Catherine GUERNIOU

Dirigeante de La Fenêtrière, présidente de la commission Transition écologique de la FFB

Partage

Des matériaux plus frugaux pour des bâtiments plus sobres

Afin d’atteindre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, chaque secteur doit fournir un effort de sobriété. Le bâtiment ne fait pas exception. Si la consommation d’énergie des bâtiments est la plus émettrice de gaz à effet de serre, il ne faut pas occulter l’impact environnemental des matériaux et produits de construction. Réemploi, recyclage et recours accru aux matériaux biosourcés, dans le cadre d’une stratégie d’ensemble, peuvent permettre à la filière d’être exemplaire.

Avec près de 45 % des consommations énergétiques du territoire national, le secteur du bâtiment est le plus gros consommateur d’énergie en France. Si les réglementations successives se sont attachées à réduire les consommations du parc existant et des constructions neuves, avec l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation énergétique et environnementale RE2020, qui intègre l’obligation de comptabiliser l’empreinte carbone des nouvelles constructions, c’est toute la filière qui s’engage dans la décarbonation des matériaux et produits de construction. En effet, le secteur du bâtiment est l’un des plus grands consommateurs de ressources. Il génère chaque année près de 46 millions de tonnes de déchets, dont près de 90 % proviennent des chantiers de déconstruction et de rénovation.

La demande en matériaux continue d’augmenter à un rythme soutenu. Si la tendance se poursuit, elle pourrait être multipliée par trois d’ici à 2050, malgré les alertes fréquentes des experts et les événements climatiques récurrents. Le défi de cette décennie est de passer à une échelle supérieure en massifiant et en généralisant les pratiques de réutilisation des structures, des matières, des matériaux, des dispositifs. Cela permettrait de réduire la pression sur les ressources naturelles. Réduire l’impact environnemental du secteur est devenu un impératif, mais cela nécessite de profondes transformations, tant au niveau des mentalités que des pratiques de conception et de construction, des relations entre les acteurs et la réglementation. Le secteur du bâtiment doit se questionner davantage sur les limites physiques des territoires et des ressources qu’il exploite, directement ou indirectement.

Les défis sont nombreux : l’inertie du secteur face à la nécessité de faire évoluer les pratiques, la méfiance et le scepticisme dus au manque de connaissance à tous les niveaux et l’insuffisance de la demande émanant des maîtres d’ouvrage. Pour surmonter ces obstacles, il est crucial de renforcer la sensibilisation et d’encourager l’adoption de pratiques plus durables. La sobriété est un des leviers incontournables de la transition écologique. Cela consiste à nous questionner sur nos besoins et à les satisfaire en limitant leurs impacts sur l’environnement. Dans le secteur du bâtiment, elle peut se décliner sous trois angles :

  • Sobriété de conception : opter pour une conception architecturale frugale afin de gagner sur les ressources, les consommations en matériaux et en énergie ; limiter l’artificialisation des sols ; etc.
  • Sobriété de réalisation : avoir recours aux matériaux à faible contenu carbone, réemployés, recyclés ; utiliser des procédés constructifs peu consommateurs d’énergie ; s’appuyer sur des ressources et des solutions locales, etc.
  • Sobriété d’usage : sensibiliser l’usager sur l’utilisation de son bien de manière à assurer un confort tout en garantissant une consommation énergétique réduite.

La sobriété repose donc sur un ensemble d’actions impliquant toutes les parties prenantes, où chacun doit prendre sa part. Si nous nous intéressons plus précisément à la sobriété de réalisation, levier essentiel pour limiter les déchets générés par le secteur, celle-ci peut s’appuyer sur des matériaux ou des équipements ayant à la fois une faible empreinte carbone et favorisant l’économie circulaire.

Les matériaux biosourcés, des matériaux bas carbone…

Les matériaux biosourcés sont des matériaux issus de la biomasse, tels que le bois ou le chanvre. Les matériaux géosourcés sont des matériaux issus de ressources d’origine minérale, telles que la terre crue ou la pierre sèche.

Les matériaux biosourcés étant issus du vivant, ils jouent un rôle significatif dans le stockage du carbone ainsi que dans la préservation des ressources naturelles. C’est pour cela qu’ils permettent de réduire l’empreinte carbone des projets et de limiter les déchets générés. Sur le plan des émissions de gaz à effet de serre (GES), les matériaux biosourcés se distinguent très souvent des matériaux conventionnels par leur capacité à stocker du carbone. Ainsi, l’impact d’un isolant biosourcé est environ 4 fois moins important que celui d’un isolant conventionnel (laine de verre ou roche). Cet écart est essentiellement lié à la phase de production. Les matériaux conventionnels émettent la majorité de leurs GES au cours de cette phase, qui consiste à extraire la matière première, à la transporter et à la transformer en produit fini. Au contraire, les matériaux biosourcés n’émettent presque pas de GES lors de cette phase et ont parfois un bilan négatif. Cela s’explique principalement par trois facteurs convergents. D’abord parce qu’ils sont constitués de matières organiques, ils absorbent du CO2 au cours de leur croissance. Ensuite, leur transformation avant utilisation est peu énergivore. Enfin, puisqu’ils sont généralement issus de la valorisation d’un coproduit de l’agriculture ou de la sylviculture, ils évitent la production de déchets. Lors de la fin de vie du matériau, le carbone stocké initialement lors de la croissance de la plante peut être soit valorisé via le réemploi ou le recyclage pour une seconde vie, soit rejeté in fine dans l’atmosphère entièrement ou en partie selon l’option choisie (incinération ou stockage).

Il est important de noter que, si le bilan carbone des matériaux biosourcés est généralement meilleur que celui des matériaux conventionnels, il ne faut pas occulter les autres caractéristiques techniques. Ainsi, les domaines d’emploi, de même que les performances thermiques et acoustiques, sont des points cruciaux à prendre en compte lors du choix d’un matériau par rapport à un autre.

Le cycle de vie des matériaux biosourcés : un stockage du CO2 pendant plusieurs décennies

… mais pas que

Attention néanmoins, matériau biosourcé ne rime pas systématiquement avec bas carbone. Ces matériaux ne sont pas nécessairement à 100 % naturels et sans impact sur l’environnement. De plus, ils peuvent parfois être transformés, contenir des additifs ou avoir été transportés sur de longues distances. Dans une logique de construction durable, il est donc préférable d’utiliser des matériaux biosourcés locaux et le moins transformés possible, sous réserve qu’ils répondent aux caractéristiques techniques pour lesquelles ils sont mis en œuvre. L’indicateur « réchauffement climatique » issu du calcul en analyse de cycle de vie (ACV) permet d’évaluer le critère carbone d’un matériau ou d’un produit tout au long de sa durée de vie. La base de référence nationale Inies centralise ces données (www.inies.fr).

Le réchauffement climatique et les températures de plus en plus extrêmes amènent l’ensemble de la filière à repenser la conception des bâtiments en prenant davantage en considération la période estivale. Si la précarité énergétique en période hivernale a pendant longtemps été la préoccupation majeure du secteur, les derniers épisodes caniculaires placent désormais le confort d’été comme une priorité. Un logement mal isolé sera inconfortable en hiver, car difficile à chauffer, mais également inconfortable en été, car sujet aux surchauffes. Grâce à leurs propriétés physiques, les matériaux biosourcés conduisent peu la chaleur, ce qui autorise à conserver la fraîcheur à l’intérieur. Ils ont également la propriété de la stocker. Tout cela s’avère très utile en été, mais également en hiver, car cela permet d’éviter que la chaleur à l’intérieur du bâtiment ne se dissipe trop rapidement vers l’extérieur.

Le secteur du bâtiment, comme d’autres, est confronté à des problématiques d’approvisionnement et de pénuries de ressources non renouvelables. Les événements qui se sont succédé ces dernières années (COVID-19, guerre en Ukraine, etc.) ont confronté l’ensemble des secteurs à cette problématique. Le recours aux matériaux biosourcés, composés en grande partie de matière organique disponible en abondance sur le territoire national (bois, chanvre, lin, ouate de cellulose, paille de blé, etc.), constitue une alternative fiable et locale à cette problématique de disponibilité de la ressource. À l’heure actuelle, la production de matériaux biosourcés représente une petite part de l’industrie de la construction et reste encore une ressource largement inexploitée. Elle est estimée à environ 1 % de la part de la biomasse disponible valorisée dans le secteur du bâtiment !

En France, les matériaux biosourcés à destination du bâtiment constituent à la fois une filière de production destinée au marché et une filière artisanale possédant un savoir-faire spécifique, tant pour les constructions neuves que pour la rénovation. En utilisant des ressources locales, ces matériaux favorisent une économie circulaire proche des lieux de production, créant ainsi des emplois locaux et contribuant au dynamisme économique des territoires. Ils offrent de nouvelles opportunités aux secteurs agricoles et sylvicoles français, ainsi qu’une source de revenus supplémentaire. Le développement des matériaux biosourcés présente donc un fort potentiel de croissance. Depuis 2010, le ministère de la Transition écologique a mis en place un plan pour lever les obstacles à la massification de leur utilisation dans le secteur du bâtiment.

Il est essentiel d’utiliser les produits biosourcés de manière raisonnée afin de ne pas exercer une pression excessive sur les ressources naturelles nécessaires à leur production. Par exemple, une augmentation significative de la demande de bois de construction pourrait entraîner la déforestation ou nécessiter l’importation de matières premières. Il est donc crucial de s’assurer que les ressources utilisées pour fabriquer ces matériaux soient gérées de manière responsable et durable, évitant toute surexploitation.

Le réemploi, une filière en cours de structuration

Le développement de l’économie circulaire est un axe clé pour décarboner le bâtiment de façon rapide et efficace. Le réemploi de matériaux en est un des leviers, limitant la tension sur les ressources naturelles. Le réemploi signifie utiliser de nouveau un produit ou un matériau de construction pour un même usage ou un usage différent de celui pour lequel il avait été conçu initialement. Bien qu’en plein essor, ces pratiques peinent pourtant à passer à l’échelle supérieure pour différentes raisons économiques, techniques, assurantielles ou encore culturelles. À l’heure actuelle, le réemploi en France concerne moins de 1 % du gisement des déchets du bâtiment !

Le contexte réglementaire du secteur du bâtiment est aujourd’hui favorable au développement du réemploi. Un ensemble de réglementations ont vu le jour afin de favoriser le développement de la filière réemploi. On peut notamment citer la responsabilité élargie du producteur (REP) bâtiment, qui fixe des objectifs ambitieux sur le réemploi pour la filière (4 % en 2027, 5 % en 2028 du gisement des déchets en masse) et prévoit la mise en place de nombreux points de collecte pour les matériaux à destination du réemploi. Outre la REP bâtiment, la RE2020, entrée en vigueur en 2022 pour les nouvelles constructions, favorise grandement l’emploi de ce type de matériaux. Dans le cadre de l’analyse du cycle de vie du bâtiment, un produit ou un matériau réemployé est comptabilisé à 0 du point de vue de son empreinte carbone, ce qui confère un avantage significatif pour atteindre les seuils imposés par cette réglementation.

Les matériaux recyclés : une accélération en perspective

Face aux problèmes des déchets et des surplus inutilisés et en bon état, les artisans et les entrepreneurs du bâtiment montrent leur réticence à jeter des matériaux pouvant être réemployés. Ils souhaitent s’investir dans des activités de réemploi, d’abord sur les chantiers, et, pour certains, en amont, prescrivant des produits et des équipements de réemploi dans les projets de construction.

Cependant, beaucoup s’interrogent sur la manière dont les marchés du réemploi pourront se développer, car ils perçoivent des contraintes importantes : gisements hétérogènes et dispersés, difficultés à caractériser les produits et les matériaux de réemploi, responsabilité juridique des acteurs, etc. Ces défis rendent le modèle économique encore incertain. Les artisans et les entrepreneurs ont aujourd’hui besoin de plus de visibilité pour généraliser ces pratiques.

Le bâtiment de demain pourra être conçu à l’aide de matériaux issus du réemploi si les conditions techniques, économiques et assurantielles sont réunies. Pour mener à bien cela, l’ensemble de la filière devra se mettre en ordre de bataille pour :

  • disposer de matériaux de réemploi caractérisés pour les chantiers : les professionnels du bâtiment doivent pouvoir utiliser les matériaux de réemploi en toute confiance, sans s’interroger sur leur apparence, leur qualité technique ou leur durabilité ;
  • créer des conditions juridiques et assurantielles favorables au réemploi : la problématique la plus complexe aujourd’hui concerne le domaine de l’assurabilité des produits issus du réemploi. Les experts et les organisations professionnelles travaillent activement sur ce sujet, notamment en créant des recommandations de réemploi visant à sécuriser les pratiques de réemploi de produits entrant dans le champ de l’assurance décennale ;
  • créer un cadre économique équilibré et incitatif au réemploi car le coût inhérent au réemploi par rapport à un produit neuf freine très souvent les maîtres d’ouvrage dans leur usage ;
  • favoriser le réemploi en circuit court : il faut repenser les modes de conception, en pensant le bâtiment comme une banque de matériaux et d’équipements, en favorisant le démontage et la réparabilité. Il est important de penser les projets au niveau local pour aller vers des solutions techniques à échelle humaine, sans se lancer dans l’industrialisation à outrance, consommatrice d’espaces et de ressources.

Dans la famille « économie circulaire », les matériaux et produits recyclés ont leur rôle à jouer dans la décarbonation du secteur (acier, bois, verre plat, plâtre, granulats, etc.).

La mise en place de la filière REP bâtiment, opérationnelle depuis mai 2023, témoigne de cette volonté et est annoncée comme un catalyseur du recyclage, en accélérant notamment le tri des déchets de chantier et leur collecte, conditions initiales sine qua non d’une filière performante.

La réglementation fixe des objectifs ambitieux à atteindre d’ici à 2027 pour faire de la filière bâtiment une des plus performantes d’Europe : 88 % de valorisation des inertes (dont 43 % de recyclage) en 2027 et 57 % (dont 45 % de recyclage) pour les déchets non inertes et non dangereux (bois, verre, plâtre, métal, plastiques, etc.).

Le défi de la filière bâtiment est multiple, avec la quantité très élevée des déchets à traiter au premier plan (46 millions de tonnes par an), la variété des déchets à traiter, la multiplicité des acteurs impliqués.

Malgré des débuts compliqués, l’argent collecté via les écocontributions mises en place sur les matériaux et les produits neufs constitue une ressource exceptionnelle pour le développement et l’accélération des filières de recyclage françaises dont le secteur doit se saisir.

Basculer d’une sobriété subie vers une sobriété voulue

Nous vivons dans un monde dépendant des ressources naturelles, avec des chaînes d’approvisionnement externes ou internes parfois fragiles. La période COVID-19 ou la guerre en Ukraine ont mis en exergue cette problématique d’approvisionnement, faisant supporter aux différents secteurs économiques une sobriété subie.

Pour basculer vers une sobriété voulue, il est primordial de s’orienter vers des matériaux résilients face au changement climatique, face à la diminution de l’approvisionnement énergétique ou encore face à la pénurie des ressources. Pour l’ensemble des acteurs du bâtiment, il est donc nécessaire d’ouvrir au maximum le champ de réflexion afin d’explorer les solutions les plus systémiques possibles.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2024-10/des-materiaux-plus-frugaux-pour-des-batiments-plus-sobres.html?item_id=7936
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article