Valérie GOMEZ-BASSAC

Députée La République en marche du Var, rapporteure des consultations citoyennes européennes.

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Pour une gestion raisonnée des frontières

L'Europe demeure un formidable pari collectif. Il s'agit de faire vivre une identité et des idées, avec ouverture sur le monde et fermeté sur les principes. Peur et fermeture ne sauraient guider la gestion des projets et des frontières. Acceptation raisonnable des migrations et codéveloppement doivent assurer la vitalité d'une Europe qui sache à la fois protéger, intégrer et innover.

L'Europe n'est pas une simple alliance de circonstance tant elle a été ponctuée par des siècles de guerres intestines. Elle n'est pas qu'une juxtaposition d'Etats et ne connaît pas que les frontières nationales. Que référence soit faite à l'euro, à l'espace Schengen, à l'Europe de la défense ou encore à l'avant ou l'après-Brexit, aux flux migratoires, aux relations commerciales : ce n'est pas la même représentation géographique que nous nous faisons de l'Europe. Aborder avec acuité le thème de la gestion raisonnée des frontières, c'est également se demander : quelle Europe souhaitons-nous ? L'Europe des hommes, de l'économie, de la finance ? Une Europe sociale et solidaire ? Une Europe de la sécurité ?

Certes, l'Europe politique s'est donné un nouveau souffle par l'entretien et la consécration d'intérêts communs. Elle a nourri cette alliance en démultipliant ces intérêts collectifs et s'est étendue progressivement pour faire de sa diversité une force. En voulant s'étendre, comme s'il s'agissait de préempter un espace géographique supplémentaire, elle a parfois omis sa diversité, son histoire et ses écarts de développement. Trop souvent l'Europe des riches se trouve opposée à l'Europe des pauvres, l'Europe de l'Est à l'Europe de l'Ouest, celle du Nord à celle du Sud. Si l'Europe a pu avoir tendance à se méconnaitre, les autres puissances mondiales ont souvent su en tirer profit. Et certains mouvements ont fait leur lit en jouant de ces dynamiques pour développer de la suspicion sur les craintes populaires.

Une approche supranationale raisonnable

Pour certains mouvements, les frontières géographiques, physiques, sont plus qu'un simple marqueur politique, elles sont un enjeu de souveraineté qu'ils considèrent délaissé, ce qu'ils expliquent par une trahison des dirigeants envers les aspirations des peuples et notamment leur sécurité physique ou encore économique. C'est une crainte légitime, mais suscitée à dessein et de manière infondée. Légitime car, pour beaucoup, la nation se définit dans ses frontières par rapport à ce qui se trouve par-delà celles-ci. Se développent en son sein un rapport de propriété et le développement d'une identité. Infondée, car passer à des frontières supranationales, ce n'est ni déléguer son pouvoir de police ni laisser l'entrée libre sur le territoire européen. C'est simplement reconnaître nos voisins comme faisant partie du même ensemble, d'un même collectif. À une autre échelle, c'est comme faire tomber les barrières entre des régions, des départements et des communes pour faciliter nos échanges. Il est donc nécessaire d'élaborer des réponses à ce sentiment d'insécurité physique et économique.

Le développement de l'Europe a été trop longtemps vu comme opposé au contrôle des frontières ou comme une menace contre notre économie. La réalité, c'est que l'imaginaire collectif entretient l'idée qu'il y avait une surveillance effective aux frontières nationales, mais la France est forte d'une grande diversité de paysages et de réalités topographiques telles que cela n'a jamais été pleinement possible. Tandis que certains proposent de lever des murs, inefficients pour les raisons évoquées précédemment, quel sens cela aurait-il, alors que dans le même temps nous sommes si réfractaires à des nouveautés qui supposément porteraient atteinte à l'intégrité du paysage ? La crainte, derrière la proposition de rétablir ces frontières, c'est la venue sur le territoire d'une immigration non légale qui viendrait déposséder les Français, ou plus généralement les Européens, de leurs acquis, de leur travail, de leur argent, de leur identité. Afin d'apaiser ces craintes, les États membres doivent renforcer les frontières extérieures et assurer la sécurité sur les routes migratoires.

Parmi cette immigration irrégulière se trouve une grande disparité de situations, de motivations, de parcours de vie. Entre celles et ceux qui fuient la guerre et les persécutions ou qui entrent en Europe en quête d'une vie meilleure, que ce soit pour un modèle social singulier, un emploi, la sécurité, un niveau de rémunération ou encore un mode de vie, chacun a des attentes différentes pour l'obtention de droits différents.

L'asile pour des personnes qui fuient les conflits armés ou qui se retrouvent persécutées en raison de leur origine ou religion réelles ou supposées, leurs opinions politiques ou encore leur orientation sexuelle ou leur handicap, s'oppose - pour certains - à ceux qui devraient être raccompagnés dans leur pays simplement parce qu'ils ne font pas face à une menace particulière et qu'ils peuvent pourtant, comme toute personne, prétendre à un titre de séjour régulier.

Des migrations diverses à mieux cogérer

La diversité des causes migratoires doit être prise en compte pour aborder et définir une politique raisonnée de gestion des frontières. En effet, si ces personnes se mettent en quête d'une vie meilleure, que cette différence de condition de vie soit avérée ou fantasmée, cela reflète aussi le besoin d'accompagner le développement économique dans certains pays ainsi que l'émergence de partenaires économiques. Mais il est nécessaire d'aller plus loin, tout en évitant une ingérence non voulue dans les États, de favoriser aussi une stabilité politique et d'assurer un pouvoir démocratique dans certains d'entre eux. Ce n'est qu'ainsi que nous parviendrons à freiner les mouvements de migration illégale.

À cette fin, nous allons travailler en amont, sur le codéveloppement, et en identifiant les prétendants à une arrivée sur notre territoire avant leur migration. Cela nous permettra de mieux accompagner celles et ceux qui peuvent prétendre à un accompagnement, c'est notre honneur que d'accueillir les personnes qui se trouvent face à des menaces avérées. Nous, le berceau des droits de l'homme. Enfin, il nous faut développer des moyens efficaces pour accueillir ces personnes, dans des lieux d'hébergement adaptés, dignes, mais aussi faire respecter le droit et s'assurer que les personnes qui se trouvent illégalement sur le territoire soient reconduites dans leur pays, sans quoi les titres légaux de séjour perdraient tout leur sens.

Néanmoins, réaffirmer le droit d'asile, être ferme envers les migrations illégales, ce n'est pas revenir sur une politique d'ouverture vers les talents internationaux ou vers celles et ceux qui veulent s'intégrer durablement dans notre société. Nous avons besoin de leurs apports culturels, linguistiques, pour nous permettre d'avancer sur tous les plans, de nous réinterroger aussi parfois.

Une gestion raisonnée des frontières ne pourra être menée de manière efficiente qu'avec l'adoption et la consécration d'un budget européen dédié. À cette fin, Frontex a vu son budget augmenter comme jamais auparavant. Néanmoins cette mission ne pourra jamais atteindre ses objectifs si les pays européens ne s'accordent pas sur une politique commune en la matière. Le traitement des demandes d'asile est aujourd'hui mis à mal. Les pays d'entrée ne veulent plus assumer seuls le traitement des dossiers de cette multitude de situations humaines, et une révision des règlements dits de Dublin devrait permettre d'organiser différemment la solidarité européenne entre membres et envers celles et ceux qui souffrent à travers le monde.

La nécessité d'un nouveau souffle européen

Mais on ne peut pas vouloir faire plus d'Europe et en même temps la désigner comme la mère de tous les maux. Si elle se trouve au point mort aujourd'hui, c'est malheureusement à cause de ce double discours. La refondation de l'Europe est nécessaire pour entrer dans une nouvelle dynamique collective et nous permettre de faire face aux nombreux enjeux qui nous attendent. C'est un véritable défi car ce sont ces mêmes frontières qui créent une communauté de valeurs et ce sentiment d'appartenance, d'identité européenne.

Nous devons retrouver cette dynamique car dans le même temps, les idées, les idéologies ne connaissent pas de frontière. L'économie mondialisée crée une interdépendance qui est de plus en plus mise à mal par les puissances économiques qui se jouent des règles de l'OMC. Mais quelle réponse serons-nous en mesure d'apporter si nous ne parvenons pas à nous retrouver entre Européens ? Nous continuons de nous comparer, de nous opposer, plutôt que de voir comment il nous est possible de nous codévelopper et de créer les industries de demain. Nous avions été précurseurs avec Galileo, mais nous poursuivons l'emploi du GPS américain. Sur un autre plan, il nous faut favoriser l'émergence d'un géant européen du numérique et/ou de l'intelligence artificielle et développer, ensemble, la protection sociale de ce nouveau millénaire pour faire face aux transformations qui attendent nos activités dans les prochaines années. Mais ces enjeux ne pourront pas être surmontés si nous ne répondons pas aux craintes premières des citoyens tout en accompagnant ce qui n'est plus un défi, mais une nécessité : la transition écologique et solidaire.

Faisons de la migration légale une force, faisons de la diversité humaine une richesse, sachons compter sur les potentialités de chacun pour que l'Europe de demain soit grande et forte. Laissons les partis populistes et extrémistes faire l'apologie de la peur qui ne sera en rien constructive et croyons en l'Europe de la responsabilité et de la solidarité.

Soyons les acteurs de l'Europe de demain et parions que nous en sortirons tous grandis. Comme le laissent penser les sondages à la suite du Brexit ou le résultat à l'élection présidentielle en France, où l'Europe était au coeur des programmes, les citoyens sont favorables à l'Europe. Alors ensemble poursuivons cette dynamique commune.

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