Sommaire N°18

Novembre 2007

Georges RIGAUD

Avant-propos

Logement : comment sortir de la crise ?

Michel MOUILLART

Des besoins durablement élevés

Patrick SIMON

Immigration et besoins de logements : une équation inconnue

Patrick De LA MORVONNAIS

La France éclatée

Quelques données chiffrées...

Patrick DOUTRELIGNE

Réorientons l'effort de la collectivité

Xavier EMMANUELLI

"Il faut une grande politique contre l'exclusion"

Frédéric CHASSAGNE

Les états d'âme du "coeur" de la population française

Christine CORBILLE, Gérard LACOSTE

Pénurie et ségrégation en Ile-de-France

Dominique MIGNOT, Louafi BOUZOUINA

Les disparités entre communes augmentent

Franck BOUAZIZ

Une crise de l'offre et de la solvabilité

François ASCHER

Notre démocratie locale est inadaptée

Claire DELPECH, Olivier LANDEL

L'intercommunalité, une bonne échelle

Jean-Claude DRIANT

Les trois enjeux de l'accroissement de l'offre

Bernard REICHEN

Mobilité, intensité, densité : les nouvelles équations de la ville territoire

Olivier PIRON

Du bon usage de la densification

Christine BOUTIN

Un toit pour tous

Marie-Noëlle LIENEMANN

Pour une politique globale cohérente

Christian BAFFY

Les défis du "construire plus et mieux"

Le débat d'idées, facteur de progrès pour l'entreprise

Philippe LEMOINE

Savoir où l'on va

Philippe RAYNAUD

L'idée et l'entreprise

Monique CANTO-SPERBER

L'entreprise, philosophie et éthique

Jean-Yves NAUDET

Pas d'entrepreneur sans éthique

Pierre FAYARD

De l'espace et de la tradition

Evelyne JOSLAIN

Les think-tanks, renfort des entreprises américaines

Patrick DOUTRELIGNE

est délégué général de la fondation Abbé Pierre.

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Réorientons l'effort de la collectivité

Il manque aujourd'hui en France plus de 850 000 logements, et près de 3,5 millions de personnes sont mal logées, explique le délégué général de la fondation Abbé Pierre qui appelle de ses vœux une réaffirmation du rôle de l'Etat prenant en compte les défavorisés et les plus modestes. Pas nécessairement par le biais de l'accession à la propriété.

La pénurie de logements est bien sûr l'explication première de la situation actuelle. Le décalage entre l'offre et les besoins s'accroît au détriment des ménages modestes et défavorisés, avant de toucher, depuis peu, également les classes moyennes. Le phénomène est d'autant plus surprenant qu'il n'a pas été anticipé par les statisticiens de l'Insee qui prévoyaient des besoins de l'ordre de 300 000 logements par an. Les rectifications, quelques années après, démontreront que les besoins auraient dû être estimés à 340 000 logements par an compte tenu de l'évolution démographique et sociologique de la société française et qu'il faut les porter à 400 000 pour les années à venir.

Une demande désolvabilisée

La pénurie actuelle entraîne des modifications déraisonnables du marché. Au cours des six dernières années, dans l'ancien, les coûts d'une maison, d'un appartement, du foncier ont pratiquement doublé. Les loyers en relocation ont parfois subi des hausses de plus 14 % par an. Parallèlement, les ressources moyennes des ménages ont augmenté dans la même période d'à peine 24 %.

Ces augmentations modifient la structure du budget des ménages qui consacrent maintenant un quart de leurs ressources à l'habitat. La confirmation récente de cette situation par l'enquête de l'Insee, si elle était déjà perceptible par de nombreux ménages, tend à démontrer et confirmer que la crise est bien au cœur du système actuel.

Beaucoup d'indicateurs sont inquiétants. Si les chiffres de la construction sont favorables grâce aux mises en chantier proches ou supérieures à 400 000 logements par an depuis deux ans, témoignant d'une reprise vigoureuse, une analyse plus fine doit refroidir un optimisme prématuré. La production de 410 000 logements en 2005 et de 416 000 en 2006 est en effet un élément positif dans le contexte actuel, mais elle révèle, en réalité, des situations contrastées.

Une production en décalage avec les besoins

Seul un quart de cette production (24 % exactement) concerne plus des deux tiers des ménages, ceux qui sont sous le plafond de ressources permettant l'accès à un logement social. Inversement, les trois quarts de la production ciblent seulement 30 % de la population, la plus aisée. Nous assistons donc à un paradoxe où cette production massive ne correspond pas à la demande majoritaire et tend même à accroître les écarts.

La crise se traduit par des taux d'effort en forte croissance, des délais et des files d'attente pour accéder au logement social de plus en plus longs. Le recours à l'hébergement en structures ou chez des tiers dépasse le million de personnes et enfin, en bout de liste, pour les plus modestes ou les jeunes, se développe le recours à des solutions alternatives indignes comme le logement insalubre, les voitures, le camping à l'année, le squat, les abris de fortune ou la rue.

Plus de 3 millions de mal-logés

Qui sont les mal-logés ?

  • entre 86 000 (Insee 2001) et 150 000 (estimation associative) personnes à la rue ;
  • plus de 970 000 personnes privées de domicile personnel (logement temporaire, provisoire ou de fortune, cabane, squat…) ;
  • plus de 1,150 million de personnes vivant dans des logements dépourvus de deux des trois éléments de confort de base (salle de bains, WC, chauffage) ;
  • plus d'un million de personnes vivant en situation de surpeuplement critique (manquent au moins deux pièces par rapport au " standard ").

Ce chiffre de 3,2 millions de personnes sous-évalue la situation réelle, car il se réfère à des critères de confort ou d'espace minimum qui ne permettent pas de dégager des réalités plus insupportables.

  • Aux 1,150 million de personnes vivant dans des logements privés des éléments de confort de base, il faudrait ajouter celles vivant dans un logement dont l'état d'entretien est très préoccupant, avec des défauts caractéristiques (revêtements très dégradés, façade en ruine, fils électriques à nu, inondations dues à la plomberie…). Près de 10 % de la population vivent dans de telles conditions.
  • Au million de personnes en situation de surpeuplement critique, on pourrait ajouter le surpeuplement simple (standard moins une pièce) et c'est alors plus de 3,5 millions de personnes qui sont concernées.

Un certain sentiment d'impuissance

Des ressources faibles et souvent précaires, voire des situations d'endettement rendent les choix budgétaires complexes et les fins de mois difficiles. La dernière enquête nationale sur le logement dénombrait 1,5 million de ménages ayant des difficultés pour régler le loyer, dont plus de 600 000 ont connu un retard de loyer. La moitié de ces retards est équivalente à plus de deux mois de loyer et, là encore, ces ménages vivent en plus des difficultés budgétaires et économiques avec la crainte de voir débarquer un huissier.

Chaque année, plus de 100 000 ménages sont assignés au tribunal pour une procédure d'expulsion. L'épée de Damoclès au-dessus de leur tête accentue leur sentiment d'impuissance vis-à-vis de leur avenir ou celui de leur famille. Et pourtant ces ménages ont des enfants pour lesquels ils ont des espérances, des ambitions.

Dans le parc social ou le parc locatif privé dans les quartiers en difficulté, les modalités de peuplement ne sont pas indépendantes de la situation du marché du logement dans sa globalité. Le parcours du combattant d'un demandeur de logement aboutit, bien souvent, pour les modestes et ceux d'origine étrangère, dans un quartier sensible, contribuant ainsi à renforcer sa spécialisation sociale et son rôle d'accueil pour ceux n'ayant pas trouvé d'autre place dans la ville.

Cette analyse est renforcée par l'étude de la mobilité des habitants en ZUS (zones urbaines sensibles), démontrant le caractère sélectif où les plus fragiles y restent et les plus qualifiés, ou ceux aux emplois les plus stables, ont tendance à quitter ces quartiers. La trajectoire résidentielle semble ainsi conforter l'effet de " nasse " évoquant les quartiers d'habitat social, alors que l'effet de " sas " pensé initialement n'est réservé qu'à la partie la plus solvable.

La volonté politique en question

Ce rôle de tremplin social pour les uns et d'accueil pour les plus fragiles devrait conduire à mobiliser davantage d'énergie, de moyens et surtout de volonté politique pour permettre à ce type d'habitat de remplir toutes ses missions. La position du logement social est paradoxale, car il est refusé par de nombreux maires qui soulignent tous les défauts engendrés historiquement par ces grands ensembles concentrant des ménages modestes. Or, on ne construit plus de tours ou de barres depuis vingt ans et ce logement à loyer modéré est la seule réponse apportée à ceux qui sont confrontés à la précarité ou à la paupérisation. Ce phénomène est accentué par la disparition progressive de logements abordables dans le parc locatif privé. On pourrait ajouter la discrimination raciale insuffisamment combattue, l'absence de perspectives de développement social et d'offre locative diversifiée plus attractive.

L'effort de la collectivité nous paraît mal orienté, privilégiant des aides fiscales afin d'améliorer la production sans introduire de contreparties sociales sérieuses en termes de loyer ou de conditions de ressources pour y accéder. Ces aides participent à la fabrication de la ségrégation sociale et entraînent une politique inflationniste qui contribue à la mise à l'écart des ménages modestes, bien sûr, mais touchant progressivement aussi les classes moyennes.

L'augmentation de la production conséquente de logements à loyer accessible est la première des conditions pour résorber cette crise. Toutes les solutions doivent être étudiées : au-delà de la construction indispensable de vrais logements sociaux, il faut nouer des partenariats avec les promoteurs privés afin de réserver contractuellement une partie de leur réalisation d'habitat à loyer conventionné. Il faut impliquer la propriété privée en utilisant l'arme de la défiscalisation en proportion avec l'effort de solidarité et le niveau de loyer proposé, tant sur l'offre neuve qu'ancienne. Le conventionnement est sous-utilisé dans les stratégies actuelles.

Accroître la production de logements sociaux

La politique foncière, grande absente des orientations des pouvoirs publics au XXe siècle, à quelques exceptions près, doit être au cœur des politiques d'aménagement du territoire et des plans locaux d'urbanisme. La mise en réserve de terrains pour le logement à loyer accessible est impérative. La répartition sociale et géographique des logements à vocation sociale sur le territoire ne doit pas être livrée aux seules règles du marché. Les pouvoirs publics doivent élaborer des politiques anticipatrices et équilibrées sur le développement des zones urbaines, semi-urbaines, voire rurales lorsqu'elles correspondent à une demande.

La part de logements sociaux et très sociaux doit remonter significativement dans la production actuelle. L'annonce de 120 000 logements sociaux par le gouvernement est une orientation pertinente, aux seules conditions de logements à loyer vraiment accessible et à leur réalisation effective.

L'Etat doit se doter de nouvelles capacités d'intervention, d'évaluation, de substitution, faute de quoi c'est un " Etat sans bras " qui accompagnerait le processus de décentralisation et qui se montrerait fort démuni pour exercer son rôle de garant de la solidarité nationale. L'accès à la propriété pour tous affichée par le gouvernement est un objectif séduisant, mais est-il raisonnable ?

Payer une mensualité plutôt qu'un loyer, pouvoir transmettre à sa descendance un bien, sécuriser les jours futurs, en particulier dans une période où des incertitudes pèsent sur les retraites à venir, sont autant d'arguments qui plaident judicieusement pour l'accession à la propriété. Mais faire croire à certaines catégories de Français qu'ils en ont les moyens, est-il un objectif ?

Les risques de l'accession généralisée à la propriété

Au moment où les prix sont au plus haut, où le pouvoir d'achat des ménages modestes est en stagnation, peut-on orienter ces personnes modestes vers l'accession à la propriété sans risques ? Le risque, justement, est important pour ces familles qui sont enclines à franchir le pas malgré une solvabilité limitée. Mais le risque est aussi à ne pas négliger pour l'économie et le système bancaire. Voyons la situation aux Etats-Unis où les " subprimes ", prêts consentis à des ménages à risques (ressources faibles, irrégulières, provisoires), ont entraîné en plus des nombreuses saisies immobilières, un déséquilibre sur le marché bancaire et financier dont les répercussions sont mondiales.

Bien sûr, le contexte français est différent ; bien sûr, les banques françaises n'ont pas adopté ce type de comportement, mais il faut savoir en tirer les enseignements. Favoriser l'accession à la propriété demande une vision prospective fine des choix budgétaires et un ciblage adapté du public et des produits immobiliers.

L'Etat peut encourager le marché, mais il ne peut ni s'y substituer, ni le laisser agir sans une intervention attentive aux plus modestes et protectrice des défavorisés.

La loi sur le droit au logement opposable doit pouvoir, et même devrait, concourir à résoudre une partie de la crise, mais à la condition de prendre les mesures indispensables en confirmant le rôle des collectivités locales et en confiant à l'Etat un rôle de garant.

Le rôle de l'Etat doit être réaffirmé et cette attitude n'est pas en contradiction avec la décentralisation. L'implication dans la vigilance sur le respect des lois, le souci de rééquilibrage des ressources entre les communes au-delà des seules dotations globales de fonctionnement ou celle de solidarité urbaine, l'incitation des élus à respecter les objectifs de construction en conditionnant éventuellement d'autres aides ou soutiens de l'Etat, relèvent de ses responsabilités.

Ses représentants ont gardé une autorité, fût-elle partagée, pour intervenir dans le cadre des plans départementaux d'aide pour le logement des personnes défavorisées, des programmes locaux de l'habitat et c'est également à ce niveau qu'ils pourraient exercer leur pleine responsabilité.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2007-11/les-trois-enjeux-de-l-accroissement-de-l-offre.html?item_id=2804
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