Fondateur et délégué général de l'Agence pour l'éducation par le sport (Apels)*.
* www.educationparlesport.com.
Faire du sport une grande école
L'Agence pour l'éducation par le sport accompagne vers l'emploi des jeunes des quartiers prioritaires en échec scolaire qu'elle rencontre dans les associations sportives. Explications.
Le sport, par ses valeurs, est-il un vecteur efficace de la politique de la ville ?
Jean-Philippe Acensi. Oui, car le sport est un lieu de brassage assez unique, un des rares lieux où l'on apprend la diversité. À Calais, Roubaix, Sarcelles ou Sevran, par exemple, les associations les plus importantes sont des associations sportives. Elles drainent de nombreux adhérents et portent des valeurs qui nous semblent fondatrices.
- Le respect des différences. En accueillant tous les publics sans exclusion, ces associations créent un espace de mixité bienveillante dans lequel est ménagée une place centrale à la reconnaissance de l'altérité comme source d'enrichissement mutuel.
- L'enrichissement du lien social. Le sport est un espace de fraternité et de joie il ne place pas la réussite individuelle au-dessus du bien-être relationnel, chacun est associé au fonctionnement du groupe et se soumet à la règle décidée ensemble.
- La recherche de l'épanouissement personnel. Le sport renforce les capacités individuelles à faire ses propres choix, à fixer ses objectifs et à s'impliquer dans un collectif qui dépasse et inclut l'individu en lui donnant du sens.
- L'opposition créatrice. Si le sport est aussi un espace d'opposition, la rivalité entre sportifs doit être maîtrisée pour devenir féconde et non destructrice. Cela passe par l'application d'une éthique dans les relations avec toutes les parties prenantes.
C'est justement parce que les clubs de sport sont, pour beaucoup, des lieux de mixité, de brassage et d'apprentissage qu'ils sont particulièrement utiles dans les quartiers prioritaires, où le taux d'échec scolaire est très important.
Comment le sport peut-il inciter des jeunes pris dans une spirale d'échecs à trouver le chemin de l'insertion professionnelle ?
Le rôle de l'entraîneur est absolument essentiel pour les y aider : il est le mentor, les jeunes lui font confiance et il est porteur de projets d'éducation et d'insertion. Les collectivités locales vous le diront : il est, hélas, de plus en plus difficile de trouver des professionnels dédiés à un public adolescent.
La culture sportive est également importante. Notre programme d'insertion s'appuie sur 1 000 structures associatives afin de repérer dans ces clubs les jeunes auxquels nous proposerons un mois de formation destiné à les mettre sur de bons rails et à leur permettre de découvrir l'entreprise, quels qu'aient été leurs difficultés à maîtriser l'écrit.
Un mois, c'est peu...
En un mois, vous observez des transformations incroyables ! Les jeunes que nous choisissons ont une culture du sport mais ne sont pas forcément excellents dans leur discipline. Nous essayons de leur faire partager des valeurs qui sont indispensables pour l'entreprise : développer une capacité d'adaptation sans se remettre en cause, acquérir une logique d'apprentissage rapide, savoir se battre mais aussi avoir de l'empathie...
Quand cela se passe bien, on observe le talent insoupçonné de ces jeunes des quartiers, leur capacité à devenir militants associatifs, qui est beaucoup plus forte que celle d'autres jeunes. Or, en général, ils ne voient jamais une entreprise, ils ne savent pas en quoi cela consiste. Pourtant ils disposent de forts atouts pour une entreprise : l'envie de s'y révéler, qui est nourrie par leurs frustrations, leur culture de la débrouille également. Une grande banque, LCL, vient de nous confier 10 % de ses recrutements annuels. Qu'observent ses dirigeants ? Que beaucoup de ces gamins des banlieues qui ont un niveau bac ou bac+1 sont plus efficaces que les bac+5 qu'ils recrutent habituellement. Le fait qu'ils aient été en échec scolaire ne signifie pas qu'ils ont raté leur vie !
Le point de départ de vos initiatives, c'est la collectivité locale ?
Oui. En général, le maire espère que le sport va concourir à insérer les jeunes dans la vie publique. Le plus souvent, l'organisation des services des sports municipaux n'est toutefois pas effectuée dans une optique de sport-éducation ou de sport-insertion, donc notre rôle est de l'accompagner d'abord dans une modification de cette organisation afin de mettre en place une gouvernance qui rassemble plusieurs acteurs, en particulier des entreprises, mais aussi dans la définition du projet avec les acteurs en fonction des objectifs fixés par la collectivité.
À Roubaix, par exemple, où le maire voulait que le sport concoure à prévenir le décrochage scolaire, nous avons proposé l'embauche de quinze éducateurs sportifs qui ont cette mission. À Montceau-les-Mines, c'est plutôt à l'insertion professionnelle que s'intéressait le maire.
Nous servons de boîte à idées pour les collectivités locales (à ce jour, nous avons participé à un millier de projets) et accompagnons dans la durée certains projets : pendant six ans, nous avons travaillé à Calais sur un projet d'éducation par le sport, 400 jeunes y sont passés par nos programmes. La phase suivante, pour nous, est d'évaluer l'impact de nos actions en fonction des objectifs fixés par la collectivité (baisse du taux d'échec scolaire ou baisse du taux d'obésité, par exemple) et de communiquer sur les résultats obtenus. Il est important que ces politiques visent des objectifs simples et lisibles par tous, avec un réel impact sur le public.
Vous trouvez que la politique de la ville n'est pas lisible ?
La politique de la ville est devenue un gros barnum. On ne sait plus ce que c'est ! L'État est de moins en moins en capacité d'accompagner les innovations locales. Tout se passe au niveau des communes ou des régions. Notre association se veut une association de territoires et a signé des conventions avec les régions Île-de-France, Hauts-de-France, Rhône-Alpes - Auvergne et Provence-Alpes-Côte d'Azur. En Paca, par exemple, nous travaillons à des programmes d'insertion professionnelle des jeunes, à des programmes d'apprentissage professionnel, en liaison avec les chambres de métiers et avec les partenariats d'entreprises de toutes tailles.
En pratique, nous avons trois programmes phares : Déclics sportifs (pour l'insertion), les plates-formes locales d'éducation par le sport et les appels à projets. Avec Déclics sportifs nous avons compris que si le sport mène à un travail - ce que montre bien le programme que nous avons mis en place avec LCL, et bientôt avec Suez Environnement -, il ne s'agit pas pour nous de « faire du chiffre » car nous avons une promesse envers les jeunes : les aider à trouver un travail, c'est notre engagement. En 2017, nous arriverons à insérer 250 jeunes et notre espoir serait d'en placer 1 000 dans cinq régions d'ici quelques années. Cela voudrait dire donner de l'espoir à des dizaines de milliers de familles...
Avez-vous suffisamment de moyens ?
Nous travaillons souvent avec des bouts de ficelle ! Nous disposons en 2017 d'un budget de l'ordre de 2 millions d'euros, et pour démultiplier nos actions, il nous faudrait arriver à trouver 10 millions d'euros environ dans les trois ans à venir en faisant appel à la générosité du public et en sensibilisant les grands chefs d'entreprise...
Notre budget est sans rapport avec nos missions, d'autant que nous disposons d'un savoir-faire unique. Il est vraiment regrettable que l'État ne nous ait jamais proposé un soutien financier à la hauteur de ces missions.
En raison de l'importance des enjeux sociaux, la politique publique du sport est condamnée à évoluer : c'est un virage à ne pas rater et une occasion exceptionnelle pour tous les acteurs du sport d'apporter leur contribution. Pour l'insertion, le défi majeur est celui du rapprochement des acteurs associatifs sportifs avec les entreprises. Or l'État ne sait pas reconnaître les acteurs associatifs et il ne crée pas non plus les conditions de l'indispensable évolution des métiers afin que, grâce à des appels à idées, l'innovation émerge dans ce domaine également... À un moment donné, il devrait repérer ceux qui ont des résultats tangibles et les aider à avoir les moyens de se développer.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2017-3/faire-du-sport-une-grande-ecole.html?item_id=3583
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