est administrateur civil. Coordinateur ministériel à l’intelligence économique pour les ministères économiques et financiers au moment où il a rédigé cet article, il vient d’être nommé haut fonctionnaire de défense et de sécurité adjoint au sein des mêmes ministères.
Entreprendre en Russie : un parcours à préparer
Proche de nous géographiquement et culturellement, la Russie apparaît comme un pays à la portée des entrepreneurs français. Les opportunités immenses qu'elle offre ouvrent des perspectives séduisantes et prometteuses. Néanmoins, entreprendre en Russie doit se préparer sérieusement.
La réussite dans l'environnement d'affaires russe est un parcours délicat, semé d'obstacles culturels, managériaux ou administratifs. Lorsqu'un chef d'entreprise s'oriente vers le marché russe, souvent à l'issue d'une étude de marché suivie de contacts privilégiés et d'un premier déplacement in situ, et après identification de la ville ou de la région cible, il lui revient de trouver le lien professionnel local qui lui permettra de lancer son activité. En effet, les procédures en usage en Russie ne sont pas celles de l'Union européenne et la présence d'un intermédiaire fiable s'avère indispensable.
À ce titre, plusieurs services de l'administration française - au premier rang desquels le Service de coordination à l'intelligence économique de Bercy - offrent une expertise aux entrepreneurs. D'abord, pour déterminer les points d'entrée en Russie, différentes options sont offertes par l'intermédiaire de l'ambassade de France, d'Ubifrance, du Club France (chambre de commerce et d'industrie française en Russie), des conseillers du commerce extérieur, des cabinets de conseil... L'objectif étant, ensuite, d'identifier le bon partenaire russe et de nouer avec lui une relation de confiance. Bénéficier de réseaux soigneusement identifiés et entretenus, puis recourir à une veille compétitive et stratégique est une impérieuse nécessité.
Trouver l'appui de partenaires locaux
La sécurisation de la future activité passe obligatoirement par le soutien de partenaires locaux au-dessus de tout soupçon pour éviter tout problème de corruption ou de détournement de fonds. La complexité et le caractère parfois « rugueux » des négociations avec les Russes pour la signature de contrats doivent être appréhendés à travers un prisme culturel qui privilégie les rapports de forces interpersonnels. Ainsi, une bonne relation avec les administrations russes permet d'éviter certains désagréments bureaucratiques (douanes, certification des produits importés...). De même, des cabinets de conseil compétents doivent être consultés pour vérifier les aspects juridiques, dont la mise en conformité de l'activité avec les règles en usage en Russie (gestion des visas ou des titres de séjour des collaborateurs français, par exemple). Le montage d'une joint-venture peut également faciliter l'implantation et un accès plus rapide au marché russe.
Le projet doit s'inscrire dans une perspective durable, afin de bâtir avec les partenaires locaux des relations professionnelles équilibrées, qui accorderont une place importante à la tradition russe du don et du contre-don : cadeaux d'anniversaire, repas pour fidéliser les futurs associés, vacances conjointes...
En effet, rien ne peut remplacer la relation du franc-parler, particulièrement appréciée des acteurs locaux. Dans cette perspective, la connaissance de la langue constitue un atout, les Russes se sentant particulièrement flattés lorsqu'un étranger fait l'effort d'apprendre leur langue. Enfin, il convient de rester serein et de savoir décoder les projets russes, parfois extrêmement complexes et séduisants de prime abord, mais qui peuvent être éloignés des réalités. Il faut donc se garder de céder à l'ivresse du moment, se montrer pragmatique et vigilant lorsqu'il s'agit de signer un contrat.
Dans tous les cas de figure, les autorités françaises peuvent venir en appui aux entrepreneurs et faciliter leurs démarches, tant auprès des différentes administrations que des partenaires des deux pays. Un accompagnement individualisé et « sur mesure » peut ainsi être envisagé.
Intégrer l'intelligence culturelle...
Au-delà des aspects spécifiquement techniques, deux observations d'ordre plus général méritent d'être faites : l'action de nos chefs d'entreprise à l'international doit intégrer l'intelligence culturelle comme facteur essentiel de réussite ; et nous devons tous nous inscrire dans l'« esprit commando » pour intervenir sur ces nouveaux TOE, théâtres d'opérations économiques et non plus seulement extérieures.
L'intelligence culturelle implique la volonté de s'extraire de son propre biotope pour mieux connaître l'Autre. Cette démarche ne se résume pas à recueillir des informations, elle consiste aussi à vouloir comprendre la culture de l'autre, l'accepter comme telle, se familiariser avec son univers mental, ses référents sociétaux, ses codes et ses valeurs. En somme, c'est adopter son référentiel en plus du sien, afin de bâtir conjointement des passerelles et de nouer des liens solides. Il convient donc tout à la fois de rechercher chez son interlocuteur ce qui nous ressemble et nous rassemble et, simultanément, de faire preuve d'une large ouverture d'esprit. Bref, il s'agit de cerner le mieux possible l'écosystème environnemental de sa cible. Une démarche que nous pourrions appeler French touch.
En effet, cette faculté d'ouverture, d'écoute et d'adaptation constitue un véritable atout français. Cette alliance subtile de culture et d'intelligence des situations repose avant tout sur des relations humaines de qualité, établies dans le cadre de relations décomplexées et gagnantes-gagnantes avec nos partenaires. L'envie d'entreprendre est consubstantielle au désir de connaître les autres et d'agir avec eux, au désir aussi de découvrir de nouveaux territoires à explorer et à faire fructifier. Cette posture doit d'abord prendre dans nos esprits. La French touch, c'est notre manière à nous d'« être au monde », qui a permis à l'esprit français de rayonner longtemps sur l'Europe et sur la planète. Elle est, comme le disait le général de Gaulle, l'art de diffuser « une certaine idée de la France ».
... et l'« esprit commando »
Simultanément, il nous faut renouer collectivement avec l'« esprit commando », savoir faire preuve tout à la fois d'audace et de détermination. Si la croissance est molle chez nous, allons la chercher là où elle est plus forte. Pour cela, retrouvons l'esprit de conquête, saisissons les opportunités qui s'offrent, soyons réceptifs aux attentes des autres peuples, mais sachons aussi faire preuve d'humilité, reconstruisons avec patience et ténacité nos stratégies et nos outils tactiques dans cette guerre économique d'un nouveau genre. Les militaires français qui sont projetés dans des zones lointaines et difficiles maîtrisent parfaitement ces savoir-faire. Les entrepreneurs ont tout à gagner à s'en inspirer.
Il nous faut sortir de cette ambiance générale du repli sur soi qui paralyse la société française. Nous avons des talents et du potentiel, ajoutons-y la volonté. Plus que jamais, l'humain doit être pris en compte dans la guerre économique actuelle. Dans les nouvelles alliances de demain, savoir décrypter son interlocuteur, le percevoir comme un homme dans toute sa dimension constitue un atout maître. Tout ne se résout pas en équations ou en séries statistiques. L'esprit de conquête, c'est une disposition intérieure que l'État avec son administration modernisée et la société civile doivent impérativement recouvrer dans le cadre d'un nouveau partenariat patriotique public-privé (PPPP).
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