Immobilier : des normes à caractère procyclique ?
Plus que jamais, à l’heure où le marché de l’investissement immobilier
s’internationalise, s’affirme la nécessité d’une information financière
transparente, accessible à tous et pouvant être comparée. Qu’en est-il
quatre ans après la première application des normes IFRS ? Une étude
récemment menée par KPMG Audit et la Fédération des sociétés immobilières
et foncières apporte des éléments de réponse.
Conformément au règlement 1606/2002 du
19 juillet 2002, les sociétés cotées présentant des
comptes consolidés ont mis en œuvre les normes
IFRS depuis le 1er janvier 2005. L’émergence
d’un référentiel international commun avait
pour objectif premier de faciliter la création
d’un marché unique. Dans cette perspective,
l’information financière se doit d’être transparente,
accessible à tous, quel que soit le pays
d’origine. Elle doit également pouvoir être
comparée par des investisseurs qui élaborent
leur stratégie d’allocation d’actifs et de placements
alternatifs à l’échelle internationale.
Comparabilité de l’information financière
Dans l’industrie immobilière, la question de la
comparabilité de l’information financière est cruciale.
En effet, les flux de capitaux investis dans
des actifs ou sociétés immobilières ne font pas
état de l’ensemble des frontières existantes.
Depuis quelques années, le marché de l’investissement
immobilier a affirmé son internationalisation,
notamment au travers des différents fonds
créés et du développement de sociétés foncières
paneuropéennes (Hammerson, Unibail-
Rodamco, Corio, Eurocommercial Properties…).
La comparabilité des états financiers ne signifie
pas pour autant que l’information financière
reste intelligible au regard des grilles de lecture
des investisseurs et autres analystes financiers.
Un premier bilan de la mise en œuvre des
normes IFRS, mené en 2006 par KPMG Audit et
la Fédération des sociétés immobilières et foncières
(FSIF), avait fait ressortir le besoin, pour les sociétés foncières, d’apporter un éclairage
complémentaire sur les options retenues dans le
cadre de la mise en œuvre de certaines normes
IFRS et la présentation de l’information financière
dans le rapport annuel, au regard notamment
des best practices proposées par l’European
Public Real-estate Association (EPRA).
Dans cette perspective, KPMG Audit et la FSIF
ont souhaité conduire une seconde étude sur
la base d’un panel représentatif de l’activité,
réparti en trois sous-groupes :
-
« les sociétés foncières cotées historiques »
(foncières françaises cotées avant l’obtention
du statut SIIC) ;
-
« les nouvelles sociétés foncières cotées »
(foncières françaises cotées dont l’entrée en
bourse a été motivée par le statut SIIC) ;
-
« les sociétés foncières paneuropéennes »
(foncières cotées ayant opté pour le statut
SIIC pour la fraction de leur patrimoine détenu
en France).
Cette segmentation en sous-groupes permet
de tenir compte des spécificités éventuelles
liées au statut ou à l’historique de la foncière, à
sa date de cotation et d’intégrer d’éventuelles
différences culturelles.
L’étude a été réalisée à partir de l’analyse des
rapports annuels et documents de référence de
l’exercice 2007, sur quatre principaux thèmes : les
instruments financiers, le coût des emprunts, l’évolution
des revenus locatifs par rapport à l’exercice
précédent et les immeubles de placement.
Afin d’illustrer le débat sur la comparabilité
des états financiers, nous retiendrons quelques
exemples de mise en œuvre de normes IFRS.
IAS 39 : les options relatives
aux instruments financiers
-
La norme IAS 39 traite de la comptabilisation
initiale et de l’évaluation d’un actif ou d’un
passif financier, ainsi que de la comptabilité
de couverture. Il existe deux principaux
modèles de couverture : la couverture de
« juste valeur » (fair value hedge) ou la couverture
de flux de trésorerie (cash flow hedge).
-
La comptabilité de couverture a été retenue
par toutes les sociétés paneuropéennes et
plus de la moitié des foncières cotées, historiques
et nouvelles.
-
La quasi-totalité des sociétés de l’échantillon
ayant eu recours à la comptabilité de couverture
a mis en place une couverture des flux de
trésorerie cash flow hedge.
IAS 23 : le traitement des coûts d’emprunt
-
La norme IAS 23 précise que les coûts d’emprunt
doivent être comptabilisés en charges
dans l’exercice duquel ils sont encourus.
-
Cependant, les coûts d’emprunt attribuables
à la construction ou à la production d’un actif
éligible peuvent être incorporés au coût de
cet actif.
-
L’amendement à IAS 23 (mars 2007), applicable
à compter du 1er janvier 2009, rend obligatoire
cette incorporation.
-
L’EPRA recommande, conformément à IAS
23.17-24, de capitaliser les frais financiers pendant
la période de développement, c’està-
dire entre le début des dépenses liées au
projet et l’achèvement de la construction.
-
La majorité des sociétés de l’échantillon a opté
pour l’incorporation des frais financiers aux
actifs éligibles, avant l’amendement de 2007.
Vers une harmonisation des états financiers
Comme le traduisent les principaux résultats
de l’étude KPMG Audit/FSIF, un effort sensible
d’harmonisation des états financiers a été
effectué par les sociétés foncières, même si les
interprétations des normes sont parfois larges
et si des questions restent posées.
L’EPRA a néanmoins permis de sensibiliser les
acteurs du secteur sur les problématiques de
comparabilité et d’homogénéisation de l’information
financière des sociétés foncières. Elle a également favorisé les échanges et les efforts
de concertation au sein de la profession.
Les enjeux de la juste valeur
pour les immeubles de placement
Bien que recommandant de comptabiliser les
immeubles de placement en juste valeur, l’EPRA
tient compte de la possibilité offerte par la
norme IAS 40 de présenter les immeubles de
placement à la valeur du coût amorti et recommande,
en fonction de la méthode retenue,
de fournir dans le rapport annuel des informations
complémentaires étayant le choix de la
société.
Si la société a opté pour le modèle du coût,
l’EPRA recommande, conformément à la norme
IAS 40, d’indiquer :
-
la justification du choix de cette méthode ;
-
les modes d’amortissement utilisés ;
-
les durées de vie ou taux d’amortissement
utilisés ;
-
la valeur comptable brute et le cumul des
amortissements (ajouté aux cumuls de pertes
de valeur) en début et fin de période ;
-
un tableau de variation des immeubles de
placement mettant en évidence les entrées
(en distinguant acquisitions, dépenses ultérieures,
regroupements d’entreprises), les
sorties, les amortissements, les dépréciations
(IAS 36) ;
-
la juste valeur des immeubles de placement.
Pour rappel, la juste valeur, telle que définie par
IAS 40, correspond au « montant pour lequel
un actif pourrait être échangé entre des parties
bien informées, consentantes et agissant
dans des conditions de concurrence normale ».
Cette notion est proche de la « valeur vénale »,
plus communément reconnue en France, ou
de la market value en Grande-Bretagne. Elle
correspond concrètement au prix de cession
raisonnable d’un bien ou droit immobilier en cas
de vente amiable sous certaines conditions :
– volonté des deux parties ;
– délai raisonnable de négociation ;
– maintien de la valeur à niveau stable pendant
ce délai ;
– conditions de marché et publicité adéquates ;
– absence de facteurs de convenance personnelle.
En l’absence de comparables récents, une possibilité
est offerte de recourir à des prix de marché ajustés d’actifs différents ou à une évaluation
sur la base des cash-flows futurs générés
par l’actif.
De la dernière étude KPMG Audit/FSIF, il ressort
que la juste valeur est retenue par 72 % de
l’échantillon1, contre 28 % pour le coût amorti.
L’intégralité des foncières paneuropéennes,
cinq des nouvelles foncières cotées sur sept et
plus de 60 % des foncières historiques ont ainsi
opté pour la comptabilisation des immeubles
de placement en juste valeur.
Quelles incidences en période de crise ?
À en juger par les évaluations effectuées lors
des dernières clôtures annuelle et semestrielle,
de nombreuses sociétés foncières accusent
des résultats établis selon les normes IFRS en
net recul. En effet, la variation de la juste valeur
des immeubles de placement est directement
comptabilisée en résultat opérationnel, dans la
période au cours de laquelle cette variation se
produit. De plus, si une entité choisit d’évaluer
un immeuble de placement à la juste valeur, elle
doit continuer à l’évaluer ainsi jusqu’à la sortie
de l’immobilisation, même si les informations
de marché sont difficiles à obtenir ou que la
conjoncture n’est plus favorable, ce qui semble
être le cas aujourd’hui.
Faut-il pour autant conclure que la fair value a
renforcé l’anxiété des marchés, en favorisant la
volatilité des états financiers, et réduisant ainsi
leur compréhension ? Et certains de conclure
que les fluctuations de valeurs imposées par
les normes IFRS sont purement virtuelles sur
un horizon de court terme et ont un caractère
procyclique, alors même que cette valeur instantanée
n’est pas l’échelle de temps de l’économie.
Dans cette perspective, il conviendrait
d’introduire une notion d’« horizon de gestion »,
afin de corriger cette valeur instantanée, et
pourquoi pas revenir systématiquement à une
notion de coût historique dans les bilans, tout
en indiquant, dans les notes annexes aux états
financiers, la juste valeur des actifs, comme cela
est proposé dans la norme IAS 40.

Au-delà des contraintes réglementaires, et afin
d’enrichir ce débat contradictoire, l’utilisation
de méthodes alternatives de valorisation des actifs (modèles internes…), en cas d’illiquidité
du marché, ne ferait qu’accentuer l’hétérogénéité
des méthodes entre les sociétés et l’illisibilité
des états financiers.
Pour une partie des observateurs, la juste valeur
constitue au contraire un « indicateur avancé »
de cycle et synthétise les anticipations des principaux
agents économiques, permettant dans
certains cas d’anticiper et de limiter des crises
sectorielles. Même si la juste valeur connaît des
limites, aucune solution de rechange fiable ne
semble à ce jour être retenue pour les actifs
immobiliers. Il convient de s’interroger sur le
caractère plus « légitime » d’une présentation
de résultats financiers stables, alors même que
les marchés financiers font état d’une parfaite
instabilité.
Rappelons également, que la « valeur historique
» a montré ses limites en termes de
pertinence de l’information communiquée et
« d’amortisseur de cycle », comme en témoigne
la précédente crise de l’immobilier des années
1990.
En d’autres termes, les controverses actuelles
autour de la mise en œuvre des normes IFRS, et
notamment de la fair value des actifs, traduisent une anxiété et un certain manque d’historique
des intervenants sur un concept encore récent,
et dont les effets sont majeurs sur les résultats
des entreprises.
Les spécificités de l’immobilier
Toutefois, il ne semble pas pertinent d’inscrire
systématiquement l’immobilier dans ce débat
fortement présent dans les secteurs de la banque
et de l’assurance, affichant un lien de causalité
entre les pertes affichées et la mise en
œuvre des normes IFRS.
En effet, plus que n’importe quel autre secteur
d’activité, l’industrie immobilière a toujours
affiché une très forte corrélation avec l’environnement
économique. Les cycles macroéconomiques
ont toujours eu des conséquences
microéconomiques sur l’immobilier d’entreprise
comme résidentiel. En ce sens, les normes
IFRS n’ont en rien amorcé une quelconque
convergence avec les cycles économiques,
même si dans ces cas extrêmes de crise ou
d’atonie économique, ces normes ont pu en
amplifier les incidences.
En immobilier d’entreprise, il existe une forte
corrélation avec la conjoncture macroéconomique,
et notamment avec les indicateurs économiques
que sont les taux d’intérêt, l’emploi et la
valeur ajoutée des entreprises.
Dans les années 2005-2006, au plus haut du cycle
de l’immobilier, l’abondance des capitaux et
la faiblesse des taux d’intérêt ont permis de
démultiplier les capacités d’emprunt des investisseurs,
qui ne se limitent plus à leurs fonds
propres, mais ont systématiquement recours à un effet de levier de la dette. Par ailleurs, la
croissance du PIB permet, certes avec un effet
de latence, de créer de nouveaux emplois et
de générer une demande de surface complémentaire
des entreprises, à condition que l’emploi
créé ne soit pas uniquement tertiaire ou
immatériel. La croissance ou la compression de
la marge des entreprises permet de légitimer
certains choix stratégiques en termes d’immobilier
(regroupement de sites, déplacement
en banlieue proche, externalisation de patrimoine…),
d’autant que, dans une économie de
services, l’immobilier représente très régulièrement
le second poste de dépenses après les
charges salariales.
De même, en immobilier résidentiel, l’épargne
des ménages, leur capacité d’endettement et
la situation de l’emploi sont également des
facteurs déterminants dans le dynamisme de ce
secteur d’activité.
Nous avons beaucoup entendu parler, dans
les années 1990, d’une « financiarisation » de
l’immobilier avec l’émergence de méthodes
de valorisation des actifs utilisés dans d’autres
secteurs d’activité (discounted cash flows). Au
regard de la conjoncture actuelle et de la réalité
physique et économique des actifs, nous parlerons
davantage, dans les mois qui viennent,
d’« immobiliarisation » de la finance.
À la différence des instruments financiers, les
biens immobiliers constituent des biens tangibles
et non fongibles, avec une réalité physique.
Ils ont avant tout une valeur d’usage et
constituent le meilleur curseur de l’activité économique.
Dans l’industrie immobilière, l’économie
prime systématiquement sur le financier.
Bibliographie
- Étude de benchmark KPMG Audit/FSIF « Application des normes IFRS par les sociétés foncières cotées françaises et européennes », décembre 2008, disponible auprès de KPMG Audit ou sur le site de la FSIF, rubrique « Adhérents ».
- Rapport du Best Practice Committee de l'European Public Real-estate Association (EPRA), décembre 2006.
- International Valuation Standards Council (ISC), International Valuation Standards, 7e édition, février 2005.
- COB, « Rapport sur l'évaluation du patrimoine des sociétés faisant publiquement appel à l'épargne », février 2000 (rapport « Barthès de Ruyter »).
- Royal Institution of Chartered Surveyors, RICS Appraisal and Valuation Standards (Red Book, 6e édition, novembre 2007.
- Trois foncières ont abandonné depuis le 1er janvier 2006 la méthode du coût amorti au profit de la méthode de la fair value.
L’opinion exprimée dans
cet article n’engage que
son auteur et n’exprime pas
forcément le point de vue
et les opinions de KPMG SA
sur ces problématiques.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2009-11/immobilier-des-normes-a-caractere-procyclique.html?item_id=3002
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