Quand le contre-pouvoir prend le pouvoir : l’écologie
Autrefois, les écologistes s’occupaient d’écologie, sans débordement et avec des arguments scientifiques. Ce contre-pouvoir s’est transformé en pouvoir puissant, appuyé sur des idéologies fortement relayées, mettant la science et la prospérité de côté.
L’écologisme a pris le pouvoir, pour notre plus grand malheur. Il résulte de la victoire des militants de l’écologie politique une croissance du coût de l’électricité, les drames des agriculteurs et de l’industrie automobile. Alors que les scientifiques traitent toujours de la réalité des transformations du monde et de l’environnement, l’écologie politique s’est diffusée bien au-delà de ses militants, s’ancrant fermement au sein des pouvoirs médiatiques et institutionnels. Ce ne sont plus seulement des défenseurs de la nature qui s’expriment et qui orientent l’action publique, mais des apôtres de la décroissance et des adversaires du capitalisme occidental. Les écologistes, parvenus au pouvoir, n’entendent pas améliorer la productivité, l’efficacité et l’abondance. Ils se présentent en contre-pouvoir, alors paradoxalement qu’ils tiennent plus que jamais les pouvoirs, dans l’ambition de protéger une nature mythifiée.
De l’écologie à l’écologisme
Il y a plus d’un demi-siècle déjà, il était évident que la croissance de la population, l’industrialisation, le développement de la circulation automobile, les nouvelles pratiques agricoles et le tourisme de masse avaient des effets profonds, parfois irréversibles, sur l’environnement.
La croissance des richesses produit d’importantes « externalités ». Ainsi, en France, dès 1971, fut nommé le premier ministre de l’Environnement : Robert Poujade. Cette année-là fut aussi celle de la publication du rapport du club de Rome Halte à la croissance ? ; les malthusianistes renaissaient.
En 1974, René Dumont fut le premier à porter la bannière de l’écologie à une élection présidentielle. Il obtint beaucoup de sympathie et 1,32 % des voix. En 1981, ce fut Brice Lalonde qui prit cette étiquette et recueillit 3,88 % des votes exprimés. Quarante et un ans plus tard, en 2022, pour Yannick Jadot, le candidat écologiste, le score fut de 4,63 % des voix. La progression est évidente, mais demeure modeste. Si donc les écologistes n’ont jamais remporté de spectaculaires résultats électoraux, sauf à des élections européennes, comment se fait-il qu’ils exercent une telle influence paradigmatique sur l’ensemble des politiques françaises et européennes ?
Certes les grandes associations écologistes sont actives depuis des décennies à l’échelon européen, mais c’est seulement avec la tragédie du Rainbow Warrior (1985) que le grand public en entend parler en France et commence à leur accorder une réelle légitimité. Depuis, leur influence n’a cessé de croître. Il faudra attendre le début de ce siècle pour que la pénétration systématique et profonde d’une doxa écologiste, pour le moins partielle et trop souvent partiale, touche tous les échelons de l’administration, là où se préparent les textes législatifs et se rédigent les décrets d’application.
En politique, la manière dont on passe d’un problème (la solidarité entre générations, l’équilibre des comptes sociaux, la lutte contre le réchauffement climatique, le déficit de la balance des paiements, la production agricole, etc.) à des solutions (l’âge de la retraite, le taux de croissance des dépenses d’assurance maladie, la politique énergétique, les subventions aux producteurs ou aux productions, etc.) ne doit jamais rien au hasard. Elle est historiquement, politiquement et techniquement déterminée par la technostructure pénétrée d’idéologie qui, consciemment ou non, partage une manière de voir le monde et évolue avec l’air du temps. La philosophie des sciences, et notamment les travaux déjà anciens de Thomas Kuhn 1, peut aider à analyser ce processus essentiel, profondément transformé par l’écologie politique depuis le début du XXIe siècle. En effet, on ne peut pas « tout » étudier simultanément. Il y a plus d’un demi-siècle déjà, Kuhn remarquait que les scientifiques y parviennent grâce à un « paradigme », c’est-à-dire un ensemble cohérent de théories, de lois, de concepts, de méthodes, voire d’outils, qui définissent mais aussi limitent a priori leur manière de voir le monde pour tenter de le comprendre.
Un ancien contre-pouvoir maintenant au cœur du pouvoir
Un corpus sociotechnique est toujours porteur d’une idéologie sous-jacente. Elle évolue avec l’opinion du corps social. Depuis le début de l’année 2022, avec la guerre en Ukraine, le rôle joué par le paradigme écologique dans le domaine de l’énergie devient manifeste et l’on constate qu’il joue un rôle majeur sur la croissance du coût de l’électricité. Les écologistes ont en effet toujours combattu l’industrie nucléaire. On en mesure maintenant les dégâts.
Il en est de même pour l’agriculture, où les conséquences de leur action idéologique favorisent la croissance des prix des produits alimentaires : les produits « bio » sont au moins 30 % plus onéreux. Quant à la balance des paiements des produits agricoles de la France, faute de produire en quantité des produits de base exportables sur le marché mondial, elle se détériore et n’est plus positive que grâce au vin et aux spiritueux.
Ainsi, l’idéologie politique peut être très influente, même quand ses élus au Parlement sont peu nombreux. Il est difficile de croire à la naïveté permanente, tant les enjeux financiers, économiques et, donc, sociaux sont considérables, mais là est la force du paradigme : il est pour tous « évident ». Certes la remise en cause du « système » est radicale, mais elle est largement relayée par un allié de poids : la grande majorité des médias. La rédaction des textes législatifs et réglementaires est donc influencée par ces nouveaux paradigmes, comme le sont les tribunaux.
Progressivement, l’écologisme s’est enraciné dans l’appareil d’État, avec éclat. Élisabeth Borne, Première ministre, mais aussi ancienne directrice de cabinet de Ségolène Royal quand elle était ministre de l’Écologie (de 2014 à 2015), a organisé en 2022 une catéchèse obligatoire pour tous les hauts fonctionnaires. L’évangélisation commence par ceux qui ont le plus de pouvoir : les directeurs d’administration centrale, les membres des cabinets ministériels, les préfets. Puis les missionnaires doivent ensuite toucher 25 000 fonctionnaires.
Une première étape, d’une durée de trois heures et demie, « vise à apporter aux cadres supérieurs de l’État un ensemble de connaissances communes sur les trois crises écologiques que sont la crise climatique, la crise des ressources naturelles et la crise de la biodiversité ». Il sert de socle général à une formation baptisée « Mon parcours transition écologique 2 » par le ministère de la Fonction publique, chargé de la mettre en œuvre. Ne doutons pas qu’en trois heures et demie ils auront tout compris du climat, des matières premières et de la biodiversité et saisi les infinies nuances du thème, pour appliquer avec justesse et efficacité les mesures qui s’imposent !
Écologie politique, écologie idéologique
Alors que la Terre se réchauffe, les écologistes déclarent que la priorité des priorités est de limiter le rejet de gaz à effet de serre avant que, disent-ils, « il ne soit trop tard ». Toutefois, la réalité des politiques qu’ils ont inspirées et inspirent est tout autre, si bien qu’ils vont trop souvent à l’exact opposé de l’objectif qu’ils prétendent rechercher.
Ainsi, prisonniers de leur idéologie, ils ont combattu l’énergie nucléaire pour prôner les mérites des énergies renouvelables, dont les compléments essentiels sont les centrales thermiques au gaz ou au charbon, indispensables quand il faut produire de l’électricité durant les heures sans vent ou sans soleil. Les performances de l’Allemagne, dont le rejet de gaz à effet de serre baisse à peine malgré des investissements considérables, sont une illustration de cette coûteuse politique. Les conséquences touchent toute l’Europe, notamment la France, où les industries très utilisatrices d’énergie ferment.
La folle décision de l’UE d’interdire la vente des automobiles neuves à moteur thermique à partir de 2035 ruine l’industrie européenne. Elle favorise les entreprises chinoises fortement subventionnées et crée de nouvelles dépendances, car l’Europe ne dispose pas sur son sol des minerais pour fabriquer les indispensables batteries.
Le soutien dispendieux, lui aussi européen, à la filière hydrogène ne peut que conduire à des échecs. Les raisons tiennent à l’existence de principes élémentaires de la chimie. Les molécules d’eau et de méthane sont stables, il est donc indispensable de dépenser beaucoup d’énergie pour les casser. Si bien que, quand l’on prend en compte l’ensemble de la chaîne de production de ce combustible, une voiture à hydrogène rejette plus de gaz à effet de serre que celle qui utiliserait un moteur diesel. L’hydrogène n’est pas une source d’énergie, mais un vecteur d’énergie.
Quant à l’agriculture, elle est sacrifiée à la défense d’une nature qui n’existe pas. La voie aux extraordinaires progrès du génie génétique qui permettent d’obtenir rapidement des variétés de plantes ou d’arbres adaptés au réchauffement climatique est toujours fermée en France.
Ces politiques absurdes s’imposent parce que s’est instaurée une pseudo-démocratie d’opérette, celle des « conférences citoyennes ». Simultanément, les élites scientifiques, celles des académies et des ingénieurs, sont ignorées du pouvoir. Quant à la presse, si elle n’est pas toujours militante, elle ne dispose que trop rarement de journalistes ayant une compétence scientifique et technique qui puisse faire contrepoids et permette de relativiser les discours approximatifs et les prévisions apocalyptiques qui sont, le plus souvent, infondées.
Au passage, la dimension humaniste et sociale a été oubliée. Ce qui a permis de faire reculer la famine et d’améliorer la santé, ce sont les progrès de l’agriculture, de l’hygiène, de la médecine, de l’habitat et de l’industrie. Pour en bénéficier, il faut produire de l’énergie, qui est le sang des sociétés contemporaines grâce auquel on produit aliments, immeubles, routes, automobiles, avions, ordinateurs, médicaments, hôpitaux, etc. Là est toujours la priorité. Toute décroissance entraîne la misère.
Certes, il faut privilégier les procédés qui rejettent le moins de gaz à effet de serre : le nucléaire plutôt que les centrales thermiques au gaz ou au charbon, mais il n’existe pas encore de pratiques agricoles qui puissent nourrir 10 milliards d’êtres humains sans engrais et sans produits phytosanitaires et, malheureusement, si les écologistes persistent dans leur promotion du bio, sans déboisement d’une partie de la forêt équatoriale. On peut par ailleurs douter que les Français deviennent végétariens en un quart de siècle.
Quand existent des pratiques plus économes que d’autres, il faut les favoriser, mais la priorité est l’homme, et c’est effectivement ce que savent les responsables politiques du monde entier, à l’exception des Européens, qui agissent contre le bien-être de leur population. Certes, les grands pollueurs, les grands utilisateurs de pétrole et de charbon déclarent chaque année leurs bonnes intentions à la séance de contrition mondiale annuelle que sont les COP, mais ces pénitents, une fois revenus chez eux, ayant lavé leurs fautes, construisent de nouvelles centrales thermiques et certains promeuvent la vente de leur gaz ou de leur pétrole.
Tout cela suscite peu de réactions car de facto l’on interdit de débattre de ces questions en limitant l’accès des sceptiques aux médias. Les idées politiques extrêmes peuvent être débattues mais pas les controverses scientifiques et techniques parce qu’il est vrai qu’elles présupposent quelques connaissances et ne sont pas seulement une affaire d’opinion. La base de tout raisonnement scientifique est le doute. En la matière, le scepticisme n’est pas une tare, mais un impératif. S’il ne faut pas de raison pour croire, il en faut pour douter.
Or, pour le pouvoir écologiste maintenant en place, il est désormais plus facile d’excommunier que de débattre. Aujourd’hui, à l’évidence, le simple fait d’évoquer la nécessité de débats scientifiques approfondis a pour seul effet direct de produire une définitive excommunication médiatique dans la majorité des supports de la bien-pensance, comme si les hypothèses avaient un caractère sacré. L’excommunication a toujours été la réponse pavlovienne des religions. Il n’en est ressorti que des drames.
Le fond du grave problème est que l’on peut donc se dire écologiste et mal comprendre l’écologie, au nom d’une nature mythifiée. On peut aussi exercer le pouvoir idéologique sans avoir été élu : une performance remarquable !
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2025-3/quand-le-contre-pouvoir-prend-le-pouvoir-l-ecologie.html?item_id=7948
© Constructif
Imprimer
Envoyer par mail
Réagir à l'article