Édouard BASTIEN

Président de l'École supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment (ESJDB), PDG de l'entreprise de couverture-plomberie Bastien et Trebulle et de l'entreprise de peinture-ravalement Verzotti.

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Les motivations de la génération Y

Ancien élève et aujourd'hui président de l'École supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment, Édouard Bastien analyse les réponses des étudiants en cours de formation aux questions de Constructif.

Le désir de liberté, le souhait d'autonomie sont les motivations de près de la moitié des élèves qui nous ont répondu, au même niveau que la volonté d'entreprendre et de diriger. Cela vous étonne-t-il ?

Édouard Bastien. Je n'aurais pas fait moi-même ce choix - j'aurais plutôt répondu « pour diriger » -, mais au final il montre que, pour eux, la somme d'ennuis que peut affronter un chef d'entreprise passe après leur désir de devenir leur propre patron et d'être autonomes et libres. C'est une bonne réaction car ces motivations constituent un moteur durable pour un entrepreneur, alors que les autres peuvent s'éteindre.

Ces élèves ont-ils bien conscience de la lourdeur des charges qui pèsent sur le chef d'entreprise ?

La plupart des stagiaires de l'ESJDB travaillent déjà dans l'entreprise, donc ils ont une bonne perception des difficultés rencontrées au quotidien par le chef d'entreprise. A fortiori quand l'entreprise est familiale et qu'ils ont « baigné » dedans tout petits. Les enfants d'entrepreneurs comprennent très tôt que les trois clés de la gestion de l'entreprise sont le carnet de commandes, la trésorerie et le climat social, et qu'ils peuvent fluctuer. Sans doute s'alarment-ils moins quand ces indicateurs baissent !

75 % des stagiaires de l'ESJDB ont un projet de reprise de l'entreprise familiale, mais seulement un tiers des répondants disent vouloir perpétuer l'entreprise familiale...

Cela me semble rassurant : c'est la preuve qu'on est sorti du poncif selon lequel les enfants reprennent l'entreprise familiale par devoir et non de leur propre volonté !

Si je prends mon propre exemple, quand j'ai voulu intégrer l'entreprise, j'étais au lycée et mon père m'a demandé de passer au moins le bac, puis de faire un BTS. La condition que j'ai posée alors était de ne pas m'ennuyer au travail pendant quarante ans ! Et aujourd'hui, je ne m'ennuie effectivement pas et j'ai la main sur mon propre planning. J'ajoute qu'il me semble que le souhait de reprise est plus fort quand l'entreprise est éponyme. C'était le cas pour moi. Cela l'est également pour Jacques Chanut, le président de la Fédération Française du Bâtiment.

On est sorti du poncif selon lequel les enfants reprennent l’entreprise familiale par devoir et non de leur propre volonté !

L'écoute apparaît comme la première qualité du chef d'entreprise, ce qui semblerait très nouveau à vos prédécesseurs pour qui « bon sens et rigueur » ou « capacité à mener les hommes » prévalaient. Comment l'expliquez-vous ?

Ce sont des réponses de la génération Y 1 ! Ils arrivent aux commandes avec d'autres aspirations. Tant mieux pour les salariés, car eux non plus n'acceptent plus d'être commandés comme par le passé. Il n'est plus possible aujourd'hui d'avoir un système de commandement vertical dans l'entreprise, où le patron exige et le salarié exécute. Je ne dirige donc pas l'entreprise comme le faisait mon père, car j'estime devoir aider mes salariés à devenir plus autonomes.

Il n’est plus possible aujourd’hui d’avoir un système de commandement vertical dans l’entreprise.

LES MOTIVATIONS DES FUTURS DIRIGEANTS DU BÂTIMENT

Afin de comprendre pourquoi les élèves de l'École supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment (ESJDB) ont choisi de se préparer à la direction d'entreprise, Constructif a posé quatre questions entre le 15 mars et le 6 avril 2017 à 58 stagiaires (42 pour la quatrième question) à mi-parcours de leur cursus à l'ESJDB. Plusieurs réponses étaient possibles pour chacune des questions. Tous les stagiaires qui ont répondu ont un projet de reprise ou de création d'entreprise dans le bâtiment.

1. Pour quelles raisons avez-vous souhaité devenir chef d'entreprise ?

  • 48 % Par désir de liberté, d'autonomie, souhait d'être son propre patron
  • 48 % Pour diriger, prendre des décisions, entreprendre
  • 34 % Pour perpétuer et développer l'entreprise familiale
  • 24 % Pour faire évoluer l'entreprise et apporter de nouvelles idées
  • 16 % Pour gagner de l'argent

2. En quoi l'entreprise de bâtiment vous semble-t-elle différente des autres entreprises ?

  • 59 % Par l'importance des relations humaines, du travail d'équipe, de la solidarité et de l'esprit « familial »
  • 38 % Elle réalise des ouvrages uniques, crée des lieux de vie, laisse une trace
  • 28 % En raison de l'importance des métiers manuels, de la pluridisciplinarité et de la diversité des équipes

3. Quelles sont les qualités dont un chef d'entreprise doit faire preuve ?

  • 53 % Écoute, empathie, humanité, exemplarité, sens de la justice
  • 45 % Rigueur, organisation, efficacité, sens de la bonne gestion
  • 45 % Autorité, charisme, esprit de décision, combativité
  • 38 % Vision du futur, créativité, ambition, capacité d'anticipation

4. C'est quoi « réussir » quand on est entrepreneur ?

  • 69 % Avoir une entreprise qui se développe
  • 43 % Connaître un épanouissement personnel et pour ses salariés
  • 29 % Dégager des bénéfices
  • 19 % Avoir des clients satisfaits et une bonne ambiance

L’ESJDB, UNE ÉCOLE ATYPIQUE

Quand on s’inscrit dans cette école, c’est avant tout parce qu’on a un projet de reprise de l’entreprise familiale. Environ 75 % des étudiants qui choisissent le cursus « entrepreneur du bâtiment » sont dans ce cas, tandis que 13 % souhaitent créer leur entreprise et 12 % seconder un dirigeant 1. « Le plus souvent, c’est la motivation des parents qui a été déterminante. Le jeune qui s’inscrit porte les espoirs de la famille », résume Jacques Lair, président de l’ESJDB de 2002 à 2013.

L’École supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment propose des formations à la direction d’entreprises de BTP à des professionnels de tous niveaux de formation initiale (du CAP au diplôme d’ingénieur) et de tous âges (de 22 à 50 ans). Depuis sa création, en 1994, elle a formé plus de 3 000 stagiaires sur 30 sites en France. Avec une population étudiante qui se féminise : la part des femmes approche désormais le quart des inscrits.

Au principal cursus, « entrepreneur du bâtiment : pour créer ou reprendre une entreprise du BTP » – qui est développé sur quatorze mois et compte actuellement 174 stagiaires répartis dans 12 promotions – et aux formations « oser devenir manager » et « patron gestionnaire » a été adjoint depuis 2009 un module spécialisé, « Visio BTP », pour les dirigeants du BTP qui veulent développer une vision stratégique pour leur activité, car pour Guy Theillet, le directeur de l’école, « la principale qualité du chef d’entreprise, c’est de savoir se projeter ».

Chefs d’entreprise, les étudiants le deviennent bel et bien puisque, sept ans après la fin de leur scolarité, 90 % d’entre eux sont dirigeants. Et ils sont nombreux à suivre la voie de l’engagement au sein des instances professionnelles en y acceptant des mandats.

Site internet : www.esjdb.com.

  1. Étude HEC Junior Conseil, décembre 2013, 760 réponses

Rejoignez-vous les stagiaires sur l'appréciation des spécificités du bâtiment ?

Oui. Ceux qui connaissent le bâtiment savent que les relations y sont plus directes et plus franches que dans d'autres secteurs. Il n'y a pas la même ambiance.

Les relations humaines passent avant le bel ouvrage ?

On ne construit pas le viaduc de Millau tous les jours, pour autant, alors que nous faisons surtout de la rénovation-réhabilitation, nos salariés prennent souvent des photos des chantiers qu'ils réalisent. Nous dirigeons des entreprises dont les salariés sont des « manuels » qui sont fiers de ce qu'ils font, cela compte !

La réussite, c'est avant tout le développement d'une entreprise pour près de 70 % des répondants quand ils sont moins de 30 % à évoquer la réalisation de bénéfices. Qu'en pensez-vous ?

J'aurais classé en premier la satisfaction du client car c'est d'elle que découlent le développement de l'entreprise et les bénéfices...

Quel est l'impact de la progression de la part des femmes et des salariés repreneurs dans les effectifs de l'école ?

J'observe en participant aux jurys de notre école que les jeunes femmes arrivent en tête des classements car elles sont plus studieuses, plus assidues, plus méthodiques, plus posées et meilleures à l'oral. C'est de bon augure pour leur prise de fonctions d'autant que, comme la plupart des confrères de ma génération, maris et femmes ne souhaitent plus travailler ensemble dans l'entreprise, donc les femmes qui suivent ce cursus seront bien dirigeantes, ce qui est nouveau dans le bâtiment.

En ce qui concerne les salariés, beaucoup de chefs d'entreprise n'ont pas d'enfants souhaitant ou pouvant reprendre la société et se retournent vers des salariés. Ils préfèrent souvent favoriser la reprise par des salariés plutôt que vendre, même à meilleur prix. La présence des salariés à l'ESJDB est le résultat de ce phénomène, car ils sont incités à suivre cette formation par le dirigeant qui veut transmettre. Pour l'école, il s'agit d'évolutions intéressantes car elles diversifient le profil de la population étudiante.

L'école a mis en place des entretiens à mi-parcours de la formation « entrepreneur du bâtiment ». Quels enseignements en tirez-vous ?

À mi-parcours, il est important de vérifier que les élèves sont toujours sur de bons rails et que le projet de reprise se déroule comme prévu. Par le passé, nous nous sommes souvent aperçus trop tard que des projets tombaient à l'eau. Désormais, grâce à ces entretiens, nous essayons de comprendre si tout se passe bien et si l'étudiant a, dans le cas contraire, un plan B.

Les formatons de l'ESJDB évoluent dans le temps. À quelles nouvelles formations réfléchissez-vous ?

Nous voudrions que des jeunes ingénieurs se destinent plutôt à reprendre une entreprise du bâtiment qu'à devenir des cadres lambda dans des grands groupes. C'est pourquoi nous avons créé en 2016-2017 une option entrepreneuriat du BTP dans le cursus ingénieur du Cesi.

Maintenant que vous êtes dirigeant d'entreprises, quelles sont vos ambitions ?

J'ai suivi les cours de l'école en 2000-2001 après être entré dans l'entreprise en 1997. Comme je vous l'ai dit, au départ, ma principale préoccupation était de ne pas m'ennuyer dans mon travail et je me suis pris au jeu. Aujourd'hui, mon ambition est toujours de développer mon entreprise, ce que j'ai fait d'abord par croissance interne, puis, à partir de 2008, par rachats d'entreprises. Notre chiffre d'affaires est ainsi passé de 1 million d'euros en 2000 à 7 millions en 2016. Pour l'instant, je règle mes dettes contractées lors des opérations de croissance externe qui ont permis cette évolution et, dans trois ans, quand j'y verrai plus clair, je réfléchirai à d'autres développements. Mon ambition reste aussi de prendre plaisir à ce que je fais et de bien dormir...

Que conseillez-vous aux étudiants de l'ESJDB ?

Je leur dis d'appliquer au fur et à mesure ce qu'ils apprennent. Je leur conseille également de ne pas attendre que l'échelon du dessus décide de partir pour prendre les rênes de l'entreprise : ils ne doivent pas hésiter à bousculer un peu le dirigeant et à montrer leurs capacités pour reprendre effectivement l'entreprise. À l'ESJDB, nous formons des gens à la reprise d'entreprises, ils ne doivent pas attendre !

1. Référence aux jeunes nés entre 1979 et 2000 dans les pays occidentaux, aux comportements et attentes professionnelles très différents de ceux de leurs parents. Voir dans Constructif n° 20 (juin 2008) l'article de Carol Allain : « Faire face à la génération Y » .

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2017-6/les-motivations-de-la-generation-y.html?item_id=3591
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