© Guillaume Adger

Bernard DEVERT

Prêtre et président-fondateur d'Habitat et Humanisme.

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Lutter contre le mal-logement avec les bénévoles

Les bénévoles constituent un maillon essentiel de la lutte contre le mal-logement, en particulier dans les quartiers défavorisés, où il est nécessaire de promouvoir la mixité sociale, c'est-à-dire de « faire ensemble pour vivre ensemble ».

Le mal-logement est un cancer. Ses métastases délitent les liens sociaux, détruisent les familles fragilisées et fissurent les valeurs fondatrices de notre République. Quelle liberté quand les plus vulnérables, tenus à distance des lieux de culture, de l'emploi, sont rejetés vers des espaces saccageant leur avenir ? Quelle égalité quand la loi est bafouée ? Au titre du droit au logement opposable (Dalo), plus de 55 000 foyers devraient bénéficier d'un logement, mais ce droit, et pour cause, ne parvient pas à être opposable. Quelle fraternité quand des centaines de milliers de familles recherchent vainement un logement ? Comment en sommes-nous arrivés à une telle déshumanisation pour consentir à ce que des mamans et des enfants dorment dans la rue sous nos yeux, ainsi que des personnes âgées au soir de leur vie ?

Quand le moi l'emporte sur toute autre considération, il n'y a pas de toi(t). L'indifférence assigne à l'errance les plus fragiles. Les bénévoles construisent des passerelles pour qu'émerge l'acceptabilité des différences. Les villes ne traduisent pas seulement les inégalités et les discriminations, elles les développent en rejetant les plus vulnérables, considérés parfois non comme victimes mais comme responsables de leur pauvreté.

Le chantier de la mixité sociale

Rechercher une urbanité créatrice de liens, c'est concourir à ce que l'homme parvienne à sa maturité éthique, suivant l'expression d'Emmanuel Levinas. Comment ? Là commence le travail des bénévoles en veillant à ce que la personne accompagnée, quelle que soit son histoire, soit respectée, c'est-à-dire accueillie. S'ouvre alors le grand chantier de la mixité sociale, ou plus justement du faire ensemble pour vivre ensemble.

La diversité sociale n'est ni une cohabitation ni une juxtaposition pour instaurer la personne et la ville :

  • La personne, suivant l'expression d'Edgar Morin, se construit dans la relation à l'autre, dans cette tension entre l'autonomie et la dépendance, l'aptitude et l'insuffisance, alors que l'individu par ses illusions de puissance et d'autonomie fait échec à l'échange.
  • La ville offre la chance d'une plus grande créativité avec le décloisonnement des quartiers et des strates sociales. L'approche de l'hétérogénéité nécessite, sans doute, les conditions d'un apprivoisement, mais elle appelle tout autant une ambition politique pour une cohérence entre les liens et les lieux sans laquelle la cité, meurtrière de l'humain, porte les traces de l'apartheid.

La mixité est un lieu à faire naître pour tisser des relations avec les plus fragiles, une école d'humanité constituée de défricheurs de l'essentiel, ces bénévoles qui, comme l'indique l'étymologie, veulent du bien. L'action d'Habitat et Humanisme, conduite avec plus de 3 600 bénévoles, n'est pas seulement d'offrir plus de logements mais de penser l'habitat comme un vecteur d'insertion. La clé en est l'accompagnement.

Faire bouger les lignes

L'intuition fondatrice d'Habitat et Humanisme repose sur ce bénévolat, et s'il venait à disparaître nous assisterions à l'effondrement de l'association. Une attention toute particulière est témoignée aux bénévoles pour qu'ils soient la richesse de notre mouvement. D'aucuns évoquent la crise du bénévolat, il faudrait plutôt parler d'une crise liée à une insuffisance novatrice des opérations. Là, où les programmes font « bouger les lignes », là où l'action des bénévoles est reconnue comme déterminante et créatrice, une mobilisation est possible.

Un exemple : pour notre opération la Vie grande ouverte, sur les anciennes prisons de Lyon, nous avons bâti sur un campus 140 logements, dont 31 constituent un habitat partagé pour l'accueil de patients qui, au sortir des pôles d'urgences des hôpitaux, ne peuvent pas bénéficier d'une hospitalisation à domicile, faute d'un toit ou en raison de leur isolement. Quatre-vingt-dix étudiants se sont mobilisés pour prendre soin de ces personnes, outre une équipe de huit soignants (médecins, psychologues) qui contribuent bénévolement à la cohérence et à la sécurité de ce programme. Or, la fierté de ces étudiants de contribuer à cette réalisation novatrice n'est pas non plus sans les interroger sur le sens qu'ils entendent donner à leur vie professionnelle.

La ville, dit saint Augustin, ne se construit pas avec des pierres, mais avec des relations. Pour l'oublier trop souvent, la cité devient inhospitalière. L'hôte pour être accueilli comprend qu'il a sa place. Il n'est pas inutile de rappeler l'équivalence des mots : l'hôte est à la fois celui qui reçoit et celui qui est reçu. L'hospitalité procède d'une présence discrète et agissante. L'accompagnant, tout autant que l'accompagné, s'il veut faciliter la rencontre, doit souvent s'avouer sa propre fragilité. Celui qui est accueilli saisit confusément, sans toujours se l'avouer, que demain ne pourra plus être comme avant.

Une ouverture à l'estime

L'hospitalité conduit à porter, à « supporter » la situation en apprenant le langage du silence. L'accompagnement n'est possible que si la confiance est partagée. Il est accueil de celui qui se sent autre, étrange, voire étranger, mais il opère un déplacement du regard pour découvrir que l'inconnu, c'est aussi soi-même. Le cadeau de l'accompagnement est un accès à sa propre étrangeté. L'accompagnement, s'il nécessite une compétence, doit être maîtrisé, contenu, pour ne pas envahir l'autre de son savoir ou, plus grave encore, de son pouvoir.

Le compagnonnage est une aventure de la différence qui suscite l'audace de l'avenir. Quittant alors cette approche du même pour s'éveiller à une certaine inconnue, la nôtre, la différence devient une richesse qui souvent s'exprime à partir de cette interrogation : Veux-tu me faire partager ce que secrètement tu es, pour m'aider à devenir ce que je suis ?

Quand je m'interroge sur l'apport d'Habitat et Humanisme, je ne mets pas en priorité les 20 000 familles qui ont pu trouver un toit, mais bien ces accompagnants qui, dans la rencontre de l'autre, ont trouvé les clés pour que la richesse des biens suscite celle des liens. L'accompagnement traduit au sein de notre association cette prise en compte de la réflexion de Paul Ricoeur rappelant que l'objet de la responsabilité c'est le fragile, confié à notre garde, à notre soin. L'attention à la fragilité se révèle chemin et semence d'humanité.

Magnifique métier

Magnifique et difficile, le métier de bénévole. Quel métier ! Celui d'un service, souvent sans reconnaissance, alors qu'il a pour perspective de susciter le mieux-être en apprenant une forme d'effacement de soi-même pour que l'autre existe. Le bénévole, pour avoir une vision de la grandeur de l'homme, refuse le poison des comparaisons. « L'autre est à la fois plus haut que moi et plus pauvre que moi » (Emmanuel Levinas).

Les bénévoles qui s'investissent au sein d'Habitat et Humanisme ne supportent pas les discriminations où l'être est évalué à l'aune de sa couleur, de ses ressources, de sa culture, de ses accidents de parcours. Ils refusent que soient toujours mises en avant les mochetés alors qu'il y a tant de raisons d'espérer. Si le bien n'est pas aussi prégnant que souhaité, inutile de se désoler, la responsabilité est de le susciter. Le bénévole, pour ne pas faire de bruit, a peu d'audience médiatique percevant l'inouï dans le « craquement de l'âme », il découvre dans l'accompagnement les conditions d'une ouverture à un autrement.

Souvent nous entendons « le monde va mal ». Peut-être, mais il a surtout mal à l'espérance mal de tous ces enfermements qui sont autant de moments où l'on se ment à soi-même pour oublier que la fraternité est un sommet d'humanité. Que de bénévoles présents sur des terrains qui engluent l'espoir suscitent des récits de vie se révélant des éclats de lumière !

Je pense à cette rencontre d'un garçon de 8 ans qui, après plus de cinq années passées dans un bidonville, découvre un autre horizon. À Reina, accompagnatrice bénévole, qui lui demande s'il a faim, « J'ai besoin, répond-il, que tu ne me lâches pas », glissant alors sa main dans la sienne. Ces deux mains traduisent l'inouï de la tendresse, berceau des combattants refusant de pactiser avec le mépris, malheureusement pas étranger à la question du mal-logement ou de son absence pour les plus pauvres.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2017-3/lutter-contre-le-mal-logement-avec-les-benevoles.html?item_id=3581
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