Bérénice LEVET

Philosophe et essayiste.

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Le totalitarisme vert, une réelle menace

Sommé de se décarboner, le monde se soumet progressivement au joug d’une idéologie verte confinant au totalitarisme. Sous couvert d’ambitions grandioses en faveur de la nature, c’est la nature même de l’humanité qui est mise en cause. En France, les traits d’une tyrannie écologiste encadrent toujours plus étroitement les discours publics, le droit et notre vie quotidienne.

« Totalitarisme vert », « dictature verte », « Khmers verts », « écototalitarisme ». Estocade de conservateurs aux abois ? Venin d’adversaires politiques ? Paresse d’intellectuels ? Je dois avouer que, moi-même, je nourris les plus vives préventions à l’endroit des analogies historiques et de ces étiquettes prestement accolées afin de mieux se débarrasser de l’inédit du temps présent. Il est difficile toutefois de ne pas admettre que l’atmosphère se fait chaque jour plus asphyxiante, terrorisante et menaçante. À chaque jour, son nouveau tour d’écrou. Mais examinons la chose 1 .

À quoi reconnaît-on un régime, en tout cas une pente totalitaire ? Quels sont les traits qui apparentent le monde rêvé, et parfois établi, des écologistes à un gouvernement autoritaire ? Précisons que par écologistes, nous entendons l’écologie telle qu’elle s’incarne dans Europe Écologie-Les Verts et leurs satellites socialistes, mais plus largement dans l’ensemble des assourdissants « éveillés du climat », qui prétendent faire de la nature, des bêtes, du climat, leur cause suprême (avec celle, certes, des « minorités » et de la « diversité »).

La terreur que fait régner l’écologie actuellement tient à ce que ses élus, ses militants, ses activistes, ses sympathisants pactisent avec l’idée d’un monde à refaire. Confondant le volontarisme – qui est une vertu politique – avec le constructivisme, rabattant l’action sur la fabrication, ils s’enivrent de table rase. Leur objet, l’objet de leur activisme, n’est pas la nature, celle-ci n’est qu’un alibi, mais la culture, la civilisation dont nous héritons et, d’abord, l’homme occidental, cause de tous les maux. Là est l’inspiration profonde du militantisme écologiste.

L’idéologie au pouvoir

La bascule vers le totalitarisme se produit dès lors qu’il ne s’agit plus de poursuivre des fins précises mais d’adhérer à un grand récit censé expliquer les raisons du mal que l’on entend réparer, de faire entrer le réel compliqué dans une vaste et morne intrigue, et ce quelles que soient les résistances, les nuances sacrifiées. L’écologie du XIXe siècle, qui procédait de l’observation des conséquences d’une modernité technicienne encline à s’affranchir de toute limite et faisant bientôt de la triade « efficacité, rentabilité, fonctionnalité » sa devise, vire à l’idéologie dans les années 1970. Il ne s’est plus tant agi alors, ou pas seulement, de nommer, d’alerter et de chercher à corriger les failles d’un système que de débusquer les coupables. L’écologie est gagnée par un esprit martial. J’accuse ! Et ce qui venait légitimement inquiéter le modèle productiviste se mue en grande machine à instruire un procès.

On commence par incriminer l’homme moderne, l’homme de la révolution industrielle, mais bientôt le propos se fait plus général et c’est l’homme et ses activités en tant que tels qui se trouvent inculpés. Le sort, funeste, de la Terre aurait été scellé avec la sédentarisation de l’humanité, dès le Néolithique. Un mot est forgé : « anthropocène ». De neutre qu’il était initialement – l’homme transforme le donné naturel – il devient accusatoire. « Tout est bien sortant des mains de l’auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme », écrivait Rousseau. Tel est le refrain à partir de la fin des années 1980, pour devenir totalement assourdissant aujourd’hui. L’idéologisation va crescendo. Et, aujourd’hui, le coupable n’est plus l’homme, ou secondairement, mais l’homme occidental, où homme est à entendre au sens sexué de mâle.

Les femmes, les homosexuels et autres « minorités » sexuelles, les Noirs, les musulmans, la nature, c’est-à-dire la faune et la flore, les bêtes et la Terre : tous subissent la domination de l’homme blanc. L’écologie fait en effet cause commune avec toutes les branches du wokisme, ratifiant le grand récit intersectionnel, l’indigente et morne intrigue d’un homme qui n’aurait d’autre passion que d’asservir tout ce qui n’est pas à son image.

On date généralement l’émergence de l’écologie politique, en France, de la candidature de René Dumont aux élections présidentielles de 1974. Le ton était déjà comminatoire. Dès les années 1970, la possibilité d’une écologie constructive se retire. La cause de la nature fut alors préemptée par la gauche, et la droite la lui abandonna. Il est tout à fait significatif que l’on ait oublié que le premier ministère de l’Environnement a été institué par Georges Pompidou, en 1971, comme est méconnu le discours, puissant et non idéologique, qu’il prononça en 1970 à Chicago intitulé « La Crise des civilisations 2 ».

L’écologie a gagné la partie. Elle occupe et doit occuper les esprits sans répit. L’irruption sur la scène mondiale de la jeune Greta Thunberg, cette adolescente venant, l’œil noir, sermonner les adultes pour « inaction climatique », marque assurément un tournant.

L’inclination totalitaire se signale par le fait que la totalité de notre existence se trouve rapportée à une question exclusive. La maison brûle, est réputée brûler, et nous sommes sommés de ne jamais plus regarder ailleurs. « Tout est politique », disait-on hier. « Tout est écologique », professe-t-on aujourd’hui.

L’écologie, une tyrannie domestique

Au nom de l’écologie, une des conquêtes les plus précieuses de la civilisation, la frontière qui sépare la vie privée de la vie publique, se voit volontiers bafouée. Jamais un pouvoir n’a trouvé dans la cause qu’il prétendait servir une telle justification à son immixtion dans chacun des recoins de nos vies. Les gestes les plus quotidiens et personnels deviennent affaire commune et publique. Le moindre comportement, la moindre conduite, le moindre choix se fait test de moralité. L’écologie représente la tyrannie domestique par excellence.

« Chaque geste compte », nous avertissait, à la rentrée 2022, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, alors qu’elle annonçait le lancement d’une campagne de communication portant sur les « écogestes », dont l’objet était de « faire connaître aux Français les gestes les plus efficaces pour réduire leur consommation ». Depuis la toilette (douche ou bain, dentifrice, savon, shampooings solides), l’éclairage, la machine à laver (à telle heure et non à telle autre, la nuit et fi du voisinage !), l’assiette (nature des aliments, emballage ou vrac, barbecue) et, last but not least, la poubelle (le tri sélectif).

Indice éclatant de la mascarade contemporaine, jamais on ne nous aura tant exhortés à la responsabilité et jamais on ne nous aura maintenus dans un tel état de minorité.

Rien ou presque n’est obligatoire, en apparence et pour le moment. Mais gare à qui a l’audace de persévérer dans des pratiques ancestrales. Dégradation morale assurée ! À quand des assiettes connectées mouchardant leur contenu à qui de droit, à votre assurance, au ministère de la Transition énergétique, à la sécurité sociale ? À quand l’instauration de tribunaux devant lesquels comparaîtra pour complicité d’« écocide » l’amateur de charcuterie ?

Trait caractéristique des régimes totalitaires, auquel la Terreur de 1793 donna l’accord premier : la passion des prétoires, des tribunaux de l’Inquisition. Un prurit justicier, et judiciaire, corrode l’écologie. Faire comparaître les États, et singulièrement la France, les pouvoirs publics, les entreprises devant le tribunal de la nature constitue la raison d’être de nombreuses associations. Il s’agit d’allonger à l’infini la liste non seulement des interdits, mais des fautes.

Pour l’avènement d’un homme nouveau

Les familles de l’écologie sont multiples, mais elles s’accordent sur un point : le monde tel que nous le connaissons n’a pas d’avenir, et il ne doit pas en avoir. L’homme ne ressemblera en rien, ne devra ressembler en rien, à celui que nous avons connu jusqu’à aujourd’hui. L’homme réinventé, régénéré, « reconstruit » ne sera plus carnivore, il ne chassera plus, il ne pêchera plus, il ne goûtera plus les joies du cirque ni du zoo, il ne frissonnera plus au spectacle des corridas. Cet homme, il reste à le faire advenir.

Les écologistes officiels se regardent et se présentent dès lors comme des chargés de mission, mandatés par la Planète afin d’assurer son salut. Avant-garde éclairée, il leur appartiendrait de conduire les masses, de les « régénérer », comme on disait en 1793 et comme on ne dit plus aujourd’hui. La barbarie se faisant douce, on préférera se donner pour impératif de « changer les mentalités et les comportements ».

Mais c’est la chose sans le mot ou avec un mot particulier qui, soigneusement, habilement, dissimule la chose : les techniques du nudge font ainsi fureur auprès des mairies écologistes et du ministère de la Transition écologique. Le nudge, qu’on traduit par l’inoffensif « coup de pouce », est une méthode d’incitation qui ne relève ni de la récompense ni de la punition mais joue, afin d’obtenir de chacun de nous des changements de comportements, sur ce que les spécialistes appellent les leviers psychologiques des individus. Le lavage de cerveau dispose désormais d’un arsenal de techniques redoutables. En comparaison, les procédés de propagande et de manipulation des esprits des totalitarismes du siècle passé sont de l’artisanat. Et s’il ne s’agit que de recommandation, d’incitation à faire tel ou tel geste, consommer tel aliment plutôt que tel autre, gare toutefois à celui qui a la hardiesse de persévérer dans ses habitudes et de pérenniser des pratiques ancestrales. Ainsi de la chasse, de la corrida. Dégradation morale garantie !

Relisons Hannah Arendt : « Le totalitarisme, analysait l’auteur des Origines du totalitarisme (1951), ne se satisfait jamais de gouverner par des moyens extérieurs […] ; grâce à son idéologie particulière et au rôle assigné à celle-ci dans l’appareil de contrainte, le totalitarisme a découvert un moyen de dominer et de terroriser les êtres humains de l’intérieur. »

L’ingénierie sociale et anthropologique

Les écologistes, et nous les voyons en acte dans chacune des villes dont ils sont devenus les princes, se focalisent sur la fabrication – trait majeur, identifié par Hannah Arendt, du totalitarisme. Les villes et leurs habitants ne leur sont que de la matière à façonner selon leur idée du meilleur des mondes possibles. Les « changer », les « réinventer », et ce tous sur le même modèle, est leur obsession. Partout le rabot rabote : langue et écriture inclusive, « végétalisation », bannissement des voitures, promotion du vélo et de la trottinette – cette grande innovation de l’écologie, puissant témoin de son infantilisme –, budget genré et crèche dégenrée, etc. L’uniformisation est l’avenir d’un monde repeint aux couleurs de l’écologie.

Nous devons à Hannah Arendt d’avoir montré comment, à partir du XIXe siècle, dans le sillage de la Révolution française, la politique s’est laissé fasciner par les processus, les marches en avant, le changement, prestige que devait traduire et concentrer la notion de progrès. Significativement, le cinquième livre des Contemplations de Victor Hugo trompette « En marche » ! Obéissant à cette injonction, la politique se détourne des fins précises et circonscrites, du particulier, du concret, pour embrasser de vastes horizons. La politique cesse d’être modeste. Elle réclame des causes, des grandes causes, des horizons lointains. Fascination pour le mouvement qu’Arendt comptait parmi les éléments qui avaient cristallisé sous la forme du totalitarisme. Les acteurs de ce processus n’ont plus à répondre de leurs actes ici et maintenant. La fin qu’ils poursuivent tient lieu de justification des moyens, quels qu’ils soient.

La carte routière des pensées et des opinions

Il est un mot pour faire taire les oppositions, subjuguer toutes les objections, parer aux discussions : « état d’urgence climatique », qui, comme tout état d’urgence, dit état d’exception, et donne toute latitude de s’affranchir des règles et principes coutumiers au nom d’un intérêt supérieur.

Une nouvelle étape fut franchie avec la signature par des journalistes et des rédactions d’une Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence climatique. Les médias s’engageant à se faire les adjuvants d’une vision apocalyptique du monde qui nous attend, si nous n’agissons pas. Terminées, promettent-ils, les images joyeuses du soleil et des températures plus que clémentes en hiver !

Le sommet fut sans doute atteint avec le manifeste intitulé « Le Tournant », présenté à la fin de l’été 2022 par la présidente de Radio France, Sibyle Veil, décrétant la mobilisation sans failles de l’ensemble des chaînes de son groupe, pouvant ainsi prétendre au titre de « média de service public écologiquement responsable ». Redoutable Table de la loi verte 3 . Chacun des articles appellerait un commentaire. Arrêtons-nous au premier, proclamant, sans le moindre tremblement, qu’en ce domaine, il est des questions qui ne seront plus jamais soumises à discussion : « Nous nous tenons résolument du côté de la science, en sortant du champ du débat la crise climatique, son existence comme son origine humaine. Elle est un fait scientifique établi, pas une opinion parmi d’autres. »

Sortir du champ du débat la crise climatique ! Que nous dit ici Sibyle Veil, sinon que ça ne se discute pas, ne se nuance pas, ne se complexifie pas ? Qu’inscrit-elle au fronton de la Maison ronde ? Que nul n’entre ici s’il ne ratifie pas le dogme. Nous sortons de la science, de la raison pour entrer dans l’orthodoxie. C’est non seulement nier que les scientifiques eux-mêmes sont divisés sur ce sujet (ampleur de la responsabilité humaine par exemple), mais oublier aussi ce que Stuart Mill a si bien exposé, qu’une vérité soustraite à la discussion est une vérité exsangue.

Assez badiné !

Trait essentiel, enfin, des régimes totalitaires, spécialement prononcé aujourd’hui, le congé donné à l’humour, à la plaisanterie dès lors que l’on touche aux questions écologistes. L’entraîneur du PSG, Christophe Galtier, et le joueur de football Kylian Mbappé sont payés pour le savoir. Interrogé sur leur déplacement en avion privé, l’un eut la hardiesse de répondre : « La prochaine fois, on ira en char à voile ! », et l’autre, d’éclater de rire.



  1. Pour davantage de développements sur chacun des points abordés dans ce texte, je me permets de renvoyer à mon ouvrage L’Écologie ou l’ivresse de la table rase (L’Observatoire, 2022).
  2. Ce texte est diffusé par l’Institut Georges-Pompidou. On le trouve à l’adresse www.georges-pompidou.org/sites/default/files/pompidou_oeuvres-choisies_2_chicago_0.pdf.
  3. Le texte est disponible sur le site de Radio France, www.radiofrance.com/presse/radio-france-engage-un-tournant-environnemental.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2023-3/le-totalitarisme-vert-une-reelle-menace.html?item_id=7852
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