© Mendel Giezen

Wouter VAN GENT

Professeur assistant au Centre d'études urbaines de l'université d'Amsterdam.

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Pays-Bas : une nouvelle approche des politiques urbaines

Pendant deux décennies, les Pays-Bas ont été précurseurs en matière de politiques urbaines visant à intégrer les quartiers défavorisés et leurs habitants, grâce à des actions sociales ciblées et à des investissements matériels. Mais, après les crises financière et budgétaire de 2008, le gouvernement a cessé de financer ce type de politiques concentrées sur des zones déterminées.

Alors que les tout premiers programmes urbains avaient vu le jour dans les années 1970, les Pays-Bas ont été à l'avant-garde de la mise en place d'un ensemble de politiques urbaines bien financées dans les années 1990 et 2000. La peur d'une société divisée et d'une forte ségrégation a entraîné la mise en œuvre de politiques visant les quartiers à faibles revenus, dits « quartiers à problèmes ». Ces programmes cherchaient à être plus efficaces en combinant diverses initiatives socio-économiques à des interventions matérielles, et ce en concentrant tous les efforts sur une sélection de zones.

De 1990 à 2012, de nombreux programmes successifs ont été lancés aux Pays-Bas, afin de fournir des outils administratifs et des financements supplémentaires pour la transformation des zones défavorisées 1. Un exemple typique de cette approche est le renouvellement urbain complet du quartier de Bijlmermeer, à Amsterdam (1992-2012). La moitié des immeubles modernes y ont été démolis et remplacés par des habitations de faible et moyenne hauteurs. La part des logements sociaux dans le quartier est passée de 93 à 55 %. Simultanément, d'importants investissements ont été effectués afin d'améliorer les transports, les espaces publics, les services sociaux et les centres commerciaux 2. Bien que l'on ne puisse affirmer avec certitude que ce type de transformation d'un quartier soit réellement efficace pour lutter contre la pauvreté et promouvoir l'intégration sociale, ce renouveau a sans doute permis la mise en place d'espaces publics plus sûrs et plus faciles à administrer ainsi que l'amélioration de la réputation dudit quartier.

Cependant, au milieu des années 2000, l'État est revenu petit à petit sur ses engagements concernant ce genre d'investissements financés sur fonds publics dans les villes néerlandaises. La crise financière de 2008 et les politiques d'austérité budgétaire du gouvernement n'ont fait qu'accélérer ce revirement.

En 2012, les programmes nationaux restants et les renouvellements de financement ont été arrêtés : les projets de renouvellement et de rénovation financés par les fonds publics ont été, pour l'essentiel, abandonnés les services socio-économiques et les dispositions visant à promouvoir les réseaux sociaux locaux et à aider les habitants à trouver un emploi ont été sévèrement limités. L'État ne s'est pourtant pas entièrement retiré. Les hommes politiques et les décideurs restent favorables aux politiques d'intégration ayant pour objectifs de prévenir ou de mettre un terme à la concentration de la pauvreté, mais aussi de faire en sorte qu'aucun quartier ne soit isolé. De plus, l'État concentre dorénavant ses efforts sur les investissements commerciaux dans les quartiers du centre, ainsi que leur redéveloppement. Pour ces raisons, il intervient donc toujours dans les quartiers urbains néerlandais.

Des services devenus communautaires

Inspiré par l'idée de Big Society de l'ex-Premier ministre britannique David Cameron, le roi Willem-Alexander a proclamé, au nom du gouvernement néerlandais, la fin de l'État providence et l'avènement de la « société de participation » en 2013. Au lieu de services sociaux et de santé fournis par des structures publiques de quartier, le gouvernement de coalition droite-gauche envisage un système dans lequel ces prestations relèveraient de la responsabilité des individus, de leurs réseaux sociaux et d'organismes indépendants de l'État. Ce projet est alors présenté comme un programme d'émancipation qui nécessite la participation active des citoyens, leur permettant de prendre leurs responsabilités. Cette idée n'est pas nouvelle. En effet, le sujet du coût croissant des soins prodigués à la génération vieillissante d'après-guerre se profile depuis les années 1990 dans le débat politique. Les crises financières récentes et les mesures d'austérité sont sans doute à l'origine de ce retour du discours communautaire.

Dans les quartiers, cela s'est traduit par le transfert aux habitants de la responsabilité et de la propriété de lieux publics tels que les centres communautaires, les petites bibliothèques et les maisons des jeunes, faute de quoi ils devaient fermer. La commune d'Amsterdam, par exemple, a utilisé des reliquats de son budget pour aider les habitants à établir de prétendus « trusts de quartier ». Ces trusts, ou wijkondernemingen (littéralement « commerces de proximité »), avaient pour but d'offrir des services sociaux et culturels tout en étant financièrement autosuffisants grâce à leurs activités commerciales.

À partir de 2012, de nombreuses initiatives ont vu le jour à travers les Pays-Bas. Cependant, cinq ans plus tard, les résultats semblent très disparates. Bien que certaines aient été de franches réussites, nombre d'associations de résidents ont fait faillite après quelques années pour diverses raisons. La collecte des fonds propres étant dépendante des moyens commerciaux et des subventions, ces initiatives sont vulnérables. De plus, il s'est avéré difficile pour ces projets de se frayer un chemin à travers la bureaucratie étatique et les réglementations officielles. Si, dans certains cas, des fonctionnaires peuvent apporter leur aide à ces initiatives, dans d'autres ils ont fait plutôt figure d'obstacles. En outre, les habitants appartenant aux classes moyennes sont plus à même de communiquer efficacement, y compris avec l'administration, et de lever des fonds que les habitants de condition plus modeste des quartiers pauvres, nécessitant le plus de services sociaux, qui ont davantage de mal à s'organiser.

Bien que les initiatives communautaires soient nombreuses et offrent des opportunités d'auto-organisation, elles ne sont pas du tout adaptées à l'ensemble des quartiers défavorisés, notamment lorsqu'il s'agit d'assurer les services sociaux et de voisinage. C'est peut-être pour cette raison que les décideurs locaux se sont progressivement éloignés de ce modèle.

Encourager l'embourgeoisement

La seconde forme d'intervention de l'État dans les quartiers néerlandais vise à faciliter leur embourgeoisement. Particulièrement à Amsterdam et Rotterdam, les décideurs souhaitent attirer plus d'habitants des classes moyennes dans les zones défavorisées proches du centre-ville. Pour nombre d'universitaires, ce processus est problématique car il implique souvent le départ des habitants plus pauvres. Quoi qu'il en soit, les objectifs de ces nouvelles réglementations sont on ne peut plus clairs : il s'agit d'accroître le nombre de logements destinés aux classes moyennes aux abords des villes pour des raisons de croissance économique et de réduction des dépenses sociales.

Pendant longtemps, la présence des logements sociaux a ralenti le processus d'embourgeoisement urbain dans les villes néerlandaises. Mais, depuis la crise, les politiques nationales du logement visent activement le démantèlement du secteur du logement social en introduisant de nouvelles dispositions et en taxant les associations qui œuvrent dans ce domaine. Par conséquent, un nombre croissant de logements sociaux doivent être vendus chaque année pour permettre à ces associations de demeurer solvables. De récentes recherches menées par le Centre d'études urbaines d'Amsterdam démontrent que cette politique a accéléré le processus d'embourgeoisement urbain et le déplacement des familles pauvres.

Le gouvernement favorise ce processus en investissant dans des espaces publics et en fournissant aux nouveaux commerces et restaurants, ainsi qu'aux entrepreneurs culturels et aux artistes, des locaux temporaires dans les zones destinées aux plus pauvres. Cela peut être perçu comme une stratégie visant à inciter de jeunes familles des classes moyennes à s'y installer. J'ai mené une étude, conjointement avec mes collègues Willem Boterman et Myrte Hoekstra, dans un quartier d'Amsterdam destiné à la classe ouvrière où cette stratégie a été appliquée. Nos analyses révèlent que les habitants de longue date ne s'y sentent plus à leur place et ne comprennent pas pourquoi de nouveaux habitants des classes moyennes se voient offrir des services culturels quand leur centre communautaire a été fermé pour cause de mesures d'austérité.

Des mesures exceptionnelles

La « loi portant mesures exceptionnelles liées aux problématiques urbaines » (Wet bijzondere maatregelen grootstedelijke problematiek) est une politique urbaine nationale permettant aux villes de refuser que des entreprises ou des résidents non désirés, établis en région urbaine depuis moins de six ans, s'installent dans certaines zones défavorisées. La logique de ce texte est que ces entreprises ou habitants ne feraient que nuire davantage aux conditions de vie dans ces zones. En outre, l'absence d'arrivées de nouvelles familles pauvres pourrait offrir aux acteurs locaux l'opportunité d'améliorer les conditions locales de manière plus efficace. La loi a été introduite en 2005 à la demande de la ville de Rotterdam, qui a pu la mettre en place dans quatre de ses quartiers sud en 2006. Dans les années qui ont suivi, elle a ensuite été étendue.

Soyons clairs, cette loi ne finance pas le redéveloppement de zones défavorisées et n'aide pas les habitants, mais donne aux villes plus de pouvoirs discrétionnaires pour réguler les populations sur leur territoire. Lors de sa promulgation, elle a suscité la polémique du fait de son postulat d'exclusion. La liberté de mouvement et de choix de son lieu de résidence sont inscrits dans la Constitution néerlandaise et la Convention européenne des droits de l'homme. Cependant, ces dispositions légales permettent également aux gouvernements de limiter ces droits lorsque cela bénéficie à l'intérêt public et à la société démocratique. Au cours des dix premières années, le gouvernement néerlandais a été en mesure de défendre sa politique contre les contestations judiciaires en démontrant sa nécessité, sa subsidiarité, sa proportionnalité et sa pertinence par des statistiques socio-spatiales. En 2016, cette loi a été étendue, permettant désormais l'exclusion d'habitants ayant un casier judiciaire (même ceux qui n'ont pas été reconnus coupables), ayant été signalés comme causant une nuisance ou suspectés de djihadisme.

Bien que critiquée sur le plan juridique, cette loi est largement approuvée par les partis politiques de droite comme de gauche. Ses partisans ont avancé que des mesures drastiques étaient nécessaires dans la lutte contre les problématiques urbaines persistantes. Cependant, une évaluation des effets socio-spatiaux à Rotterdam, exigée par le Parlement et réalisée par Cody Hochstenbach, Justus Uitermark et moi-même, n'a fait état d'aucune amélioration en termes de nuisance ou de criminalité. Elle a en outre révélé que la position sur le marché du logement des résidents exclus s'est détériorée depuis l'introduction de cette loi. Étant donné les coûts engendrés, en termes d'entorses aux principes démocratiques mais aussi de coûts réels et financiers induits par la mise en place de ces restrictions, cette loi soulève de sérieuses questions.

Une lutte contre les citadins pauvres ?

Même avant les crises financières et budgétaires, l'État central néerlandais se retirait du financement direct des politiques urbaines. Avec les mesures d'austérité, le gouvernement a accru ses efforts visant à réduire le parc de logements sociaux et à déléguer ses responsabilités sociales aux autorités locales, aux associations et aux ménages, qui font tous également face à d'importantes contraintes budgétaires. Les villes ont, quant à elles, tenté de promouvoir les initiatives des habitants. Dans certains cas, ces initiatives ont apporté une amélioration de la prestation de services et ont constitué un tremplin pour l'habitabilité et la vie sociale d'un quartier. L'opportunité et les possibilités données aux habitants d'un quartier de s'auto-organiser devraient être perçues comme un développement positif. Cependant, comme elles sont liées à des coupes budgétaires, elles s'avèrent également potentiellement risquées : sans la moindre aide ou même un semblant de sécurité, ce type d'initiatives ne constitue pas une solution viable permettant d'offrir une prestation de services fiable.

La transformation des zones défavorisées se limite principalement aux quartiers qui pourraient connaître une forte demande en logements urbains destinés aux classes moyennes. Les politiques favorisant l'embourgeoisement urbain existaient déjà dans les années 1980. Elles étaient alors perçues comme une bouée de sauvetage pour les villes en difficulté économique, et les autorités locales chantent encore les louanges de leurs effets transformateurs sur les quartiers. C'est pour cette raison que les villes continuent à fournir les moyens de rendre certaines zones plus attrayantes pour les classes moyennes, en autorisant et en finançant des activités culturelles, des boutiques et des lieux de divertissement dans les zones destinées à la classe ouvrière. Cependant, avec l'augmentation des ventes par les bailleurs sociaux en raison de leur manque de moyens financiers et avec l'accroissement de la demande en logements urbains, ce processus semble échapper de plus en plus à tout contrôle et menace de rendre les centres-villes inabordables aux populations à revenus faibles et modérés.

Bien que l'État néerlandais se soit retiré du financement, son agenda en matière de politique urbaine est toujours régi par le souhait de prévenir les concentrations de pauvreté et les schémas de ségrégation extrême. L'intégration sociale et les quartiers ethniquement mixtes sont toujours au cœur de ses préoccupations. Pourtant, avec la poussée de l'embourgeoisement urbain et la loi des mesures exceptionnelles, on semble s'éloigner toujours plus de l'idée selon laquelle la pauvreté urbaine doit être évitée ou corrigée....

  1. Ce qui constitue un quartier défavorisé et détermine le choix des zones dans lesquelles l'État intervient a toujours été sujet à interprétation. On a employé les appellations « zones cumulant les problèmes », « quartiers mouvementés » et « quartiers positifs ». Les classifications ont été établies conjointement avec de grandes municipalités urbaines. Dans les années 2000, les statistiques ont également joué un rôle dans le choix des zones, même si elles n'ont pas remplacé les concertations.
  2. Il est à noter que si Bijlmermeer est considéré comme un exemple représentatif de l'approche politique intégrée, ce quartier se démarque par le fait que sa transformation physique a été principalement financée par la commune d'Amsterdam et des coopératives immobilières.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2017-3/pays-bas-une-nouvelle-approche-des-politiques-urbaines.html?item_id=3569
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