Jean-Louis SCHILANSKY

Président de l'Union française des industries pétrolières (Ufip), du Medef Paris et de la section des activités économiques du Conseil économique, social et environnemental (Cese).

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Un équilibre durable entre ressources et production

Malgré l'accroissement de la demande dans les pays émergents, l'essor des énergies renouvelables et des hydrocarbures non conventionnels couplé au développement de la recherche de l'efficacité énergétique contribuent à éloigner le spectre de la pénurie et donc de l'explosion des prix.

La théorie économique nous a appris que le prix est le résultat de la confrontation de l'offre et de la demande d'un produit sur un marché. Examiner cette question au sujet de l'énergie, en particulier du pétrole, exige d'aborder ces deux éléments successivement.
Depuis le premier choc pétrolier de 1973, l'offre mondiale de pétrole et de gaz a évolué au fur et à mesure de la hausse du prix. L'élasticité-prix 1 de l'offre de pétrole s'est illustrée notamment par la mise en valeur des champs de mer du Nord, par le développement des gisements situés au large des côtes africaines (Nigeria, Congo, Angola) et par la mise en exploitation des sables bitumineux du Canada. Alors que le prix du pétrole évoluait à la hausse, de nouveaux champs ont pu être identifiés et mis en production grâce aux progrès technologiques effectués en parallèle à des coûts croissants dont la couverture était rendue possible par la hausse du prix : production à haute pression et haute température, amélioration de la récupération du pétrole (enhanced oil recovery), exploration et production en mer profonde... Cette évolution du prix du pétrole fut néanmoins loin d'être linéaire, le marché mondial du pétrole faisant face à deux contre-chocs, en 1986 et 1998, qui ramenèrent le prix du baril autour de 10 dollars, et à un troisième choc en juillet 2008 (147,5 dollars/baril), suivi d'un plongeon à moins de 40 dollars du fait de la crise économique qui a surgi alors.

Un plafond de production

Toutefois, sur une période de plus de quarante ans, l'association du prix croissant du pétrole et de la technologie a permis d'accroître le niveau des réserves, à tel point que le concept de « peak oil », moment où la production mondiale de pétrole plafonne avant de commencer à décliner du fait de l'épuisement des réserves exploitables, a cédé la place à celui de « plafond de production ». Ce plafond, que l'on situe aujourd'hui autour de 100 millions de barils par jour, est caractéristique d'une situation d'équilibre plus durable, entre le déclin de réserves conventionnelles connues et la mise en production de nouvelles ressources dont certaines sont aujourd'hui non conventionnelles, comme le pétrole de schiste par exemple. À cette situation est associé un prix du baril de pétrole brut de l'ordre de 100 euros. On estime aujourd'hui les réserves de pétrole à une centaine d'années de la consommation actuelle.

Ce phénomène est analogue pour le gaz naturel où, avec la mise en évidence puis en production de réserves importantes de gaz de schiste, particulièrement aux États-Unis, l'évaluation des réserves mondiales a changé d'échelle. Elles s'élèvent aujourd'hui à près de 230 années de la consommation actuelle, sachant qu'on ne sait rien ou presque des ressources possibles en gaz de schiste de l'Europe, de l'Algérie, de la Chine ou de l'Arabie saoudite.
À l'horizon de quelques années, la mise en exploitation des hydrocarbures de schiste aux États-Unis apparaît contribuer, au niveau mondial, à une situation de moindre volatilité du prix du pétrole, tandis que l'on distingue trois marchés régionaux du gaz naturel avec chacun un niveau de prix caractéristique d'un équilibre offre-demande spécifique : prix bas en Amérique du Nord, prix moyen en Europe, prix élevé en Asie.

L'impact des taxes sur la demande

S'agissant de la demande de produits pétroliers, il est nécessaire de rappeler que, dans bon nombre de pays, le prix n'est pas constitué que du coût seul de l'énergie vendue. Ainsi, en France, alors que le prix moyen d'un litre de supercarburant était, à fin 2013, de 1,50 euro, le pétrole comptait pour 0,51 euro, sa transformation et la mise à la disposition du client représentaient 0,13 euro, et les taxes s'élevaient à 0,86 euro, soit 57 % du prix payé par le consommateur. Les pouvoirs publics agissent ainsi, au moyen des taxes, sur la demande d'un produit, notamment d'un carburant routier.
En courte période, l'élasticité de la demande en produits pétroliers est relativement faible : en cas de hausse ou de baisse du prix, la variation de consommation est limitée. En revanche, sur plus longue période, des changements de comportement de conduite (écoconduite, réduction de la vitesse...) ou de solutions de mobilité interviennent chez les utilisateurs. S'ajoutent les effets de l'évolution des règlementations (réduction des émissions de CO2, de polluants...) et les progrès technologiques réalisés par les constructeurs automobiles (baisse de la consommation aux 100 km). Dès lors, une certaine élasticité-prix de long terme peut être observée, ce qui repousse d'autant la perspective d'une pénurie. À long terme, et même s'il comporte une part significative de taxes, le prix agit donc sur la demande et les choix des consommateurs. Il constitue alors un levier essentiel de maîtrise de la ressource.
Pour les autres usages, les pouvoirs publics ont favorisé la substitution d'autres énergies au pétrole, en particulier l'électricité d'origine nucléaire. Ainsi, la France, qui consommait 108 millions de tonnes de produits pétroliers en 1979, a abaissé ce chiffre à 76 millions de tonnes en 2012, soit un niveau du même ordre que celui du début des années 1970. La construction et la mise en service d'un parc de centrales nucléaires au cours des années 1980 et 1990 a profondément modifié la structure de la consommation d'énergie du pays. Cet effort d'investissement a été rendu d'autant plus possible que la hausse du prix du pétrole a été significative entre 1980 (34 dollars/baril) et aujourd'hui (100 à 110 dollars/baril).
Au cours des années récentes, le contenu en énergie de chaque unité de PIB des pays de l'OCDE a baissé de manière continue, alors que celui des pays émergents (Chine en tête) n'a cessé de croître. La raison tient à l'évolution même de la nature de l'activité dans les pays de l'OCDE, une activité de moins en moins industrielle alors que la Chine devenait, avec certains autres pays des BRICS 2, l'« atelier du monde ». Si l'on observe dans certains pays une dé-corrélation entre croissance économique et croissance de la demande en énergie, le relais est pris par d'autres (Chine et Inde en particulier) dans la croissance de la demande en énergie, notamment en pétrole. Ceci contribue à maintenir un niveau de prix du baril élevé, autour de 100 euros, niveau auquel se sont adaptés les pays consommateurs.

Le rôle de l'efficacité énergétique

Au-delà de ces mécanismes classiques de l'offre et de la demande, l'efficacité énergétique est un facteur puissant de maîtrise des ressources en énergie, susceptible d'éloigner la perspective d'une pénurie. Ici, à nouveau, l'effort de maîtrise de consommation sera d'autant plus grand que le prix de l'énergie économisée sera élevé.
Dans les années récentes, l'émergence des énergies renouvelables et le développement des hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz de schiste), combinés à l'efficacité énergétique, ont transformé en profondeur l'évaluation et la répartition des ressources en énergie dans le monde.
Le pétrole de schiste produit aux États-Unis contribue à rapprocher ce pays de l'indépendance énergétique. Au même moment, les pays du Moyen-Orient, jusqu'alors presque exclusivement producteurs, deviennent des pays consommateurs. La stabilité du prix du pétrole à un niveau relativement élevé, de l'ordre de 100 euros par baril, est le signe d'une certaine pérennité de la ressource. Il reste toutefois sensible aux aléas géopolitiques.
On assiste à une spécialisation croissante du pétrole, désormais de plus en plus réservé au transport et à la pétrochimie, où la substitution d'une autre énergie demeure difficile. Cette spécialisation, qui favorise le développement d'autres énergies, est rendue possible par le prix élevé du pétrole. Elle contribue fortement à éloigner la crainte de pénurie en limitant son utilisation aux usages les plus valorisés.
Le pétrole demeure cependant une énergie fossile dont les ressources sont en quantité finie et dont l'utilisation contribue à l'émission de gaz à effet de serre. Chacun doit garder à l'esprit les objectifs de lutte contre le changement climatique et veiller à un usage raisonné de cette ressource qui a contribué à changer le monde au XXe siècle. Un monde qui doit aujourd'hui trouver les clés d'une transition énergétique au cours de laquelle les énergies fossiles céderont progressivement la place à de nouvelles formes d'énergies nées de l'intelligence des hommes.

  1. L'élasticité-prix est le rapport entre la variation relative de la demande ou de l'offre d'un bien et la variation relative du prix de ce bien.
  2. BRICS est l'acronyme de Brésil, Russie, Inde, Chine, les pays émergents les plus importants à partir des années 2000, rejoints par l'Afrique du Sud à partir de 2010.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2014-3/un-equilibre-durable-entre-ressources-et-production.html?item_id=3403
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