Sommaire N°24

Novembre 2009

Jean-Pierre ROCHE

Avant-propos

Les stratégies marketing de demain

Hervé MATHE

L'innovation marketing dans une économie sous tension

Web

Richard B. CHASE

Agir sur la conception des opérations pour améliorer le service client

VO

Patrick BAYLE

Une stratégie « multicanal » face à la concurrence

Myriam MAESTRONI

Miser sur l'intelligence émotionnelle

Philippe REMY, Xavier RUAUX

Le marketing, un impératif porteur de croissance pour la filière construction

Nicolas DAUMONT

Un nouveau métier : le courtage de travaux

Claude CAZALOT

Réorientation stratégique : l'exemple d'une PME du bâtiment

Stefan FRAENKEL

Les stratégies de demain passent-elles par l'accueil ?

Xavier PAVIE

Une innovation responsable ?

Isabelle BARTH

La face cachée des nouveaux marketings

Dominique PIOTET

Du marketing « multicanal » au marketing « métis »

Olivier ITÉANU

L'identité numérique, un nouveau paradigme

Jean-Michel LEFÈVRE

Traçage, profilage, CRM... qu'est-ce qui nous fait si peur ?

Fabrice LARCENEUX

Enjeux et limites des partenariats entreprises-associations

Thierry VEDEL

Le marketing politique de l'après-Obama

Francis PISANI

Leçons de marketing pour entrepreneurs et politiques

Web

Les normes comptables IFRS en question

Muriel NAHMIAS

Les normes IFRS, bientôt référentiel comptable mondial

Nicolas VÉRON

Les normes comptables dans la tourmente

Philippe DANJOU

Les projets de l'IASB pour améliorer le système

Dominique BAERT, Gaël YANNO

Jeu d'experts ou enjeu politique ?

Jacques MISTRAL

Il faudra bien discipliner l'IASB !

Jacques RICHARD

En finir avec les normes IFRS

Christophe KULLMAN

Une clarification et des incohérences

Régis CHEMOUNY

Immobilier : des normes à caractère procyclique ?

Web

Jean-Paul CAUDAL

Principes comptables : premières leçons de la crise

Web

Francis PISANI

est journaliste. Il vit aux États-Unis et collabore régulièrement à El País en Espagne, Reforma au Mexique et El Universo en Équateur.

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Leçons de marketing pour entrepreneurs et politiques

La campagne électorale de Barack Obama s’est conclue par une victoire politique, mais aussi par sa consécration dans le monde des affaires. Son analyse à travers les médias américains est riche en enseignements.

Son élection comme président des Etats-Unis n’est pas la seule victoire remportée par Barack Obama en 2008. Il mérite aussi le titre de « start-up la plus performante de l’année ». Parti de presque rien avec un esprit d’entrepreneur qui fait pâlir les plus dynamiques de la Silicon Valley, il est en effet parvenu à réaliser ses objectifs et à occuper le poste le plus investi de pouvoirs du monde d’aujourd’hui. Sa victoire politique s’est doublée d’une consécration dans le monde des affaires. Regarder son parcours sous cet angle-là peut nous permettre de tirer des enseignements utiles pour tous ceux qui, entrepreneurs ou politiciens, veulent mener des campagnes.

La surprise provenant de son utilisation active des technologies de l’information et, plus particulièrement, des médias sociaux, une attention considérable a été portée sur ce sujet 1. Le site ePolitics, par exemple, a publié un article de bilan – « Learning from Obama » – dans lequel on trouve quelques conseils simples tirés de la logique propre aux entreprises de la Silicon Valley telle qu’elle a été adaptée par Obama et son équipe. Il faut partir tôt sans se préoccuper d’être parfaitement au point, s’assurer qu’on peut grandir à mesure que le succès arrive, et permettre aux utilisateurs de s’y retrouver facilement sur les sites et plates-formes qu’on met à leur disposition. Mais il faut aussi les laisser agir comme ils l’entendent et leur proposer des activités spécifiques leur convenant et pourtant conformes aux objectifs de la campagne. Il est également conseillé d’intégrer les technologies les plus performantes à côté des mieux connues : « Innover quand c’est nécessaire, faire tout le reste graduellement mieux », recommande l’article en question.

La start-up la plus performante de 2008

Un autre article, publié celui-ci par Alex Cleanthous sur le site WebProfits.com.au, dès juillet de l’année dernière, proposait déjà « Six leçons que l’on peut tirer de la campagne de marketing en ligne de Barack Obama », dont la victoire de novembre n’a fait que confirmer la valeur. Elles incluent la simplicité de la page d’accueil du site My.BarackObama.com, qui invitait les gens à s’inscrire tout de suite sur les listes de courriel. Toutes les pages demandaient aux visiteurs de « donner maintenant » de l’argent nécessaire au financement de la campagne, mais la possibilité leur était toujours laissée de choisir le montant qui leur convenait. Jugée excellente, l’architecture informationnelle permettait une navigation facile, même pour les moins branchés. Les messages étaient transmis grâce à un blog et sur YouTube. Le social networking, enfin, grande nouveauté de la campagne, permettait de maximiser la présence d’Obama.

Conclusion de Cleanthous : « Si vous vous êtes jamais demandé à quoi ressemble une campagne parfaite de marketing en ligne, il vous suffit de vous pencher sur celle d’Obama. Elle a tiré parti de tous les éléments disponibles – du maillage social à l’optimisation pour moteurs de recherche. Et, en plus, la mise en œuvre a été impeccable. »

Les spécialistes de l’impact de la technologie sur la vie politique comme ePolitics.com ou du marketing en ligne, comme WebProfits.com.au, n’ont pas été les seuls à insister sur l’aspect « entreprise » de la campagne d’Obama.

Même ses adversaires politiques, avec une bonne dose d’agacement, le reconnaissent. C’est le cas d’Aaron Marks sur le blog The Next Right. Il reprend une interview de David Plouffe, qui a joué le rôle de directeur de la campagne d’Obama, dans laquelle il explique : « Il y a des analogies avec le monde des affaires. L’une d’entre elles est que nous sommes une start-up. Nous avons dû passer de 0 à 100 [km/h] en quelques semaines… Nous avions plus de 5 000 employés… Notre organisation reposait sur la responsabilité. Nous mesurions les performances de chacun, jusqu’au niveau le plus bas, en nous appuyant sur des chiffres. »

Marks en conclut que la campagne d’Obama « n’a pas été menée comme une campagne traditionnelle, mais comme une grande entreprise ». Plus concrètement, il illustre son affirmation en soulignant plusieurs tendances en vogue dans les grandes entreprises qui réussissent et qu’on retrouve dans le travail mené par Plouffe et son équipe. Il s’agit, entre autres, de bien connaître ses clients, d’avoir un message constant de positionnement de marque, de mesurer les performances des acteurs et de s’imposer une discipline financière rigoureuse, ainsi que d’innover souvent et vite.

Google, Walmart et My.BarackObama.com

Tim O’Reilly, éditeur spécialiste des technologies numériques, est sans doute celui qui va le plus loin quand il affirme que la campagne d’Obama a fonctionné sur les mêmes principes qui sont au cœur du succès de Google et de Walmart, des « entreprises qui fonctionnent en temps réel ». Toutes les trois « contiennent tant de technologies de l’information que cela conduit à un changement qualitatif de leur entreprise tout entière ».

Si Google interprète un lien comme un vote en faveur d’un site, Walmart analyse un achat comme un vote en faveur d’un article. Le secret consiste ensuite à tenir compte en temps réel de ces « intentions » pour mettre l’ensemble du système à jour.

La campagne d’Obama faisait la même chose avec son projet Houdini, estime O’Reilly. Il a consisté, le jour du scrutin, à demander aux volontaires de signaler immédiatement les gens qui avaient voté à mesure qu’ils votaient. Cela a permis de réduire de 25 % la liste des sympathisants potentiels à relancer en fin de journée pour les convaincre de se rendre aux urnes. L’efficacité de la mobilisation le jour J s’en est trouvée accrue.

« Il est essentiel », ajoute-t-il, « de reconnaître que chacun de ces systèmes est un système hybride humain-machine, dans lequel les actions humaines font partie de la boucle de traitement. »

Il y a trois idées fondamentales dans cette analyse :

  • L’efficacité de ces entreprises tient à leur capacité à capter les intentions des gens dans une base de données dont les informations sont aussitôt remises en circulation.
  • Cela permet et oblige à une évolution en temps réel. La grande plasticité des entreprises en question est d’autant plus efficace qu’elle repose sur des données concrètes et précises.
  • Dans ces systèmes hybrides, les humains ne sont pas que des données, ils fonctionnent comme des capteurs dont les actions et réactions contribuent à l’intelligence du système.

Autonomie des participants et contrôle du message

Contrairement à ce que certains sympathisants se plaisent à croire et à dire, Obama n’a pas gagné en leur permettant de faire sa campagne. Dans le jargon, difficile à traduire, des spécialistes américains de la politique, il a mené une open grassroot driven topdown presidential campaign (« campagne présidentielle ouverte, dirigée par le sommet et entraînée par la base »). Telle est l’expression retenue par Garrett Graff, ancien de la campagne de Howard Dean et aujourd’hui responsable éditorial de la revue The Washingtonian.

Lors d’une entrevue menée avec Dominique Piotet en juillet 2009, Garrett Graff nous a expliqué que sur My.BarackObama.com (MyBO pour les intimes) « il n’a jamais été possible de prendre le candidat pour quelqu’un de malléable que l’on pourrait transformer en ce que l’on voudrait qu’il fût ».

C’est ce qui le conduit à parler de campagne animée par la relation avec la base dans laquelle il n’a jamais cédé le manche à personne. Il tend même à penser que les campagnes dirigées par les bases (comme celle de Howard Dean en 2004 dans une certaine mesure, ou comme celle du conservateur Ron Paul en 2008) ne fonctionnent pas.

Le talent exceptionnel d’Obama et la machine qu’il avait montée pour le soutenir ont permis à son équipe de répondre à toutes les attaques avec des messages adaptés. L’autonomie laissée à ses sympathisants était doublée d’une mise en relation des plus actifs (repérés très tôt dans la campagne) et de réunions dans des campements de week-end ou dans des conférences téléphoniques pour leur transmettre le message que lui voulait faire passer.

Allant un peu plus loin, Marty Kearns suggère, sur son site NetCentric Advocacy, de faire la différence entre ce qu’est une campagne et ce qu’est un mouvement. La première est serve me, elle réunit les énergies des gens au profit du candidat ou de la marque qui l’organise, alors que le second est self serve, dans la mesure où les gens utilisent des outils souvent très proches de ceux qui sont utilisés dans les campagnes, mais au profit de l’expansion du mouvement lui-même.

Les deux sont parfaitement honorables et souvent entremêlés, dit-il, mais il est important de comprendre les différences pour mieux choisir ses stratégies. Ce qu’il ne développe pas, mais qui mérite réflexion, c’est qu’en fait Obama a commencé par lancer un mouvement (dans le sens utilisé par Seth Godin dans son livre Tribes), dont il s’est ensuite servi pour mener sa campagne.

« What would Obama do ? »

Un des livres de « business » qui a le plus frappé au cours des derniers mois est celui dans lequel Jeff Jarvis, professeur de journalisme à la City University of New York et consultant, suggère à ses lecteurs soucieux d’adapter leurs actions au monde d’aujourd’hui de se demander systématiquement ce que ferait Google dans leur situation. D’où le titre What Would Google Do? Puisque c’est l’entreprise qui réussit le mieux dans l’univers connecté par l’Internet et le Web, autant essayer de comprendre sur quelles logiques elle fonctionne et les appliquer dans les situations concrètes de chacun.

Parmi les mots-clés du livre de Jarvis, on retient : transparence, ouverture, confiance, générosité, plate-forme, réseaux et rapidité. Des notions cardinales aussi bien pour les entreprises que pour les mouvements politiques d’aujourd’hui. Il est également légitime de se demander, au moment de mener une campagne de marketing commerciale ou politique, « What would Obama do? ». Bonne question, mais qui contient un piège : les technologies de marketing peuvent être semblables alors que les terrains sur lesquels elles sont menées ne sont pas de même nature quand il s’agit du commerce et des affrontements électoraux. Comprendre le fonctionnement de la campagne d’Obama ne veut, ne peut pas dire le copier pour le lancement d’un produit (ni, au demeurant, pour essayer de remporter une élection).

Entrepreneurs et politiques ont beaucoup à apprendre de la stratégie marketing mise en œuvre par la campagne d’Obama. Ils y trouveront des conseils pratiques, un état d’esprit, une attitude qui peut leur être utile… Mais pour tirer le meilleur parti de l’expérience, il est indispensable de réfléchir et de prendre position concrètement sur la tension fondamentale entre la dynamique des groupes, réseaux et communautés qui peuvent se constituer online et le contrôle d’où les institutions tiennent leur force et leur efficacité.

Barack Obama a su laisser une certaine autonomie à sa base sans s’en laisser imposer par elle. Il s’agit d’un équilibre difficile à maintenir. Deux idées citées par Jarvis, mais dont il n’est pas l’auteur, peuvent servir de guide.

La première est une expression de Mark Zuckerberg, le fondateur et président de Facebook, selon qui on ne crée pas de communautés, on les aide en mettant à leur disposition des outils permettant de créer une « organisation élégante ».

La seconde est due à David Weinberger, coauteur du Cluetrain Manifesto et conseiller d’Obama pendant une partie de la campagne, pour qui « Il y a une relation inverse entre contrôle et confiance ».

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2009-11/lecons-de-marketing-pour-entrepreneurs-et-politiques.html?item_id=2994
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