Catherine GUERNIOU

Dirigeante de La Fenêtrière, cheffe de file RSE à la FFB.

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Le carbone dans le bâtiment, le bâtiment dans la décarbonation

Le secteur du bâtiment joue un rôle essentiel aussi bien dans les stratégies globales qui ambitionnent la neutralité carbone que dans la réalisation, au quotidien, de la décarbonation de nos existences. Réussir la transition écologique, pour le bâtiment et par le bâtiment, nécessite de profonds changements et appelle des aides efficaces. C’est un défi fait de progrès technologiques et de perspectives enthousiasmantes dans lequel s’implique pleinement la profession.

Le secteur du bâtiment compte directement et indirectement pour 38 % des émissions mondiales de CO2 liées à l’énergie 1 , avec un volume de bâtiments construits chaque semaine équivalent à la taille de Paris. Compte tenu de la contribution du secteur de la construction aux émissions de gaz à effet de serre, ces nouveaux logements, bureaux et équipements doivent être construits et gérés de manière durable. Cependant, selon les différents rapports, au niveau mondial, l’empreinte carbone de ces nouvelles constructions n’est évaluée que dans moins de 1 % des cas. C’est dire toute l’ampleur de ce qu’il reste à faire.

La consommation d’énergie et les émissions mondiales de gaz à effet de serre associées aux logements ont augmenté régulièrement jusqu’à 2019, et les estimations suggèrent que la pandémie mondiale n’a eu que de modestes effets sur cette tendance. Les principales raisons de ces augmentations sont l’utilisation continue du charbon, du fioul et du gaz naturel pour le chauffage et la cuisine ; la croissance de la population mondiale ; la hausse du pouvoir d’achat dans les économies émergentes et les pays en développement ; la croissance globale de la demande de services consommateurs d’énergie.

Avec une population mondiale qui devrait augmenter de 2 milliards de personnes d’ici à 2050, les nouveaux bâtiments auront un effet important sur la consommation d’énergie et les émissions de CO2. Dans les marchés émergents, la plupart de ces bâtiments ne sont pas encore construits. Ils apparaîtront dans des pays où les normes de construction sont peu contraignantes et peu respectées. Aussi, la consommation de matières premières devrait plus que doubler d’ici à 2060, avec un tiers de cette hausse directement lié aux matériaux utilisés dans le secteur de la construction.

La décarbonation, un enjeu crucial pour le bâtiment

L’industrie du bâtiment et de la construction dispose d’un important potentiel mondial de protection du climat pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris (2015). Les opportunités envisagées comprennent l’amélioration de l’efficacité, notamment énergétique, et de l’exploitation des bâtiments existants, la construction de nouveaux bâtiments économes en énergie, avec des éclairages et des appareils plus efficaces, voire intelligents, l’intégration d’énergies non carbonées, et en particulier renouvelables, ou encore la décarbonation de la production des matériaux de construction en s’orientant vers l’économie circulaire. Le consensus des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est que les émissions opérationnelles des bâtiments doivent être réduites d’au moins 95 % d’ici à 2050, par rapport à 1990. L’enjeu est, pour le moins, de taille.

En France, le bâtiment compte pour environ un cinquième des émissions de carbone, soit environ deux fois moins qu’au niveau mondial. La transposition française des objectifs climatiques de l’Union européenne prend la forme de deux documents politiques dont les dernières versions datent de 2020 : la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Le bâtiment y tient une place plus que notable.

Le Haut Conseil pour le climat a publié, fin juin 2021, un rapport détaillant les avancées sur les ambitions de cette SNBC et sur les émissions de chaque secteur de l’économie française 2 . Ces émissions, au total, sont estimées à 436 millions de tonnes équivalent CO2 (MtéqCO2) en 2019. La tendance à la baisse s’est légèrement accentuée cette année-là, avec une diminution de 1,9 % sur un an. Des progrès ont été réalisés, dont certains d’ordre structurel, dans les secteurs du bâtiment, de l’industrie et de la transformation d’énergie, suivis de l’agriculture, alors que les transports voient leurs émissions stagner. Les transports demeurent le premier secteur émetteur (31 % des émissions, dont plus de la moitié est due à la voiture individuelle), suivis de l’industrie et de l’agriculture (19 %) puis des bâtiments (17 %), de la transformation d’énergie (10 %) et des déchets (4 %). Il faut cependant noter que la filière construction, quand on l’intègre dans son ensemble (notamment en agrégeant matériaux et bâtiments), est bien le second émetteur après les transports.


Les émissions de gaz à effet de serre en France (2019)
Les émissions territoriales de gaz à effet de serre de la France sont estimées à 436 MtéqCO2 pour 2019.

Source : Haut Conseil pour le climat.


De son côté, la loi climat et résilience d’août 2021 prévoit l’élaboration d’une feuille de route de décarbonation pour chaque secteur fortement émetteur de GES, dès le 1er janvier 2023. Ce document stratégique est établi conjointement par les représentants des filières économiques, les pouvoirs publics et les représentants des collectivités territoriales.

Cette feuille de route de décarbonation du secteur du bâtiment contribuera notamment à alimenter la future stratégie française sur l’énergie et le climat (SFEC). Cette dernière englobera notamment une loi de programmation énergie-climat et une révision de la SNBC et de la PPE, actualisant les grandes orientations politiques liées à l’environnement ou encore aux équilibres entre les différentes filières énergétiques.

Les travaux d’élaboration de la feuille de route de décarbonation du bâtiment ont débuté en avril 2022. Des groupes de travail se sont mis en place avec les différents acteurs de la filière pour identifier les leviers à même de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur afin de contribuer, d’une part, à l’objectif européen Fit for 55, qui vise à réduire de 55 % les émissions de GES d’ici à 2030 par rapport à 1990, et à atteindre, d’autre part, l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050.

Vers une transition écologique assumée et gagnante

Réussir la transition écologique dans le bâtiment passe notamment par quatre exigences. Par souci de clarté, elles sont présentées successivement et ne sont pas exhaustives. Elles forment pourtant un tout et s’avèrent étroitement imbriquées. Leur mise en œuvre suppose un changement radical de paradigme, en rupture avec nombre de pratiques existantes. Aux yeux des professionnels, ces exigences sont légitimes et fondées car elles constituent les clés de la réussite de la transition écologique dans le secteur de la construction. Ce n’est qu’à ce prix que l’objectif de la neutralité carbone, qui constitue une ardente obligation incontournable, pourra être atteint.

  1. La première exigence découle du constat que la bataille pour le logement décarboné ne saurait reposer sur une réduction à la portion congrue de la construction neuve. L’existence avérée de besoins quantitatifs, liés à de multiples causes, milite au contraire pour un développement de la recherche et des moyens appropriés (circuits de distribution, acteurs spécialisés, financements, etc.) permettant d’aboutir au plus vite à la production de bâtiments bas-carbone sur l’ensemble de leur cycle de vie effectif. Cela nécessite d’intégrer plusieurs dimensions. On peut notamment citer la conception, le développement des matériaux et des filières biosourcées et géosourcées, le recyclage et le réemploi des matériaux (d’autant plus indispensables que le développement quasi inévitable de la démolition-reconstruction va générer des flux conséquents), la valorisation de l’autoproduction.

  2. Le deuxième défi se situe au niveau de la décarbonation des matériaux de construction. Celle-ci nécessite une action concertée visant notamment à une conception plus efficace, en passant par l’identification des flux circulaires et la promotion de l’utilisation de matériaux à faible émission de carbone, en passant également par l’optimisation de l’efficacité énergétique dans la fabrication et le recours à des sources d’énergie moins carbonées. Les matériaux doivent répondre à des normes de performance dans l’ensemble des fonctions qu’ils remplissent (fonction mécanique, isolation, confort, etc.). De nouvelles solutions innovantes à faible émission de carbone sont à trouver pour répondre valablement à toutes ces normes indispensables. Il s’agit là d’un vrai défi alliant rapidité et efficacité.
    Les matériaux bas-carbone, tels que les isolants biosourcés (laine de chanvre, lin, coton), répondent à de nombreux enjeux sociétaux et environnementaux actuels. Face à un impératif d’économie d’énergie et de ressources, ils constituent une alternative moins énergivore pour l’extraction, la fabrication et le transport. Et ils sont tout aussi efficaces d’un point de vue thermique. De plus, ils sont souvent recyclables, réutilisables ou réemployables en fin de vie, ce qui limite, de facto, la production de déchets sur les chantiers. Par ailleurs, les espèces végétales convertissent le CO2 atmosphérique en carbone dit « biogénique », réduisant ainsi sa concentration dans l’atmosphère. Ainsi, les produits biosourcés contenant des matières premières issues de la photosynthèse contribuent pleinement à la réduction du réchauffement climatique.

  3. La troisième exigence porte sur le nécessaire développement des techniques pour transformer les bâtiments, existants et à venir, en producteurs d’énergie. Il est à l’évidence important de réfléchir au mix énergétique le plus équilibré possible. Outre les technologies actuelles, les voies de la production de biogaz, d’hydrogène et de pompes à chaleur hybrides doivent être explorées, pour former avec l’électricité un « couple parfait ». Mais aussi et surtout, il s’avère indispensable de mener une révolution copernicienne conduisant à ne plus penser le bâtiment comme consommateur d’énergie et émetteur de carbone, mais aussi comme producteur d’énergie et, pourquoi pas, comme puits de carbone. Cela passe, bien évidemment, par le recours à de multiples techniques, comme le solaire thermique ou photovoltaïque, le petit éolien, l’hydrogène vert, ou encore par la végétalisation du bâti ou de la parcelle. Les orientations de transition écologique obligent aussi à réfléchir à de nouvelles pratiques, comme l’autoconsommation, et à repenser de fond en comble la conception des nouveaux bâtiments, mais aussi le programme des travaux de mise à niveau des bâtiments existants à rénover. Cela passe également par la recherche visant à mieux gérer la question du stockage de l’énergie électrique.
    L’amélioration des performances des bâtiments existants d’aujourd’hui, pour qu’ils soient proches de zéro émission – une exigence pour atteindre l’objectif de l’accord de Paris –, dépend d’un niveau amélioré d’efficacité énergétique mais aussi d’une augmentation attendue des rénovations et d’une évolution vers un approvisionnement énergétique décarboné.

  4. La dernière exigence concerne la mise en place d’une aide massive à la rénovation globale dans l’existant. Le gouvernement estime à 5,2 millions le nombre de « passoires thermiques » sur les 30 millions de résidences principales, ce qui représente près de 18 % du parc immobilier actuel. Les diagnostics de performance énergétique (DPE) sont un outil-clé pour aller vers l’éradication des éléments trop grands consommateurs d’énergie. Progressivement jusqu’en 2034, tous les logements classés E, F et G auront leur loyer gelé, et seront donc considérés comme « indécent », au regard de la loi, en l’absence de rénovation énergétique complète. Cela montre la voie en matière de rénovation énergétique, puisque le gouvernement s’est fixé comme objectif de moderniser 700 000 logements par an.

La rénovation énergétique et thermique des bâtiments est une source indiscutable de réduction significative des émissions dans le secteur. La rénovation complète ou globale vise à réduire les consommations énergétiques du bâtiment grâce à un ensemble de travaux touchant à la fois à l’isolation et aux équipements énergétiques, avec comme objectif des performances de type BBC (bâtiment bas-carbone) ou équivalent. En plus de réduire la demande énergétique, une autre façon de réduire les émissions des bâtiments est de décarboner l’énergie utilisée par les bâtiments. Or, aujourd’hui, non seulement le nombre de rénovations réalisées annuellement est très insuffisant par rapport à la cible fixée, mais une grande majorité de celles-ci sont partielles. N’affectant qu’un seul type de travaux (chauffage, toit, etc.), elles ne permettent que très rarement d’optimiser le gisement d’économie d’énergie et de contribuer suffisamment à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cette situation n’est pas propre à la France. Partout en Europe, malgré le poids carbone important des bâtiments, la quantité et la qualité des rénovations ne répondent pas encore aux enjeux du changement climatique.

Pour réaliser l’ambition de la neutralité carbone, le bâtiment doit réduire significativement sa consommation d’énergie tout en favorisant la décarbonation progressive du secteur. Pour ce faire, il est nécessaire de rénover entièrement l’ensemble du parc de bâtiments, aussi bien résidentiels que tertiaires, publics comme privés.

Des aides simplifiées et un nécessaire plan Marshall

S’il est indispensable d’engager, comme pour le neuf, un processus de rehaussement progressif des exigences réglementaires pour les bâtiments existants en y intégrant une dimension carbone, il est tout aussi incontournable que le gouvernement prenne ses responsabilités et aide massivement les maîtres d’ouvrage et les acteurs qui engagent des travaux de rénovation globale. Pour se révéler efficace, cette aide doit être formatée à un niveau bien supérieur aux soutiens actuels. Il est également impératif de mettre en place le choc de simplification de l’ensemble des aides, choc tant attendu pour ce secteur d’activité. Nombreux sont ceux qui militent pour la mise en place d’un dossier unique pour toutes les aides, au minimum pour MaPrimeRénov’ et les certificats d’économies d’énergie. Cette proposition soutenue par la filière professionnelle fait sens.

En conclusion, la décarbonation du secteur de la construction reste le plus gros défi du siècle et devrait lui redonner une dynamique, notamment vis-à-vis des jeunes à la recherche d’un avenir professionnel enthousiasmant.

Pour réaliser l’accord de Paris et limiter la hausse de la température à 1,5 °C à l’horizon 2050, il est nécessaire d’innover et de repenser la construction en y intégrant des produits et des matériaux plus respectueux de l’environnement, en développant massivement la rénovation globale et en favorisant l’utilisation d’énergies décarbonées. Au regard de tous ces enjeux, il semble donc judicieux, voire indispensable, de créer un grand plan de transition écologique dans le bâtiment et, plus spécifiquement pour la rénovation, un vaste plan Marshall pour la neutralité carbone.



  1. Voir le « Rapport 2020 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions », du Programme des Nations unies pour l’environnement. www.unep.org/fr/emissions-gap-report-2020.
  2. Les rapports du Haut Conseil sont disponibles sur son site : www.hautconseilclimat.fr.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2023-3/le-carbone-dans-le-batiment-le-batiment-dans-la-decarbonation.html?item_id=7849
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