Fanny ANOR

Chargée d'études senior à l'Institut Montaigne.

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Engager une rénovation en profondeur de l'éducation

Le levier éducatif - crucial pour l'avènement d'une véritable mixité sociale et d'une équité territoriale - n'a pas été suffisamment actionné. Il doit jouer en priorité sur la petite enfance et inclure des expérimentations dans les zones défavorisées.

Chaque année, plus de 100 000 jeunes quittent le système scolaire sans diplôme ni qualification. Leurs difficultés ne sont pas apparues à la fin de leur scolarité : près de 80 % des élèves « décrocheurs » étaient déjà en difficulté au CP. Au-delà de cet échec scolaire massif et endémique, une corrélation - que rappelle à nouveau l'enquête Pisa 2015 -, est tout aussi alarmante : la France se place en tête des pays de l'OCDE où l'origine socio-économique pèse le plus sur le destin scolaire. Ce déterminisme obère fortement les espoirs d'insertion professionnelle et d'ascension sociale des élèves issus de milieux défavorisés.

Or, depuis les années 2000, ce déterminisme scolaire n'a cessé croître. Ainsi, alors qu'un élève issu d'un milieu défavorisé a vu sa probabilité d'appartenir au groupe des élèves les plus performants divisée par deux en France entre 2003 et 2015, on observe en Allemagne une évolution exactement inverse durant la même période. Si le système éducatif français a su relever le défi de la massification scolaire ainsi que celui de l'élévation du niveau de formation de sa population, cela n'a en rien permis de garantir une égalité des chances.

Une équité entravée

Ce constat est plus accablant encore dans les territoires de l'éducation prioritaire : l'enquête Cedre 1 2015 - conduite à la fin du collège autour des compétences langagières - démontre que les élèves scolarisés dans un établissement de l'éducation prioritaire ont des résultats très inférieurs à la moyenne nationale un élève sur trois ne maîtrise pas les compétences de base et peut donc être considéré en grande difficulté. De même, un élève issu d'un milieu défavorisé est 1,5 fois plus exposé au risque de redoublement.

Le diplôme reste un viatique pour l'emploi, le taux de chômage variant de 1 à 4 selon la détention d'un diplôme de l'enseignement supérieur ou du seul brevet des collèges. Alors que la formation initiale détermine fortement l'insertion professionnelle, dans les quartiers prioritaires six jeunes de moins de 30 ans sur dix ont un niveau d'études inférieur au bac 36 % des jeunes de moins de 30 ans ne sont ni en formation ni en emploi. Si d'importants efforts ont été entrepris depuis quinze ans dans les quartiers bénéficiaires des programmes de rénovation urbaine, le levier éducatif - crucial pour l'avènement d'une véritable mixité sociale et d'une équité territoriale - n'a pas été suffisamment actionné. Trop souvent encore, l'école y est davantage synonyme d'échec que d'ascension sociale et d'apprentissage du vivre-ensemble républicain.

Une politique à la hauteur des enjeux ?

La création des zones d'éducation prioritaire, en 1981, atteste d'une prise de conscience au sein du système éducatif français. Alors que le modèle républicain, où l'uniformité sur le territoire national garantissait l'égalité, prévalait depuis la fondation de ce système éducatif, la loi Savary envisage une politique éducative de discrimination positive : compenser les inégalités par l'allocation de plus de moyens à ceux qui en ont le plus besoin.

Trente-six ans après sa mise en œuvre, ce dispositif doit être évalué à l'aune d'une unique question : améliore-t-il la réussite et contribue-t-il à l'égalité des chances ? L'échec scolaire, particulièrement fort dans les territoires de la politique de la ville, a des répercussions majeures sur l'ensemble de la société : perte de cohésion sociale, chômage élevé, risques de délinquance accrus, illettrisme et faibles qualifications... Or, derrière ces principes vertueux, une réalité : la Cour des comptes estime qu'en 2012 l'État dépensait 47 % de plus pour former un élève parisien que pour un élève des académies de Créteil ou de Versailles.

Alors que la France se classe en tête des pays où les inégalités scolaires se sont le plus accrues, la priorité doit être donnée à des pratiques pédagogiques éprouvées. Cela suppose une rénovation profonde des pratiques et de la culture professionnelle des enseignants, mais aussi de la gestion et de la gouvernance des établissements scolaires dans les territoires prioritaires de la politique de la ville.

Une allocation irrationnelle des moyens

Le gouvernement avance l'équation suivante : si l'échec scolaire, qui nourrit le décrochage, revêt de lourdes conséquences pour l'insertion sociale et professionnelle des individus, les conséquences pour l'État le sont tout autant. Ainsi, le coût inhérent au décrochage est évalué à 230 000 euros tout au long de la vie d'un « décrocheur ».

Les travaux de James Heckman, prix Nobel d'économie, montrent qu'un euro consacré à un très jeune enfant permet d'en économiser jusqu'à huit plus tard, dans les domaines de la santé, de l'éducation, de la sécurité, de la justice ou des services sociaux 2. Or, la France consacre davantage de moyens à l'enseignement secondaire qu'à l'enseignement primaire. En effet, les dépenses par élève du secondaire sont 23 % plus élevées en France que la moyenne des pays de l'OCDE, celles par élève du primaire sont quant à elles inférieures de 29 % à la moyenne des pays de l'OCDE 3.

Une ambition réaffirmée dès la petite enfance

À 4 ans, un enfant issu d'un milieu social défavorisé a entendu 30 millions de mots de moins qu'un enfant issu d'un milieu favorisé. L'évaluation d'expérimentations fondées sur les sciences cognitives démontre que la stimulation précoce - durant la petite enfance - a un impact notable à long terme sur la réussite scolaire, le niveau d'études et l'insertion professionnelle.

Les actions entreprises durant le dernier quinquennat ont permis de multiplier par deux le taux de scolarisation à 2 ans en éducation prioritaire mais seulement un enfant sur cinq bénéficie aujourd'hui de ce dispositif. Par ailleurs, un meilleur accueil des jeunes enfants dans les quartiers de la politique de la ville pourrait initier un cercle vertueux. En effet, les mères sont 2,5 fois moins susceptibles d'arrêter de travailler lorsqu'elles ont obtenu une place dans une structure d'accueil pour leur enfant 4. De tels dispositifs d'accueil de la petite enfance - sous-tendus par des projets pédagogiques ambitieux - permettraient d'initier des dynamiques positives dans le cadre d'une politique globale en faveur de la cohésion sociale dans les quartiers prioritaires.

Il apparaît également essentiel de mettre en œuvre des programmes pédagogiques dont l'efficacité a été démontrée. La capacité de notre système éducatif à identifier les élèves qui, dès l'école maternelle, doivent bénéficier d'une attention particulière afin de parvenir à la maîtrise de la lecture, repose sur des évaluations ainsi que sur des principes simples : l'enseignement doit être structuré, systématique et explicite la répétition doit être au cœur d'un enseignement adapté au niveau de chacun et renforcé pour ceux qui en ont le plus besoin.

Une course contre la montre

Une étude menée par Bruno Suchaut conclut que moins de huit heures par semaine sont, en moyenne, consacrées par les professeurs des écoles aux enseignements fondamentaux (langage, lecture, numératie) 5. De même, le temps moyen de sollicitation individuelle en lecture d'un élève de CP a été évalué à vingt heures 6, alors qu'il faudrait quinze heures supplémentaires pour garantir à chaque élève la maîtrise de la lecture. Cette dispersion conduit à des paradoxes inacceptables : 95 % des enfants peuvent réussir lorsque des méthodes d'enseignement appropriées sont déployées très tôt. Pourtant, en CM2, plus d'un élève sur trois est en difficulté ou n'a que des acquis fragiles en lecture, en écriture ou en calcul 7.

Nous formulons donc les cinq propositions suivantes :

  1. Encourager la production de techniques pédagogiques, ressources et dispositifs conformes aux standards de recherche internationaux, les évaluer et favoriser leur diffusion.
  2. Donner aux enseignants les moyens de mesurer les progrès et d'établir des diagnostics précoces des difficultés individuelles de leurs élèves. Fournir aux enseignants des outils de suivi des résultats et des méthodes de remédiation.
  3. Diviser par deux la taille des classes en grande section de maternelle, CP et CE1, en premier lieu dans les réseaux d'éducation prioritaire.
  4. Développer des périodes de remise à niveau durant les vacances scolaires pour les élèves les plus fragiles.
  5. Combiner l'utilisation d'un support numérique et d'applications adaptées pour généraliser une approche pédagogique structurée, systématique et explicite, validée par une recherche conforme aux standards internationaux et suivie par une évaluation définie au préalable.

Un enjeu central : la formation des enseignants

L'« effet-maître » 8 mesure la part des performances des élèves que l'on peut attribuer aux pratiques de leurs enseignants. Plusieurs travaux 9 montrent que l'impact le plus fort sur la réussite scolaire tient aux compétences et aux méthodes de l'enseignant. Toute politique éducative ambitieuse doit avoir pour objectif la maximisation de l'effet-maître : la formation initiale et continue des enseignants doit être repensée et entièrement structurée autour de pratiques et de protocoles pédagogiques dont la recherche a démontré l'efficacité.

Nos propositions :

  1. Repenser la formation des jeunes enseignants et la formation continue : former les enseignants au numérique, comme outil et savoir, aux sciences cognitives et à la méthodologie d'expérimentation.
  2. Mettre en œuvre un dispositif incitatif pour les candidats à cette profession, instaurer dès les premières années de licence des contrats de prérecrutement ce programme favoriserait également l'accès au métier de professeur des écoles des jeunes gens talentueux issus de quartiers.
  3. Inscrire dans la formation initiale des professeurs un enseignement consacré aux méthodes d'immersion langagière, suivi d'un stage d'application en maternelle. Les étudiants qui se destinent à l'enseignement effectueraient ces stages prioritairement en REP + et en REP.

Associer étroitement les familles

Des expériences - comme la Mallette des parents, instaurée à la rentrée 2008 dans l'académie de Créteil - ont démontré toute l'importance d'apporter aux parents des clés qui leur permettent d'accompagner leurs enfants et de comprendre le fonctionnement de l'institution scolaire. Par des dispositifs légers - trois réunions annuelles -, l'implication des parents auprès de leurs enfants a engendré des impacts positifs sur le comportement et les résultats scolaires 10. La place des familles à l'école, plus encore dans des territoires où les difficultés sociales et économiques se concentrent, est un enjeu fondamental.

Une gouvernance efficace et un pilotage du système

Le système éducatif français demeure très largement centralisé. Il est organisé autour de programmes, de référents et d'organisation du temps scolaire nationaux. Ce modèle jacobin ne laisse que peu de place à l'accompagnement, à l'expérimentation, à l'évaluation ou au partage de compétences et de bonnes pratiques. Aujourd'hui, ni le rôle ni les responsabilités des directeurs d'école ne sont clairs : ils ne disposent ni de l'autorité leur permettant d'assumer une réelle responsabilité pédagogique ni des moyens suffisants pour remplir les responsabilités administratives qui sont les leurs. Les directeurs d'école ne jouissent pas non plus d'une reconnaissance statutaire. En outre, alors qu'ils sont soumis à l'autorité de l'inspecteur de la circonscription et du maire de leur commune, leurs responsabilités ne cessent de croître.

Nos propositions :

  1. Sélectionner et former des directeurs d'école de qualité exerçant un réel pouvoir de pilotage de leur établissement.
  2. Mettre en place un véritable statut pour les directeurs d'école et professionnaliser leur recrutement.
  3. Revoir complètement le rôle des inspecteurs de l'Éducation nationale (IEN), c'est-à-dire :
    • supprimer leur rôle d'encadrement administratif
    • concentrer leur mission sur les objectifs pédagogiques : l'inspection des enseignants fondée sur leur formation continue et l'évaluation des élèves.
  4. S'assurer que les professeurs les plus expérimentés aient la charge de la grande section de maternelle et du CP.
  5. Favoriser l'expérimentation dans les territoires où se concentre la grande difficulté scolaire.

Trop longtemps la France s'est résignée à l'abandon d'une part croissante de sa jeunesse. L'échec scolaire endémique menace notre cohésion sociale or, tout n'a pas été tenté pour contrecarrer cette dynamique mortifère. Toute politique ambitieuse de lutte contre les inégalités doit donc faire de l'éducation une priorité, et plus encore de l'accueil des jeunes enfants et de l'école primaire : c'est là que les inégalités apparaissent et se développent, ce n'est qu'en traitant enfin le mal à la racine qu'il sera possible de le résorber.

  1. Cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillon (ministère de l'Éducation nationale).
  2. James J. Heckman, The Case for Investing In Disadvantaged Young Children, 2008.
  3. Note de la Depp (Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'Éducation nationale), février 2015.
  4. Maurin et Roy, 2008.
  5. Bruno Suchaut, « La gestion du temps à l'école maternelle et primaire : diversité des pratiques et effets sur les acquisitions des élèves », mai 2009.
  6. Bruno Suchaut, Analyses et références complètes dans l'article « Temps disponible et temps nécessaire pour apprendre à lire : le défi des 35 heures », 2015, et sur le site Internet Café pédagogique.
  7. Cedre 2014.
  8. Pascal Bressoux, « Histoire et perspective des recherches sur l'effet-maître », in Gérard Figari, Lucie Mottier-Lopez, Recherche sur l'évaluation en éducation, l'Harmattan, 2006.
  9. Eric A. Hanushek, Teacher Quality, 2002 ; Pascal Bressoux, « Note de synthèse : Les recherches sur les effets-écoles et les effets-maîtres », Revue française de pédagogie, vol. 108, n° 1, 1994.
  10. Francesco Avvisati, Marc Gurgand, Nina Guyon, Éric Maurin, « Quels effets attendre d'une politique d'implication des parents d'élèves dans les collèges ? Les enseignements d'une expérimentation contrôlée », rapport pour le haut-commissaire à la Jeunesse, 2010.
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