Président de l'association Nos quartiers ont des talents (NQT).
Recourir au parrainage pour favoriser l'emploi
Depuis 2006, l'association Nos quartiers ont des talents (NQT) a développé une méthode d'insertion professionnelle fondée sur le parrainage de jeunes diplômés des quartiers défavorisés par des cadres d'entreprise.
Les quartiers défavorisés, renommés quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), sont régulièrement sous le feu des projecteurs médiatiques. Depuis les années 1970, la situation dans ces quartiers s'est complexifiée, voire totalement dégradée pour leurs habitants. C'est dans ce contexte que nous retrouvons des pouvoirs publics qui doivent répondre à nombre de problématiques et d'interrogations. Pour des solutions durables, l'insertion des jeunes est désormais un des nombreux volets des projets de la politique de la ville.
C'est sur ce point qu'intervient l'association que je préside, Nos quartiers ont des talents, aujourd'hui NQT, fondée en 2006. C'est au détour de rencontres et à travers mon parcours professionnel et personnel que le projet est né. À l'époque, je suis président du Medef 93, en parallèle s'achève la construction du Stade de France et, dans son sillage, l'implantation d'une myriade d'entreprises dans des zones économiquement avantageuses.
D'un côté, nous avons des jeunes diplômés des quartiers qui ne trouvent pas d'emploi et n'ont bien souvent même pas de réponse à leurs candidatures et, de l'autre côté, des entreprises qui rencontrent des problèmes de recrutement. Un premier constat s'offre à nous : jeunes diplômés et recruteurs ne se rencontrent pas et ne se connaissent pas alors qu'ils vivent sur un même territoire. Ainsi, pour que l'offre et la demande entrent en contact, nous imaginons un système de parrainage par des cadres d'entreprise. L'association NQT vient de naître. Les premières entreprises qui nous suivent découvrent ainsi qu'il y a un réservoir de talents inexploités. Les premiers jeunes sont embauchés et des entreprises de plus en plus nombreuses nous rejoignent.
L'insertion sociale et professionnelle des jeunes est une composante récurrente des politiques publiques une action publique qui s'est diversifiée au fil des années. Alors que le niveau général de diplôme s'est élevé, les jeunes diplômés rencontrent de plus en plus de difficultés à trouver un emploi, et ce phénomène se généralise pour les jeunes habitant les quartiers prioritaires. Notre objectif est donc de donner un coup de pouce aux jeunes qui ont fait le choix de miser sur les études pour connaître une forme d'ascension sociale et auxquels nous pouvons apporter la connaissance des codes de l'entreprise, la construction d'un réseau professionnel et l'appui d'un parrain ou d'une marraine pour accéder à un emploi pérenne et qualifié.
Comme bien souvent dans les dispositifs d'aide à l'insertion, nous avons effectué un ciblage et accompagnons historiquement les jeunes issus de quartiers prioritaires, ayant moins de 30 ans, titulaires d'un diplôme bac + 3 minimum. Très vite, nous nous sommes aperçus que les quartiers prioritaires pouvaient s'étendre au-delà des frontières fixées par le gouvernement. Ainsi nous avons élargi nos critères aux jeunes diplômés issus de milieux sociaux modestes.
La solution du parrainage
Le grand thème sur lequel je travaille avec mes équipes depuis plus de dix ans pour l'insertion professionnelle des jeunes diplômés est, vous l'aurez compris, le parrainage. Ainsi nous mettons en relation des jeunes diplômés avec des cadres, managers ou dirigeants d'entreprise ayant au minimum huit ans d'expérience et dont le domaine de compétence est en adéquation avec celui de leur filleul. Ces cadres sont volontaires et consacrent en moyenne deux heures par mois à l'accompagnement de leur jeune diplômé. Une première rencontre est organisée sur le lieu de travail du parrain ou de la marraine, puis les échanges se poursuivent par e-mail, téléphone ou rendez-vous selon les disponibilités et besoins de chacun.
Cela fonctionne, puisque depuis 2006 nous avons accompagné près de 35 000 jeunes diplômés grâce à plus de 9 000 parrains et marraines. En six mois en moyenne, 70 % des jeunes trouvent un emploi pérenne à la hauteur de leur qualification, c'est-à-dire un CCD de six mois minimum ou un CDI.
Grâce à nos parrains et marraines nous permettons aux jeunes diplômés de moins de 30 ans issus de quartiers prioritaires de rencontrer directement des cadres et dirigeants d'entreprise de haut niveau et du secteur d'activité qu'ils visent. C'est un atout non négligeable dans une recherche d'emploi. Pour les parrains et marraines, corriger des injustices sociales, réduire les inégalités, contribuer à l'égalité des chances pour faire vivre le pacte républicain, agir en citoyen responsable en aidant les jeunes diplômés sont autant de motivations qui relèvent à la fois du registre de la justice et de celui de la solidarité, et s'appliquent aux domaines de l'insertion professionnelle et de la politique de la ville. Les jeunes des quartiers défavorisés sont moins souvent en emploi : 56 % seulement (contre 62 % pour les autres diplômés).
Pour les jeunes diplômés, le parrain ou la marraine sont avant tout un soutien. Un nouvel acteur qui n'est pas juge mais qui corrige et amène le jeune diplômé vers la réussite. Le parrainage est un outil extrêmement concret et direct. Il s'agit de permettre aux jeunes de ces quartiers de mettre un premier pied dans l'entreprise. Parfois, le soutien familial fait défaut par méconnaissance, appréhension ou défiance envers ce monde, sans parler du réseau professionnel que ni le jeune ni les parents ne possèdent. Avec le parrainage c'est différent, certains de nos parrains et marraines n'hésitent pas à leur ouvrir leur carnet d'adresses. Un vrai plus, surtout lorsque que l'on sait que, sur une moyenne de 70 entretiens liés à un réseau, deux à trois aboutissent à une proposition ferme !
Au fil des années, nous nous sommes professionnalisés, nous avons grandi et nous nous sommes développés. Nous avons acquis une expertise fine du marché de l'emploi pour aider les jeunes diplômés des quartiers. Le parrainage permet des rencontres humaines entre jeunes issus de quartiers et professionnels. Pour NQT, c'est bien la clé du succès. Les jeunes diplômés sortent de leur environnement, et grâce au parrainage et à ce lien intergénérationnel qui se crée, des valeurs d'exemple et une dynamique positive sont transmises aux jeunes.
Par ailleurs, en juillet 2015 nous avons mené aux côtés de l'entreprise de sondage TNS Sofres une étude qui nous a permis de faire le point sur la vision qu'ont les Français de l'ascenseur social, de l'emploi et du parrainage. Le premier fonctionne mal selon huit Français sur dix. Ils sont aussi largement pessimistes sur l'avenir des jeunes en France et pensent à 90 % qu'il est difficile pour eux de trouver actuellement un emploi à la hauteur de leurs qualifications. Concernant les solutions proposées, le parrainage est vu comme la mesure la plus efficace pour relancer l'ascenseur social, un dispositif qui doit être généralisé selon la majorité des personnes interrogées.
Nouer des partenariats
Au-delà du programme de parrainage, nous sommes conscients que, pour être le plus efficace possible, nous devons prendre en compte les structures existantes et coupler nos efforts. Un quartier prioritaire est un microcosme où chaque agent joue un rôle. Il ne faut pas réinventer mais identifier et renforcer les acteurs au quotidien. Nous travaillons ainsi avec le Pôle emploi et l'Apec, pour ne citer qu'eux. Nous engageons également des actions avec les missions locales, les bureaux et les centres régionaux d'information jeunesse (BIJ et Crij) et les maisons de quartier de nos collectivités partenaires.
En effet, les quartiers défavorisés sont des lieux bien connus de chacune des villes. Régulièrement, nous signons des partenariats avec des villes ou des intercommunalités qui comptent sur leur territoire un certain nombre de quartiers. Grâce à ces engagements, nous partageons nos expériences et nos connaissances respectives pour aider toujours plus de jeunes diplômés. Ces rencontres nous permettent d'être au plus près des jeunes diplômés et de les aider le mieux possible.
Le rôle des universités et des entreprises
Pour permettre une meilleure insertion des jeunes diplômés, les bons résultats sont aussi à entrevoir en amont, et ce dès les études universitaires. Il est à noter que les jeunes diplômés des quartiers prioritaires sont plus souvent des universitaires (77 % contre 71 %), et moins souvent des diplômés d'écoles que les autres. Ainsi, la mise en relation des étudiants avec les organismes d'accompagnement de l'emploi au cours de la formation est une piste intéressante. Il est indispensable de perdre le moins de temps possible dans sa recherche d'emploi et d'être au plus vite le mieux outillé. Plus les jeunes sont orientés tôt vers les dispositifs adéquats, plus ces derniers pourront être efficaces. De nombreux jeunes n'en prennent connaissance qu'après une période de chômage relativement longue, qui peut déjà susciter un certain découragement et un éloignement du monde professionnel.
Les entreprises ont également leur rôle à jouer dans l'insertion. En effet, permettre aux jeunes d'être informés sur les perspectives de recrutement des entreprises peut les aider dans leur choix d'orientation et faciliter leur insertion professionnelle. Si les entreprises communiquent via un document présentant leurs perspectives de recrutement à long et moyen terme sur leur territoire, celui-ci peut être mis à disposition des étudiants, voire des lycéens pour qu'ils en tiennent compte dans leurs choix d'orientation. Encourager les partenariats entre universités et entreprises passe aussi par la mise en place de contrats permettant aux entreprises de faire connaître leurs besoins de compétences pour les années à venir aux établissements, pour que les universités puissent adapter leur cursus de formation aux besoins réels et en tenir compte dans l'orientation des étudiants.
Améliorer l'orientation
L'orientation est un autre axe de progrès. Il existe actuellement un grand nombre de structures et de personnels chargés de l'orientation. Les jeunes ont souvent bien du mal à se repérer dans ce système. Il semble qu'une vision globale et stratégique de celui-ci fasse défaut. Ainsi on rencontre des jeunes qui décident de choix successifs en cours d'études et parfois même de réorientations sur le tas. De plus, il est à noter que les élèves en difficulté font bien souvent l'objet d'une orientation « subie ». Le poids des familles peut lui aussi aboutir à des erreurs d'orientation. Mieux former les jeunes sur certains parcours et métiers actuellement délaissés est une piste d'amélioration.
De plus, dans l'organisation des cursus, il faudrait également valoriser davantage certains parcours plus professionnalisants - apprentissage et contrats en alternance - et encourager leur développement en élargissant la pratique des stages obligatoires en entreprise au cours du parcours universitaire.
Enfin, l'adéquation entre les diplômes et les besoins du marché de l'emploi est aussi un point sensible. Lorsqu'elle n'est pas respectée, des jeunes se retrouvent sans emploi et des entreprises en pénurie de personnel.
Logement et emploi, le duo gagnant
Nous connaissons également la corrélation importante qui existe entre emploi et logement. Ainsi, dès 2012, NQT a engagé de nombreuses collaborations avec des bailleurs sociaux et des offices publics de l'habitat. Une démarche qui s'inscrit dans le prolongement des missions d'utilité sociale des professionnels de l'habitat. Ces partenaires, à travers leurs parcs HLM, nous permettent d'être au plus près des jeunes diplômés. Ces relations se nouent assez naturellement de par nos missions quotidiennes, notamment grâce à des démarches conjointes en faveur de l'emploi et du logement, deux notions très liées car la disponibilité d'un logement peut conditionner le l'obtention d'un emploi.
Nous le savons, le contexte économique de la France est peu dynamique, la situation de l'emploi reste fortement dégradée alors même que les jeunes sont de plus en plus qualifiés. Pour l'insertion des jeunes des quartiers nous militons pour la généralisation du parrainage comme recette clé. Le parrainage est la pièce maîtresse dans la réussite de l'insertion pour l'emploi. Déterminant sur bien des sujets, il permet aux jeunes diplômés de dépasser les frontières des quartiers et de voir plus loin. C'est un sujet très connu et essentiel dans les quartiers défavorisés : l'échange humain et le réseau. Nous voulons permettre aux cadres de demain de réussir leurs ambitions professionnelles.
Les jeunes des quartiers ont subi plus que d'autres les effets de la montée du chômage, et malgré les dispositifs successifs le sentiment dominant est celui de leur inefficacité relative, même si la baisse récente du chômage montre qu'une action concentrée peut aboutir à des résultats. Car l'accès à l'emploi stable permet aux jeunes de construire leur vie et d'accéder à l'autonomie.
Après une redéfinition en 2015 de la géographie prioritaire qui étend désormais la politique de la ville à toute la France, la société civile doit être acteur de son changement, lutter contre les stigmatisations et permettre l'égalité de traitement. L'activité économique et l'insertion professionnelle sont des outils devenus essentiels pour apporter une réponse humaine au vivre-ensemble, à l'égalité et à la construction d'un futur pour notre jeunesse : continuons à soutenir le parrainage et les modèles de réussite issus de nos quartiers populaires.
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