Marie-Caroline LOPEZ

Journaliste spécialisée.

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La France peut-elle garder l'électricité la moins chère d'Europe ?

La question des prix de l'électricité, traditionnellement très sensible car liée au pouvoir d'achat des Français, s'est hissée ces derniers mois au rang de sujet stratégique national. Elle est devenue un des arguments pivots du vif débat autour de la place du nucléaire dans l'Hexagone.

« La France gardera l'électricité la moins chère d'Europe », affirmait Henri Proglio, Pdg d'EDF, à la fin du mois de juillet 2013 dans les colonnes du quotidien Le Monde. Avec cette déclaration, le patron de l'opérateur historique ne se contentait pas de tenter d'atténuer l'effet de la hausse, annoncée quelques jours auparavant, de 5 % du prix de l'électricité au 1er août 2013, puis de 5 % au 1er août 2014, et encore sans doute en 2015.
Il plaidait surtout en faveur du maintien de la place prépondérante du nucléaire en France, garant selon lui d'une électricité bon marché. Une projection controversée aujourd'hui, au moment où le gouvernement mène une réflexion sur la « transition énergétique » dans laquelle il veut engager la France.
D'abord, un constat : l'électricité française est effectivement parmi les moins chères d'Europe. Son prix demeure inférieur de 27 % au prix moyen en Europe, à la fois pour les particuliers et pour les entreprises, selon les « Chiffres et statistiques » publiés en novembre 2013 par le ministère de l'Énergie (données Eurostat). À 13,59 centimes d'euro (TTC) le kilowattheure (kWh) sur le marché résidentiel français, contre 18,79 en moyenne dans l'Union européenne et 20,04 dans la zone euro. « Mesuré en parité de pouvoir d'achat, ce prix est même de 37 % inférieur au prix moyen en Europe », souligne le ministère français.

La vraie facture

Mais attention, cela ne signifie pas pour autant que le Français est l'Européen qui paie la plus faible facture d'électricité. La consommation d'électricité des ménages français se classe, elle, parmi les plus élevées d'Europe, principalement à cause du chauffage électrique. Selon le rapport d'enquête du Sénat de juillet 2012, la France apparaissait en 2005 comme le pays de l'Union européenne dont la facture moyenne des ménages était la plus élevée (852 euros par an, contre 438 euros en moyenne dans l'Union), des facteurs climatiques et d'efficacité énergétique venant aussi influer sur la consommation électrique et donc sur la facture.
Le poids des taxes, très différent d'un pays à l'autre, explique une partie des différences de prix de l'électricité. Au Danemark, en Italie et en Allemagne (les trois pays les plus chers après Chypre et Malte, qui « paient » leur insularité), les taxes pèsent entre 28 % et 36 % du prix total, contre 16 % en moyenne en Europe. En Allemagne, la part totale de la fiscalité pour un consommateur résidentiel représentait 123 euros/MWh contre 42 euros/MWh en France en 2012.
D'autres pays, comme la Bulgarie, l'Estonie ou la Roumanie, pourtant peu (ou pas) équipés de réacteurs nucléaires, parviennent néanmoins à afficher des prix hors taxes d'électricité inférieurs aux prix français. « Dans certains pays de l'Est de l'Union européenne, le prix réglementé peut être plus bas [qu'en France], mais il ne reflète pas alors les vrais coûts », explique Jacques Percebois 1, directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie au sein de l'université de Montpellier, dans une interview à Atlantico. Certains gouvernements d'Europe de l'Est continuent à subventionner l'électricité pour épargner le pouvoir d'achat de leurs concitoyens. Une attitude que certains prêtent au gouvernement français via le financement du nucléaire, qui produit 75 % de l'électricité dans l'Hexagone.

Le vrai prix du nucléaire

En effet, si l'électricité nucléaire paraît la moins chère à produire, selon les critères couramment utilisés, tout dépend du panier de coûts pris en compte. D'après les calculs du ministère français de l'Énergie (Direction générale de l'énergie et du climat), réactualisés en 2011 par l'Union française de l'électricité (UFE), le mégawattheure nucléaire ressort à 42,3 euros, contre 55 euros/MWh pour l'hydroélectricité, 61 euros/MWh pour une centrale à gaz, 65 euros/MWh pour une turbine éolienne terrestre, 66 euros/MWh pour une centrale à charbon, 86 euros/MWh pour une centrale thermique au fioul, 143 euros/MWh pour une éolienne offshore et 217 euros/MWh pour l'électricité photovoltaïque. Ces chiffres sont à manier avec prudence, car ils résultent d'une série de paramètres et d'hypothèses très complexes, amenés à varier avec le temps ou le lieu.
Surtout, ce classement pourra être profondément modifié selon les éléments pris en compte pour calculer le coût de production nucléaire. Ainsi ce chiffre de 42,3 euros le MWh passe à 49,5 euros selon la méthode de calcul retenue par la Cour des comptes (janvier 2012) et à 54,4 euros/MWh selon EDF, en intégrant les investissements nécessaires pour prolonger la durée de vie du parc français actuel et les travaux prescrits par l'Autorité de sûreté nucléaire après l'accident de Fukushima.
Le Sénat va plus loin, dans un rapport remis en juillet dernier, en ajoutant des coûts pris en charge par l'État, comme la recherche publique (coût estimé à 7,11 euros/MWh) et l'assurance face à un accident majeur (9,83 euros/MWh). Ce qui fait ressortir le mégawattheure nucléaire à 71,3 euros, donc au-dessus du coût attribué à l'électricité fournie par une centrale à gaz, éolienne ou au charbon. Ce qui fait dire aux opposants au nucléaire que son avantage compétitif n'est dû qu'à cette forme de subvention publique. Le Sénat ne s'est d'ailleurs pas arrêté là. Il a également souligné les « coûts incertains » à introduire (par exemple celui du démantèlement des réacteurs, qui pourrait doubler, ce qui ajouterait 2,46 euros/MWh) et les coûts inconnus liés aux impacts sur l'environnement et la santé humaine, des éléments « non chiffrables ».
Indépendamment de l'évaluation du coût actuel du nucléaire, qui ne fait donc pas l'objet d'un consensus, il est par ailleurs certain que ce coût, quel qu'il soit, va grimper. Ainsi EDF a négocié un prix d'achat de 109 euros/MWh avec Londres pour l'électricité qui sera produite au Royaume-Uni, à partir de 2023 (au plus tôt), par les deux réacteurs EPR que l'opérateur français projette d'y construire. Ce qui donne une idée du coût futur de l'électricité issue de nouveaux réacteurs, et non plus d'un parc nucléaire déjà très largement amorti.

Une hausse inéluctable

La forte hausse de la facture globale d'électricité des Français d'ici à 2020 est également certaine. Selon la commission de régulation de l'énergie (citée par le rapport du Sénat), la facture-type d'un ménage (équipé d'un chauffage électrique) s'envolera de 50 % entre 2011 et 2020, passant en moyenne de 874,5 euros à 1 307 euros. Avec une hausse de 30 % dès 2016. En cause : la hausse du coût de production de l'électricité (+ 34 % d'ici à 2020) mais aussi des investissements nécessaires pour renforcer les réseaux électriques (liés notamment au développement des énergies renouvelables) qui devraient croître de 45 % dans les six années à venir.
À plus long terme, l'évolution du coût de l'électricité en France dépendra aussi de la place que le pays décidera de conserver au nucléaire ainsi que du type de moyens de production qui s'y substitueront. L'Union française de l'électricité a publié à la fin de 2011 une projection avec trois scénarios qui laissent en 2030 au nucléaire en France une part de 70 % de l'électricité produite, de 50 % (proche donc des objectifs de campagne de François Hollande) et de 20 %.
Le scénario « production nucléaire à 70 % » nécessite des investissements de 322 milliards d'euros. Le scénario
« production nucléaire à 50 % » entraîne, par rapport au premier scénario, des dépenses d'investissements supplémentaires de 60 milliards d'euros, soit un surcoût de 18 %. Enfin, la différence des niveaux d'investissements entre les scénarios « production nucléaire à 70 % » et « production nucléaire à 20 % » est de 112 milliards d'euros, soit une facture alourdie de 3 % par rapport au maintien du parc à son niveau actuel.

Inutile de dire que ces projections sont très largement discutées et contestées. Pas moins de onze autres scénarios ont été étudiés par un groupe de travail du débat national sur la transition énergétique. S'il est très hasardeux de tenter de prédire le niveau des prix de l'électricité en France à long terme, il est certain qu'il augmentera significativement. Plus ou moins que celui de ses voisins européens ? C'est une autre vaste question.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2014-3/la-france-peut-elle-garder-l-electricite-la-moins-chere-d-europe.html?item_id=3409
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