Jean-François ROVERATO

Vice-président et administrateur référent d'Eiffage.

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Des valeurs de transparence et d'exemplarité

Fondateur d'Eiffage, troisième groupe de BTP français, qu'il a dirigé jusqu'en 2012, Jean-François Roverato y a laissé son empreinte, y compris en ce qui concerne les valeurs de l'entreprise, qu'il a codifiées lui-même à deux moments clés de l'histoire du groupe.

Quelles sont les valeurs qui vous semblent essentielles pour l'entreprise ?

Jean-François Roverato. La transparence et l'exemplarité. Si on applique la transparence, on est forcément exemplaire. Si on pratique l'opacité, c'est qu'on a quelque chose à cacher.

Or, à notre époque, on ne peut rien dissimuler durablement, et ceux qui essaient d'avoir un discours différent de leur comportement s'exposent à de graves mécomptes.

Nous n'avons pas encore adopté les règles et principes des pays du nord de l'Europe, mais cela va arriver.

En quoi des valeurs peuvent-elles être « utiles » à l'entreprise ?

Avoir des valeurs fortes est la seule manière d'obtenir durablement l'adhésion des collaborateurs, des partenaires, des clients et fournisseurs et des actionnaires. J'ai compris cela au moment de la reprise par Fougerolle de SAE, qui venait d'être ébranlée par des affaires de fausses factures. Depuis, aucun de mes successeurs n'a décidé de modifier les règles que j'avais écrites en 1991 en m'inspirant des valeurs de Fougerolle, puis développées en 2008, à l'issue de l'offensive de Sacyr contre Eiffage.

La note sur les valeurs a été régulièrement distribuée aux collaborateurs du groupe et elle fait l'objet de séminaires pour que ses principes soient bien intégrés. Elle précise des sanctions en cas de transgression, que nos collaborateurs connaissent. Aujourd'hui, tous les comportements déviants ou malhonnêtes sont sanctionnés par le groupe et nous parvenons à nous tenir à ces valeurs.

Avoir des valeurs fortes est la seule manière d’obtenir durablement l’adhésion des collaborateurs, des partenaires, des clients et fournisseurs et des actionnaires.

Dans un contexte concurrentiel, certaines valeurs ne peuvent-elles pas constituer un « handicap » pour l'entreprise ?

Cela peut être un frein momentané : il est plus compliqué de remporter des affaires en étant fidèle à ses valeurs quand d'autres ne le sont pas. Nous avons eu probablement une croissance moins forte de notre chiffre d'affaires sur le long terme que d'autres groupes. Mais c'est bien parce que les grands groupes ont renoncé à utiliser certains outils qui étaient des pratiques courantes par le passé dans le BTP que des PME ont survécu. Et je suis convaincu que les entreprises qui dérogent aux règles finissent toujours par « se faire prendre » : personne ne peut prétendre que l'entente ou la corruption sont des modes normaux de dévolution des marchés !

Quand une entreprise est absorbée par une autre, faut-il essayer de conserver les valeurs de chacune ?

Je ne crois pas : si à chaque fois que l'on achète une entreprise on se met à repenser ses propres valeurs, on n'en sort pas ! La nature humaine a des valeurs de base qui s'imposent à toutes les entreprises. L'expérience montre que les collaborateurs des entreprises reprises acceptent nos valeurs, sinon ils partent.

Les salariés détiennent un cinquième du capital d'Eiffage. Est-ce un atout ?

L'importance de l'actionnariat salarié ne s'est jamais démentie depuis vingt-huit ans, alors que le cours de l'action Eiffage est passé de 129 euros au plus haut à 16 au plus bas. Tous les ans, une augmentation de capital réservée aux salariés leur permet de souscrire, ce qu'ils ont toujours fait. Et il n'y a pas eu de vagues de ventes quand l'action était à son cours maximal car les salariés actionnaires sont avant tout attachés à la pérennité de leur « boutique ». Ils partagent une tradition d'adhésion à ses valeurs et un fort sentiment d'appartenance.

Au moment de l'offensive du groupe espagnol Sacyr, en 2005-2008, ces valeurs ont-elles « servi » Eiffage ?

Oui, même les syndicats adhéraient à nos valeurs. Ils ont manifesté place de la Bourse, à Paris, pour montrer leur opposition à Sacyr, parce qu'ils voulaient que l'entreprise reste telle qu'ils la connaissaient. L'application des valeurs d'Eiffage a été un facteur de cohésion déterminant. Nous n'aurions pas réussi à résister aux Espagnols de Sacyr sans un consensus des salariés sur les règles régissant l'entreprise.

En tant que chef d’entreprise, je n’ai rien imposé aux autres que je ne me sois imposé à moi-même.

Quelle est la responsabilité du chef d'entreprise dans l'existence et le respect de ces valeurs ?

Il est essentiel qu'il soit lui-même exemplaire.

En tant que chef d'entreprise, je n'ai rien imposé aux autres que je ne me sois imposé à moi-même. Si vous avez la réputation d'être honnête et de faire ce que vous dites, cela se sait.

Comment faire évoluer les valeurs de l'entreprise ?

Quand les valeurs sont simples et bien comprises, pourquoi vouloir les faire évoluer ? Elles sont liées à la nature humaine en général, pas à une entreprise en particulier. Jusqu'à présent, en dépit de pratiques du pouvoir très différentes, mes successeurs n'ont rien changé. Mais je ne revendique rien : s'ils le souhaitent, ils pourront décider d'ajouter des codicilles à notre charte des valeurs et finalités...

MORCEAUX CHOISIS

En septembre 1991, alors que se préparait le rapprochement de Fougerolle et de SAE, qui allait déboucher sur la naissance du groupe Eiffage, Jean-François Roverato a rédigé une note de quatre pages sur les « finalités et règles de comportement du groupe ». Il étoffera ce document et le transformera en « Charte des valeurs et finalités d'Eiffage. Code de conduite » à l'été 2008, autre moment clé de l'histoire du groupe, qui venait tout juste de sortir vainqueur de l'offensive boursière inamicale menée par Sacyr.

Ces deux documents contiennent des principes de gestion de l'entreprise mais énoncent également ses valeurs. En voici des extraits.

En 1991 :

  • Comme toute entreprise, le groupe a pour objet prioritaire de satisfaire à la fois ses clients, ses actionnaires et ses salariés.
  • Confiance, responsabilité, transparence : ces trois mots contiennent toutes les règles de comportement du groupe.
  • Chacun doit revendiquer l'exercice de sa responsabilité et rappeler courtoisement à son patron les limites de son pouvoir : pas de responsabilité sans pouvoir et pas de pouvoir sans responsabilité, dès lors responsabilité et pouvoir sont synonymes. Depuis des millénaires, le pouvoir corrompt, l'étendue des responsabilités accroissant l'intensité de la tentation et la facilité d'y céder ; deux antidotes à ce poison ont fait leurs preuves : la transparence des comportements et l'exemplarité des dirigeants.
  • Toute erreur connue est corrigée et ses conséquences limitées par rapport à celles entraînées par une erreur cachée. Corriger ses erreurs, c'est progresser !

En 2008 :

  • Responsabilité, confiance, transparence, exemplarité, lucidité, courage sont les six valeurs mises en pratique dans le groupe.
  • 1. Responsabilité
    L'esprit d'entreprise et l'autonomie sont reconnus et encouragés. La responsabilité est largement déléguée suivant le principe de subsidiarité : la décision revient au niveau le plus proche du terrain qui dispose de tous les éléments d'appréciation ; l'entité de base est le chantier ou l'affaire.
  • 2. Confiance
    Tout collaborateur bénéficie de la confiance du groupe et, en particulier, de son patron direct. Associés, fournisseurs et sous-traitants bénéficient de la même confiance : les conventions, conformes aux règles du groupe, sont appliquées loyalement.
  • 3. Transparence
    La confiance, indispensable à la délégation de pouvoir et donc à la responsabilité, n'est possible que dans la transparence. Fautes graves, dissimulations, faux et trucages sont sanctionnés impitoyablement, irrévocablement et publiquement.
  • 4. Exemplarité
    La première exigence exprimée ici est le respect des autres... Si l'on ajoute que les responsabilités sont diffusées au plus près du terrain grâce à la confiance témoignée à tous ceux qui représentent l'entreprise à tous les niveaux vis-à-vis des clients et des partenaires, que la transparence est le corollaire obligé de la confiance, alors cette transparence entraîne l'exemplarité des dirigeants, car privilèges et comportements extravagants ne sont pas supportables dans un groupe où le partage des satisfactions comme des échecs est la règle, tout comme le respect de la vie privée de chacun : on ne peut pas demander aux autres ce qu'on ne s'impose pas à soi-même.
  • 5. Lucidité
    Les compétences d'Eiffage et sa capacité de résistance s'affirment en même temps que la concurrence s'aiguise.
  • 6. Courage et pugnacité
    Il ne faut pas se bercer d'illusions, ni s'endormir sur ses lauriers : regardant la réalité en face, il faut rebondir les premiers.
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