Camille DEFARD

Responsable des projets de recherche du Centre énergie de l’Institut Jacques-Delors.

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Le pacte vert pour l’Europe : vers la neutralité climat

La Commission européenne développe des initiatives et déploie des stratégies visant à la neutralité carbone. Cet ensemble, connu sous le nom de « pacte vert pour l’Europe », aspire à rendre l’UE climatiquement neutre en 2050. Au-delà des affaires institutionnelles, l’atteinte des ambitieux objectifs écologiques que se donne l’Union européenne requiert des changements économiques et sociaux majeurs.

« Il est minuit moins cinq, mais il n’est pas trop tard », déclare la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lorsqu’elle dévoile le pacte vert pour l’Europe (European Green Deal) en décembre 2019. Face à l’urgence climatique, l’ambition est de devenir le « premier continent climatiquement neutre » d’ici à 2050. Le pacte vert sera la nouvelle stratégie de croissance verte et inclusive de l’Union européenne vers cet objectif, celui d’une transition énergétique juste, qui bénéficie à tous les citoyens de manière équitable, tout en aboutissant à une économie compétitive et bas-carbone.

Priorité politique de son mandat, ce défi est comparé, par von der Leyen, au moment où les Américains ont décidé d’aller sur la Lune. En effet, la tâche est immense. L’UE représente encore près de 10 % des émissions globales annuelles de gaz à effet de serre (GES), tandis que les émissions d’un Européen restent 1,5 fois plus élevées que la moyenne mondiale.


Émissions de GES et empreinte carbone de l’UE

L’Union européenne émet 1,5 fois plus de GES par habitant que la moyenne mondiale les États-Unis, près de trois fois plus. Cependant, rapportées à leur PIB, leurs émissions de GES sont inférieures à la moyenne mondiale. L’UE, en particulier, émet moins de GES que les autres zones géographiques pour produire un euro de biens et de services. Au sein de l’UE, la France se caractérise par un mix énergétique et, par ricochet, une production dans son ensemble moins carbonée que ses partenaires, notamment l’Allemagne.

Dans l’UE et aux États-Unis, les émissions de GES induites par la demande finale – l’empreinte carbone – sont plus élevées que les émissions issues de la production. Par rapport à l’inventaire des émissions associées à la production sur un territoire, l’empreinte carbone retranche les émissions incorporées aux produits exportés mais ajoute celles incorporées aux produits importés. En 2018, l’empreinte carbone par habitant de l’UE est de 11 tonnes d’équivalent CO2, contre 21 aux États-Unis et 8 en Chine. Un tiers environ de l’empreinte de l’UE est dû à ses importations.

Entre 2000 et 2018, les émissions mondiales de GES ont augmenté de moitié, quand la population augmentait d’un quart. Les émissions produites par l’UE ont diminué, mais, dans le même temps, celles de la Chine ont triplé.

Source : INSEE Analyses, no 74, 2022. www.insee.fr/fr/statistiques/6474294.


En réponse aux défis climatiques, le pacte vert vise à dépasser la vision fragmentée de l’action, souvent réduite au déploiement des énergies renouvelables. Désormais, l’intention est que toutes les politiques de l’UE contribuent à l’atteinte de la neutralité carbone. Par-delà les ambitions, que fait l’Europe pour réaliser son pacte vert ? Quel est le chemin encore à parcourir ?

Le pacte vert en pratique

La première déclinaison concrète du pacte vert est l’adoption de la première loi climat européenne par le Parlement et le Conseil en juin 2021. Cette loi rehausse l’objectif de 2030 à – 55 % d’émissions. Elle inscrit, pour la première fois, l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050. Ces objectifs sont désormais contraignants au niveau de l’Union.

Le cœur du pacte vert se joue dans l’alignement de l’ensemble du cadre réglementaire énergie-climat sur ces nouveaux objectifs, avec la proposition par la Commission du paquet Fit for 55 (« Ajustement à l’objectif 55 % ») en juillet 2021. Le Fit for 55 est le quatrième paquet de réformes législatives sur ces thématiques. Le premier paquet énergie-climat, adopté en 2009, fixait les fameux objectifs « 20-2020 » pour 2020, à savoir une baisse de 20 % des émissions de gaz à effet de serre (par rapport à 1990), une réduction de 20 % de la consommation d’énergie grâce au déploiement de l’efficacité énergétique, et l’augmentation des énergies renouvelables pour atteindre 20 % du mix énergétique européen.

Le Fit for 55 comprend notamment un objectif de 40 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale de l’UE en 2030 (contre 32 % jusqu’ici), et vise à une amélioration de l’efficacité énergétique de 9 % d’ici à 2030 par rapport à 2020.

Quelques nouveautés portent sur la fin de la vente des voitures thermiques, ou sur la mise en place d’obligations de rénovation pour les bâtiments les moins performants. Mais les principales innovations relèvent du renforcement de l’usage du prix carbone, ce qui confirme sa centralité dans la politique de transition énergétique de l’UE, avec :

  • la création d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (« taxe carbone aux frontières ») ;
  • la suppression des quotas carbone gratuits pour certaines industries ;
  • l’introduction d’un deuxième marché carbone sur le bâtiment et le transport routier ;
  • la mise en place d’un Fonds social pour le climat afin d’atténuer les effets négatifs de ce nouveau marché pour les ménages modestes.


Les ambitions du pacte vert pour L’Europe

Source : Commission européenne.


Un ensemble d’initiatives non contraignantes illustrent une vision du pacte vert plus ambitieuse encore que celle exprimée dans le Fit for 55, que ce soit en matière d’objectifs, de mesures ou de secteurs concernés. Pour n’en citer que quelques-unes, sont publiées par la Commission différentes communications sur :

  • l’économie circulaire, avec la perspective d’une nouvelle loi contre l’obsolescence programmée, pour la limitation des usages uniques et l’interdiction de la destruction des invendus
  • la biodiversité, avec l’objectif de transformer au moins 30 % des terres et des mers européennes en zones protégées
  • l’alimentation, avec le principe « de la ferme à l’assiette », qui prévoit notamment d’augmenter la part du bio à 25 % des terres agricoles d’ici à 2030 (contre seulement 9 % en 2020) et de réduire les déchets alimentaires
  • la rénovation des bâtiments, pour doubler le taux de rénovation et rénover 35 millions de bâtiments d’ici à 2030.

Ces communications sont utilisées par la Commission pour donner ses orientations stratégiques et préparer de futures réformes. Néanmoins, en l’absence de traduction en textes réglementaires, elles restent des déclarations d’intention.

On voit, de fait, poindre le risque d’un écart qui se creuse entre le constat, la vision, l’identification des actions nécessaires et les mesures effectivement adoptées pour atteindre la neutralité climat.

Le pacte vert à l’épreuve des crises

Deux crises importantes ont profondément changé le contexte dans lequel s’inscrit la mise en œuvre du pacte vert : la COVID et la crise des prix de l’énergie. Chacune d’elles a représenté à la fois une menace et une opportunité pour la transition.

Si elle a temporairement mis à l’arrêt bon nombre d’activités importantes, la pandémie de COVID-19 en 2020, a par ailleurs donné lieu au tout premier emprunt commun européen afin de financer le plan de relance Next Generation EU, doté de 750 milliards d’euros, dont 300 milliards de subventions.

En brisant le tabou de la dette commune, Next Generation EU est une avancée historique dans l’intégration européenne. Avec un minimum de 37 % de ces fonds devant être alloués à la transition verte, c’est un outil de financement important du pacte vert. Il vient quasiment doubler les fonds européens alloués à l’action climatique.

À la crise de la COVID a succédé la crise des prix de l’énergie, qui a débuté en septembre 2021 en raison d’abord de l’inflation faisant suite à la reprise mondiale, puis des conséquences de l’invasion russe de l’Ukraine. Fin 2022, les importations de gaz russe ont été réduites de 80 %, ce qui a placé l’UE dans une situation de grave inadéquation entre la demande et l’offre de gaz pour l’hiver 2022-2023. Les hivers suivants pourraient être encore plus rudes, car les livraisons de gaz russe sont restées proches de la normale durant tout le premier semestre 2022. Aussi, il pourrait manquer l’équivalent de la moitié du gaz nécessaire pour remplir les stockages européens en prévision de l’hiver 2023-2024.

Dans ce contexte de double crise, la réduction de la demande d’énergie fossile est passée au premier plan des préoccupations nationales. En effet, sécurité d’approvisionnement, compétitivité industrielle, viabilité de nombreuses PME ainsi que cohésion sociale sont mises à rude épreuve par la hausse soudaine des prix de l’énergie.

En réponse, un certain nombre de mesures européennes viennent renforcer le pacte vert. Le plan REPowerEU, présenté en mai 2022, propose d’accélérer les procédures d’octroi de permis pour les énergies renouvelables et de relever les objectifs 2030 pour les renouvelables et l’efficacité énergétique. Le financement de ces réactions face à la crise des prix serait permis par la réorientation des fonds restants du plan de relance européen (300 milliards d’euros, essentiellement sous forme de prêts).

Bilan et perspectives

Bien que les synergies soient évidentes entre la résolution de la crise des prix des énergies fossiles importées et le pacte vert européen, le bilan provisoire est pour l’instant mitigé. Plus de 600 milliards d’euros ont été alloués par les États membres entre septembre 2021 et décembre 2022 pour protéger les consommateurs européens des pires effets de la hausse des prix. C’est autant d’argent qui n’entraîne pas de changement structurel de notre dépendance aux énergies fossiles, et grève les capacités d’investissement futures. Par ailleurs, les stratégies de diversification des États membres impliquent notamment la construction de nouvelles infrastructures gazières, malgré les études montrant que les installations existantes seraient suffisantes et qu’une partie des importations pourraient être remplacées par des économies d’énergie.

Plus largement, il convient de se demander si la transition a vraiment commencé. Les énergies renouvelables ont énormément progressé, mais la crise des prix montre que la forte dépendance aux fossiles demeure. Nos logements, nos déplacements, nos activités de production doivent encore fondamentalement changer. Pour accéder vraiment à la neutralité climat, sans laisser personne sur le côté, chaque texte prévu dans le paquet Fit for 55 devrait atteindre sa plus grande ambition possible, en étant donc accompagné de financements adéquats.

La plupart de ces textes font désormais l’objet d’un accord politique entre le Parlement et le Conseil. Ils n’ont plus qu’à être formellement votés. Il y a de bons espoirs que les négociations relatives au paquet Fit for 55 soient totalement finalisées courant 2023. La mise en œuvre en reviendra alors largement aux États membres.

Ce paquet comporte de réelles avancées, notamment l’arrêt de la vente des voitures thermiques d’ici à 2035, la fin des quotas gratuits de CO2 pour l’aviation intraeuropéenne, la taxe carbone aux frontières, l’introduction d’un Fonds social pour le climat afin d’accompagner les ménages vulnérables. Cela suffira-t-il pour enclencher la transformation radicale que le pacte vert appelle de ses vœux ?

La politique énergie-climat européenne pour 2030 mise énormément sur le signal du prix carbone. Or, la vague impérieuse de rénovation des bâtiments comme la nécessaire révolution verte des transports nécessitent des politiques et des financements plus ambitieux que ce qui est proposé actuellement par l’UE. Au passage, près de 75 % des investissements publics additionnels dans la transition devraient porter sur les secteurs du bâtiment et des transports.

Sur un plan général, le pacte vert ne constitue pas une rupture avec le passé. Il s’inscrit plutôt dans la droite ligne de la montée en puissance progressive des politiques de lutte contre le changement climatique dans l’UE. Malgré les progrès, la Commission ne bouscule pas vraiment ses outils ni ses méthodes. Il s’agit plus d’une amélioration des politiques existantes.

La réalisation du pacte vert nécessiterait de lever certains tabous politiques. Il faudrait, par exemple, des politiques nationales de rénovation des bâtiments alignées sur l’objectif de neutralité climat. La directive sur la performance des bâtiments est l’occasion de doter l’UE d’un cadre minimal pour la rénovation. Mais elle sera, selon toute vraisemblance, en deçà de l’ambition requise pour atteindre l’objectif de 60 % de réduction des émissions d’ici à 2030. Le dossier est sensible car l’action européenne, dans un domaine qui relève généralement du niveau national (voire local), est contestée au nom du principe de subsidiarité. En plus du problème de compétence de l’UE, se pose celui du financement de ces potentielles obligations de rénovation. En l’espèce, la diversité prévaut dans l’Union européenne, les pays se montrant plus ou moins allants.

Au-delà du seul secteur du bâtiment, ces questions sont symptomatiques du manque de soutien politique à la hauteur de l’enjeu de la transition. Car, si de nombreuses solutions sont sur la table, celles-ci impliqueraient des changements de paradigme, tant pour ce qui est de la gouvernance que du financement. Il reste, notamment, à débattre de l’alignement de notre politique monétaire avec la neutralité climat, à l’heure où le relèvement des taux de la BCE renchérit des investissements verts pourtant indispensables à l’atteinte des objectifs climatiques. L’UE a besoin d’une politique fiscale européenne en accord avec le pacte vert 1 , mais également d’une vraie politique européenne de l’énergie, qui impliquerait une coordination et une solidarité bien plus étroites des politiques nationales. Enfin se pose la question de la gouvernance et de la démocratie. Car les changements immenses qui nous attendent ne pourront se produire sans un soutien fort de la société civile, des entreprises et des différents niveaux de gouvernement. De quelles institutions a-t-on besoin pour que chaque acteur accepte d’y mettre du sien, de façon juste et équitable, c’est-à-dire à la hauteur de ses moyens ? Telles sont les questions auxquelles nous devons trouver des réponses afin de continuer à approfondir le pacte vert pour l’Europe.



  1. Avec, par exemple, la mise en œuvre d’un nouveau fonds européen pour financer la transition verte. Voir la note de décryptage d’Andreas Eisl, « Une refonte du cadre budgétaire européen ? », Institut Jacques-Delors, 18 novembre 2022. https://institutdelors.eu/publications/an-overhaul-of-the-european-fiscal-framework/.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2023-3/le-pacte-vert-pour-l-europe-vers-la-neutralite-climat.html?item_id=7847
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