Économiste, auteur notamment, avec Jean Bosvieux, de l’ouvrage Le logement et l’État providence (2020), et de 15 questions de politique du logement (2020).
Mitage ou expansion urbaine cohérente ?
Une étude réalisée par la FFB montre que la localisation des constructions résidentielles sur la période 1996-2010 recèle une logique interne forte. De fait, l'étalement urbain observé s'est très majoritairement concentré au sein même des zones urbanisées, ce qui contredit l'affirmation trop réductrice souvent entendue qui stigmatise toute construction dans une zone supposée non tendue.
De récentes analyses ont montré que l'installation des ménages en zone périurbaine correspondait à une option véritablement choisie par ces derniers. Des critères qualitatifs peuvent expliquer cette prévalence : qualité de vie souvent associée à la maison individuelle, avec son coin de verdure, éloignée du bruit de la ville-centre, etc. C'est ce qui ressort notamment d'une étude du Commissariat général au développement durable (CGDD) qui vise à expliquer le degré du sentiment de bien-être des ménages dans leur quartier1. Elle montre ainsi que :
- plus les ménages s'éloignent de la ville-centre, plus ils accordent une note élevée à leur cadre de vie2 ;
- quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle du ménage, le périurbain semble toujours préféré à la banlieue, elle-même préférée à la ville-centre ;
- 25 % des ménages résidant dans des maisons isolées attribuent la note maximale au bien-être dans leur quartier, ce qui reflète une fois encore le fort attrait pour ce type d'habitat.
Mais des critères quantitatifs liés à l'importance de l'offre disponible ou à son prix expliquent aussi la localisation périphérique des biens recherchés. Il s'agit alors de répondre à une véritable contrainte économique, qui renvoie au rapport entre coût du logement et capacité financière du ménage3. Le fait que l'option retenue dépende de contraintes économiques ou financières n'ôte rien au fait que, dans de nombreux cas, il s'agit bien d'un choix.
Une étude sur la longue période
La FFB a souhaité compléter cette approche par une analyse empirique de ce que fut, sur les vingt-cinq dernières années, cette part du territoire qui a connu un fort développement de la construction neuve. Plus précisément, l'objet de nos travaux est double :
- s'interroger sur la pertinence de retenir, comme cela est couramment proposé, le découpage du territoire en zones de financement Scellier ou selon le zonage HLM (voir l'encadré) comme gradient des tensions en matière de logement ;
- mettre à l'épreuve de la réalité le discours récurrent depuis quelques années sur le « mitage » hasardeux du territoire et l'inquiétante érosion des « bonnes terres agricoles ».
Pour répondre à ces deux interrogations, nous avons réparti, au plan national, les constructions neuves de logements sur longue période4, au croisement entre zones de financement Scellier telles qu'elles étaient définies début 2011 et découpages successifs en aires urbaines de l'Insee.
L'ambiguïté du zonage Scellier
De prime abord (voir tableau 1), les volumes globaux de logements commencés entre 1986 et 2010 apparaissent importants en zones de financement B2 et C, supposées peu ou pas tendues. Plus précisément, ce sont respectivement près de 1,9 million et de 3,2 millions de logements qui ont été mis en chantier dans ces périmètres, soit 5,1 millions sur un total de 8,2 millions pour la France métropolitaine (61,6 % de l'ensemble).
Toutefois, ces mêmes logements relevant des zones B2 et C s'inscrivent majoritairement en zones urbanisées (aires urbaines ou communes multipolarisées), dans une proportion qui croît avec la transformation de ce découpage dans le temps (de 59,2 % des logements des zones B2 et C selon le découpage 1990 à 76,3 % selon le découpage 2010). Le constat est le même, bien que l'accroissement soit moins marqué, si on se limite à la zone C, où les logements construits au cours des vingt-cinq années considérées en zone urbanisée selon les découpages 1990 et 2010 représentent respectivement une proportion de 42,5 % et 65,1 %.
Ainsi, les territoires considérés comme peu ou pas tendus, au sens des zones de financement Scellier, concentrent en territoires relativement denses un nombre et une proportion de logements qui croissent avec le temps. De fait, en termes géographiques, l'élargissement des zones urbanisées se fait assez largement par voie de contiguïté, avec agrégation de communes limitrophes.
En complément, seules 40,8 % des constructions de logements en zones B2 et C s'inscrivent dans des espaces non urbanisés en 1990, proportion qui tombe à 23,7 % dans le découpage de 2010.
En cumul sur vingt-cinq ans, le nombre de logements construits dans un périmètre qui relève du rural ainsi que des zones B2 et C tombe donc à un chiffre compris entre 1,2 million et 2,1 millions, sur un total de 8,2 millions. La question de l'existence ou pas de besoins en logements se pose en fait seulement sur cette partie du territoire.
Tableau 1. Logements commencés en France métropolitaine entre 1986 et 2010, par zones de financement Scellier (2011) et découpages successifs en aires urbaines
Source : calculs FFB, d'après les données du CGDD SOeS et Sit@del2 et celles de l'Insee « Aires urbaines 2010 ».
Des tendances stables dans le temps en faveur des zones urbaines
Qui plus est, les dynamiques à l'œuvre entre 1986 et 2010 en ce qui concerne les différentes composantes du découpage en aires urbaines de 20105 s'avèrent particulièrement stables dans le temps. Ainsi, la part des logements construits chaque année dans les zones urbanisées évolue globalement peu entre 1986 et 2010, puisqu'elle reste comprise entre 82 % et 88 % sur l'ensemble de cette période.
Graphique 1. Part des logements autorisés et commencés en zones urbanisées
Source : calculs FFB, d’après les données du CGDD SOeS et Sit@del2 et celles de l’Insee « Aires urbaines 2010 ».
De façon plus fine, trois phases peuvent être distinguées :
- une tendance à la concentration de la construction de logements dans les zones urbanisées dans la seconde moitié des années 1980, pour atteindre un palier haut pendant la crise des années 1990 (en moyenne, 87 % des mises en chantier entre 1991 et 1998) ;
- suivie d'un léger relâchement au début des années 2000, conduisant à un palier bas dans la seconde moitié de cette même décennie (82 % des mises en chantier en moyenne entre 2004 et 2008) ;
- enfin, un rapide retour en faveur de la construction des espaces urbanisés en fin de période (respectivement 84 % et 86 % des mises en chantier en 2009 et 2010).
De plus, l'analyse de la dynamique par zones donne les mêmes tendances lorsqu'on analyse plus finement les types de construction. Ainsi, toujours sur la période qui court entre 1986 et 2010, les mises en chantier dans l'individuel comme dans le collectif s'éloignent peu de leur moyenne, soit respectivement près de 80 % et 92 % des constructions en zones urbanisées.
Le travail présenté ici est agrégé au niveau national et masque probablement certaines situations locales plus préoccupantes. Il n'en reste pas moins que les observations résumées dans cet article imposent de relativiser les critiques souvent lues ces dernières années quant au mitage du territoire et à l'artificialisation hasardeuse des sols du fait de la construction de logements... voire de la construction dans son ensemble, puisqu'on constate aussi, et c'est assez remarquable, des mouvements faibles et presque parfaitement complémentaires du non-résidentiel neuf autour d'une tendance qui s'établit à 86 % de surfaces construites en zones urbanisées6.
L'exercice retracé dans cet article illustre bien l'ambiguïté que masque le concept très général d'étalement urbain. Alors qu'il est souvent mobilisé pour dénoncer la destruction d'espaces naturels, la construction de pavillons, voire de zones pavillonnaires en pleine campagne, le processus de densification s'est très majoritairement opéré par contiguïté au sein même des zones urbanisées ou en cours d'urbanisation au cours des vingt-cinq dernières années. Plusieurs mécanismes permettent de l'expliquer : volonté de rester au plus près possible d'un bassin d'emploi et d'activité, volonté de desserrement de la famille en quittant la ville-centre pour son immédiate banlieue7, volonté de limiter le coût du supplément d'infrastructures nécessaires, etc.
Globalement, au regard des besoins, la question d'un éventuel gâchis en matière de construction de logements, du fait d'une localisation non pertinente, ne porte éventuellement que sur une part limitée des logements effectivement mis en chantier entre 1996 et 2010, de l'ordre de 25 % plus précisément. Et encore s'agit-il bien d'une question, puisqu'on ne peut assimiler sans précautions zone rurale et absence de besoins8.
Graphique 2. Part des surfaces non résidentielles autorisées et commencées en zonesurbanisées
Source : calculs FFB, d’après les données du CGDD SOeS et Sit@del2 et celles de l’Insee « Aires urbaines 2010 ».
Les différents zonages du territoire
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La nomenclature spatiale de l'Insee : les découpages en aires urbaines
Mis en place sur la base du recensement de 1962, le découpage en zones de peuplement industriel ou urbain (ZPIU) puis en aires urbaines de l'Insee a fortement évolué depuis. Synthétiquement, grâce à des critères de continuité du bâti, de nombre d'habitants, de nombre d'emplois et de mesure des navettes domicile-travail, il permet de délimiter des pôles urbains (composés d'une ou de plusieurs villes-centres et de leur banlieue) et des couronnes périurbaines (constituées de communes dont 40 % ou plus des actifs travaillent dans l'aire urbaine), dont la réunion forme les aires urbaines. L'adjonction à ces dernières des communes dites multipolarisées (situées hors d'une aire urbaine, mais dont au moins 40 % des actifs employés travaillent dans plusieurs aires urbaines) définit l'espace à dominante urbaine qu'on appellera « zones urbanisées » dans cet article. Par déduction, le reste des communes appartient alors à l'espace à dominante rurale, c'est-à-dire aux zones non urbanisées.
À noter que, depuis le dernier zonage de 2010, les communes des DOM intègrent pleinement le découpage (elles étaient auparavant classées, par défaut, hors espace urbain) et que les aires urbaines ont été hiérarchisées par tailles (grandes aires urbaines, moyennes aires urbaines et petites aires urbaines). Nous avons fait abstraction de ce changement de définition en reconstituant à champ « quasi constant » les découpages en aires urbaines de 1990, 1999 et 2010, afin notamment de conserver des pôles urbains communs à ces trois années.
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Les zones de financement : les découpages Robien, Scellier et locatif social
Il s'agit là d'une seconde approche qui vise à répartir le territoire selon le degré de tension estimé du marché local du logement, voire du seul segment locatif social.
Dans le premier cas, soit le zonage Robien, puis Scellier, ce découpage est construit sur la base d'indicateurs tels que la part des bénéficiaires des aides au logement ayant un taux d'effort supérieur à 39 % dans le parc locatif social, le prix moyen au mètre carré dans l'ancien, le nombre de transactions immobilières, le prix moyen au mètre carré des appartements neufs, le loyer moyen au mètre carré, la variation de la population, le taux de vacance des logements ou le nombre moyen de mises en chantier annuelles. Les communes sont alors rangées dans l'une des zones A bis, A, B1, B2, C, par ordre décroissant de tension estimée.
Il en va de même pour le locatif social, avec une décomposition du territoire selon les zones I bis, I, II et III.
- « Type d'habitat et bien-être des ménages », Études & documents, n° 63, Commissariat général au développement durable, janvier 2012.
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À l'exception de l'aire urbaine de Paris, où la ville-centre est préférée à la banlieue.
- Voir, par exemple, les travaux de Jean-Charles Castel (Certu) : « Les coûts de la ville dense ou étalée », « Le marché favorise-t-il la densification ? Peut-il produire de l'habitat alternatif à la maison individuelle ? », « Existe-t-il des lois de la croissance urbaine ? ».
- Selon les données du CGDD SOeS et Sit@del2.
- Les conclusions seraient les mêmes avec les zonages de 1990 ou de 1999, ce qui permet de ne pas retenir l'objection qui consisterait à remarquer qu'avec 95 % du territoire français sous influence urbaine, le découpage de 2010 n'a plus guère de sens.
- À ce titre, la base européenne Corine Land Cover permet de montrer que les pays de l'Union européenne connaissant la plus forte artificialisation de leurs sols sont les Pays-Bas (37 % de la superficie du pays), la Belgique (25 %), le Danemark (16 %) et le Royaume-Uni (16 %). La France ne vient qu'en cinquième position avec un taux de 12 %. Qui plus est, en France, les zones industrielles et commerciales ainsi que les grandes infrastructures de transport expliquent la majeure partie de cette artificialisation des sols, le résidentiel ne venant qu'en second rang.
- En effet, à superficie équivalente de logement en ville dense, les logements s'avèrent moins peuplés aujourd'hui qu'au début du XXe siècle. Le cas de Paris est particulièrement parlant, puisqu'on comptait près de 3 millions d'habitants au début du XXe siècle, contre environ 2,2 millions aujourd'hui, malgré la reprise observée depuis le début des années 2000.
- Voir les articles de Michel Mouillart et de Christophe Robert et Anne-Claire Méjean-Vaucher.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2012-6/mitage-ou-expansion-urbaine-coherente.html?item_id=3194
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