Bernard HUGONNIER

Codirecteur du séminaire École et République au Collège des Bernardins, à Paris, et ancien directeur adjoint de l'éducation à l'OCDE.

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Accentuer l'autonomie des établissements scolaires

Le système éducatif français est devenu le moins équitable de l'ensemble des pays développés. Il est donc urgent de donner plus d'autonomie aux établissements scolaires et de fixer des objectifs par établissement et un calendrier, en dialoguant avec les enseignants.

Depuis de nombreuses années le monde de l'éducation est sous pression. On attend de fait de plus en plus que l'éducation améliore ses performances. Ce ne sont pas seulement les parents qui sont dans cette attente, car ils s'inquiètent à juste titre de l'avenir de leurs enfants, mais aussi les entreprises qui ne trouvent pas toujours les compétences dont elles ont besoin, et, enfin, la société dans son ensemble qui voit les relations humaines se tendre chaque jour davantage.

Afin d'améliorer les performances de l'éducation, il convient impérativement de développer, d'abord, un solide diagnostic et, ensuite, de fixer des objectifs à atteindre et un calendrier précis.

Le diagnostic

Les deux tableaux ci-dessous permettent d'établir un diagnostic. Le premier met en avant une dégradation des performances des élèves en France dans tous les domaines : on relève en effet que, de 2003 à 2015, la note moyenne en mathématiques des jeunes Français de 15 ans a baissé de 18 points. Au cours de cette même période, le pourcentage de jeunes en difficulté s'est accru de 41,5 % et celui des jeunes très performants s'est réduit de 24,5 %. Plus grave encore, le système éducatif est en 2015 plus inéquitable socialement qu'il ne l'était déjà douze ans auparavant : de fait, en 2015, l'augmentation d'une unité de l'indice, construit par l'OCDE, de statut socio-économique et culturel, qui mesure la progression des élèves sur l'échelle sociale, conduisait à un accroissement des performances des élèves de 57 points en France. Cette augmentation se limitait à 43 points en 2003. Cette statistique est un indicateur de l'influence du déterminisme social sur les performances des élèves or cette influence est en France la plus élevée parmi tous les pays de l'OCDE. En d'autres termes, le système éducatif français est le moins équitable de l'ensemble des pays développés.

Tableau 1 : Performances de la france en mathématiques selon Pisa

Sources : Enquête Pisa 2015, OCDE 2015.

Tableau 2 : Scores en mathématiques

Source : Cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillons (Cedre), Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), ministère de l’Éducation nationale.

Le second tableau donne les résultats à des tests de mathématiques d'élèves de troisième en 2008 et 2014 suivant leur milieu social (le premier quartile étant le plus défavorisé et le quatrième le plus favorisé). Comme le montre ce tableau, en 2014, seuls les élèves de milieux favorisés ont vu leurs performances s'améliorer, tous les autres élèves régressant. De sorte qu'il semble que se forment en France deux écoles et, partant, deux classes de citoyens.

En résumé, le diagnostic est sévère :

  • Le niveau moyen des connaissances et des compétences des jeunes Français à la fin de leur scolarité (mesuré par Pisa) est tout juste dans la moyenne des pays de l'OCDE.
  • Le pourcentage des laissés-pour-compte du système éducatif a augmenté de plus de 40 % depuis 2003.
  • L'élite de la France (mesurée par le pourcentage de jeunes très performants) est seulement de 11,4 %, contre 20 % en Allemagne, et a baissé de près de 25 % depuis 2003.
  • Le système éducatif français est le plus inéquitable de tous les pays de l'OCDE, au sens où c'est celui où l'impact du déterminisme social sur les performances des élèves est le plus fort.
  • L'école en France devient duale, avec une école de qualité qui fait progresser les jeunes des milieux favorisés et une autre qui fait régresser les autres élèves.

Fixer des objectifs à atteindre et un calendrier

Face à ce constat, la première chose à faire est, évidemment, de se fixer des objectifs et de planifier un calendrier pour les atteindre. Pour chacun des cinq points du diagnostic qui précède, il ne devrait pas être difficile d'établir ce à quoi l'on voudrait arriver dans un horizon de dix ans avec une marge de manoeuvre de 10 %. On peut noter d'ailleurs que c'est ce qui a été fait par la Commission européenne, qui a fixé les objectifs de référence suivants pour 2020 en matière d'éducation 1 :

  • « Au moins 95 % des enfants ayant entre 4 ans et l'âge de la scolarité obligatoire devraient participer à l'enseignement préscolaire »;
  • « La proportion de jeunes de 15 ans ayant une maîtrise insuffisante de la lecture, des mathématiques et des sciences devrait être inférieure à 15 % »;
  • « Le taux de jeunes de 18 à 24 ans ayant quitté prématurément le système d'éducation et de formation devrait être inférieur à 10 %. »

On peut déjà noter qu'à l'heure actuelle la France ne satisfait à aucun de ces trois objectifs. Mais nous ne sommes qu'en 2017... Alors quels pourraient être les objectifs pour les cinq points du diagnostic ? Nous nous abstiendrons d'en proposer ici pour la raison suivante : l'approche suivie jusqu'alors pour réformer le système éducatif de la France a pour l'essentiel consisté à faire des lois ou à lancer régulièrement tous azimuts des instructions. Cela n'a pas donné de grands résultats, il faut bien le reconnaître. Deux explications à cela : la fatigue des enseignants face aux réformes qui se succèdent et qui parfois se contredisent, et le blocage de certains syndicats 2 en raison du manque d'appropriation des réformes par ceux qui doivent les mettre en place, c'est-à-dire les enseignants eux-mêmes. Or, aussi curieux que cela puisse paraître, ce sont les enseignants qui savent mieux que quiconque pourquoi le système éducatif actuel grippe, rencontre des problèmes et crée des inégalités. Et mieux que quiconque ils savent en conséquence comment l'améliorer.

Des objectifs par établissement

Il ne s'agit donc pas de fixer des objectifs pour le pays dans son ensemble, qui vont valoir pour toutes les écoles, collèges et lycées et qui naturellement vont paraître excessifs ici ou sous-estimés là, mais de les fixer dans chaque établissement et éventuellement même pour chaque niveau (doit-on en effet avoir les mêmes ambitions pour une classe de CP et pour une classe de terminale ?). Ces objectifs devraient être établis en concertation avec les enseignants et ne devraient pas nécessairement porter seulement sur les cinq points mentionnés ci-dessus. L'important c'est que les enseignants se sentent acquis à une cause, responsabilisés, maîtres de leurs fonctions (en anglais empowered), et non pas de simples soldats interchangeables d'un établissement à un autre et totalement infantilisés. Ainsi, la relation avec la hiérarchie peut se modifier : les enseignants ont envie de faire des expérimentations il se concertent et coopèrent au lieu d'exercer chacun en travailleur indépendant ils font bouger les lignes en acceptant même de travailler davantage sans augmentation de salaire 3.

La solution est donc l'autonomie accrue des établissements scolaires. Mais bien sûr celle de tous les établissements, pas seulement les collèges et les lycées (il faudra alors changer le statut des écoles). Une autonomie qui ne donne pas tous les pouvoirs au seul chef d'établissement mais qui confie à une équipe de direction et aux enseignants davantage de responsabilités, afin que chaque établissement puisse développer son propre diagnostic analyser les raisons pour lesquelles il en est là chercher en commun les solutions y réfléchir, procéder à des consultations, veiller à avoir le maximum de soutien et les moyens pour réussir avant d'entreprendre puis s'engager avec un calendrier précis et faire un point régulièrement pour voir où l'on en est, quels sont les principales avancées et les blocages, examiner comment résoudre ces derniers, puis éventuellement revoir le projet pour repartir, et ainsi de suite. L'objectif primordial étant toujours le bien-être de tous les enfants et leur succès.

Il s'agit évidemment, on l'aura compris, d'une révolution. Elle est appelée par de nombreuses voix en France et ce d'autant plus que cette autonomie prévaut déjà dans bien d'autres pays européens. Mais ses chances d'être acceptée sont bien faibles, de sorte que l'amélioration des performances de l'éducation en France devra encore attendre.

  1. http://ec.europa.eu/education/policy/strategic-framework_fr.
  2. Voir par exemple Bernard Toulemonde et Soazig Le Nevé, Et si on tuait le Mammouth ? l'Aube, 2017.
  3. Pour un exemple d'une expérimentation réussie, voir Bernard Hugonnier et Constance de Ayala, Vaincre l'échec scolaire. L'expérience du lycée Galilée, Economica, 2014.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2017-3/accentuer-l-autonomie-des-etablissements-scolaires.html?item_id=3575
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