Philippe LE ROUX

Président-fondateur de Key People, membre du conseil d'orientation d'Entreprise et Progrès.

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L'impact du numérique sur le leadership des dirigeants

Face à la révolution numérique à laquelle aucune entreprise ne peut échapper, le dirigeant est en première ligne. Il doit transformer l'organisation de son entreprise, mais aussi repenser son propre mode de management.

Convenons-en, c'est une évidence devenue difficile à contester, la révolution digitale est derrière nous. Des milliards d'individus sont déjà interconnectés. Depuis quelque temps déjà, la convergence des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) a déclenché une révolution technique sans précédent dans toute l'histoire humaine. Même si nous assistons à un phénomène qui n'en est qu'à ses balbutiements, le changement n'est plus linéaire, il est exponentiel. Cela bouleverse totalement l'ancien ordre économique et social. C'est une transformation complète de la société. Elle touche le monde entier. C'est l'âge numérique.

De nouveaux usages, de nouveaux services, de nouveaux acteurs et de nouveaux modèles économiques surgissent en mode accéléré, fondés sur la mobilité, le cloud, le big data, les objets connectés. Mais une nouvelle vague arrive déjà, celle de l'intelligence artificielle, de l'informatique cognitive et de la désintermédiation (blockchain). Vertigineux !

Avec cette révolution qui touche un à un tous les secteurs, les dirigeants des entreprises traditionnelles entrent dans une ère de déstabilisation permanente, même ceux qui se sentent encore à l'abri. Leur seule certitude est qu'ils doivent désormais vivre avec l'incertitude. Autrement dit, être capables d'agilité et de modestie. Il s'agit de bouger très vite, mais avec discernement. Comme le disent les Américains, le monde est Vuca (volatility, uncertainty, complexity and ambiguity) : tout change tout le temps.

Dans ce contexte, il est illusoire de croire que la nécessaire transformation digitale de chaque entreprise ne concerne que le marketing, la communication ou le système d'information. Ou que l'acquisition de start-up résoudra tout. Tout comme l'embauche d'un chief digital officer (CDO, directeur du numérique) au pouvoir mal positionné, peu défini et, en définitive, limité.

Fort heureusement, de plus en plus de PDG comprennent qu'il est illusoire d'imaginer faire mieux de la même façon. Ils sont désormais convaincus que leur entreprise arrive au bout d'un modèle. L'heure est à la métamorphose systémique et en profondeur pour que la culture numérique pénètre tous ses compartiments. Sans exception.

L’heure est à la métamorphose systémique et en profondeur pour que la culture numérique pénètre tous les compartiments de l’entreprise. Sans exception.

Cela implique d'élaborer une nouvelle stratégie (conçue autrement car les anciens modèles d'analyse ne fonctionnent plus). Et une nouvelle vision qui redéfinit la mission, les objectifs, le business model, l'organisation, la culture interne et l'écosystème dans son ensemble. Pas moins.

Avec le conseil d'administration et le comité de direction, le dirigeant est en première ligne. Sa responsabilité est considérable.

Une transformation radicale

C'est désormais une chose entendue : une transformation digitale signifie des changements longs, profonds, compliqués et coûteux. Elle affecte l'ensemble d'une organisation qui a pourtant démontré son efficacité au fil des décennies. En effet, forgée autour de modèles économiques et de principes d'action éprouvés, mais qui n'ont guère évolué, cette dernière se révèle soudain inadaptée au nouveau monde qui arrive.

Au cœur de celui-ci, l'innovation devient centrale et globale. C'est l'affaire de tous. Elle se déploie à l'appui de nouvelles façons de travailler. On entre dans l'ère du collaboratif et de l'intelligence collective, car les grandes idées ne viennent jamais d'une seule personne. Le terrain reprend l'initiative et participe bien plus aux décisions, les équipes travaillent en réseau éclaté.

C'est sans aucun doute le plus grand défi associé à l'ère numérique : instaurer le travail coopératif en mode transversal pour faciliter la rapidité, l'agilité et l'esprit entrepreneurial. Mais aussi mieux dessiner des stratégies nouvelles de rupture afin d'embarquer tous les métiers et de fluidifier les interactions entre eux.

L'organisation devient polycellulaire et s'affranchit des frontières internes. Fondée sur l'autonomie et les communautés qui se font et se défont, elle remet en cause les logiques de contrôle et de pouvoir qui freinent la créativité, l'initiative et la prise de risque. Le numérique supprime les échelons intermédiaires inutiles. Les structures en silo, baronnies et autres systèmes corporatistes s'en trouvent bousculés, ainsi que le management pyramidal et très hiérarchisé, particulièrement en France.

On le constate, avant de penser opérationnel et outils, la transformation digitale est culturelle et managériale. C'est un enjeu stratégique majeur.

Il s'agit d'un projet global qui doit être porté par le dirigeant en personne. Car il est le seul à pouvoir impulser un mouvement qui, c'est sûr, va chahuter violemment l'ordre établi. L'exercice est difficile, car cela va remettre en cause les pouvoirs et les influences au sein de l'entreprise.

Pour réussir, il lui faut donc beaucoup anticiper les résistances au changement (et les chiffrer en conséquence dans le retour sur investissement du chantier) et éviter de se contenter de rajeunir de vieux principes. Comme le disait Keynes, « la difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d'échapper aux idées anciennes ». Il s'agit de faire autrement.

Pour cela, il faudra au dirigeant développer sa solidité intérieure, faire preuve de vision, de courage, d'abnégation, de pugnacité et d'indifférence aux critiques, aux pressions, aux lobbys... Il découvrira que le chemin est plus important que l'objectif, devenu imprédictible. Pour faire face, il affichera plus d'attitude que d'aptitude, plus de convictions que de certitudes, plus de savoir-être que de technique. Car c'est dans sa posture d'ouverture aux idées de rupture, d'envie de changer et de capacité de remise en cause permanente des hypothèses que se fera la différence. En cohésion et en solidarité, le comité de direction n'est pas en reste il doit relayer, expliquer, entraîner...

Un nouveau leadership doit émerger

On l'a vu, le numérique remet en cause la légitimité et le rôle des hiérarchies. Les managers sont aussi rudoyés par l'arrivée d'une nouvelle génération de millennials - les jeunes adultes nés « avec » Internet -, peu adeptes du modèle « commande-contrôle » multiséculaire. La crise de l'autorité qui depuis quarante ans a affecté la famille, l'école, l'université ainsi que les institutions morales, religieuses et politiques a ainsi rejoint l'entreprise.

On est donc face à la nécessité de conduire un changement de culture managériale sous-jacent à la transformation digitale. Le manager va devoir opérer un virage à 180° dans l'exercice de ses responsabilités. C'est ainsi, à quelques exceptions près, que le monde du top down, fondé sur la détention de l'information et l'obéissance, va progressivement disparaître.

Le nouveau manager devient un facilitateur et l’animateur de l’expérimentation collaborative permanente. Sa posture de chef solitaire coercitif s’estompe, il devient entraîneur-inspirateur en réseau.

Il lui faut devenir un leader d'influence pour promouvoir des logiques inédites de création de valeur fondées sur le coworking et le partage d'informations. À son initiative, de nouvelles règles du vivre-ensemble fondées sur la gentillesse ou le don - contre-don apparaissent. Le nouveau manager devient un facilitateur et l'animateur de l'expérimentation collaborative permanente. Sa posture de chef solitaire coercitif s'estompe, il devient entraîneur-inspirateur en réseau. C'est à ce prix qu'il embarque les équipes et contribue au renouveau de l'entreprise. Mieux, avec un tel changement de mentalité, celle-ci gagne en cohérence et en performance. Elle attire et fidélise les meilleurs et boycotte les mercenaires. Surtout, elle est payée en retour par l'engagement de chacun dans toutes les fonctions et l'excellence que cela produit au bénéfice des clients.

Pour autant, lorsque beaucoup d'efforts et d'investissements sont consacrés à la recherche d'innovations technologiques, beaucoup moins le sont aux innovations managériales et à la transformation du leadership. C'est pourquoi le DRH se voit investi d'un rôle primordial : il est désormais propulsé au premier rang des facteurs clés du succès de la « digitalisation » de l'entreprise. À condition de lui donner les moyens d'une transformation culturelle puissante fondée sur la confiance, une évolution assumée de l'ADN et une rénovation complète des comportements managériaux.

Telle est finalement la nouveauté la moins identifiée de l'ère numérique : l'émergence d'un nouveau leadership culturel et humain qui fera toute la différence. Les chefs d'entreprise les plus éclairés l'ont compris : en reconnaissant la primauté de la culture et de l'homme sur la technologie, ils augmentent sérieusement leurs chances de réussir cette transition.

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