Christine M. E. WHITEHEAD

Professeur émérite en économie du logement à la London School of Economics.

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Royaume-Uni : des succès pour la rénovation urbaine

La rénovation urbaine est la pierre angulaire de l'action publique dans les quartiers défavorisés et a rencontré d'indéniables succès, mais son périmètre et ses méthodes d'intervention font toujours débat outre-Manche. Comme son impact réel sur la prospérité économique des habitants.

Au cours des soixante dernières années, le renouvellement urbain a connu plusieurs phases, au Royaume-Uni comme dans de nombreux autres pays d'Europe. La plupart des approches sont axées sur le logement, mais au fil du temps l'accent a été mis sur les moyens d'accroître l'activité économique et, partant, de bâtir des économies locales durables.

À l'origine, la rénovation urbaine se concentrait sur le démantèlement des bidonvilles et le remplacement d'anciens logements insalubres dans les grandes villes. Entre 1950 et 1985, près de 1,5 million de logements en Angleterre et au pays de Galles ont été démolis et remplacés, la plupart du temps par des immeubles de grande hauteur à plus faible densité, ou par des lotissements peu élevés et peu denses dans les zones suburbaines. Cette politique a eu un effet sur environ un septième de la population 1. Bien qu'elle ait permis d'améliorer les conditions de logement, cette approche a été, de plus en plus souvent, considérée comme très perturbante pour les populations. En 1968, une explosion de gaz à Ronan Point, un grand immeuble de Newham, dans l'est de Londres, a fait plusieurs morts et a immédiatement conduit à une réorientation des politiques de rénovation vers la réhabilitation.

Au début des années 1970, le gouvernement a commencé à mettre en place des projets de rénovation et de réhabilitation à petite échelle, à destination de quartiers bien délimités, notamment les zones d'action pour l'habitat (« Housing Action Areas ») et les zones d'amélioration générale (« General Improvement Areas »). Ces programmes étaient considérés comme une façon rentable et globalement efficace d'améliorer des quartiers sans en déloger les habitants 2. Cependant, à la fin des années 1970, il est apparu de plus en plus évident qu'une politique de rénovation urbaine était nécessaire pour s'attaquer aux graves problèmes de désindustrialisation massive, particulièrement dans les quartiers de docks mais aussi sur des sites abandonnés et contaminés dans les centres-villes. Ces zones n'avaient pas seulement besoin d'être physiquement reconstruites, il fallait également régénérer leur tissu économique. Les politiques se sont donc orientées vers des interventions à beaucoup plus grande échelle, incluant non seulement l'habitat mais aussi la création d'emplois et de services urbains. L'immobilier demeurait cependant toujours leur priorité.

Le rôle des sociétés de développement

Pour mener à bien de telles rénovations, le gouvernement a inventé les sociétés de développement urbain, reprenant le modèle utilisé pour créer les villes nouvelles. Ces sociétés disposaient d'une planification et d'une coordination globales d'options d'achat obligatoires pour acquérir des terrains et accroître ainsi les bénéfices issus de l'augmentation du foncier d'un accès aux subventions du gouvernement enfin, elles avaient une capacité d'emprunt leur garantissant la réalisation effective des infrastructures.

Le gouvernement britannique a créé seize sociétés de ce type. La première d'entre elles - qui est aussi la plus connue - a été fondée en 1981. La London Docklands Development Corporation (LDDC) devait assurer le développement de l'infrastructure, ainsi que des bureaux, des commerces et des logements du quartier de Canary Wharf. Le processus a été lent et rendu complexe par le fait que la société ne pouvait pas intervenir dans le domaine du transport. Au début, l'habitat était le principal moteur du projet, et ce n'est pas avant la construction de nouvelles lignes de transport public que les activités commerciales de ce quartier ont commencé à concurrencer des zones à la dynamique reconnue. Aujourd'hui, Canary Wharf est un modèle de réussite, grâce à la coordination efficace et au financement adapté dont a bénéficié le projet, mais aussi en raison de la croissance économique de Londres, particulièrement dans les secteurs de la finance et des services aux entreprises. Pourtant, certains critiques pensent que la LDDC se concentre trop sur les changements physiques, laissant de côté la rénovation et l'intégration sociales. Des inquiétudes demeurent sur le fait que les ménages les plus pauvres de la zone ne profitent pas des emplois ni des services créés 3.

Au moment de la création de la LDDC, un projet un peu moins important, Merseyside Development Corporation, naissait à Liverpool. Il était également centré sur la finance et les services aux entreprises mais n'a porté ses fruits que plus tard, après qu'une attaque de l'IRA eut détruit plusieurs bâtiments et rendu la rénovation impérative.

La plupart des sociétés de développement ont été dissoutes dans les années 1990. Seulement trois ont été créées après l'an 2000 la plus grande d'entre elles a géré la Lower Lea Valley, en lien avec les Jeux olympiques. En 2011, le Localism Act a donné au maire de Londres le pouvoir de créer des sociétés de développement municipales (mayoral development corporations) ; celles-ci sont cependant dotées de beaucoup moins de pouvoir. Jusqu'à présent, seules deux ont vu le jour : la London Legacy Development Corporation, qui a pour mission de superviser la poursuite de la régénération dans le parc olympique, ainsi qu'une autre dans le nord-ouest de Londres, autour d'une nouvelle infrastructure ferroviaire. Elles annoncent peut-être une nouvelle tendance, tandis que la décentralisation s'accélère 4.

Aujourd'hui, il existe une pression considérable pour mieux relancer les sociétés de développement, afin de profiter des retombées liées aux grandes infrastructures et de capter la croissance immobilière qui en résulte pour l'intérêt général. Cependant, cela ne concerne pas la rénovation, mais plutôt des projets de développement destinés à permettre le logement de nouveaux citadins.

L'échelle des politiques

Pendant les décennies 1980 et 1990, les principaux objectifs politiques du gouvernement conservateur étaient la privatisation et la libéralisation, notamment des marchés financiers. Les projets publics devaient donc de plus en plus faire appel à des financements privés et intégrer des mesures incitant à une meilleure efficacité.

Les politiques de rénovation urbaine des années 1980 ont eu recours à ce modèle et court-circuité l'échelon local de gouvernement. Des agences spécialisées ont été créées, et toute une gamme de subventions ciblées a été mise en place pour soutenir les sociétés et les promoteurs afin qu'ils investissent dans des projets sur des zones définies.

Au fil du temps, les autorités locales ont repris leur rôle central dans la rénovation urbaine, tout d'abord au début des années 1990 - toujours sous un gouvernement conservateur - avec une série de programmes à budget de rénovation commun (Single Regeneration Budget, SRB). Ceux-ci centralisaient de nombreuses sources de financement gouvernemental et concentraient les moyens sur un petit nombre de zones très défavorisées. Les projets sélectionnés devaient proposer des analyses de rentabilisation précises, montrer qu'ils disposaient de partenariats avec les acteurs locaux et lever d'importants fonds complémentaires. Cette approche semblait créer davantage d'emplois que les modèles antérieurs, mais elle avait malgré tout plus d'effet sur l'habitat et le bâti que sur la population.

La même critique a été adressée aux nombreux programmes portant sur des territoires limités, mis en œuvre jusqu'au milieu des années 2000 : il apparaissait très clairement que les investissements immobiliers bien coordonnés et centrés sur des quartiers avaient un impact positif sur la valeur de l'immobilier, la criminalité, le taux d'occupation et la satisfaction des ménages. En revanche, leur efficacité sur les facteurs économiques de la pauvreté était beaucoup moins évidente 5.

Les programmes centrés sur un petit nombre de zones font surgir deux questions importantes. Tout d'abord, quelle a été l'évolution de quartiers défavorisés comparables restés en dehors des programmes ? Ensuite, quel type de quartier bénéficie davantage d'un soutien concentré ? Le devenir des autres zones dépendait énormément de l'ampleur des financements globaux proposés. Sous le gouvernement conservateur, ces zones ont décliné, tandis que l'approche plus généreuse et plus large proposée par le gouvernement travailliste à partir de 1997 a permis une amélioration plus globale. Cependant, les zones bénéficiant de subventions spécifiques ne se démarquaient pas vraiment de celles ne recevant que des financements généraux 6. Concernant ce deuxième point, il semble exister un seuil de pauvreté en dessous duquel l'intervention produit peu d'effets. Cela suggère que le financement devrait se concentrer sur des zones ayant un véritable potentiel, dans lesquelles le secteur privé est prêt à s'investir 7.

Financer la rénovation urbaine

Jusqu'aux années 1980, les principales sources de financement étaient les subventions du gouvernement central, parfois avec un soutien fiscal des collectivités locales. Ensuite, le modèle s'est orienté progressivement vers le recours à des levées de fonds additionnelles s'appuyant sur la croissance immobilière et les perspectives de rentabilisation des terrains, ainsi que sur l'endettement avec garantie sur les futures recettes. Les programmes de logements sociaux étaient financés par les ventes du secteur immobilier privé, mais aussi, à l'origine, par la construction de bureaux. Cependant, dans la décennie précédant la crise financière, l'investissement commercial a commencé à s'imposer, surtout en dehors des grandes villes.

Depuis la crise, l'approche privilégiée a été le cofinancement immobilier, avec la densification des zones où prédomine l'habitat social construit dans les années 1950 et 1960. Le mécanisme consiste à favoriser l'implantation de propriétaires occupants et un sous-marché intermédiaire du logement, tout en évitant de réduire la proportion de logements sociaux. Les bénéfices issus du marché immobilier sont ensuite alloués à la rénovation urbaine 8.

La dernière approche politique présentée par le gouvernement dans sa stratégie nationale de rénovation des logements (« Estate Regeneration National Strategy »), en décembre 2016 9, cherche non seulement à améliorer ou à remplacer les logements sociaux existants, mais aussi à bâtir plusieurs milliers de nouveaux logements au cours de la prochaine décennie.

Quel bon niveau ?

Le gouvernement britannique a conçu des approches de plus en plus élaborées en matière de politique foncière sur des quartiers limités. Celles-ci visent à améliorer les caractéristiques physiques des zones défavorisées. Il a aussi graduellement insisté sur la nécessité que ces initiatives améliorent les perspectives économiques des habitants de ces quartiers, plutôt que de se limiter à des investissements. Le suivi et l'évaluation ont permis d'intégrer plusieurs aspects importants des bonnes pratiques : des plans opérationnels clairs et réalisables, des partenariats locaux, l'implication de la communauté, des contrôles financiers draconiens et des financements mixtes incluant les acteurs dans la prise de risque et dans les bénéfices qui en découlent.

L'analyse de soixante ans de politiques de rénovation urbaine permet d'affirmer que, même si les politiques axées sur des territoires limités ont largement permis d'augmenter la disponibilité de logements et d'améliorer la qualité des unités existantes, assez peu d'éléments indiquent que la prospérité économique s'est accrue dans ces zones. Et ce en partie parce que les ménages qui réussissent quittent souvent le quartier. Ainsi, l'impact des politiques de rénovation sur les trajectoires individuelles est sans doute sous-estimé. Cela s'explique également par le fait que, intrinsèquement, les politiques foncières n'ont pas nécessairement un impact important sur les performances économiques. Il est encore trop tôt pour dire si les résultats se sont améliorés avec la part croissante des plans stratégiques déployés dans le cadre des partenariats économiques locaux, dont l'empreinte spatiale est plus importante.

Plus fondamentalement, il s'agit de savoir si les politiques de territoires ont été plus efficaces que les politiques plus génériques. On peut certainement arguer que ces politiques plus générales, qui vont du démantèlement d'habitats insalubres au programme « Decent Homes » et qui ont permis d'atteindre des normes acceptables pour la plupart des logements sociaux du pays, grâce à d'importantes subventions du gouvernement central, ont eu un impact plus direct sur la rénovation urbaine que les programmes concentrés sur des zones spécifiques. Par ailleurs, la politique de réaménagement des sites industriels désaffectés, qui exige que la majorité des nouveaux logements soient construits sur des terrains urbains précédemment utilisés, a sans doute - plus que n'importe quel projet centré sur un territoire - incité le secteur privé à s'impliquer dans la rénovation urbaine. Enfin, il est clair que l'aménagement et l'amélioration de l'infrastructure urbaine et du réseau de transport ont joué des rôles de premier plan dans la rénovation des quartiers, car le secteur privé répond à l'augmentation de la demande de logements dans des zones plus accessibles. Pourtant, même si la réussite de ces projets dépend évidemment autant des possibilités économiques que des diverses initiatives gouvernementales, c'est bien l'engagement initial du gouvernement de mettre la main à la poche qui rend viables la plupart des projets de rénovation urbaine.

  1. R. Tunstall et S. Lowe, « Breaking up Communities », 2012 (https://www.york.ac.uk/spsw/news-and-events/news/2012/breaking-up-communities/).
  2. J. R. Short et K. Bassett, « Housing Action Areas: An Evaluation », Area, vol. 10, n° 2, 1978.
  3. R. Imrie et H. Thomas (dir.), British Urban Policy: An Evaluation of Urban Development Corporations, Sage Publications, 1999.
  4. D. Adamson, The Impact of Devolution. Area-based regeneration policies in the UK, Joseph Rowntree Foundation, 2010.
  5. A. Harding et B. Nevin (dir.), « Cities and Public Policy. A Review Paper », Foresight-Government Office for Science, 2015.
  6. Ibid.
  7. G. Meen et al, Economic Segregation in England, Joseph Rowntree Foundation, 2005.
  8. A. Crook et al, « New Housing Association Developments, Measures of Deprivation and the Creation of Mixed Communities in England », Urban Studies, novembre 2015.
  9. DCLG, « Estate Regeneration National Strategy », 2016 (https://www.gov.uk/guidance/estate-regeneration-national-strategy).
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2017-3/royaume-uni-des-succes-pour-la-renovation-urbaine.html?item_id=3568
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