveau d’information reçue, et déclarent également savoir à quoi correspondent les règles du taux plein de la pension de retraite, ils ne sont plus que la moitié à connaître le cumul emploi-retraite, et seulement un tiers, le dispositif de retraite progressive.
Ces possibilités pour faciliter la transition sont aussi à envisager en lien avec les évolutions sociétales, liées notamment à la transition démographique. De plus en plus, les travailleurs et travailleuses expérimentés sont et seront en situation de devoir aider leurs proches, et notamment leurs parents. Pour faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle pour cette génération pivot (qui doit parfois prendre en charge à la fois ascendants et descendants), les questions d’organisation et de temps de travail sont aussi un levier important.
Agir pour favoriser l’emploi des seniors est complexe, car cela nécessite de mobiliser des leviers de natures différentes et, surtout, de les actionner tout au long de la carrière et pas seulement à l’approche de l’âge de la retraite. Favoriser l’emploi des seniors, c’est agir tout au long de la carrière par une prévention de l’usure professionnelle, une amélioration de la qualité de l’emploi et une formation tout au long de la vie pour permettre l’acquisition et le maintien des compétences. Finalement, c’est rendre plus « soutenable » le travail, au sens d’un travail qui n’est pas délétère immédiatement ni à terme, un travail qui permet d’apprendre et de construire un parcours de travail en santé et en compétences, un travail qui prend en compte les besoins actuels des personnes et des collectifs dans toute leur diversité, sans compromettre les besoins des générations futures.
- « Projections de population active : le nombre d’actifs diminuerait à partir de 2040 », INSEE Références, 2022.
- La population active recouvre l’ensemble des personnes de plus de 15 ans susceptibles de contribuer à la production nationale, c’est-à-dire qui sont soit en emploi, soit au chômage.
- « Une actualisation des projections de population active tenant compte de la réforme des retraites en 2023 », INSEE Références, 2023.
- Décalage de 60 à 62 ans de l’âge d’ouverture des droits et de 65 à 67 ans de l’âge permettant de bénéficier du taux plein sans condition de durée d’assurance.
- Dubois, Y., Koubi, M., « La réforme des retraites de 2010, quel impact sur l’activité des seniors ? », Économie et prévision, février 2017. Rabaté, S, Rochut, J., “Employment and substitution effects of raising the statutory retirement age in France”, Journal of Pension Economics and Finance, 2019.
- Les départs en fin de carrière renvoient ici à différentes situations de sortie de l’emploi à partir de 51 ans observées à l’horizon d’un an dans l’enquête Emploi de l’INSEE. Analysés par métiers, par Flamand, J., « Fin de carrière des seniors : quelles spécificités selon les métiers ? », France Stratégie, avril 2023.
- La définition de l’inactivité correspond ici à des seniors inactifs de plus de 55 ans qui ne sont ni en retraite ou en préretraite, ni au chômage, ni en longue maladie ou invalidité.
- https://www.defenseurdesdroits.fr/discriminations-dans-lemploi-des-plus-de-50-ans-un-tiers-des-seniors-se-disent-inquiets-quant-leur.
- Ibid.
- https://travail-emploi.gouv.fr/lancement-dune-grande-initiative-pour-la-valorisation-des-salaries-experimentes#anchor-navigation-705.
- https://travail-emploi.gouv.fr/mission-sur-le-maintien-en-emploi-des-seniors-rapport-au-premier-ministre. Bellon, S., Mériaux, O., Soussan, J.-M., « Favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés », rapport remis au gouvernement le 14 janvier 2020.
- DREES, CNAV, SRE, CDC, CPRPSNCF, AGIRC-ARRCO, COR, DSS, enquête « Motivations de départ à la retraite » 2021.
- Flamand, J., « Fin de carrière des seniors : quelles spécificités selon les métiers ? », France Stratégie, avril 2023.
- INRS, « Évolutions démographiques à l’horizon 2050 ; quels enjeux de santé et sécurité au travail ? », rapport, avril 2025. Avec des focus par secteurs, dont le BTP. https://www.inrs.fr/footer/actes-evenements/prospective-demographie.html.
- Flamand, J., Benhamou, S., « Le travail à l’épreuve du changement climatique », France Stratégie, juin 2023.
- DREES, « Les retraités et les retraites », 2024.
- DREES, CNAV, SRE, CDC, CPRPSNCF, AGIRC-ARRCO, COR, DSS, enquête « Motivations de départ à la retraite », 2021.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2025-6/favoriser-l-emploi-des-seniors-enjeux-et-perspectives.html?item_id=7967
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