Thibaut de SAINT POL

Sociologue, administrateur de l’Insee et professeur associé à l’École normale supérieure de Paris-Saclay.

Partage

Les mutations de la consommation

La consommation des Français a augmenté continuellement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Parallèlement à cet accroissement, la répartition des différents postes de consommation dans le budget des ménages a été bouleversée. Les parts de l’alimentation et de l’habillement ont diminué, tandis que celles du logement, des transports et de la santé se sont accrues. De manière plus générale, la consommation de services occupe aujourd’hui une place prépondérante par rapport aux biens.

Depuis le milieu du XXe siècle, la consommation des Français a augmenté régulièrement chaque année. Au cours des cinquante dernières années, le volume de consommation par habitant a été multiplié par trois 1. Durant la période s’étendant de l’après-guerre au choc pétrolier de 1974, marquée par l’avènement d’une consommation de masse, le pouvoir d’achat de l’ensemble des ménages a fortement crû (+ 5,8 % par an en moyenne entre 1960 à 1974), conduisant, sur la même période, à une augmentation annuelle en volume des dépenses de consommation au niveau individuel de 4,1 % par an 2.

Si le pouvoir d’achat des ménages a ensuite progressé moins vite, la consommation a quand même augmenté de 2,2 % par an entre 1975 et 2008, soit 1,5 % au niveau individuel. Entre 1960 et 2008, l’augmentation a été de 3,2 % par an en moyenne et de 2,5 % en moyenne au niveau individuel. En 2019, la consommation totale des ménages représente 1 253 milliards d’euros.

Une transformation profonde de la structure des dépenses

Dans le cadre de cette croissance globale de la consommation, de profonds changements dans la structure des dépenses de consommation ont eu lieu. Les proportions des dépenses consacrées par les ménages à l’alimentation et à l'habillement ont été réduites, au profit notamment du logement, des transports, de la santé, des dépenses de communication et de loisirs (tableau 1). Cette évolution s’explique par de nombreux facteurs liés aux modes de vie (urbanisation, mutations du marché du travail, etc.), démographiques (vieillissement de la population, évolutions des structures familiales, etc.) ou encore liés au progrès technique et à l’apparition de nouveaux équipements ou de nouveaux produits. Cette évolution recouvre un autre phénomène structurant : les services, qui comptaient pour 30 % des dépenses de consommation des ménages en 1960, en représentent plus de la moitié depuis le milieu des années 2000. La majeure partie de cette hausse tient aux seuls services de logement (paiement de loyers, qu’ils soient réels ou imputés aux ménages propriétaires occupant leur logement). On doit toutefois noter que biens et services connaissent souvent un développement complémentaire, comme cela a été le cas par exemple avec l’informatique.

Ce transfert de la part de la consommation de biens vers celle des services s’explique plus particulièrement par un effet de prix : sur longue période, le prix des biens, en particulier celui des biens manufacturés (+ 3,5 % par an), augmente beaucoup moins vite que celui des services (+ 5,9 % pour les services hors loyers). Les gains de productivité permis par le progrès technique bénéficient surtout à la fabrication des biens manufacturés, alors même que les augmentations salariales concernent tous les secteurs d’activité. Par conséquent, la croissance relative du prix des services par rapport à celui des biens contribue elle-même à la prépondérance des services dans la structure du budget des ménages.



Le poids des dépenses socialisées de santé et d’éducation

Pour dessiner un portait complet de la consommation, il est nécessaire de prendre en compte les dépenses qui ne sont pas portées directement par les ménages. Ainsi, les dépenses des ménages ne représentent en 2019 que les trois quarts de la consommation totale (tableau 2). Les dépenses des administrations publiques en représentent en effet 22 % et concernent principalement des dépenses socialisées dont bénéficient les ménages, mais qui ne portent pas directement sur leur budget. Les dépenses de santé portées par les administrations publiques représentent ainsi 10 % de la consommation totale, et celles d’éducation 6 %. Cette part de la consommation des ménages prise en charge par les administrations publiques a progressé depuis les années 1960, entraînant de fait une augmentation des dépenses publiques.

En ce qui concerne les dépenses supportées directement par les ménages, c’est le poste logement, chauffage et éclairage qui est désormais le plus élevé, en 2019 il représente 20 % de la consommation totale. Les dépenses de transports des ménages représentent 11 % de la consommation totale et celles d’alimentation et boissons non alcoolisées, 10 %.



Une forte baisse de la part de l’alimentation

La très nette hausse des niveaux de vie au cours des Trente Glorieuses a permis de desserrer la contrainte des dépenses de première nécessité. La part en valeur des dépenses d’alimentation (y compris le tabac) est passée de 38 % du budget de consommation en 1960 à 17 % en 2019. Cette consommation a augmenté régulièrement chaque année en valeur, mais moins vite en volume que les autres catégories de biens et de services, d’où la réduction de la part qu’elle représente dans le budget total. Cette baisse concerne les dépenses de produits alimentaires à domicile, la part des dépenses de restauration ayant augmenté.

Les transformations de l’alimentation expliquant ces évolutions sont nombreuses, en lien avec la transformation de l’environnement du consommateur 3. C’est le cas par exemple avec le développement des grandes surfaces, les mutations de l’offre de produits (plats préparés, surgelés, etc.) ou encore la forte diminution de l’autoconsommation, c’est-à-dire de la part des biens produits par les ménages eux-mêmes pour leur propre consommation. Ainsi, l’augmentation des montants dépensés pour l’alimentation, même si elle reste faible, s’explique aujourd’hui principalement par le transfert vers des produits de plus grande qualité ou plus élaborés, demandant moins de temps de préparation dans le cadre d’un arbitrage entre ressources financières et temporelles.

Le logement devenu premier poste de dépense

La forte augmentation de la part du budget des ménages consacrée au logement depuis les Trente Glorieuses s’explique par la croissance du nombre de logements, de leur qualité, et par leur équipement en meubles et appareils électroménagers. En 2019, les dépenses liées au logement, à son chauffage et à son éclairage représentent 26,5 % du budget des ménages et les dépenses d’équipement du logement 4,6 %, soit un total, pour le poste logement au sens large, de 31,1 %. Cette évolution s’explique notamment par la croissance du nombre de ménages propriétaires.

En effet, les nouveaux propriétaires ne paient plus de loyers, mais font face à des dépenses d’autres types (dépenses d’investissement, remboursement d’emprunts). Pour neutraliser cet effet trompeur de l’accession à la propriété sur la mesure de la consommation des ménages, la comptabilité nationale considère que les ménages propriétaires occupant leur logement bénéficient de fait d’une consommation de logement, c’est-à-dire se payent des loyers à eux-mêmes (loyers dits « imputés »). On observe que la hausse de la part du logement dans la consommation des ménages tient en premier lieu à la hausse de ces loyers imputés, celle des loyers réels arrivant en second. Cette dernière tient à la fois à un effet de prix, celui des loyers ayant augmenté plus vite que l’inflation, et à un effet de volume, la quantité et la qualité des logements ayant crû globalement plus rapidement que celles du reste de la consommation.

Les dépenses liées au logement sont généralement perçues par les ménages comme des dépenses contraintes, car préengagées dans leur budget. Ainsi, en 2019, les loyers (réels et imputés) représentent 57 % de ces dépenses préengagées sur lesquelles les ménages peuvent difficilement arbitrer à court terme 4. Si ces dépenses de loyers ont tendance à croître, la part de l’ensemble des dépenses préengagées dans le revenu disponible brut recule et atteint 29 % en 2019.

Des dépenses de transport surtout liées au véhicule personnel

Si le poids des dépenses de transport a fortement augmenté dans le budget des ménages depuis 1960, c’est lié en premier lieu au fort développement de l’équipement des ménages en automobiles. Cette croissance de la part des dépenses est due à la hausse des prix d’achat, mais aussi aux dépenses d’utilisation de l’automobile (réparation, entretien, carburant). Bien qu’elles ne soient pas stricto sensu des dépenses préengagées, ces dernières sont généralement perçues comme telles par les ménages, du fait de l’obligation pour beaucoup d’utiliser les véhicules personnels dans les déplacements entre le domicile et le lieu de l’activité professionnelle.
Le train et les transports urbains ont rejoint le rythme de croissance de l’automobile dans les années 1980, mais c’est surtout grâce à l’avion que les transports en commun croissent jusqu’en 2019.

Les associations de consommateurs

Regroupant des bénévoles au sein d’associations de type loi de 1901, les associations de consommateurs se donnent pour mission de développer des actions de conseils, de formation et d’information à destination des consommateurs. Elles sont indépendantes des pouvoirs publics et leurs ressources proviennent en premier lieu des cotisations de leurs adhérents, de ressources propres et éventuellement de subventions.

En France, quinze associations de consommateurs nationales sont agréées. Elles proviennent de trois grands mouvements :

  • Le mouvement familial : le Cnafal, la CNAFC, la CSF, Familles de France, Familles rurales, regroupés au sein de l’Unaf.
  • Le mouvement syndical : l’Adeic, l’Afoc, l’Indecosa-CGT.
  • Le mouvement consumériste et spécialisé : l’UFC-Que Choisir et la CLCV pour les questions de consommation, la CGL et la CNL pour le logement, la Fnaut pour les transports, l’ALLDC pour l’éducation populaire.

Des dépenses de santé en forte croissance

La part des dépenses de santé payées par les ménages est faible : seulement 3 % de la consommation effective en 2019. Le reste (10 % de la consommation effective) est financé par la Sécurité sociale, les organismes complémentaires (assurances, instituts de prévoyance et mutuelles) et par l’État.
Le poids de ces dépenses dans le budget des ménages a, toutefois, doublé depuis 1960 du fait de la forte croissance des dépenses de santé et de la baisse de la part prise en charge par la collectivité.

L’essor du poste « communication, loisirs et culture »

Le poste regroupant les dépenses de communication, de loisirs et de culture a connu l’une des plus fortes croissances depuis 1960. Sa part est passée de 10 % du budget de consommation en 1960 à 16 % en 2007, avec une très forte croissance en volume et des prix qui ont augmenté en moyenne moins vite que l’inflation.

Ce domaine se caractérise par une très forte mutation de l’offre de biens consommés et donc du budget consacré à ce poste. Dans cet ensemble, les dépenses de communication sont celles qui ont crû le plus vite, en particulier depuis le milieu de la décennie 1990 avec la téléphonie mobile et Internet. Ces produits et ces services sont rapidement devenus de plus en plus accessibles, et même indispensables pour beaucoup de ménages. Avec le logement, les services de communication constituent l’un des principaux facteurs du développement des dépenses préengagées.


  1. Voir « La consommation des ménages depuis cinquante ans », Insee, 2009 (www.insee.fr/fr/statistiques/1372376).
  2. L’expression « au niveau individuel » signifie ici que l’on neutralise les effets liés à l’accroissement démographique sur la période, en rapportant la consommation au nombre d’unités de consommation.
  3. Thibaut de Saint Pol (dir.), « Sociologie de l’alimentation », l’Année sociologique, vol. 67, no 1, PUF, 2017.
  4. « Consommation et épargne des ménages », Insee, 2020 (www.insee.fr/fr/statistiques/4797632).
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2021-6/les-mutations-de-la-consommation.html?item_id=5783
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article