Andrea-Rosalinde HOFER

Analyste des politiques à l'OCDE.

David HALABISKY

Analyste des politiques à l’OCDE.

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Bienveillante Europe

Si l'entrepreneuriat est perçu favorablement dans l'Union européenne, les Européens sont moins nombreux que les Américains à lui accorder un rôle important dans l'économie. En offrant un ensemble de mesures de soutien visant les jeunes, les décideurs politiques pourraient augmenter les intentions de création d'entreprise et améliorer leur qualité en Europe.

L'entrepreneuriat joue un rôle important pour encourager l'innovation, créer des emplois, stimuler la croissance économique, et il est un promoteur de l'inclusion sociale 1. Dans l'Union européenne (UE), l'entrepreneuriat est généralement perçu de manière positive. Des enquêtes récentes suggèrent que plus de 90 % des Européens perçoivent les entrepreneurs de manière « globalement favorable » ou « neutre », notamment parce qu'ils reconnaissent leur rôle dans la création d'emplois (87 %) et de nouveaux produits et services qui profitent à tous (79 %) 2. Ces chiffres suggèrent qu'en règle générale, les habitants de l'UE comprennent et apprécient le rôle des entrepreneurs dans l'économie. Des enquêtes internationales confirment qu'ils sont plus nombreux à percevoir les entrepreneurs de manière favorable ou neutre que les Japonais (84 %) ou les Coréens du Sud (83 %), par exemple, mais moins que les habitants des États-Unis, qui sont convaincus à 95 % que l'entrepreneuriat est positif 3.

Des différences régionales

Au sein de l'UE, les attitudes vis-à-vis de l'entrepreneuriat varient beaucoup selon les États membres. En général, les habitants des pays du Nord et du Sud ont une attitude très positive vis-à-vis de l'entrepreneuriat. Au Danemark, en Irlande, en Finlande, en Espagne, en Estonie, en Italie et en France, plus de 60 % des gens perçoivent les entrepreneurs « assez favorablement », ce qui contraste avec les pays de l'est de l'UE tels que la Slovaquie et la Hongrie, où moins de 35 % des habitants ont une opinion positive des entrepreneurs 4.

Ces différences peuvent être expliquées par plusieurs facteurs 5. Tout d'abord, l'entrepreneuriat est un concept très nouveau dans plusieurs pays d'Europe centrale et orientale, qui ont commencé leur transition vers une économie de marché après 1989. Il est donc moins probable que les adultes de ces pays aient une expérience de l'entrepreneuriat ou connaissent sa fonction dans l'économie. Ensuite, les pays à fort taux de chômage (c'est-à-dire les pays du sud de l'UE) ont souvent un taux de travail indépendant plus élevé, car il y a moins d'opportunités de travail. Il est donc plus probable que les gens y aient une expérience de l'entrepreneuriat et en aient une opinion plus favorable. Enfin, les pays dans lesquels une part importante des femmes sont actives sur le marché du travail tendent également à avoir un taux élevé de travail indépendant parmi elles. Leur attitude vis-à-vis de l'entrepreneuriat tend donc à être plus positive.

Il y a également des différences d'attitude vis-à-vis des entrepreneurs en fonction des groupes sociaux. Les femmes ont une perception légèrement moins favorable des entrepreneurs que les hommes 6, ce qui reflète les stéréotypes traditionnels qui tendent à éloigner les femmes de l'entrepreneuriat 7. De plus, les personnes âgées ont une opinion légèrement négative du rôle des entrepreneurs, parce que la plupart d'entre elles ont eu une carrière salariée.

Changer le regard sur l'entrepreneur

Encourager une attitude positive vis-à-vis de l'entrepreneuriat peut avoir plusieurs avantages pour la société. Inculquer le rôle de l'entrepreneuriat et développer les attitudes entrepreneuriales devrait augmenter les intentions de création d'entreprise, mais aussi créer un environnement plus favorable à la création d'entreprise. C'est particulièrement important pour les groupes sous-représentés ou désavantagés parmi les entrepreneurs (par exemple les jeunes, les femmes, les seniors, les personnes handicapées, les immigrés et les minorités ethniques), qui risquent plus de se heurter à des stéréotypes négatifs et à des discriminations et ont souvent une confiance en eux plus faible.En outre, cela peut aider les individus à devenir plus entreprenants, innovants et flexibles, ce qui est utile même en dehors d'une création d'entreprise. Ces caractéristiques sont recherchées par les employeurs et peuvent également être précieuses pour faire du bénévolat ou dans d'autres domaines de la vie personnelle. Enfin, favoriser des attitudes positives peut également améliorer la qualité des activités entrepreneuriales, car ceux qui comprennent l'entrepreneuriat et en ont une opinion favorable ont plus de chances de chercher des formations ou d'autres formes d'aides à la création d'entreprise, et savent où les obtenir 8.

Ceux qui comprennent l’entrepreneuriat et en ont une opinion favorable ont plus de chances de chercher des formations ou d’autres formes d’aides à la création d’entreprise.

Des leviers politiques

L'un des leviers politiques clés permettant d'encourager le développement d'attitudes positives vis-à-vis de l'entrepreneuriat consiste à offrir des informations sur la nature, les défis et les avantages de l'entrepreneuriat au cours de l'éducation scolaire. Des enquêtes récentes montrent que des adultes de la majorité des pays de l'Union européenne pensent que leur éducation scolaire a contribué à développer leur attitude entrepreneuriale et leur esprit d'initiative. L'adhésion à cette idée est la plus forte au Portugal (75 %), en Roumanie (73 %) et en Finlande (64 %) 9.

Les meilleurs résultats sont obtenus par un modèle progressif, qui introduit l'entrepreneuriat par une modification graduelle des contenus, de la pédagogie, des résultats et des stratégies d'évaluation 10. On peut prendre l'exemple du Danemark, où la Fondation danoise pour l'entrepreneuriat soutient l'éducation à l'entrepreneuriat de la maternelle au doctorat.

Avec un taux d'entrée dans les établissements d'enseignement supérieur (EES) proche de 58 % pour des programmes de niveau licence dans la zone OCDE en 2014, ces établissements font l'objet d'une demande croissante de soutien à l'entrepreneuriat chez leurs diplômés. Ils proposent donc de plus en plus de cours portant sur l'entrepreneuriat et l'esprit entrepreneurial. Jusqu'à présent, les évaluations des politiques de l'OCDE et de la Commission européenne 11 dans l'Union européenne montrent que l'accent a été mis sur les activités d'apprentissage de l'entrepreneuriat visant à développer l'attitude entrepreneuriale, ainsi que les connaissances et compétences nécessaires à identifier les opportunités et à créer des entreprises pour les exploiter.

Même si une touche de génie est importante pour entreprendre, la plupart des connaissances nécessaires pour mettre une nouvelle idée sur le marché peuvent être enseignées. Le point de départ est le « raffinement d'opportunité », c'est-à-dire la capacité à découvrir des opportunités émergentes dans le contenu et les connaissances contextuelles que les étudiants acquièrent au cours de leurs études, ainsi que des opportunités qui naissent de leur participation à des activités de recherche et de les affiner jusqu'à en faire des idées commercialement viables. Cette compétence est renforcée par le recours aux ressources internes et externes et par le leadership, c'est-à-dire la capacité à prendre l'initiative pour organiser ces ressources sous forme d'une nouvelle entreprise 12.

Pour aider efficacement les entrepreneurs en devenir, les programmes de formation et d'éducation doivent inclure des compétences techniques et sociales. Idéalement, ces formations doivent être ouvertes à tous les étudiants intéressés, quelle que soit leur discipline d'origine, car beaucoup d'idées d'entreprises viables et innovantes peuvent naître d'un mélange entre savoirs techniques, scientifiques et créatifs. Des recherches récentes de l'OCDE ont montré que les cours sur la création d'entreprise qui mettent l'accent sur le « raffinement des opportunités » sont essentiellement proposés dans les domaines de l'économie et du commerce. Ces cours doivent être ouverts à tous les étudiants, car les activités qui impliquent des groupes d'étudiants interdisciplinaires conduisent le groupe à trouver des idées et des projets plus variés13. Le principal défi des activités interdisciplinaires est d'obtenir l'adhésion des professeurs. Tous ne considèrent pas l'entrepreneuriat comme pertinent pour leur discipline. Pour surmonter cet obstacle, les activités de génération d'idées et de « raffinement des opportunités » sont souvent organisées en dehors du cursus. La demande des étudiants pour ces activités augmente, comme le prouvent les données des établissements interrogés.

À ce jour, les EES ont mis l'accent sur les activités d'éducation à l'entrepreneuriat visant à développer un ensemble d'attitudes, de connaissances et de compétences qui permettent aux étudiants d'identifier les opportunités et d'en faire des entreprises qui réussissent. Mais l'éducation à l'entrepreneuriat ne suffira pas si les EES veulent devenir des environnements favorables aux jeunes entrepreneurs. Le mentorat, la participation active des étudiants aux activités de recherche, la création d'espaces de coworking et d'incubateurs, ainsi qu'une aide en matière de propriété intellectuelle et d'accès aux financements publics et privés comptent parmi les services d'aide complémentaires clés que les EES ont lancés au cours des deux dernières décennies.

La décision de créer une entreprise peut ne pas être prise au cours des études ou immédiatement après le diplôme. Souvent, elle a lieu après une période de salariat initiale, au cours de laquelle les diplômés acquièrent de l'expérience quant au fonctionnement des entreprises et des marchés. D'après la dernière enquête Global University Entrepreneurial Spirit Students14, environ 8 % des étudiants interrogés pensent créer une entreprise juste après leur diplôme, tandis qu'environ 30 % des personnes interrogées pensent que c'est un choix de carrière probable cinq ans après leur diplôme 15. Dans le premier cas, les étudiants peuvent donc ne pas chercher d'aide à la création d'entreprise, mais plutôt des activités éducatives qui stimulent leur créativité et exigent d'utiliser leurs connaissances pour résoudre des problèmes concrets. Ces activités sont souvent extérieures au cursus. Il est important que les étudiants aient la possibilité de documenter les compétences développées dans le cadre de ces activités, par exemple avec des annexes à leur diplôme ou des certificats, en particulier s'ils décident de retarder leur projet de création d'entreprise et de chercher un travail salarié.

Des établissements d'enseignement supérieur innovants

Pour soutenir le développement de la culture et de l'esprit d'initiative, les EES doivent également se montrer eux-mêmes entrepreneuriaux dans la manière dont ils perçoivent et organisent leurs fonctions clés dans les domaines de l'éducation, de la recherche et de l'engagement, en termes de répartition des ressources, d'avantages pour les salariés et d'initiatives de formation continue - ainsi que sur la manière dont ils se positionnent dans leurs partenariats stratégiques locaux, nationaux et mondiaux. Les politiques publiques ont un rôle important à jouer, en créant les cadres et les mesures incitatives qui promeuvent les approches entrepreneuriales dans les EES.

L'OCDE et la Commission européenne ont développé l'outil HEInnovate (www.heinnovate.eu) pour aider les EES et les décideurs politiques à rendre les EES plus entrepreneuriaux et innovants. HEInnovate comprend un cadre de travail qui définit sept dimensions de l'« université entrepreneuriale », avec un outil en ligne d'autoévaluation qui aide les EES à organiser un exercice participatif d'évaluation destiné à identifier les réussites stratégiques et les domaines à améliorer. Il est possible de faire participer une large palette de responsables de l'éducation supérieure.

Une priorité pour de nombreux gouvernements de l'UE

Encourager une attitude positive vis-à-vis de l'entrepreneuriat a été une priorité de nombreux gouvernements de l'UE ces dernières années, afin de stimuler la création d'emplois. Parmi les principales approches figurent des campagnes d'information sur le rôle des entrepreneurs dans la société, la promotion de l'entrepreneuriat comme carrière potentielle par les services d'aide à l'emploi et d'orientation professionnelle et la mise en avant des exemples de réussite qui inspireront les personnes tentées par l'entrepreneuriat. Cette politique a constitué une part importante de la réponse à la crise du chômage des jeunes dans l'UE. En conséquence, les États membres ont mis en place la Garantie jeunes, qui prévoit que tous les jeunes de moins de 25 ans recevront une offre d'emploi de qualité, une formation ou un accès à l'éducation ou à l'apprentissage dans les quatre mois qui suivent la fin de leur cursus scolaire ou le moment où ils sont au chômage. Pour soutenir la mise en œuvre de la Garantie jeunes, l'Union européenne offre des aides financières supplémentaires, dans le cadre de l'Initiative pour l'emploi des jeunes aux pays comptant des régions où le chômage des jeunes est supérieur à 25 %.

Les États membres de l’UE ont recours à un large éventail de politiques et de programmes pour encourager et soutenir l’entrepreneuriat des jeunes.

Les États membres de l'UE ont recours à un large éventail de politiques et de programmes pour encourager et soutenir l'entrepreneuriat des jeunes. De nombreux pays tels que l'Espagne et la Lituanie ont développé des stratégies à plusieurs niveaux pour l'entrepreneuriat des jeunes, notamment la promotion d'exemples de réussite entrepreneuriale, des offres de formation à l'entrepreneuriat, des coachs et des mentors en entrepreneuriat et l'usage de récompenses et de campagnes montrant les réussites pour inspirer d'autres jeunes. Il est démontré que les soutiens les plus intensifs (par exemple le coaching et le mentorat ou les formations à l'entrepreneuriat) sont les plus efficaces pour faire changer les attitudes et stimuler l'intention d'entreprendre, mais il est important de les accompagner de méthodes moins onéreuses mais dont l'impact est plus large 16.

  1. The Missing Entrepreneurs. Policies for Inclusive Entrepreneurship in Europe, 2013.
  2. European Commission, « Entrepreneurship in the EU and Beyond », Flash Eurobarometer 354, 2012, consultable sur : http://ec.europa.eu/public_opinion/flash/fl_354_en.pdf.
  3. Global Entrepreneurship Monitor, « Global Report 2016-2017 », 2017, consultable sur : http://gemconsortium.org/report ; European Commission, ibid.
  4. Ibid.
  5. The Missing Entrepreneurs. Policies for Inclusive Entrepreneurship in Europe, 2013.
  6. Ibid.
  7. Ibid.
  8. Ibid.
  9. European Commission (2012), ibid.
  10. « Entrepreneurship in Education : What, When and How », Entrepreneurship 360, OECD, 2015, consultable sur : http://www.oecd.org/site/entrepreneurship360/blog/entrepreneurship360backgroundpaper.htm.
  11. À ce jour, des études HEInnovate ont été entreprises en Bulgarie (2014), Irlande (2015-2016), Pologne (2015-2016), Hongrie (2015-2016) et aux Pays-Bas (2016-2017).
  12. E. Rasmussen, S. Mosey et M. Wright, « The Evolution of Entrepreneurial Competencies. A Longitudinal Study of University Spin-Off Venture Emergence », Journal of Management Studies, vol. 48 (6), pp. 1314-1345, 2011 (http://doi:10.1111/j.1467-6486.2010.00995.x).
  13. H. M. Neck et P. G. Greene, « Entrepreneurship Education : Known Worlds and New Frontiers », Journal of Small Business Management, Vol. 49 (1), pp. 55-70, 2011.
  14. P. Sieger, U. Fueglistaller et T. Zellweger, Student Entrepreneurship 2016 : Insights From 50 Countries, St. Gallen/Bern : KMU-HSG/IMU, 2016.
  15. Guesss (Global University Entrepreneurial Spirit Students' Survey) est une étude sur les intentions des étudiants de créer une entreprise immédiatement après l'obtention e leur diplôme et cinq ans plus tard. Elle a débuté en 2003 et est conduite par l'Institut suisse de recherche sur les petites entreprises et l'entrepreneuriat de l'université de Saint-Gall.
  16. The Missing Entrepreneurs. Policies for Inclusive Entrepreneurship in Europe, OECD Publishing, 2014.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2017-6/bienveillante-europe.html?item_id=3599
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