Noam LEANDRI

Secrétaire général de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).

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Bilans et empreintes carbone : une perspective internationale

Mesurer les émissions de gaz à effet de serre passe par différentes méthodes. Bilan carbone et empreinte carbone des pays permettent de comparer leurs situations et leurs évolutions. Le monde apparaît, en la matière, très contrasté. Dans ce contexte, les progrès français sont patents, même s’il reste encore bien du chemin à faire.

La méthode du bilan carbone

Le bilan carbone d’un pays correspond aux émissions de gaz à effet de serre (GES) produites sur son territoire. De nombreuses activités humaines sont à l’origine d’émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère : la combustion d’énergies fossiles et certains procédés industriels, comme la production de ciment, émettent du dioxyde de carbone (CO2), les élevages agricoles et le traitement des déchets dégagent du méthane (CH4), les engrais agricoles, du protoxyde d’azote (N2O), enfin, l’utilisation de solvants, la réfrigération et la climatisation émettent des gaz fluorés, tels que les hydrofluorocarbures (HFC) et les perfluorocarbures (PFC).

Ces différents gaz ne concourent pas tous autant à l’effet de serre. Afin de pouvoir comparer les GES entre eux, les émissions sont exprimées en tonnes d’équivalent CO2 (téqCO2) en fonction du potentiel de réchauffement global. Ce dernier dépend de la capacité du gaz à intercepter et à renvoyer le rayonnement solaire ainsi que de sa durée de vie dans l’atmosphère. Le coefficient est ainsi de 25 pour le CH4, de 298 pour le protoxyde d’azote et de 140 à 11 700 pour les gaz fluorés. Le gaz à plus fort effet de serre est l’hexafluorure de soufre (SF6), un gaz synthétique utilisé comme isolant électrique dans les équipements de haute tension. Son potentiel de réchauffement climatique est 23 900 fois plus élevé que celui du CO2 et sa durée de vie dans l’atmosphère s’élève à 3 200 ans.

CO2, CH4 et N2O représentent 96 % (en équivalent CO2) des sept GES pris en compte pour le protocole de Kyoto, cet accord international, signé en 1997, qui vise à réduire les émissions de GES.

En vertu de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), adoptée en juin 1992 à Rio de Janeiro, chaque pays doit tenir un inventaire national des émissions anthropiques, c’est-à-dire liées à l’activité humaine, en recourant à des méthodes comparables approuvées par la Conférence des parties (COP). Dans les définitions ainsi retenues, les émissions nationales n’incluent pas les émissions maritimes et aériennes internationales.

Pour la France, l’inventaire, destiné aux Nations unies, est réalisé par le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa). Cette association à but non lucratif gère le système national d’inventaire des émissions de polluants et de gaz à effet de serre dans l’atmosphère pour le compte du ministère de la Transition écologique 1. Les données collectées sont vastes et de natures très diverses. Il s’agit à la fois de statistiques publiques, telles que le bilan de la consommation d’énergie, ou de statistiques de transports, mais aussi de données administratives, comme les déclarations sur les rejets polluants des installations classées.

L’approche de l’empreinte carbone

L’empreinte carbone d’un pays fournit une information complémentaire aux inventaires des émissions de GES sur le territoire national. Il s’agit non plus de mesurer les émissions réalisées sur le territoire mais d’estimer les GES induits par la consommation et les investissements du pays. En pratique, cela revient à réimputer les GES des importations et à soustraire les exportations. Cette empreinte permet ainsi d’apprécier la pression exercée sur le climat, à l’échelle planétaire, par la population du pays considéré.

Contrairement à l’inventaire, le calcul de l’empreinte carbone d’un pays n’est pas encadré par des normes internationales ni même des règles nationales. Il existe différentes approches méthodologiques. La modélisation macroéconomique à partir d’un tableau de flux d’entrée-sortie est la méthodologie privilégiée par les organismes statistiques. Concrètement, ce calcul estime la masse de GES associée à chaque euro de demande finale pour chacune des grandes catégories de produits (biens et services) identifiés par la comptabilité nationale. Ces intensités en GES des produits sont alors multipliées par la valeur (en unité monétaire) des produits demandés dans le pays concerné. Les émissions de GES associées aux produits exportés sont exclues du périmètre de l’empreinte carbone.

Résultat : le niveau de l’empreinte française équivaut presque au double de l’inventaire national en raison du poids carbone des importations, qui représentent la moitié de notre empreinte.


Comparaison de l’empreinte carbone et de l’inventaire national (données pour la France en 2016)

Source : Citepa, ministère de la Transition écologique.
Note : l’empreinte carbone et l’inventaire national portent sur les trois principaux gaz à effet de serre (CO, CH et NO). Les données sont exprimées en millions de tonnes équivalent carbone (MtéqCO).
Champ : métropole et DROM (périmètre de Kyoto).


La situation des principaux grands pays du monde

Les émissions mondiales de GES ont atteint 59 milliards de tonnes d’équivalent CO2 en 2019, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, données incluant les émissions de GES liées au changement d’usage des sols (UTCATF) 2. La pandémie de COVID-19 a entraîné une baisse de 5 % des émissions de GES en 2020. Toutefois, le niveau estimé pour 2021 correspond à un retour à celui de 2019.

En 2019, la Chine reste le premier pays émetteur mondial de CO2 (30,3 %), devant les États-Unis (13,4 %), l’Union européenne (7,7 %) et l’Inde (6,8 %). Les sept principaux émetteurs (Chine, États-Unis, Union européenne, Inde, Indonésie, Brésil et Russie) et le transport international représentaient 55 % des émissions mondiales de GES en 2020. Collectivement, les membres du G20 sont responsables de 75 % des émissions mondiales de GES.


Émissions de GES totales (en 2020, en milliards de téqCO2)

Source : Programme des Nations unies pour l’environnement, rapport 2022 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions, https://www.unep.org/.


Entre 1990 et 2019, ces émissions mondiales ont progressé de 68 %. Sur cette période, les plus gros contributeurs à cette hausse sont la Chine (+ 380 %), l’Inde (+ 330 %) et la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord (+ 210 %). Sur la même période, les émissions des États-Unis ont très légèrement augmenté (+ 0,8 %), alors que celles de l’Union européenne ont baissé (– 23,1 %), de même que celles de la France (– 17,3 %).


Évolution des émissions de CO2 dans le monde entre 1970 et 2019 (indice base 100 en 1990)

Source : ministère de la Transition écologique.


Rapportées au nombre d’habitants, les émissions de GES (secteur UTCATF compris) varient considérablement d’un pays à l’autre. Dans le monde, la moyenne était, en 2020, de 6,3 téqCO2.

Les pays les moins avancés émettent 2,3 téqCO2 par habitant et par an. Les pays les plus émetteurs par habitant sont la Russie (13 téqCO2) et les États-Unis (14 téqCO2). L’Union européenne se trouve à 7,2 téqCO2, tandis que l’Inde est à 2,4.


Émissions de GES par habitant (en 2020, en téqCO2)

Source : Programme des Nations unies pour l’environnement, rapport 2022 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions, https://www.unep.org/.


La situation française

Les émissions de GES de la France, pour 2021, sont estimées à 418 millions de téqCO2 hors secteur des terres et des forêts, selon le Citepa 3. Par rapport à l’année 2019 (avant le confinement), les émissions de 2021 sont en baisse de 3,8 %. Et, depuis 2017, la baisse atteint 10 %, en phase avec les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), qui vise à la neutralité carbone en 2050.

Les secteurs sources d’émissions connaissent des trajectoires contrastées en ce qui concerne la réduction de leurs émissions.

Comme dans l’ensemble de l’Union européenne, l’utilisation d’énergie est la principale source d’émissions de GES en France. Cependant, la France diffère des autres pays par sa faible part d’émissions provenant du secteur de l’industrie énergétique (10 % du total national), en raison du poids important du nucléaire dans la production d’électricité.

Pour ce qui relève de l’usage des transports, qui constituent le premier secteur émetteur, équivalent à 31 % du total, le niveau d’émission n’a pas diminué, contrairement aux autres secteurs.

Du côté de l’usage d’énergie dans les bâtiments, les émissions ont baissé de 29 % dans le résidentiel et de 19 % dans le tertiaire entre les années 1990 et 2019.

Depuis 1990, les émissions de l’industrie ont connu une forte baisse (43 %), obtenue grâce à l’amélioration des procédés et des gains d’efficacité énergétique.


Répartition par sources des émissions de GES en France entre 1990 et 2019 (en millions de téqCO2)

Source : « Chiffres clés du climat » 2022, ministère de la Transition écologique.


En prenant en compte les importations et en retirant les exportations, l’empreinte carbone de la France est estimée aujourd’hui par le ministère de la Transition écologique à 604 millions de téqCO2, soit 45 % de plus que l’inventaire officiel. Les émissions associées aux importations représentent un peu plus de la moitié (51 %) de cette empreinte et elles se sont accrues de 20 % par rapport à 1995 4.

Compte tenu de l’augmentation de la population, l’évolution de l’empreinte carbone rapportée au nombre d’habitants a tout de même significativement diminué depuis 1995, passant de plus de 11,2 téqCO2 à moins de 9 en 2021.

Le cabinet de conseil Carbone 4 a enrichi ce travail en ajoutant trois autres facteurs d’émissions 5 :

  • les traînées de condensation (nuages) créées par les moteurs des avions ;
  • la déforestation importée ;
  • l’impact de trois autres gaz à effet serre (HFC, PFC et SF6).

Il aboutit ainsi à une empreinte carbone moyenne d’un Français de 9,9 téqCO2 par an, qu’il décompose par actions de la vie courante :

  • « Je me déplace » est le principal poste d’émissions, avec 2,65 téqCO2, dont 77 % liés aux véhicules motorisés individuels et 16 % à l’avion.
  • « Je mange » représente ensuite 2,35 téqCO2, au sein desquelles la consommation de produits animaux représente 60 %.
  • « Je me loge » arrive ensuite, avec 1,9 téqCO2, 62 % de ce volume étant associés à l’utilisation de gaz et de fioul et 24 % à la construction ;
  • « J’achète » regroupe, pour sa part, 1,6 téqCO2, dont la moitié est liée à la maison et aux loisirs ;
  • enfin, les services associés aux dépenses publiques totalisent 1,4 téqCO2, que ce soit pour l’Administration et la défense (32 %), l’enseignement (31 %), la santé (16 %) ou les infrastructures (14 %).


Empreinte carbone française en 2019

Source : MyCO2 par Carbone 4 d’après le ministère de la Transition écologique.


Cette décomposition sectorielle est particulièrement utile pour identifier les usages à modifier.

Chacun peut, par ailleurs, calculer sa propre empreinte carbone en quelques minutes à partir du simulateur en ligne « Nos gestes climat » développé par l’ADEME 6.

Le calcul effectué, il s’agit ensuite de découvrir les actions à réaliser et à prioriser afin de passer de 10 tonnes à 5 tonnes puis à 2 tonnes par an. Petits écogestes et changements dans les modes de vie doivent s’associer aux nouvelles technologies et aux changements dans l’industrie pour atteindre des objectifs ambitieux.



  1. Ses rapports et ses données sont sur le site www.citepa.org.
  2. L’UTCATF (pour « utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie ») est une catégorie utilisée dans les inventaires sectoriels d’émissions de GES qui regroupe les émissions et les absorptions de ces gaz découlant directement des activités humaines liées à l’utilisation des terres, à leurs changements d’affectation et à la forêt. On parle habituellement du « secteur UTCATF ».
  3. Voir son rapport 2022 de référence sur les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques en France : www.citepa.org/fr/secten/.
  4. À ce sujet de l’importance des importations dans l’empreinte carbone, dans le contexte européen, voir « Un tiers de l’empreinte carbone de l’Union européenne est dû à ses importations », INSEE Analyse, no 74, 2022. www.insee.fr/fr/statistiques/6474294.
  5. Voir la méthode et les résultats sur www.carbone4.com/myCO2-empreinte-moyenne-evolution-methodo. Carbone 4 propose aux particuliers et aux entreprises un calculateur d’empreinte carbone personnelle, MyCO (www.myCO2.fr).
  6. Le site du simulateur : https://nosgestesclimat.fr.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2023-3/bilans-et-empreintes-carbone-une-perspective-internationale.html?item_id=7840
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