L'innovation marketing dans une économie sous tension
Même en temps de crise, l’innovation dans le marketing gagne progressivement
toutes les activités des sociétés, s’invitant dans les organisations publiques,
les structures associatives et caritatives ainsi que dans la sphère politique,
avec parfois beaucoup d’originalité.
Si le marketing a un objectif, « c’est précisément
d’atteindre les consommateurs aux
moments qui influencent le plus leur décision »1.
Ainsi, Amazon.com continue d’offrir des recommandations
pour des produits ciblés à destination
des utilisateurs déjà connectés et prêts
à acheter. Les distributeurs multiplient les diffusions
d’encarts vidéo dans les magasins et
testent l’interactivité par téléphone portable
au niveau des rayons et têtes de gondole2.
Comment les entreprises agissent-elles actuellement
pour renforcer la portée de leur effort
de marketing ? Et, plus précisément, comment
se manifeste, au sein d’une économie dominée
par les services et désormais en crise, l’innovation
dans le marketing ?
Vers un consommateur plus libre ?
Aujourd’hui, le consommateur se trouve largement
influencé, au moment clé du passage
à l’acte, par quantité d’acteurs et d’informations
dont une bonne part échappe à l’influence
directe de l’entreprise. Les sites Internet
de comparaison des prix comme des performances
des produits et services se sont
multipliés. Parmi bien d’autres, WorkIT propose
une application (widget), accessible
sur Latransparencedesprix.com, permettant
de comparer les offres de sites marchands.
Quand l’internaute la télécharge, elle se positionne
en complément du navigateur. Lors de
l’accès à un site d’e-commerce, l’application,
activée dès qu’une recherche est lancée sur
Google, Yahoo, MSN ou autre, indique le classement
du fournisseur pour chaque article sur le critère du prix. Quand l’utilisateur accède à la
fiche d’un produit, une fenêtre se superpose sur
l’écran et l’informe sur le classement des sites
qui vendent le même produit. Le widget indique
également le nombre d’offres de produits
neufs et d’occasion, ainsi que l’historique du
prix constaté et d’autres informations utiles. On
imagine l’impact de tels systèmes sur l’intensité
concurrentielle entre les acteurs de l’e-commerce
et plus généralement de la distribution !
L’effet de bouche à oreille, relayé au travers des
blogs et autres espaces virtuels d’échanges,
ne cesse de croître en impact sur les ventes. Le
développement spectaculairement rapide des
réseaux dits « sociaux », tels que Facebook ou
Twitter, a démontré, s’il en était besoin, le caractère
grégaire des internautes et la confiance
que ceux-ci accordent à leurs homologues
rencontrés sur la Toile. En conséquence, un
véritable « marketing Facebook » émerge, au
travers duquel les marques tentent de reprendre
la main sur la communication libérée qui
s’étale désormais sur des millions d’écrans. En
mars 2009, Facebook, qui s’adresse déjà à près
de sept millions d’internautes en France, lance
une nouvelle interface permettant aux marques
de mieux irriguer leurs réseaux de clients et
prospects. Les nouvelles des marques se coulent
dans les flux reçus, au même titre que celles
concernant les « amis » ; elles deviennent partie
intégrante de l’information quotidienne et donnent
lieu à transferts, commentaires et enquêtes
immédiates. Ainsi se met en place un marketing
dit « viral », ou buzz.
Si de plus en plus de firmes, telle Apple parmi
les plus actives, utilisent les réseaux sociaux pour dialoguer avec la communauté qui leur prête
de l’intérêt, ce sont d’autres acteurs de l’économie
qui ont d’abord su exploiter ce canal
d’échange. Ainsi, des vedettes du show business
entretiennent l’attention du public au travers
des réseaux ; nombre d’organisations
sportives, éducatives ou humanitaires mobilisent
également ce canal. L’université Stanford,
qui y annonce les expositions et événements
organisés sur son campus, y fait circuler des
vidéos de certains des cours dispensés ou des
dossiers de recherche sur des sujets pointus.
Enfin, comment ne pas rappeler ici la communauté
des cinq à six millions de supporters
internautes du président Barack Obama ? Au
travers des réseaux sociaux, les promotions et
nouveautés sont valorisées et il s’avère aisé et
peu coûteux de consulter et de sonder la part
du marché la plus réceptive aux offres proposées
et à la marque. Toutefois, développer un
cybermarketing agressif ne va pas sans risque.
L’impact de la crise
La formulation d’une stratégie marketing innovante
doit aussi tenir compte de l’impact de
la récession économique sur les tendances de
consommation. Les effets de certaines évolutions
s’avéreront sans doute durables, alors que
d’autres, reflétant des réactions conjoncturelles,
devraient faire long feu. Huit tendances lourdes
agissant avant, pendant et après la crise actuelle
ont été identifiées3.
En premier lieu, on relève l’exigence de simplicité
: les consommateurs souhaitent des produits
et services qui leur simplifient la vie. Sur
un autre registre, on note une volonté de sanctionner
les entreprises reconnues coupables
de modes de gouvernance non éthiques, de
malversations et autres abus manifestes. De
manière un peu moins marquée, on souligne
la volonté de limiter le gaspillage qui s’étend
largement, y compris pour ceux non soumis à
la nécessité de réduire leurs dépenses. L’accès
aisé à de l’information qualifiée et la généralisation
de pratiques commerciales souples renforcent
l’agilité des consommateurs et réduisent
encore la fidélité à la marque.
Des orientations jusqu’alors fortes s’atténuent.
Ainsi, le consumérisme « vert » ou « responsable », considérablement étendu tout au long de la dernière
décennie, ralentit sa progression du fait de
la crise, même si les comportements individuels
continuent d’évoluer en faveur de pratiques
plus responsables. Le respect de l’autorité et la
confiance dans les institutions, qui avaient subi
une détérioration constante durant les dernières
décennies, devraient temporairement se relever.
La consommation de nature « altruiste », aussi
bien que la recherche d’expériences récréatives
extrêmes, frivoles et souvent onéreuses risquent
de diminuer sérieusement. Et il y a fort à parier
que l’effet des craintes sociétales et de la pression
pour une économie mieux maîtrisée sur
les consommateurs, notamment sur les jeunes
générations, teintera durablement les comportements
d’achat.
Un rapport nouveau à la cible
Face à ces réalités, la créativité en matière de
marketing se manifeste de multiples façons. On
cherche à inventer de nouvelles approches du
client, à concevoir de nouveaux outils, à ouvrir
de nouveaux canaux de communication, à
matérialiser les offres de manière originale. Les
acteurs du marketing travaillent la pertinence
des systèmes de fidélisation, décortiquent les
bases de données, enrichissent les offres en
compléments attractifs.
On a donc vu émerger le « marketing viral »
– reposant sur un effet de contamination de
la cible par la propagation du message selon
des techniques et des vecteurs recourant
essentiellement au bouche à oreille4 – et le
« marketing de réseaux », complétés par le
« marketing one-to-one », qui vise précisément
à personnaliser davantage la relation et à créer
plus de proximité à tous niveaux. Les exemples
de buzz innovants se multiplient. Ainsi,
récemment, en Grande-Bretagne, l’opérateur
de téléphonie T-Mobile, décidé à mettre en
musique son slogan Life’s for sharing, charge
Saatchi & Saatchi de dynamiser le hall de la gare
de Liverpool en invitant des milliers de participants
à une Flash Mob Dance. Outre l’énorme
visibilité sur les médias traditionnels, la vidéo
de l’événement sur YouTube est vue par plus
de trois millions d’internautes en trois semaines.
Apple fait un important usage du marketing viral, au travers d’Apple Students, où chaque
« fan » reçoit des informations directement dans
sa boîte personnelle et donne libre cours à ses
impressions sur le « Blog Forum ». Mais quantité
d’opérateurs travaillent à repérer les critiques, y
répondre au plus vite et empêcher toute dérive
préjudiciable à l’image. Si la liberté d’expression
est officiellement stimulée, les effets viraux
doivent demeurer sous contrôle.
Toujours en vue de se rapprocher du client, une
forte agitation se déploie autour de l’animation
des surfaces commerciales, avec la multiplication
d’écrans diffusant des messages ciblés en fonction
de la position du client dans l’espace, de
l’heure de la journée et de la proximité de telle
ou telle offre. Pour produire impact émotionnel
et reconnaissance de marque, le film vidéo
reste le vecteur préféré des annonceurs. Dans
une enquête récente, 95 % des responsables
marketing déclarent vouloir maintenir (49 %) ou
accroître (46 %) leur investissement en technologie
médias sur site de vente5. En septembre
2008 était annoncé le lancement du Wal-Mart
Smart Network dans 2 700 grandes surfaces6. La
division « Malls » de Clear Channel expérimente,
à grande échelle, des réseaux de vidéos sur
IPTV (Internet Protocol Television) à Los Angeles
et New York, et collabore avec Yahoo pour
la diffusion d’informations générales, sportives,
financières et de contenus de divertissement, en
plus des messages commerciaux ciblés. Avec
l’IPTV, des milliers de vidéos sont disponibles
à n’importe quel moment et depuis n’importe
quel emplacement d’une surface de vente,
offrant d’innombrables possibilités d’animation.
Le nombre et l’intensité des messages peuvent
s’accroître automatiquement, et faire évoluer
les couleurs dominantes ou les supports musicaux
dans un espace donné, en fonction de la
température extérieure ou d’autres éléments.
Plusieurs distributeurs nord-américains de carburant
équipent maintenant leurs pompes d’écrans,
protégés du soleil, permettant au client de suivre
des contenus produits par NBC Universal tout en
remplissant son réservoir.
Le téléphone cellulaire capte également l’attention
des acteurs du marketing. Par exemple,
à partir de la position GPS d’un iPhone Apple et de son orientation, un service en
ligne identifie dans sa base les cibles qui se
situent dans le champ de vision de l’appareil
et des informations pertinentes se placent alors
automatiquement sur le paysage reproduit7.
Les possibilités marketing de cette innovation
technique s’avèrent considérables. De même,
à Amsterdam, l’application Layar « augmente
la réalité » des mobiles tournant sur Android,
plate-forme Google, en affichant sur l’écran
des informations locales lorsque vous cadrez
quelque chose avec votre smartphone. En
Autriche, Wikitude de Mobilizy fournit lui aussi
des informations sur les sites visités, alors
qu’en Allemagne, Enkin aide à retrouver son
chemin. Enfin, à Tokyo, Tonchidot a lancé la
Sekaï Camera, qui permet de partager ses
impressions sur les boutiques. Avec Microsoft
et Wakefern, MediaCart propose un caddie qui
retient l’information sur les produits achetés par
le client et ses habitudes dès lors qu’il scanne sa
carte de fidélité. Immédiatement décortiquées,
mises en relation avec les commandes passées
sur Internet, ces informations permettent à
l’écran du chariot d’informer sur les promotions
et autres appels. Le chariot entre en communication
avec quantité de bornes grâce à des
puces RFID.
Des offres matérialisées
Les acteurs des services cherchent aussi à matérialiser
leurs offres. ING Direct ou Barclays, en
Europe, travaillent au packaging de leurs produits
de manière à rendre palpable un contrat
d’assurance, une offre de prêt ou un service
de conciergerie. Originaire de l’Oregon,
Umpqua Bank conçoit, avec l’agence Ziba,
ses zones d’accueil dans l’esprit des cafés
Starbucks, et des baristas (barmen) remplacent
les guichets. Les « produits » sont disposés dans
des vitrines multicolores et s’accompagnent
de DVD, carnets parlants et sacs « cadeaux »8.
En approchant de ces vitrines ou des nombreux
écrans mis à disposition, le client reçoit quantité
d’informations, peut les imprimer ou les
envoyer par Internet. Des experts sont disponibles
en ligne pour des échanges immédiats.
En outre, le client peut organiser là ses vacances,
monter une entreprise, participer à la vie
de son quartier9. Plus palpable encore, l’insolite
campagne orchestrée par Ubi Bene pour Ikea,
du 10 décembre 2008 au 9 janvier 2009, a réussi
à transformer le grand hall de la gare de Lyon,
à Paris, en un ensemble de salons et zones
« home cinéma »10. Près de treize millions de
voyageurs ont pu découvrir l’ensemble de la
gamme pour salon d’Ikea dans un lieu public
ouvert à tous. Paradoxalement, plus le commerce
se met en ligne, plus les espaces physiques
d’exposition et de démonstration doivent se
montrer puissants en termes de contenu émotionnel,
d’aptitude à surprendre et d’ouverture
sur des modes nouveaux de consommation.
De ce fait, les initiatives marketing mobilisant
les capacités de l’architecture et du design ne
cesseront de se multiplier.
Enjeux sociétaux
Enfin, les entreprises intègrent dans leur discours,
avec plus ou moins d’authenticité, les
enjeux censés préoccuper les clients : protection
de l’environnement, management
de la diversité, respect des valeurs civiques.
Quelques acteurs s’emploient à construire des
messages véritablement adaptés aux attentes
d’une population inquiète des conséquences
de la crise financière. Sur certains marchés,
Hyundai propose la reprise des automobiles
achetées à crédit si le client perd son emploi.
Aux États-Unis, si le prix de l’essence augmente
après la date d’achat, le constructeur coréen
s’engage à payer la différence sur une année,
et cela, parmi d’autres services. De même, La
Poste, en France, déploie une énergie considérable
afin de replacer le courrier au centre
de la réflexion des annonceurs en matière de
plan média. Il s’agit là de valoriser un réseau
de proximité de premier plan, de mieux utiliser
les tournées de distribution de courrier
pour une meilleure rentabilité de la dépense
énergétique, de contribuer au maintien du lien
social dans un univers qui isole les personnes
et déshumanise nombre d’actes du quotidien.
Et puisque l’on évoque le quotidien, il convient de relever l’ambitieuse initiative de Sodexo
– leader mondial de la restauration collective
et acteur de la motivation au travail – consistant
à déployer mondialement une démarche
pour l’amélioration de la qualité de vie au
quotidien. L’objectif est de comprendre et
d’expliciter les mécanismes par lesquels la
perception de la qualité de vie se forme, puis
de suggérer des voies d’amélioration.
Grâce aux sites comparateurs, aux forums
d’échange et à la liberté d’information qu’offre
dorénavant Internet, le consommateur tend à
se forger une opinion plus juste, à aiguiser son
sens critique et à donner à certains de ses choix
à la fois plus de pertinence pour lui-même et
plus de responsabilité vis-à-vis de la société.
Les arsenaux des outils du marketing de crise
regorgent toutefois de solutions techniques,
nouvelles et efficaces, en vue de stimuler cette
consommation massive, gage de croissance
dans notre système économique. Il faudra bien
réussir à faire se rencontrer l’intérêt collectif
pour un développement préservant les équilibres
écologiques et sociaux avec l’objectif
d’accroissement des profits aux actionnaires
que dicte la logique du capitalisme industriel
et financier. À moyen terme, l’intérêt de tous les
acteurs s’affirme convergent et on doit espérer
qu’émergera rapidement un consensus quant
aux objectifs et modalités d’une innovation
responsable. Par sa position clé à l’écoute
des marchés, par son influence majeure sur
les modes de consommation, par son rôle
déterminant sur l’établissement des objectifs
de la R&D, le marketing se trouve très directement
convoqué dans ce débat fondamental
sur le sens et la nature du développement
économique. Quelques moralistes, qualifiés
d’un peu chagrins par certains, clament depuis
longtemps que la manipulation des émotions,
la suggestion de besoins jusqu’alors inconnus,
l’écriture de nouveaux rituels de consommation
ne doivent pas se faire impunément11. Il
est sans doute plus que temps d’inscrire l’effort
d’innovation du marketing dans la perspective
responsable d’une société qui veut assurer sa
pérennité et lutter contre une inégalité trop
manifeste. S’agit-il d’utopie ou de réalisme ?
- D. Court, D. Elzinga, S. Mulder, O. J. Vetvik, « The Consumer Decision Journey », McKinsey Quarterly, n° 3, 2009.
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P. Flatters, M. Willmott, « Understanding the Post-Recession Consumer », Harvard Business Review, juillet-août 2009.
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J.-M. Lehu, L’Encyclopédie du marketing, Les Éditions d’organisation, 2004.
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Étude 2007 réalisée par Booz & Company, DemandTec et la Trade Promotion Management Association.
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T. Ryan, « Walmart Introduces Smart Network », RetailWire, 4 septembre 2008, www.retailwire.com
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P. Vandeginiste, « Regardez la réalité augmentée dans votre portable », Courrier Cadres, septembre 2009.
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Site de l’« Innovation Lab » de la banque : http://www.umpqualab.com
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R. P. Davis, Leading For Growth : How Umpqua Bank Got Cool and Created a Culture of Greatness, New York, John
Wiley & Sons, 2007.
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http://www.dailymotion.com/video/k1KhzZovYyy478Uqw7
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N. Klein, No Logo : la tyrannie des marques, traduit de l’anglais par M. Saint-Germain, Babel-Actes Sud, 2002.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2009-11/l-innovation-marketing-dans-une-economie-sous-tension.html?item_id=2979
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