est directeur adjoint de l'Institut de l'innovation et de l'entrepreneuriat de l'École hôtelière de Lausanne.
Les stratégies de demain passent-elles par l'accueil ?
L'accueil doit être une des préoccupations premières des professionnels de l'hospitalité. Cela peut sembler une évidence, mais cette fonction n'est pas comprise, ni parfois pratiquée, par tout le monde. Pourtant, c'est une donnée fondamentale de la construction du séjour d'un client dans un hôtel ou un restaurant.
Derrière une chambre confortable, un petit déjeuner copieux, un accueil dévoué, se dissimule au regard des voyageurs une organisation qui doit savoir allier toutes les compétences managériales pour survivre dans un domaine soumis à de nombreux facteurs souvent difficilement maîtrisables, tels que des consommateurs caméléons et exigeants, la pénurie d'énergie ou la concurrence entre une multitude de destinations.
L'accueil est une mise en relation qui suppose une certaine volonté, car il n'y a pas d'accueil sans volonté d'accueillir. Cette volonté n'est pas spontanée : elle s'accompagne d'un effort. L'effort est cette décision de l'esprit qui nous arrache aux habitudes, aux automatismes et aux mécanismes, dans la poursuite d'un but que l'on s'est librement proposé. L'accueil exige un effort qui bouscule l'accueillant dans son confort et dans ses habitudes, et même dans sa vie quotidienne. Qui veut se faire accueillant doit se faire violence. D'ailleurs, si cette volonté d'accueillir était spontanée, ce ne serait pas une volonté, mais une tendance, et l'accueil en aurait beaucoup moins de force. Ferait défaut ce mouvement volontaire de générosité, venu d'une décision réfléchie, qui lui donne son prix. Autrement dit, jamais la capacité d'accueil ne peut se figer en habitude, tout simplement parce que l'accueilli est toujours nouveau. Si l'accueillant en vient à s'imaginer que l'accueil est une habitude ou une obligation « automatisée », deux conséquences s'ensuivent. D'abord, il finit par homogénéiser les accueillis et se rendre aveugle à la singularité de chacun d'eux. Ensuite, il s'éloigne de cette ouverture à la singularité de l'autre.
Vers un nouveau modèle ?
Afin d'illustrer nos propos et la complexité de cette notion intangible d'accueil, nous souhaitons présenter au lecteur un modèle composé en trois parties :
- une première partie centrée sur la relation dynamique entre deux individus ou entre un individu et une structure donnée, ou encore en un groupe d'individus et une structure donnée ;
- une deuxième partie composée essentiellement des activités de support organisationnel ;
- une troisième partie mettant en avant le rôle du capital culturel de l'accueillant et du client.
Le temps symbolique de l'accueil
L'interaction entre l'hôte et son client est influencée par le vécu de l'accueillant et par celui du client. Dans un monde où la mobilité des individus favorise les déplacements et les opportunités d'emploi, les cultures se rencontrent et s'affrontent. La notion d'accueil est interprétée par chacun, donc perçue de façon différente par rapport à son propre « code de culture ». Ici la relation hôte-client prend toute son envergure et son impact commercial n'est pas à négliger. Cette partie, selon la loi de Pareto1, représente pour l'entreprise environ 20 % des coûts et génère 80 % des revenus. Mais encore faut-il en être conscient et prendre les mesures nécessaires afin de donner à l'accueil toute sa dimension de valeur ajoutée.
Finalement, pourquoi veiller à la qualité de l'accueil ? Pour nous, le temps de l'accueil marque la perception par le client de la qualité attendue du service ou du produit. Il lui permet aussi de penser à son vécu. Le temps de l'accueil permet enfin la distribution symbolique des rôles entre hôte et client. Ainsi, il s'agit d'un moment important qui permet une ritualisation de l'arrivée du client. Mais alors comment organiser l'accueil ? Le premier postulat, c'est le respect, la reconnaissance de l'autre en tant que sujet digne d'attention.
Le support organisationnel
L'attractivité du support pour l'organisation et le professionnel dépendra largement de sa capacité à mobiliser, sur des objectifs communs, les individus qui y travaillent, grâce à une politique conforme à son modèle d'établissement et à un fonctionnement interne efficace et réactif. Mais quelle est l'importance pour une organisation de service de développer son support organisationnel et quel en est l'impact sur l'accueil ? Selon un article publié par Grant-Vallone et Ensher2 , le support organisationnel est le « degré auquel les employés perçoivent que leur organisation est concernée par leur santé et leur bien-être, ainsi qu'avec la réduction de conflits entre leurs vies professionnelle et personnelle ». Nous pouvons donc partir du postulat qu'un employé équilibré et « à l'aise » dans son rôle d'accueillant sera plus efficace qu'un employé stressé et en conflit permanent avec sa hiérarchie ou ses collègues de travail. In fine, la relation hôte-client s'en verra améliorée.
La prise en compte du capital culturel
L'acte d'accueil est une des conséquences du capital culturel de l'individu. C'est le sociologue Pierre Bourdieu qui est à l'origine de la distinction entre capital économique, capital social et capital culturel. L'idée est que l'individu ne possède pas et n'hérite pas seulement d'un capital matériel, mais aussi d'autres éléments tout aussi importants dont il peut tirer des avantages matériels ou symboliques.
Il est intéressant de noter que dans certains pays ou certaines régions où la vie est rude, la notion de l'accueil en dévoile les us et coutumes. Qui de nous n'a pas vécu, vu ou entendu, par exemple, qu'en Afrique du Nord on vous offre du thé, à manger, etc., et ce, jusqu'à satiété ? Confronté au phénomène de la mondialisation, force est de constater que l'identité culturelle de l'individu est en constante évolution et que ceux qui partagent cette culture bougent et évoluent à leur tour. Leurs identités se construisent donc au fil des ans, en se transformant au contact des autres cultures et langages qu'elles côtoient. Étudier une culture ne consiste pas à énumérer les valeurs qu'un peuple possède, mais plutôt à étudier le réseau d'informations dont un peuple hérite dans le cadre d'une structure sociale vivante et changeante. Un peu comme le logiciel d'un ordinateur qui fournit des informations sans dicter ce que l'on doit en faire et permet diverses interprétations et mises à jour. La culture change au fur et à mesure que les individus l'utilisent et lorsqu'une génération la transmet à une autre, car les libertés que prennent les individus, les familles et les communautés en ce qui concerne leur héritage introduisent des « erreurs » d'interprétation au cours de ce processus de transmission. C'est pourquoi les professionnels doivent être vigilants à ne pas perdre leur culture d'accueil (Batteau3). Cela implique d'intégrer la culture de leurs collaborateurs, mais aussi de communiquer leurs particularités en harmonie avec celles du client. Le processus à travers lequel nous apprenons la culture est la socialisation.
L'importance du rituel
C'est par la socialisation que les rites et symboles se manifestent. En effet, selon Batteau, chaque personne porte avec soi un bagage culturel précieux et différent, fait de symboles, histoires, expériences, mémoires collectives et valeurs. D'après de nombreux anthropologues, les rituels et les mythes nous permettent de décoder et comprendre certains aspects caractérisant des situations et des contextes. Le mythe nous donne la narration qui fournit la signification des actions, du comportement d'une personne, tandis que les rituels organisent dans le temps l'interaction et les relations sociales, en s'assurant ainsi l'identité et la continuité du groupe. Les rituels dans la littérature ont été analysés parce que représentant des schémas d'interaction qui sont sujet, selon Bonino, à répétition et aussi au changement dans le temps : les rituels ont un impact sur les émotions, sur la partie cognitive de notre cerveau et sur les relations entre les groupes.
Mais que disent les ethnologues ? Selon Nevano4 , les composantes symboliques des rituels ont leurs racines dans les composantes biologiques élémentaires de toutes les populations. Ainsi, le don ou le cadeau serait une forme évoluée du rituel de donner à manger, comportement évidemment présent aussi chez les animaux. Il est intéressant de noter, avec Valeri, comment le rituel se présente selon un ensemble de symboles, sans nous offrir le code qui permet de les interpréter vraiment. Nous allons ainsi jouer avec les symboles des rituels pour interpréter les messages des personnes. En synthèse, le rituel stimule les nouveaux rapports et cela donne vie à l'apprentissage d'autres codes sociaux qui se créent à travers ces interactions. Car, finalement, il s'agit bien d'équilibre afin de ne pas « choquer » le voyageur ou au contraire passer inaperçu !
Notre modèle présente l'accueil non seulement comme une activité génératrice de revenus, mais aussi comme une conséquence de plusieurs facteurs indissociables prônant une meilleure connaissance de l'ADN culturel des individus, hôte et client, et de l'importance du support organisationnel de l'entreprise. Nous avons présenté le capital culturel comme une forme de connaissance, un code intériorisé qui permet à l'individu d'éprouver de l'empathie, d'émettre une appréciation ou de disposer de compétences dans le décodage des relations et des phénomènes culturels. L'acquisition de ce code ou « capital culturel » est un long processus d'accumulation d'expériences de la personne comme membre d'une famille, d'un groupe, d'une formation et d'institutions sociales. Autant dire qu'écouter avec empathie n'est pas le quotidien de chacun et que notre éducation et le poids de notre ego nous entraînent souvent dans des pièges que nous regrettons un jour ou l'autre.
- Vilfredo Pareto (1848-1923), économiste et sociologue italien.
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E. J. Grant-Vallone et E. A. Ensher, « An Examination of Work and Personal Life Conflict, Organizational Support and Employee Health Among International Expatriates », International Journal of Intercultural Relations, 25, 2001, p. 261-278.
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Batteau, Bonino, INTEHL Report, Market Intelligence, rapport publié par l'école hôtelière de Lausanne, Business Intelligence Unit, mars 2007.
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Nevano & Valeri, INTEHL Report, Market Intelligence, rapport publié par l'école hôtelière de Lausanne, Business Intelligence Unit, 1981 et mars 2006.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2009-11/les-strategies-de-demain-passent-elles-par-l-accueil.html?item_id=2986
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