Emmanuel LE ROCH

Délégué général de Procos, fédération pour la promotion du commerce spécialisé.

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Les adaptations de l’immobilier commercial aux nouvelles attentes

La crise de la Covid et ses conséquences bousculent l’immobilier commercial, appelé à toujours davantage d’agilité et de flexibilité. La mutation des modes de vie, emportés notamment par Internet, et la nécessaire chasse aux coûts modifient sensiblement les géographies et les modèles économiques des différents types d’offre commerciale. Cependant, les fondamentaux du magasin (accessibilité, visibilité, qualité) demeurent.

Les activités de commerce sont actuellement impactées par de nombreux phénomènes. La plupart préexistaient à la crise de la Covid. Celle-ci les accélère. La crise sanitaire entraîne une profonde crise des mobilités. Avec le télétravail, l’absence de touristes internationaux, les craintes vis-à-vis des lieux de forte concentration tels que les transports en commun ou les grandes polarités commerciales, de nombreux fondamentaux des lieux de commerce sont mis en danger. Une grande partie des clés de lecture traditionnelles du secteur a été annihilée par les conséquences de la Covid. Pour combien de temps ?

Les tendances à impact durable sur le commerce et l’immobilier commercial

Le modèle omnicanal s’impose. Avec la Covid et les confinements, le poids des ventes Internet dans le commerce de détail est passé de 9,5 % à 13,4 % en un an. On a beaucoup parlé d’Amazon et de quelques pure players mais ce sont les enseignes physiques qui ont le plus développé ces ventes : drive, click & collect, livraisons.

Les magasins ont bien résisté. Fermer les magasins pour savoir si l’e-commerce pouvait s’y substituer ? Nous n’aurions jamais pu mettre en place un test réel. La Covid nous l’a imposé. S’il ne faut pas sous-estimer les impacts du développement du digital et du Web sur le modèle économique, les magasins ont su s’adapter et les consommateurs ont répondu présent à chaque réouverture. Le magasin restera donc la pierre angulaire du modèle retail.

Cette mise en place accélérée du modèle omnicanal a de multiples conséquences. Elle commande des investissements très importants, notamment en logistique. Elle demande une transformation accélérée de l’hybridation du point de vente, qui devient à la fois point de retrait et local de stock rapproché pour la livraison au client, avec de nouvelles affectations des surfaces. Tout point de vente doit s’adapter aux flux, multiples et tous vitaux : fréquentation des consommateurs ; accès au retrait des produits (drive voitures et piétons, click & collect, casier de retrait, etc.) ; livraisons vers le point de vente pour les besoins du magasin mais également ceux des clients (commandes via Internet) ; départ des livraisons vers des consommateurs finaux.

Quel avenir pour les magasins ?

L’avenir du magasin est-il pour autant uniquement le showroom ? Le consommateur se déplacera-t-il seulement pour voir des produits et des solutions, pour vivre une expérience, sans possibilité de repartir avec le produit de son choix et qu'il se ferait livrer ? En théorie, le showroom c’est le rêve car il nécessite peu de gestion. Une telle approche se limitera, en réalité, à quelques flagships ou quelques acteurs. Chaque local, en fait, devra permettre à la fois des flux de clients et des flux de produits plus fréquents qu’hier.

Une plus grande agilité sera nécessaire pour les enseignes. Fini le format unique : l’adaptation de la taille des locaux au marché local, au type d’emplacement, s’accélérera. Les surfaces seront différentes selon les lieux, avec de plus en plus de diversité. Le pragmatisme et la rentabilité doivent guider le choix des acteurs. Face à une même évolution de l’environnement, les enseignes n’ont pas la même réponse. Deux grands modèles se profilent. Certains cherchent à fonctionner avec moins de magasins, mais d’une taille plus grande pour accroître l’effet « waouh ». D’autres, au contraire, privilégient la combinaison magasin-Internet et s’orientent vers davantage de magasins, plus proches du client et plus petits.

Dans ce contexte, la conception des sites et des locaux doit viser la plus grande flexibilité possible en termes de divisibilité (hauteur, largeur), car le commerce de demain présente encore de nombreuses inconnues et les cycles seront de plus en plus courts.

En termes de localisation, le développement des outils digitaux pourrait laisser croire qu’il est possible de se contenter d’emplacements no 2. C’est possible pour quelques activités et pour des concepts « malins ». Mais la grande majorité des acteurs recherchera la fréquentation, donc des emplacements plutôt no 1, et dans tous les cas des lieux de flux.

L’immobilier commercial post-crise en perspective

Tous ces éléments nourrissent une remise en cause du business model et de la chaîne de valeur. Le volume des ventes Internet (drive, livraison chez le client), alors que le chiffre d’affaires global et la consommation stagnent, accélère la nécessité d’affecter différemment les moyens disponibles. Le poids de l’immobilier devra baisser, et le digital et la logistique prendront une place plus importante dans la structure des coûts et des investissements. Plusieurs raisons à cela : d’abord le magasin et sa fréquentation ne constituent plus le seul pourvoyeur d’activité. Ensuite, en baisse tendancielle forte, la fréquentation des points de vente est une préoccupation croissante, en particulier pour les grands lieux de commerce. Chaque exploitant effectue le rapport entre fréquentation réelle et moyens consacrés (loyer, investissement pour l’aménagement). Par ailleurs, les acteurs du commerce non alimentaire doivent travailler l’« expérience client », qui dépend très fortement des équipes en magasin (conseil, fidélisation, discours de marque), ce qui suppose de dégager les moyens de les payer.

Pour résoudre cette quadrature du cercle de la réduction des coûts immobiliers, trois hypothèses sont possibles : baisser les loyers et les charges locatives par mètre carré ; réduire les formats ; s’implanter sur des emplacements moins onéreux en combinant intelligemment e-commerce et magasins.

Le cadre contractuel doit sans doute évoluer. Le bail commercial qui régit les relations entre bailleurs et commerçants ne présente sans doute pas la souplesse indispensable aux évolutions fréquentes des activités du commerce. Les cloisonnements d’hier n’existent plus. Une nouvelle souplesse devra être prise en compte pour permettre l’adaptation rapide des concepts et des activités ainsi que pour intégrer la réalité des fluctuations des volumes d’affaires, dans un partage nouveau de la valeur entre commerce et immobilier. Les revenus immobiliers ne peuvent plus s’inscrire dans une logique de flux financiers garantis et en croissance.

Une géographie commerciale modifiée ?

En termes de lieux de commerce, de nouvelles questions se posent. Elles relèvent de la mobilité et de la relation entre lieu de vie et lieu de travail. La crise de la Covid a mis en difficulté les fondamentaux de l’attractivité des sites les plus importants. L’absence de touristes et un taux de télétravail très élevé entraînent de fortes interrogations sur l’après et le délai d’un « retour à la normale ». Le taux de télétravail d’après-crise aura d’importants impacts. Si chaque collaborateur est moins présent au bureau, ses lieux d’achats changent, générant un impact négatif sur les commerces des zones de bureaux et de transports (gares en particulier). Les conséquences seront plus positives pour les commerces à proximité des lieux d’habitation.

Les retail parks, parcs d’activité commerciale, sortent renforcés de cette crise. Paradoxalement, et alors que les tendances sociétales poussent à la densification de l’habitat et à la réduction de l’emprise de l’automobile, la crise de la Covid entraîne une nouvelle appétence pour l’habitat individuel et le recours à la voiture. Les retail parks, par exemple, sont favorisés pour leur accessibilité en voiture et l’accès direct aux magasins.

La crise révèle un attrait accru pour la proximité. Mais quelle proximité ? Du fait des difficultés de mobilité et du développement du télétravail, les Français passent beaucoup plus de temps chez eux, ce qui favorise les commerces proches des lieux d’habitation, en particulier pour les achats alimentaires. Plus le taux de télétravail d’après-crise sera élevé, plus la situation sera favorable à ces commerces et défavorable aux sites importants (grands hypermarchés, centres commerciaux, galeries marchandes) et aux lieux de flux (moins de trajets domicile- travail). Attention toutefois, la proximité n’a pas le même sens selon les types d’achat. Et proximité ne veut pas seulement dire centres-villes. En effet, pour les achats non alimentaires, le comportement du consommateur est différent. Les achats non alimentaires (habillement, électroménager, bricolage, meubles, etc.) impliquent davantage les clients et sont moins fréquents. Les logiques d’ampleur du choix jouent davantage. Dans ce contexte, la concurrence est plutôt entre les lieux de destination, souvent en périphérie, et Internet. C’est donc l’attractivité des sites physiques (facilité d’accès, disponibilité des produits, qualité du conseil des commerçants, expérience spécifique) qui leur permettra de demeurer attractifs.

Est-ce la fin des centres commerciaux et des grandes rues marchandes ? Certainement pas. Mais leur fréquentation décroît. Ils vont devoir concevoir une offre et une qualité d’accueil qui leur permettent de se distinguer d’Internet (lien social, qualité de service). Cette baisse de fréquentation change irrémédiablement le modèle économique et réclamera une baisse des loyers dans la très grande majorité des cas. Bien entendu, la logique de l’emplacement no 1 est toujours présente mais, tendanciellement, le retail va réduire sensiblement la part des coûts immobiliers dans son modèle global.

Reste une inconnue importante : le taux de vacance d’après-crise. Le besoin de création de nouveaux locaux commerciaux dans les différents lieux de commerce sera directement lié au taux de vacance qui résultera de la crise en 2021-2022. Celui-ci dépendra, en particulier, de la capacité des propriétaires immobiliers à accompagner le commerce dans les prochains mois en adaptant, ponctuellement ou définitivement selon les cas, les valeurs de loyer à la réalité de l’activité post-Covid (prise en compte de l’absence durable de touristes internationaux, conséquences du maintien d’un certain niveau de télétravail et/ou d’un retour très progressif de l’utilisation des transports en commun). Sans cette adaptation intelligente, le taux de vacance peut se développer dans tous les types de sites, en particulier les centres-villes et les centres commerciaux.

Le marché sera de plus en plus diffus. Les possibilités de choix (Internet mais également multitudes de magasins) diluent fortement le marché et fragilisent un peu tout le monde. Il est de plus en plus complexe d’avoir une puissance suffisante pour capter une part importante et croissante de la demande.

À l’avenir nous devrions observer une bipolarisation des consommateurs. Une partie devrait se tourner davantage encore vers la consommation responsable, mais une autre partie, y compris pour des questions de pouvoir d’achat, restera très attachée au prix donc au discount, secteur qui a encore de belles années devant lui.

Les enjeux des périphéries

La périphérie est la proximité de 70 % des Français. On confond trop souvent proximité, centre-ville et petits commerçants. Or, la majorité des Français vit en périphérie. Dans beaucoup de villes moyennes, le commerce de périphérie se situe à moins de quinze minutes en voiture, souvent bien plus proche que le centre-ville. Le commerce des zones commerciales de périphérie sortira renforcé de la crise actuelle. Les activités très représentées y ont été moins impactées. C’est le cas de l’équipement de la maison (bricolage, jardinerie, électroménager, informatique) ou du sport. À l’inverse, l’équipement de la personne, la beauté-santé, la restauration, activités majoritaires des centres-villes et des centres commerciaux, sont plus fragilisés.

En matière d’action publique, tout s’oriente vers les centres-villes dans les villes moyennes (programme Action cœur de ville). Mais il n’est pas certain que l’attractivité des centres-villes ait été renforcée par cette crise. Des programmes de centres-villes avec un niveau croissant de mixité seront soutenus. Mais les difficultés persistent. Implanter des commerces qui peuvent vivre de la seule proximité s’avère toujours délicat, en raison de difficultés d’accès, de circulation, de parking. Les problèmes logistiques s’accroissent en environnement contraint, avec des coûts immobiliers plus élevés dans l’urbain. Les grandes enseignes de périphérie (bricolage, sport, meuble) cherchent à se rapprocher des habitants des centres-villes dans les grandes agglomérations, mais cette motivation est bien moindre dans les villes moyennes, car la périphérie est proche.

L’enjeu de l’immobilier commercial des prochaines décennies sera la modernisation de l’immobilier des zones commerciales. Il s’agira de passer d’un immobilier disparate, d’une organisation individuelle, désordonnée, à une meilleure intégration pour le consommateur (circulation douce ou piétonne, stationnement partagé) et pour la ville (mixité de fonctions lorsque le territoire le justifie) sans altérer l’efficacité des exploitations commerciales. Le challenge est élevé. La période de travaux, la fréquente sous-estimation des fondamentaux du commerce (accessibilité, nuisance vis-à-vis de l’environnement) ou le coût excessif des nouveaux projets (surcoûts d’aménagement et de loyer) risquent de fragiliser fortement une zone préalablement efficace. C’est un enjeu majeur des collaborations à venir entre élus, acteurs du commerce, aménageurs, promoteurs, constructeurs. La sous-estimation des flux (mise en place de transports en commun réduisant les voies accessibles à la circulation par exemple) des livraisons et des clients, ajoutée à l’insuffisance de stationnements, sont un risque majeur de destruction d’activité.

Les fondamentaux demeurent

Dans ce contexte très évolutif, les paramètres d’un bon local commercial n’ont pas profondément changé. L’emplacement est toujours déterminant. Il faut permettre l’accès le plus aisé au plus grand nombre de clients. Le stationnement reste fondamental. La visibilité (largeur et hauteur de façade, vitrine, signalétique) est toujours aussi fondamentale pour capter l’attention du consommateur. La dimension logistique (entrée et sortie de produits) prend une place accrue.

Il convient donc de faire attention aux raccourcis et aux généralisations. Ce n’est pas la fin de l’hypermarché, mais les plus importants devront réduire leur taille. Ce n’est pas la fin des centres commerciaux, mais ils doivent travailler leur attractivité, l’expérience vécue et leur modèle économique. Nous n’entrons pas dans un monde où l’hyperproximité serait reine.

Pendant un an, nous avons eu du temps. Nous avons arrêté de courir. En sortie de crise, nos modes de consommation seront à nouveau sous contrainte du temps disponible. Les commerces de flux et de destination reprendront une partie de leur place. En revanche, les lieux de commerce et les magasins doivent travailler sur leur attractivité pour contrer Internet, car le meilleur arbitrage en termes de temps peut être le canal Internet.

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