Sommaire N°24

Novembre 2009

Jean-Pierre ROCHE

Avant-propos

Les stratégies marketing de demain

Hervé MATHE

L'innovation marketing dans une économie sous tension

Web

Richard B. CHASE

Agir sur la conception des opérations pour améliorer le service client

VO

Patrick BAYLE

Une stratégie « multicanal » face à la concurrence

Myriam MAESTRONI

Miser sur l'intelligence émotionnelle

Philippe REMY, Xavier RUAUX

Le marketing, un impératif porteur de croissance pour la filière construction

Nicolas DAUMONT

Un nouveau métier : le courtage de travaux

Claude CAZALOT

Réorientation stratégique : l'exemple d'une PME du bâtiment

Stefan FRAENKEL

Les stratégies de demain passent-elles par l'accueil ?

Xavier PAVIE

Une innovation responsable ?

Isabelle BARTH

La face cachée des nouveaux marketings

Dominique PIOTET

Du marketing « multicanal » au marketing « métis »

Olivier ITÉANU

L'identité numérique, un nouveau paradigme

Jean-Michel LEFÈVRE

Traçage, profilage, CRM... qu'est-ce qui nous fait si peur ?

Fabrice LARCENEUX

Enjeux et limites des partenariats entreprises-associations

Thierry VEDEL

Le marketing politique de l'après-Obama

Francis PISANI

Leçons de marketing pour entrepreneurs et politiques

Web

Les normes comptables IFRS en question

Muriel NAHMIAS

Les normes IFRS, bientôt référentiel comptable mondial

Nicolas VÉRON

Les normes comptables dans la tourmente

Philippe DANJOU

Les projets de l'IASB pour améliorer le système

Dominique BAERT, Gaël YANNO

Jeu d'experts ou enjeu politique ?

Jacques MISTRAL

Il faudra bien discipliner l'IASB !

Jacques RICHARD

En finir avec les normes IFRS

Christophe KULLMAN

Une clarification et des incohérences

Régis CHEMOUNY

Immobilier : des normes à caractère procyclique ?

Web

Jean-Paul CAUDAL

Principes comptables : premières leçons de la crise

Web

Hervé MATHE

professeur de stratégie et innovation à l'Essec, Paris et Singapour.

Partage

L'innovation marketing dans une économie sous tension

Même en temps de crise, l’innovation dans le marketing gagne progressivement toutes les activités des sociétés, s’invitant dans les organisations publiques, les structures associatives et caritatives, ainsi que dans la sphère politique, avec parfois beaucoup d’originalité.

Habitué de Cambridge, Massachusetts, je descends, les jours de fête, au Charles près de la J. F. Kennedy School of Government, et plus communément au Sheraton Commander, plus à l’ouest et un peu trop victorien à mon goût. Je m’y suis toutefois habitué depuis l’époque heureuse où, invité par l’université Harvard, je profitais de tarifs avantageux. Mais cet été, il fallait identifier un hôtel dans le centre de Washington pour y passer quatre jours de semi-vacances. Et mon assistante, qui n’a jamais mis les pieds aux Etats-Unis, de revenir vers moi, après quinze minutes de frappe énergique sur le clavier de son ordinateur, pour me suggérer le Donovan House sur la 14e Rue. Bureau du tourisme de la ville ? Publicité dans le Washington Post  ? Guide du routard en costume anthracite ? Non point, il s’agit plutôt du site Tripadvisor.com, ou de son équivalent. Par destination, chaque hôtel, chaque restaurant, chaque attraction font l’objet d’une évaluation en cinq points par les consommateurs eux-mêmes, qui commentent leur expérience. Certains y ajoutent photos et compléments d’information. Le moteur du site calcule une note globale pondérée pour chaque objet et le positionnement de celui-ci dans la liste évolue en fonction des notes attribuées. Ainsi, l’opinion d’un rapport qualité-prix supérieur, ou son opposé, surgit avant même que le tarif ne soit effectivement connu du visiteur. Le positionnement sur les cartes informatives des événements et points d’intérêt, en surimpression, ainsi que la confirmation d’un style « design contemporain » appliqué jusque dans les goodies offerts en salle de bain suffisent à conclure la recherche.

Si le marketing a un objectif, défendent les auteurs d’un récent article intitulé « The Consumer Decision Journey »1, « c’est précisément d’atteindre les consommateurs aux moments qui influencent le plus leur décision ». Ainsi, les fabricants de matériels électroniques s’appliquent à convaincre les magasins de diffuser en permanence, sur les écrans de la marque, d’impressionnantes images en haute définition. Pour cela également qu’Amazon.com, voilà plus de dix ans, a commencé à offrir des recommandations pour des produits ciblés à destination des utilisateurs déjà connectés et prêts à acheter. Les distributeurs multiplient les diffusions d’encarts vidéo dans les magasins et testent l’interactivité par téléphone portable au niveau des rayons et têtes de gondole2. Plus profond dans l’histoire du marketing, on retrouve encore Procter & Gamble, qui décide de produire des programmes de radio et de télévision afin d’atteindre l’audience la plus formatée à l’achat de ses produits, d’où l’appellation de soap opera bien connue outre-Atlantique. Comment les entreprises agissent-elles actuellement pour renforcer la portée de leur effort de marketing ? Et, plus précisément, comment se manifeste, au sein d’une économie dominée par les services et désormais en crise, l’innovation dans le marketing ? Tel est l’objet de cet article.

Vers un consommateur plus libre ?

Aujourd’hui, le consommateur qui entend, souvent avec suspicion, le « boniment » de tel ou tel offreur se trouve largement influencé, au moment clé du passage à l’acte, par quantité d’acteurs et d’informations dont une bonne part échappe à l’influence directe de l’entreprise, comme illustré dans l’exemple évoqué en introduction. Les sites Internet de comparaison des prix comme des performances des produits et services se sont multipliés. Parmi bien d’autres, WorkIT propose depuis peu une application (widget), accessible sur latransparencedesprix.com, permettant de comparer les offres de sites marchands3. Quand l’internaute la télécharge, elle se positionne en module complémentaire du navigateur. Automatiquement, lors de l’accès à un site d’e-commerce, elle s’active dès qu’une recherche est lancée sur Google, Yahoo, MSN ou autre, indique le classement du fournisseur pour chaque article sur le critère du prix. Quand l’utilisateur accède à la fiche d’un produit, une fenêtre dite pop-in se superpose sur l’écran de navigation et l’informe sur le classement des sites qui vendent le même produit. Le widgetindique également le nombre d’offres de produits neufs et d’occasion, ainsi que l’historique du prix constaté et autres informations utiles. Les prix affichés par ce comparateur incluent l’écotaxe et les frais de livraison. Chaque jour, WorkIT, indépendant des sites marchands, extrait les informations de prix, disponibilité et délai pour près d’un million de produits référencés sur une centaine de sites. Ces informations sont classées et proposées au travers d’un catalogue de quelque cent mille références. On imagine l’impact de tels systèmes sur l’accroissement de l’intensité concurrentielle entre les acteurs de l’e-commerce et plus généralement du secteur de la distribution.

Dans un registre proche, l’effet du bouche à oreille, de plus en plus fréquemment relayé au travers des blogs et des espaces virtuels d’échanges d’expérience ne cesse de croître en impact sur les ventes. Le développement spectaculairement rapide des réseaux dits « sociaux », tels que Facebook ou Twitter, a démontré, s’il en était besoin, le caractère tout à fait grégaire des internautes et la confiance immédiate que ceux-ci accordent à leurs homologues rencontrés sur la Toile. En conséquence, un véritable « marketing Facebook » émerge, au travers duquel les marques tentent de reprendre la main sur la communication libérée qui s’étale désormais sur des millions d’écrans. En mars 2009, Facebook, qui s’adresse déjà à près de sept millions d’internautes en France, lance une nouvelle interface permettant aux marques de mieux irriguer leurs réseaux de clients et prospects. Ainsi, toutes les actions réalisées au titre d’une marque donnée se trouvent immédiatement et automatiquement communiquées à l’ensemble des « membres » référencés du réseau et, par voie de conséquence, atteignent également les amis inscrits sur le site de ces « fans »4. Les nouvelles des marques se coulent dans les flux reçus, au même titre que celles concernant les « amis » ; elles deviennent partie intégrante de l’information quotidienne et donnent lieu à transferts, commentaires et enquêtes immédiates. Ainsi se met en place un marketing que l’on peut qualifier de « viral », ou buzz (« bourdonnement » en anglais).

Si de plus en plus de firmes, telle Apple parmi les plus actives, utilisent les réseaux sociaux pour dialoguer avec la communauté qui leur prête de l’intérêt, ce sont d’autres acteurs de l’économie qui ont d’abord su exploiter ce canal d’échange. Ainsi, des vedettes du show business entretiennent l’attention du public au travers des réseaux, comme Britney Spears qui réagit et dément les informations communiquées par la presse traditionnelle qu’elle trouve infondées, ou U2 qui diffuse régulièrement des nouvelles sur les concerts à venir, les passages sur les ondes, et des photos et vidéos inédites. Nombre d’organisations sportives, éducatives ou humanitaires mobilisent ce canal ; ainsi, la NBA met en avant de nouveaux films promotionnels, des vidéos des matchs, ou sollicite ses « fans » sur l’attractivité de ces nouveaux messages de communication. L’université Stanford, près de San Francisco, annonce les expositions et événements organisés sur son campus, fait circuler des vidéos de certains des cours ou des dossiers de recherche sur des sujets pointus. Enfin, comment ne pas rappeler ici la communauté des cinq à six millions de supporters internautes du président Barack Obama, qui produit, à elle seule, entre vingt et cinquante mille commentaires pour chaque annonce ou événement politique significatif ? Un « marketing Facebook » permet donc d’animer de véritables communautés de fans, de les alimenter en nouvelles ciblées de manière très régulière, et de répondre aux critiques de consommateurs. Les promotions et nouveautés sont alors valorisées et surtout il s’avère aisé et peu coûteux de consulter ou de sonder la part du marché la plus réceptive aux offres proposées. Mais il apparaît impossible de maintenir sous un étroit contrôle le flux d’informations concernant les marques circulant au sein des réseaux sociaux. En conséquence, et comme nous le verrons plus loin, développer un cybermarketing agressif au travers des réseaux ne va pas sans risque.

Comment la crise agit sur les modes de consommation

Une stratégie marketing innovante doit tenir compte du fait que les technologies nouvelles offrent aux consommateurs des possibilités de comparaison qui ont un impact direct sur leurs comportements d’achat ou exercent une influence sur ceux-ci. En outre, la récession économique affecte un certain nombre des tendances lourdes de la consommation. Certaines évolutions vont sans doute durer, alors que d’autres, reflétant des réactions conjoncturelles, devraient faire long feu. Dans un article intitulé « Comprendre le consommateur post-récession »5, Paul Flatters et Michael Willmott identifient huit tendances significatives agissant sur les décisions de consommation avant, pendant et après la crise économique actuelle.

En premier lieu, et de manière dominante, les deux observateurs relèvent une exigence de simplicité : les consommateurs souhaitent des produits et services faciles à utiliser qui leur simplifient la vie. Sur un autre registre, on note la volonté de nombreuses personnes, outrées par la multiplication des abus et malveillances, de sanctionner les entreprises ayant dévoilé des modes de gouvernance non éthiques. En second lieu, et de manière un peu moins marquée, on souligne que la pratique de l’économie et la volonté de limiter le gaspillage s’entendent largement sur les marchés, y compris chez ceux qui ne sont pas réellement soumis à la nécessité de réduire leurs dépenses. Du fait de l’accès plus aisé à de l’information qualifiée ainsi qu’à la généralisation de pratiques commerciales souples, les consommateurs renforcent également leur agilité et témoignent d’une loyauté toujours plus déclinante.

Certaines orientations jusqu’alors très fortes se voient atténuées. Ainsi, la consommation « verte » ou « responsable », qui s’était considérablement répandue tout au long de la dernière décennie, ralentit sa progression du fait de la crise économique, même si les comportements individuels continuent d’évoluer en faveur de pratiques quotidiennes plus responsables. Le respect de l’autorité et la confiance dans les institutions, qui avaient subi une détérioration constante durant les dernières décennies, devraient temporairement se relever, compte tenu du recours général à la puissance publique comme régulateur et stabilisateur des marchés en difficulté. Plus puissant encore devrait se manifester le ralentissement de la consommation de nature « altruiste », aussi bien que la recherche d’expériences récréatives extrêmes, frivoles et souvent onéreuses, qui semblent bien passées de mode.

Il y a fort à parier que l’effet sur les consommateurs, notamment sur les jeunes générations qui se forgent actuellement leur système de valeur, des craintes sociétales et de la pression pour une économie mieux maîtrisée teintera durablement les comportements d’achat.

A la recherche d’un rapport nouveau à la cible

Face à ces réalités, plus ou moins bien intégrées dans l’agenda des entreprises, la créativité en matière de marketing se manifeste de multiples façons. D’abord, on cherche à inventer de nouvelles approches du client. En second lieu, les compagnies cherchent à formuler de nouveaux outils, à ouvrir de nouveaux canaux de communication, à matérialiser les offres de manière originale. Constatant la fragilité des relations traditionnelles de loyauté, les acteurs du marketing travaillent la pertinence des systèmes de fidélisation, décortiquent les bases de données afin d’anticiper au mieux les attentes, enrichissent les offres initiales en compléments attrayants afin de saisir toutes les opportunités de commercialisation.

C’est ainsi que l’on a vu émerger le « marketing viral », reposant sur un effet de contamination de la cible par la propagation du message selon des techniques et des vecteurs recourant essentiellement au bouche à oreille6, ou le marketing « réseaux sociaux », introduits plus haut ; complétés par leur corollaire, le « marketing one-to-one », qui vise précisément à personnaliser davantage la relation et à créer plus de proximité à tous niveaux. Les exemples de buzz innovants se multiplient. Ainsi, récemment, en Grande-Bretagne, l’opérateur de téléphonie T-Mobile, décidé à mettre en musique son nouveau slogan Life’s for sharing, a chargé l’agence Saatchi & Saatchi de dynamiser le hall de la gare centrale de Liverpool en invitant des milliers de participants à une Flash Mob Dance. Outre l’énorme visibilité sur les médias traditionnels, la vidéo de l’événement sur YouTube a été vue par plus de trois millions d’internautes en trois semaines7. Dans un registre parallèle, une photo a circulé sur la Toile en 2009, qui implique le groupe 3M. Elle représente la double paroi de verre d’un abribus, marquée du logo de l’entreprise, qui abrite une montagne de billets de banque parfaitement valides. Il semble que l’action originale ait été enclenchée à l’initiative du distributeur canadien du groupe, qui souhaitait communiquer sur le caractère incassable d’une variété nouvelle de verre 3M. La photo et les commentaires des uns et des autres ont rapidement circulé sur le Web, générant un écho considérable pour la marque. Celle-ci annonce toutefois ne pas être à l’origine du buzz, d’autant que le produit en question n’est nullement réputé incassable ! Ainsi, la communication par ces voies originales ne reflète pas nécessairement la volonté des marques. L’entreprise Apple fait un important usage du marketing viral et n’hésite pas à diffuser largement au travers des réseaux sociaux. Au travers d’Apple Students, chaque « fan » de la marque reçoit des informations directement dans sa boîte personnelle et peut également laisser libre cours à ses impressions sur le « Blog Forum » abrité par le groupe. Mais des dizaines d’opérateurs ont été embauchés pour repérer les critiques éventuelles, y répondre au plus vite, et plus généralement empêcher toute dérive préjudiciable à l’image défendue. Si la liberté d’expression est officiellement stimulée, les effets viraux doivent tout de même rester sous contrôle.

Toujours en vue d’approcher le client au plus près, une forte agitation se déploie autour de l’animation des centres commerciaux et grandes surfaces, avec la multiplication d’écrans diffusant des messages ciblés en fonction de la position du client dans l’espace, de l’heure de la journée et de la proximité physique de telle ou telle offre d’appel. Le film vidéo demeure le vecteur préféré des annonceurs qui souhaitent produire un impact émotionnel et bâtir de la reconnaissance de marque. Les résultats d’une enquête récente dévoilent que 95 % des responsables marketing concernés déclarent vouloir maintenir (49 %) ou accroître (46 %) leur investissement en technologie médias sur site de vente8. Au travers d’une large diffusion multicanaux, Premier Retail Networks (PRN) estime toucher directement 650 000 personnes par mois dans 6 500 magasins. En septembre 2008, Wal-Mart annonçait le lancement, en collaboration avec PRN, de son Wal-Mart Smart Network dans 2 700 de ses grandes surfaces9. De son côté, la division « Malls » de Clear Channel expérimente, à grande échelle, des réseaux de vidéos sur IPTV (Internet Protocol Television) à Los Angeles et New York, et travaille avec Yahoo pour la diffusion d’informations générales, sportives, financières et de contenus de divertissement, en complément des messages commerciaux ciblés. Avec la technologie IPTV, des milliers de vidéos différentes sont immédiatement disponibles à n’importe quel moment et depuis n’importe quel emplacement d’une surface de vente, offrant ainsi d’innombrables possibilités d’animation commerciale. Toujours aux Etats-Unis, plusieurs chaînes de distribution de carburant équipent maintenant les pompes d’écrans, protégés du reflet du soleil, permettant au client de suivre des contenus produits par NBC Universal tout en remplissant son réservoir. Faut-il s’en plaindre ou s’en réjouir ? les stations d’essence de l’Hexagone sont encore bien loin de démontrer ce niveau d’attention aux clients. Plus préoccupant, peut-être, MediaCart, en conjonction avec Microsoft et Wakefern, a mis au point un caddie qui retient l’information sur les produits achetés par le client et ses habitudes, dès lors qu’il scanne sa carte de fidélité. Les informations sont automatiquement décortiquées, mises en relation avec d’éventuelles commandes passées sur Internet, et l’écran du chariot informe sur les promotions concernant les produits familiers, etc. Le chariot peut également entrer directement en communication avec quantité de bornes grâce à des puces RFID. Enfin, le nombre et l’intensité des messages pour Coca-Cola, par exemple, peuvent s’accroître automatiquement, et faire évoluer les couleurs dominantes ou les supports musicaux, dans tel centre commercial, en fonction de la montée de la température extérieure.

C’est sur le terminal portable que constitue le téléphone cellulaire que se penche maintenant l’attention des acteurs du marketing travaillant la relation personnalisée. À partir de la position GPS d’un iPhone Apple, par exemple, et de son orientation calculée, un service en ligne identifie dans sa base de données les cibles commerciales qui se situent dans le champ de vision de l’appareil, et des informations pertinentes se placent alors automatiquement sur le paysage reproduit10. Les possibilités en matière de marketing de cette innovation s’avèrent, à l’évidence, considérables. De même, à Amsterdam, une application baptisée Layar « augmente la réalité » des mobiles tournant sur Android, la plate-forme de Google, en affichant sur l’écran des informations commerciales locales lorsque vous cadrez quelque chose avec votre smartphone : annonces d’appartement, localisation de telle enseigne avec promotions particulières, etc. En Autriche, le service Wikitude de Mobilizy fournit, lui aussi, des informations sur les sites visités, alors qu’en Allemagne, Enkin aide à retrouver son chemin. Enfin, à Tokyo, Tonchidot a lancé la Sekaï Camera, qui permet de partager ses impressions sur les boutiques.

Dans un autre ordre d’idée, de nombreux acteurs des services cherchent à matérialiser l’offre qu’ils commercialisent afin de profiter d’un effet d’attachement émotionnel à la marque. Ainsi, des banques telles que ING Direct ou Barclays, en Europe, travaillent le packaging de leurs produits de manière à rendre palpable un contrat d’assurance, une offre de prêt ou un service de conciergerie. En Amérique du Nord, UMPQUA Bank a recomposé ses zones d’accueil dans l’esprit des cafés Starbucks, et des baristas (barmen) ont remplacé les guichetiers. Les « produits » sont disposés dans des vitrines multicolores et s’accompagnent de DVD, carnets parlants et sacs « cadeaux »11. En approchant ces produits munis de puces RFID des nombreux écrans mis à disposition, ou au travers de son téléphone mobile, le client peut prendre connaissance de quantité d’informations, les imprimer ou les envoyer par Internet. Plus palpable encore, mérite d’être rappelée l’insolite campagne orchestrée par Ubi Bene pour Ikea qui, du 10 décembre 2008 au 9 janvier 2009, a réussi à transformer le grand hall de la gare de Lyon, à Paris, en un ensemble de salons et zone « home cinéma » meublés par Ikea12. Près de treize millions de voyageurs ont ainsi pu découvrir l’ensemble de la gamme pour salon de la marque, et cela, dans un lieu public parfaitement ouvert à tous. Paradoxalement, plus le commerce se met en ligne, plus les espaces physiques d’exposition et de démonstration doivent se montrer puissants en termes de contenu émotionnel, d’aptitude à surprendre et d’ouverture sur des modes nouveaux de consommation. De ce fait, les initiatives marketing mobilisant les capacités de l’architecture et du design ne cesseront de se multiplier.

Enfin, toutes les compagnies intègrent activement dans leur discours la prise en considération des enjeux qui préoccupent leurs clients : protection de l’environnement, management de la diversité, respect des valeurs civiques. Comme évoqué, on peut s’attendre, en la matière, à une réaction des consommateurs peut-être plus mitigée qu’initialement escomptée. Certains acteurs s’emploient toutefois à construire des messages tout à fait audibles pour une population de consommateurs inquiets des conséquences de la crise financière. Le constructeur automobile coréen Hyundai propose en France la reprise des véhicules achetés à crédit si le client perd son emploi au cours de la durée des remboursements. En cas de sinistre, le distributeur de la marque s’occupe des déclarations, expertises, réparation et règlement si l’assurance automobile a été souscrite auprès de Hyundai assurance. Aux Etats-Unis, si le prix de l’essence augmente après la date d’achat, le constructeur s’engage à payer la différence durant une année13, et cela, parmi d’autres services innovants. Rappelons que les ventes de ce constructeur ont progressé de 13,5 % en Europe depuis le premier janvier 2009, dans un marché en chute de 14 % sur la même période ; et que sa part de marché aux Etats-Unis est passée de 4,8 % à 7,5 % sur les huit derniers mois. De même, La Poste, en France, déploie une énergie considérable afin de replacer le courrier au centre de la réflexion des annonceurs en matière de plan média. Il s’agit là de valoriser un réseau de proximité de premier plan, de mieux utiliser les tournées de distribution de courrier pour une meilleure rentabilité de la dépense énergétique, de contribuer au maintien du lien social dans un univers qui isole les personnes en difficulté et déshumanise nombre d’actes du quotidien. Et puisque l’on évoque le quotidien, il convient certainement de noter l’intéressante initiative du groupe Sodexo, leader mondial de la restauration collective et acteur majeur de l’accompagnement des entreprises sur la motivation au travail, consistant à déployer au plan mondial une réflexion pour l’amélioration de la qualité de vie au quotidien. L’objectif est alors de comprendre et d’expliciter les mécanismes par lesquels la perception de la qualité de vie au quotidien se forme, puis de suggérer des voies d’amélioration. L’innovation dans le marketing gagne progressivement toutes les activités des sociétés, s’invitant dans les organisations publiques, les structures associatives et caritatives, ainsi que dans la sphère politique, avec parfois, dans certains pays, une originalité tout à fait rafraîchissante.

Et si l’innovation embrassait l’utopie d’un marketing responsable ?

Grâce aux sites comparateurs, aux forums d’échanges et à la liberté d’information qu’offre dorénavant Internet, le consommateur tend à se forger une opinion plus juste, à aiguiser son sens critique et à donner à certains de ses choix à la fois plus de pertinence pour lui-même et plus de responsabilité vis-à-vis de la société. Les arsenaux des outils du marketing de crise regorgent toutefois de solutions techniques, nouvelles et efficaces, en vue de stimuler au mieux cette consommation massive, qui est toujours la mère de toute croissance dans notre système économique. Il faudra bien réussir à faire se rencontrer l’intérêt collectif pour un développement préservant les équilibres écologiques, accompagné d’un recours mesuré aux ressources critiques, avec l’objectif d’accroissement des profits aux actionnaires que dicte depuis plusieurs siècles la logique de fonctionnement du capitalisme industriel et financier. À moyen terme, l’intérêt de l’ensemble des acteurs s’affirme totalement convergent et l’on ne peut qu’espérer qu’émerge rapidement un consensus quant aux objectifs et modalités d’une innovation responsable. Par sa position clé à l’écoute des marchés, par son influence majeure sur les modes de consommation, par son rôle déterminant sur l’établissement des objectifs de la R&D, le marketing, et par là même les responsables des marques et des campagnes, se trouve directement convoqué dans ce débat fondamental sur le sens et la nature du développement économique. Quelques moralistes, qualifiés par certains d’un peu chagrins, clament depuis longtemps que la manipulation des émotions, la suggestion de besoins jusqu’alors inconnus, l’écriture de nouveaux rituels de consommation ne doivent pas se faire impunément14. Il est sans doute plus que temps d’inscrire l’effort d’innovation du marketing dans la perspective responsable d’une société qui veut assurer sa pérennité et lutter contre une inégalité trop manifeste. S’agit-il d’utopie ou de réalisme ?

  1. D. Court, D. Elzinga, S. Mulder, O. J. Vetvik, « The Consumer Decision Journey », McKinsey Quarterly, n° 3, 2009.
  2. M. Egol, C. Vollmer, « Major Media in the Shopping Aisle », Strategy+Business, n° 53, hiver 2008.
  3. http://latransparencedesprix.com
  4. http://www.marketing20.fr/facebook/marketing-facebook-que-va-changer-la-nouvelle-interface-lancee-le-11-mars-2009/
  5. P. Flatters, M. Willmott, « Understanding the Post-Recession Consumer », Harvard Business Review, juillet-août 2009.
  6. , Les Editions d’organisation, 2004.
  7. http://www.youtube.com/watch?v=VQ3d3KigPQM&feature=player
  8. Etude réalisée en 2007 par Booz & Company, DemandTec et la Trade Promotion Management Association.
  9. T. Ryan, « Walmart Introduces Smart Network »,RetailWire, 4 septembre 2008, www.retailwire.com
  10. P. Vandeginiste, « Regardez la réalité augmentée dans votre portable », Courrier Cadres, septembre 2009.
  11. http://www.ziba.com/Products.aspx?currentNav=3&pid=8 et site de l’Innovation Lab de la banque : http://www.umpqualab.com/
  12. http://www.dailymotion.com/video/k1KhzZovYyy478Uqw7
  13. http://www.hyundai.fr et http://www.hyundaiusa.com/
  14. N. Klein, No Logo, la tyrannie des marques, traduit de l’anglais par M. Saint-Germain, Babel-Actes Sud, 2002.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2009-11/l-innovation-marketing-dans-une-economie-sous-tension.html?item_id=2979&web=1
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