Delphine BAZIN-BEUST

Maître de conférences HDR, université de Caen-Normandie.

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Les grandes évolutions du droit de la consommation

Le droit de la consommation s’applique aux relations entre professionnels et consommateurs. Il traite de méthodes commerciales, de techniques contractuelles, de relations concurrentielles mais aussi de difficultés financières. Mouvant et sous influence de l'Union européenne, il s’étend dans le domaine numérique notamment, cherchant toujours à protéger à la fois le consommateur et la consommation.

Le droit de la consommation régit les relations professionnels-consommateurs. Alors qu’il doit faire face à de nouveaux défis, il est opportun, sans prétendre à l’exhaustivité, de retracer ses grandes évolutions et de rappeler en quoi les règles consuméristes sont liées aux objectifs poursuivis.

Le droit de la consommation, réaction à la société de consommation

Ce droit spécial protège le consommateur, présumé en situation d’infériorité face au professionnel proposant les biens et services qu’il convoite ou lui sont indispensables. Le droit rééquilibre la relation b to c (business to consumer), entre entreprises et consommateurs finaux, et reconnaît au consommateur des droits qui tempèrent les principes civilistes de liberté contractuelle et de force obligatoire du contrat. Cet objectif est plus qu’actuel à l’heure des modes de consommation axés sur le numérique, des pratiques de masse et des contrats d’adhésion.

La lutte contre la vulnérabilité contractuelle passe parfois par une protection sectorielle. Une loi du 22 décembre 1972 accorde un droit de rétractation – pour une durée à l’époque de sept jours – au consommateur démarché à son domicile et sanctionne le délit d’abus de faiblesse. Les lois du 10 janvier 1978 et du 13 juillet 1979 lui confèrent un droit de rétractation dans les crédits à la consommation et un délai de réflexion dans les crédits immobiliers. Y sont encadrées les pénalités en cas de défaillance ou de remboursement anticipé. À certaines conditions, une indivisibilité du contrat financé et du contrat de financement est organisée. L’emprunteur se rétractant ou n’ayant pas obtenu le financement sollicité est alors libéré envers son vendeur ou prestataire dont le paiement dépendait du prêt.

En 2005, le consommateur est protégé dans les contrats de service tacitement reconductibles dont il peut être captif (abonnements divers : téléphonie, vidéo à la demande, maintenance, sport, etc.). En cas de non-information sur ce droit de ne pas renouveler le contrat à l’échéance, le prestataire s’expose à une résiliation unilatérale, immédiate et sans frais. Cette sanction civile détonne par rapport aux sanctions pénales traditionnelles. D’ailleurs, en 2014, la loi a instauré des amendes administratives prononcées par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes). Les professionnels ne peuvent plus compter sur la lenteur de la justice pour échapper aux sanctions pécuniaires. Certaines peuvent atteindre 75 000 euros pour une personne physique, comme pour le démarchage téléphonique réformé en 2020. L’opt-out, soit l’opposition d’une personne à la prospection par téléphone en s’inscrivant gratuitement sur Bloctel, est renforcé et ce démarchage est prohibé, sauf exception, dans le secteur énergétique.

La vulnérabilité économique du consommateur est prise en compte en 1989 avec la procédure de traitement du surendettement et en 2003 avec celle de rétablissement personnel. Au nom d’un impératif social de lutte contre l’exclusion, les dettes peuvent être réduites, voire effacées. Par la suite, la procédure s’ouvrira aux personnes physiques garantissant la dette d’une entreprise – la caution dirigeante – et renforcera le droit du surendetté, locataire ou propriétaire, au maintien dans son logement.

D’autres fois, une protection transversale est organisée. En 1973 est réprimée la publicité mensongère, préservant le consommateur contre des informations séductrices fausses ou de nature à induire en erreur. La loi du 21 janvier 1978 neutralise les clauses abusives en les réputant non écrites. Créant un déséquilibre juridique significatif en défaveur du consommateur, celles-ci excluent la responsabilité du professionnel et lui accordent un droit discrétionnaire. Quant à l’ordonnance du 1er décembre 1986, elle sanctionne pénalement, sauf motif légitime, le refus de vente au consommateur.

En 1978 encore est instaurée l’obligation de sécurité. Elle impose aux professionnels des conditions réglementaires de fabrication et de commercialisation et des mesures administratives de rappel ou de retrait en cas de danger pour la santé. L’aspect indemnitaire de l’obligation de sécurité est organisé en 1998 par la transposition dans le Code civil de la directive européenne 85/374 sur la responsabilité du fait des produits défectueux. La France fut sanctionnée pour mauvaise transposition en assimilant le producteur et le fournisseur alors que la responsabilité de ce dernier n’est que subsidiaire 1. Précurseur dans la protection consumériste, elle craignait une réduction des droits des consommateurs comparativement à l’obligation prétorienne de sécurité.

Les textes consuméristes ont été compilés, en 1993, dans un Code de la consommation. En 2016, une recodification a remédié aux imperfections liées à la réécriture des articles au rythme des transpositions. De fait, depuis le traité de Maastricht de 1992, le droit de l’Union européenne s’est emparé de la protection des consommateurs, d’où l’évolution trépidante de la matière avec le train de directives.

Le professionnel est l’opérateur, public ou privé, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole. C’est l’entreprise. Le consommateur est la personne physique qui agit à des fins n’entrant pas dans le cadre de telles activités. Si un individu contracte à titre professionnel et extraprofessionnel, c’est l’usage dominant du bien ou service qui détermine sa qualité.

Le droit de la consommation, régulation du marché

Sur impulsion du droit de l’UE, le consommateur est aussi protégé comme acteur économique. Le droit de la consommation devient un moyen d’encadrer les comportements des professionnels pour garantir une concurrence loyale. Il contribue au bon fonctionnement du marché intérieur pour près de 450 millions de consommateurs des 27 États membres 2. S’ensuivent, à partir des années 2000, des directives d’harmonisation maximale.

La directive 2005/29 a contraint juristes et professionnels européens à revoir leurs repères. D’une part, elle a créé le concept de pratique commerciale déloyale et, partant, le standard du professionnel diligent. La pratique commerciale englobant tout acte en lien avec une transaction commerciale destinée au consommateur, les pratiques déloyales s’étendent au-delà de la publicité et du contrat. D’autre part, il n’est plus possible d’interdire per se des méthodes commerciales non recensées dans l’annexe I de la directive réputant déloyales, en toutes circonstances, des pratiques trompeuses ou agressives 3. C’est sous condition d’en vérifier la déloyauté au cas par cas que les ventes promotionnelles (liées ou avec primes, loteries commerciales) sont interdites. Les textes français réprimant par principe le refus de vente, l’abus de faiblesse et les ventes à la boule de neige sont-ils alors encore conformes au droit de l’Union ?

La directive 2011/83 a accru l’obligation d’information précontractuelle et rénové les contrats à distance et hors établissement. Outre le fait de mieux renseigner le consommateur en amont du contrat, au risque d’un surdosage informatif, et de renforcer sa protection quand il ne contracte pas dans un lieu commercial, elle crée un climat propice aux contrats en ligne : allongement du délai de rétractation à quatorze jours, interdiction des options payantes précochées, transfert des risques reportés à la livraison, etc. Le règlement 2018/302 complète cet objectif du libre-échange en interdisant, sauf exception, le géoblocage. Le vendeur ou prestataire en ligne ne doit ni bloquer l’accès d’un utilisateur – consommateur ou non – ni le rediriger automatiquement vers une page spécifique selon sa nationalité ou résidence. Pour faciliter la résolution des litiges contractuels nationaux et transfrontaliers, la directive 2013/11 oblige les États membres à mettre en place des procédures extrajudiciaires de règlement des conflits. Ainsi, tout consommateur doit pouvoir recourir gratuitement à une médiation, et tout professionnel en ligne doit fournir un lien vers la plateforme européenne de règlement en ligne des litiges 4.

Associations de consommateurs et actions de groupe

Titulaires d’un agrément national ou local, les associations de consommateurs défendent en justice l’intérêt collectif des consommateurs en demandant la cessation de pratiques ou de clauses et réparation. L’indemnité perçue complète leur budget et la publication de la décision est redoutée des professionnels. Les actions liées à des pratiques trompeuses sont fréquentes, comme celles en suppression des clauses abusives des modèles contractuels prérédigés par les professionnels. Les associations nationalement agréées peuvent défendre l’intérêt individuel des consommateurs, notamment par l’action de groupe instaurée en 2014 pour obtenir réparation de dommages matériels de masse. Distincte de la class action anglo-saxonne car non ouverte aux avocats et reposant sur l’opt in (adhésion du consommateur au groupe bénéficiaire du jugement pour percevoir l’indemnité), elle n’a pas encore donné lieu à condamnation de professionnels. Des actions sont en cours contre des assureurs. D’autres ont été rejetées, faute de preuve, dans l’automobile. Ce secteur, lié au scandale du dieselgate, a ravivé l’enjeu d’un recours collectif sanctionnant une pratique illégale de grande ampleur dont sont victimes les consommateurs. C’est l’objet de la directive 2020/1828 à transposer en 2022. Elle prévoit des actions nationales et transfrontières en cessation et réparation par une entité qualifiée et la logique du « perdant payeur ». L’action de groupe devrait connaître un regain d’intérêt.

Les défis d’aujourd’hui et de demain du droit de la consommation

Les récentes évolutions des règles consuméristes ont été placées sous le signe du droit de l’Union et du commerce digital, propice à des risques spécifiques (absence de contact physique avec le professionnel, profilage et ciblage publicitaire par la collecte de données, erreur d’appréciation, etc.). La tendance va se confirmer, puisque trois directives d’harmonisation maximale ciblée prises dans le cadre du « New Deal for consumers » de la Commission européenne seront transposées en 2021 pour application en 2022.

La garantie de conformité dans la vente en ligne et hors ligne évolue 5. Le vendeur d’appareils intégrant un élément numérique et d’objets connectés doit garantir le consommateur contre les défauts de conformité existant à la livraison, dans les deux ans après cette date. Pour ce type de biens intégrant des logiciels et applications (télévision ou voiture connectée, ordinateur, console de jeu, etc.), le vendeur est l’interlocuteur unique de l’acheteur pour le remplacement ou la réparation. Il doit veiller à l’informer des mises à jour nécessaires au maintien de la conformité 6. Si sa responsabilité est engagée, il aura un recours contre le fabricant.

Une responsabilité pour défaut de fourniture et de conformité est mise à la charge des fournisseurs de contenus et services numériques 7. Le consommateur doit pouvoir y accéder et les utiliser pendant toute la période de fourniture, sauf à exiger une réduction du prix ou la résolution. La contrepartie due par le consommateur peut être non monétaire et consister en données personnelles. Toute une gamme de contrats de l’économie numérique intègre la règlementation : ceux dits gratuits car sans prix, ceux portant sur des services en ligne (cloud, réseaux sociaux), sur des DVD ou CD, sur des contenus accessibles en ligne en streaming ou téléchargement (jeux, applications, vidéos, musique, e-books).

S’inspirant de la loi République numérique de 2016, le droit de l’Union impose aux plateformes digitales (places de marché, comparateurs, sites d’avis) des obligations de transparence 8. Si le consommateur contracte via une plateforme, cela ne doit pas influencer son choix en raison de liens d’intérêts avec le fournisseur qu’elle favoriserait et qu’il ignorerait, tel un référencement payant. Elle doit le renseigner sur le statut de l’offreur avec qui elle le met en relation, l’application du droit de la consommation à la transaction finale en dépendant. Plus généralement, le consommateur doit être informé si le prix proposé par le professionnel est personnalisé sur la base d’une prise de décision automatisée, soit par le biais d’un algorithme. Et toute annonce de réduction de prix doit indiquer le prix antérieur, entendu comme le plus bas au cours des trente jours précédents. Enfin, doivent être prévues des sanctions civiles aux pratiques commerciales déloyales : réparation des dommages et, le cas échéant, réduction du prix ou fin du contrat.

La rénovation des droits des consommateurs, qui contraint les professionnels à adapter leur stratégie, va se poursuivre avec le « Nouvel agenda du consommateur » pour 2020-2025 9. Parmi les actions prioritaires, présentées comme « des mesures en faveur d’un marché unique plus écologique, plus numérique et plus équitable », figurent la lutte contre l’obsolescence prématurée 10, l’encadrement du commerce en ligne, fortement stimulé avec la pandémie de Covid- 19, et la protection des consommateurs vulnérables.

Le droit de la consommation renforcera ses liens avec le droit des données personnelles, des plateformes et de l’environnement. Sa fonction régulatrice du marché est rappelée. Sa finalité protectrice des consommateurs, voire sa vocation sociale, l’est tout autant.


  1. CJCE, 25 avril 2002, C-52/00.
  2. Après le Brexit : www.touteleurope.eu/actualite/comment-l-union-europeenne-assure-t-elle-la-protection-des-consommateurs.html.
  3. CJUE, 23 avril 2009, C-261/07.
  4. Règlement 524/2013, https://ec.europa.eu/consumers/odr.
  5. Directive 2019/771.
  6. La loi du 20 février 2020 prévoit une information sur les mises à jour de logiciels.
  7. Directive 2019/770.
  8. Directive 2019/2161.
  9. COM (2020) 696 final.
  10. La France sanctionne déjà l’obsolescence programmée.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2021-6/les-grandes-evolutions-du-droit-de-la-consommation.html?item_id=5784
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