Senior partner chez Argos Wityu, ancien directeur de cabinet de la ministre de la Transition écologique.
Pourquoi et comment planifier la transition écologique ?
Ardente obligation de notre génération, la transition écologique nécessite une mobilisation collective efficace. En l’absence de vision d’ensemble partagée des objectifs et des leviers d’action, taxations et réglementations sectorielles ne sauraient être bien acceptées. La planification écologique, associant acteurs publics et économiques et société civile, constitue ce cadre cohérent indispensable à une mise en mouvement coordonnée.
Les cinq premiers rapports d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat des Nations unies (GIEC) ont été publiés dans une relative
indifférence, en dehors des milieux scientifiques et d’une minorité désireuse de
comprendre l’impact des activités humaines sur notre environnement. Ils ont certes contribué
à la prise de conscience ayant conduit, lors de la COP21, en 2015, à l’adoption de
l’accord de Paris, étape clé dans la lutte contre le dérèglement climatique.
Adopté par 196 parties, cet accord reconnaît en effet le caractère anthropique du
réchauffement climatique et fixe pour la première fois l’objectif d’en limiter
l’ampleur à moins de 2 °C d’ici à la fin du siècle, et de
préférence à 1,5 °C par rapport au niveau préindustriel. Mais ces sujets climatiques
sont longtemps restés, tout comme celui de la sixième extinction de masse de la biodiversité
mise en évidence par l’IPBES 1
, davantage perçus dans l’opinion publique comme des enjeux
dont il faudrait se préoccuper pour protéger les générations futures que comme un danger
grave et imminent susceptible de remettre fondamentalement en cause nos modes de vie à court terme.
Une nécessaire stratégie d’ensemble
La hausse de la taxe carbone votée au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron a
constitué l’un des principaux motifs de mécontentement des Gilets jaunes à partir de
l’automne 2018. Son rejet massif est une illustration de ce décalage de perception et de la
prédominance des préoccupations de « fin de mois » sur celles de « fin du monde
». De nombreuses analyses ont en effet montré à quel point une part significative de nos
concitoyens, à commencer par ceux qui sont dépendants de leur voiture pour leurs déplacements
quotidiens, se sont sentis pris au piège par cette taxation accrue des carburants, face à
l’insuffisance des mesures d’accompagnement.
Mais la violence de leur réaction est également liée à l’absence
d’inscription de la mesure dans une stratégie d’ensemble suffisamment claire et partagée,
qui aurait aidé à mieux percevoir l’ampleur des enjeux.
Les débats autour des propositions de la Convention citoyenne pour le climat et lors de l’examen du
projet de loi Climat et résilience ont également été vifs car, pour la première
fois sans doute, ils ont fait apparaître clairement à nos concitoyens le fait que le respect de
l’accord de Paris nécessite de modifier en profondeur notre quotidien : la façon de se loger, de
produire des biens et des services, de se nourrir, de consommer, de se déplacer… Parmi les sujets
polémiques, on peut citer l’interdiction de location des passoires thermiques, la lutte contre
l’artificialisation des sols, l’introduction de zones à faibles émissions limitant
l’accès aux centres des métropoles pour les véhicules les plus polluants,
l’introduction d’une taxation au poids des véhicules neufs ou encore l’obligation
d’équiper les parkings de supermarchés d’ombrières photovoltaïques.
Dans chaque cas, les mêmes interrogations légitimes : a-t-on bien mesuré l’impact de ces
mesures ? L’effort exigé est-il proportionné et partagé de façon équitable
? Cela s’inscrit-il dans une vision d’ensemble cohérente qui anticipe les conséquences de
ces décisions et prévoit l’accompagnement nécessaire ? En l’absence de
réponses suffisamment claires et convaincantes à ces questions, mais aussi d’indicateurs de
mesure précis et reconnus de l’intensité de l’effort à fournir dans chacun des
domaines, les curseurs n’ont pas nécessairement été placés au niveau
d’ambition cohérent avec les trajectoires rehaussées adoptées à
l’échelle européenne dans le cadre du pacte vert et du paquet « Ajustement à
l’objectif 55 » (qui vise à réduire les émissions nettes de gaz à effet de
serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport à la référence de 1990).
2022, année charnière pour la transition écologique
Les échéances électorales du printemps 2022 ont fourni l’occasion de proposer et de
partager une vision et un cadre plus globaux de l’effort de transition écologique. Si ces
thématiques n’ont pas été au cœur des débats de la campagne
présidentielle avant le premier tour, elles sont apparues centrales dans l’entre-deux-tours. Un besoin
de coordination de l’action, voire de « planification », est alors apparu, afin de s’assurer
que chacun contribue à sa juste part aux efforts collectifs pour décarboner notre économie et
réduire ses impacts néfastes sur la biodiversité et les milieux naturels. Ainsi, lors du
discours de Marseille du 16 avril 2022, le candidat Emmanuel Macron, dans un emprunt sémantique assumé
à Jean-Luc Mélenchon, s’est engagé en cas de réélection à ce que son
futur Premier ministre soit « directement chargé de la planification écologique »,
appuyé par « deux ministres forts : un ministre de la planification énergétique, qui aura
pour mission de faire de la France la première grande nation à sortir du pétrole, du gaz et du
charbon, et un ministre chargé de la planification écologique territoriale ».
C’est dans ce contexte nouveau que sont intervenus les épisodes caniculaires de
l’été 2022, accompagnés de la pire sécheresse en Europe depuis cinq cents ans et
de feux de forêt ayant détruit près de 800 000 hectares au cours de l’année au sein
de l’Union européenne. Ces événements climatiques extrêmes, dont la
fréquence et l’intensité s’accélèrent de façon nette et
incontestable, ont donné un tout autre relief au sixième rapport du GIEC, publié en trois
volets entre août 2021 et avril 2022. Ils ont contribué à accélérer la prise de
conscience collective des enjeux : le dérèglement climatique n’apparaît plus comme un
phénomène abstrait et lointain, mais comme un danger immédiat, qui appelle une action
résolue et rapide pour éviter de franchir des points de non-retour. Ils ont également fait
apparaître la nécessité pour cette action d’être coordonnée et
encadrée et de ne pas reposer sur les seuls leviers de la taxation et de la réglementation
contraignante, afin d’en accroître l’acceptabilité.
Organiser la planification
Mais, une fois le principe d’une planification écologique acté, se posent les questions de son
organisation pratique ainsi que de son champ et de son financement. Plutôt que d’établir une
forme de Gosplan descendant, selon un modèle soviétique, l’enjeu est de répartir
équitablement les efforts à fournir entre les acteurs et les filières, puis de coconstruire
avec chacun d’entre eux le chemin permettant d’atteindre ces objectifs, tout en définissant les
financements publics et privés à mobiliser. En effet, d’une part, les acteurs économiques
ne vont pas spontanément au bon rythme dans leur transition écologique et hésitent à
engager les investissements nécessaires pour accélérer leur décarbonation s’ils
n’ont pas de visibilité suffisante sur les objectifs globaux et les soutiens disponibles dans la
durée ; et, d’autre part, rien ne permet de garantir que les objectifs fixés au niveau national
seront atteints tant qu’ils ne sont pas partagés, déclinés par secteurs et par
territoires et appropriés par les principaux concernés.
Planifier de façon collégiale la transition écologique apparaît ainsi indispensable si on
souhaite susciter un mouvement collectif de nature à permettre l’atteinte des ambitieux objectifs
fixés à l’échelle nationale et européenne.
Le cas du bâtiment
Prenons l’exemple de la rénovation énergétique des bâtiments : le gouvernement peut
fixer des objectifs, par exemple rénover 700 000 logements par an ou diminuer de 2 % ou 3 % par an les
émissions de carbone dans le secteur du bâtiment, mais il n’a aucune garantie qu’ils seront
atteints s’il ne s’est pas au préalable assuré que :
- la filière se sent solidaire de l’engagement et capable d’y faire face ;
- la main-d’œuvre qualifiée nécessaire est formée et disponible pour
réaliser les travaux ;
- les matériaux et les équipements de construction durable, de chauffage et d'isolation sont
disponibles dans les quantités nécessaires ;
- la réglementation incite correctement à l'action, par exemple en interdisant
l’installation de nouvelles chaudières au fioul ou en limitant fortement le chauffage au gaz fossile
dans les logements neufs (à travers la réglementation environnementale RE 2020) ;
- les propriétaires de logement sont suffisamment accompagnés et informés des aides
auxquelles ils peuvent prétendre et solvabilisés pour mener les travaux nécessaires (avec
MaPrimeRénov’, mais aussi, à partir de cette année, les accompagnateurs
Rénov’), ce qui suppose de prévoir dans la durée les budgets publics adaptés.
Cet exemple illustre la complexe mais indispensable coordination des efforts et des financements à mettre en
place pour atteindre les objectifs. Elle pourrait être répliquée en matière de lutte
contre l’artificialisation, de réduction des intrants chimiques en agriculture,
d’électrification progressive du parc automobile ou de transition dans le secteur aérien, pour
citer quelques exemples.
Décarboner par filières, en associant tous les acteurs
C’est cette logique de coconstruction qui a conduit, ces dernières années, à la
négociation de contrats stratégiques de filières pour organiser la décarbonation par
secteurs d’activité. Elle a été prolongée par l’article 301 de la loi Climat
et résilience : celui-ci encadre désormais l’élaboration de ces feuilles de route de
décarbonation sectorielles entre les représentants des filières des secteurs les plus
émetteurs et les pouvoirs publics.
Mobiliser largement a également justifié l’institution du nouveau fonds vert annoncé
à l’été 2022 et doté de 2 milliards d’euros pour 2023, destiné
à financer l’accélération de la transition écologique des collectivités
territoriales. Ce dernier peut accompagner divers types d’actions locales : rénovation
énergétique de bâtiments publics, soutien au tri à la source et à la valorisation
de biodéchets, rénovation de l’éclairage public, prévention des inondations ou des
risques d’incendie de forêt, renaturation des villes, recyclage de friches industrielles ou urbaines,
accompagnement du déploiement des zones à faibles émissions.
L’enjeu consiste ainsi à partager un objectif commun et à inscrire dans une action collective des
ministères et des agences gouvernementales qui travaillent trop souvent en silos, les différents
échelons de collectivités territoriales et autres acteurs publics, mais également les
entreprises, les banquiers et investisseurs et la société civile. Or, il est apparu que les outils de
planification existants ne suffisaient pas : stratégie nationale bas-carbone (SNBC), programmation
pluriannuelle de l’énergie (PPE), stratégie nationale biodiversité (SNB) ont
été historiquement conçues en associant insuffisamment les parties prenantes, sur la base de
modalités de consultation sans doute trop formelles, et avec une implication trop limitée des
ministères qui n’étaient pas chefs de file.
La stratégie nationale bas-carbone (SNBC)
Introduite par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV)
du
17 août 2015, la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) a été conçue
comme la feuille de route de la France pour mettre en œuvre la transition vers une économie
bas-carbone, circulaire et durable. Elle vise à décrire le chemin permettant d’atteindre la
neutralité carbone à l’horizon 2050 en réduisant l’empreinte carbone des
Français.
Concrètement, elle définit une trajectoire de réduction des émissions de gaz à
effet de serre (GES) jusqu’à l’atteinte de la neutralité carbone en 2050.
À
partir de cette trajectoire cible, la SNBC fixe des objectifs de réduction des émissions pour les
quinze prochaines années. Ces budgets carbone, déclinés par périodes quinquennales,
par
secteurs d’activité et par GES, et exprimés en millions de tonnes d’équivalent
CO2
(MtéqCO2), constituent des plafonds d’émissions à ne pas dépasser.
Adoptée pour la première fois en 2015, la SNBC a été révisée
en 2018-2019, en rehaussant significativement l’ambition par rapport à la première SNBC
(qui visait le « facteur 4 », soit une réduction de 75 % des
émissions
GES à l’horizon 2050 par rapport à 1990, contre une division par près de
sept
désormais visée). Cette SNBC révisée a fait l’objet d’une consultation
du
public au début de 2020. Elle établit les budgets carbone pour les
périodes 2019-2023
(plafond de 422 MtéqCO2 en moyenne annuelle), 2024-2028 (plafond de 359 MtéqCO2 en
moyenne
annuelle) et 2029-2033 (plafond de 300 MtéqCO2 en moyenne annuelle).
Évolution des émissions et des puits de GES en France entre 1990 et 2050 (en mtéqCO2)
Source : ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.
Note : les puits de carbone absorbent du carbone qui est séquestré dans ces réservoirs (océans, forêts, sols, etc) avec un temps de résidence très long par rapport à celui dans l'atmosphère.
La SNBC fera l'objet d'une révision en 2023, avec, pour la première fois, l'adoption après
débat parlementaire d'une loi quinquennale fixant les objectifs et priorités d'action en
matière d'énergie et de climat, ainsi qu'une actualisation du scénario de
référence et des budgets carbone sectoriels.
Secrétariat général dédié et rôle clé des acteurs financiers
La novation majeure est donc la constitution d'une équipe interministérielle directement
rattachée à la Première ministre, chargée de s'assurer de l'association et de la
mobilisation des divers acteurs concernés et de la prise en compte des positions exprimées, mais
également de cadrer les travaux en fixant le tempo et en rendant les arbitrages qui s'imposent. Ce
secrétariat général à la planification écologique (SGPE) s'appuie notamment sur
un Conseil national de la refondation climat et biodiversité, cadre de dialogue structuré entre
partenaires sociaux, élus locaux, acteurs économiques et du monde associatif pour partager enjeux,
contraintes et leviers d'action sur ces thématiques.
Enfin, la planification écologique exige de s'assurer d'une mobilisation de l'épargne vers le
financement de la transition, dont le coût d'ici à 2030 est estimé entre 3 et 5 points de PIB
chaque année, répartis à parts équivalentes entre financements publics et privés.
C'est tout le sens du plan d'action de l'Union européenne sur la finance durable, et notamment du
règlement Sustoinoble Finance Disclosure Regulotion (SFDR) entré en vigueur en mars 2021. Celui-ci a
été conçu pour permettre aux investisseurs de distinguer les stratégies
d'investissement durable et ainsi encourager l'orientation des capitaux vers les initiatives contribuant à
la transition environnementale. En matière de financement de la transition des entreprises vers un
modèle de développement plus soutenable, les institutions financières et les fonds
d'investissement ont un rôle majeur à jouer dans les prochaines années, qui suppose qu'ils
rendent compte de façon claire et transparente de leurs objectifs et de leur action.
Au total, la nécessité de réduire rapidement et drastiquement notre empreinte écologique
face aux urgences et aux crises climatiques, environnementales et énergétiques impose donc une nette
accélération de nos efforts collectifs et leur inscription dans un cadre coordonné pour plus
d'efficacité collective: c'est tout le sens de la planification écologique.
« France nation verte », cadre global de la mobilisation publique en matière de planification écologique
Lancée le 21 octobre 2022 par la Première ministre, « France nation verte » recouvre à la fois le récit et
les différentes actions de planification écologique face aux multiples défis environnementaux : réduire les
émissions de gaz à effet de serre, s’adapter aux conséquences déjà inévitables du changement climatique,
restaurer la biodiversité, ralentir le rythme d’exploitation des ressources naturelles et réduire les
diverses pollutions.
Ce cadre commun de la planification écologique débute par un état des lieux visant à identifier – et à
rehausser au besoin – les objectifs sur ces différentes thématiques, à cartographier les actions déjà
engagées, à prioriser les nouvelles actions à lancer, à identifier les acteurs concernés et à définir les
chemins pour atteindre collectivement ces objectifs.
Ce travail est orchestré par un secrétariat général à la planification écologique (SGPE) créé auprès de la
Première ministre pour encadrer la mobilisation des différents ministères et parties prenantes mais
également pour coordonner les négociations sur les actions à privilégier, assurer la mobilisation collective
dans un calendrier adapté et mesurer la performance sur chacun des axes de performance environnementale.
Il a réparti les travaux en 22 chantiers opérationnels, regroupés en six thématiques, auxquels s’ajoutent
sept chantiers transversaux : financement, différenciation territoriale, gestion des emplois, formations et
compétences dans chaque filière, gestion des données environnementales, exemplarité des services publics,
mesures d’accompagnement pour assurer une transition juste et sobriété des usages et des ressources.
Les 22 chantiers de « France nation verte », au cœur de la transition écologique
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Source : présentation par le gouvernement de « France nation verte », dossier de presse du 21 octobre 2022.
- Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services ou Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques : https://ipbes.net/.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2023-3/pourquoi-et-comment-planifier-la-transition-ecologique.html?item_id=7846
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