est président de l’Office français des conjonctures économiques (OFCE).
La TVA sociale est une fausse bonne idée
Pour le président de
l’OFCE, son introduction dans certains pays de l’Union européenne
seulement conduirait à « un jeu non-coopératif » où « presque tout le
monde se retrouvera perdant ».
L’assiette actuelle des cotisations sociales, basée sur les seuls salaires, génère-t-elle des effets néfastes, en particulier sur la compétitivité de l’économie française ?
Jean-Paul Fitoussi. Les cotisations sociales ne sont pas exclusivement assises sur les salaires, puisqu’il existe la CSG qui a étendu à l’ensemble des revenus le prélèvement social. Dans les cotisations sociales, il faut distinguer celles qui relèvent de la solidarité et celles qui relèvent de l’assurance.
Les premières sont destinées à financer des dépenses qui sont indépendantes du statut par rapport au travail, par exemple l’assurance maladie. Il me semble assez normal qu’elles ne soient pas assises sur les salaires, et c’est pourquoi la CSG a été créée. Mais il reste des cotisations d’assurance maladie à la charge des employeurs qui sont toujours assises sur les salaires, ce qui me semble anormal car le financement de la solidarité doit reposer sur l’impôt.
La seconde catégorie de cotisations, dont l’exemple type est la retraite, doit, elle, être assise sur les salaires puisqu’en principe, plus les salaires sont élevés, plus les retraites versées seront importantes. Les cotisations sociales pour la retraite ne sont rien d’autre qu’un salaire différé, il n’y a donc aucune logique à financer la retraite par l’impôt, sauf la partie qui relève de la solidarité, c’est-à-dire le minimum retraite.
Ce système ne pénalise pas la France par rapport à d’autres pays, car les systèmes se sont adaptés dans deux directions :
- la mise en place d’un impôt pour financer l’assurance maladie, indépendamment du statut du travailleur,
- la réduction du salaire net perçu par les travailleurs.
En effet, ce ne sont pas les entreprises qui paient les charges : le payeur réel, c’est le salarié qui accepte, en contrepartie des services associés aux cotisations, une rémunération nette plus faible. Ainsi, si on mettait fin aujourd’hui au système public des retraites, le taux des prélèvements obligatoires baisserait sensiblement, mais cela ne dispenserait pas les salariés de devoir cotiser auprès d’institutions privées pour leur retraite, ce qui les conduirait à demander des augmentations de salaires en compensation… On s’est aperçu que dans les pays qui avaient fait ce choix, le salaire net était beaucoup plus élevé.
Plusieurs pistes de réforme ont été évoquées dernièrement : la TVA sociale, l’augmentation de la CSG, une cotisation sur la valeur ajoutée. Quelle est, selon vous, celle à privilégier ?
On pourrait effectivement déplacer les cotisations qui relèvent de la solidarité vers une autre assiette. De quelles possibilités disposons-nous ? On pourrait asseoir ces cotisations sur la valeur ajoutée. Comme elle est composée pour deux tiers de salaires et pour un tiers de marge brute d’exploitation, cela reviendrait à transférer une partie de la charge sur les revenus d’entreprise qui incluent l’amortissement et l’investissement. Le transfert vers la cotisation assise sur la valeur ajoutée est donc réputé défavorable à l’investissement, c’est pourquoi il y a une forte opposition à cette mesure. Mais nous vivons dans une société où près de 80 % de la valeur ajoutée provient des entreprises de services, ce qui veut dire qu’il faudrait se préoccuper également de l’investissement immatériel. Comme l’investissement immatériel passe par la formation et la qualification des travailleurs, peut-être la cotisation assise sur la valeur ajoutée permettrait-elle d’équilibrer les deux grandes catégories d’investissement, surtout au moment où l’on insiste sur la rentabilité de l’investissement dans la connaissance. C’est à étudier.
La hausse de la CSG est une autre piste possible, mais qui apparaît un peu « bloquée » pour des raisons de concurrence sociale et fiscale. Elle aboutirait en effet à un accroissement du prélèvement sur le revenu des capitaux au moment où tous les pays européens baissent ce type de prélèvements. Cela pourrait induire de nombreuses délocalisations et ce ne serait donc une bonne décision que si elle était prise à l’échelle de l’Union européenne.
La TVA sociale apparaît comme une bonne idée : elle consiste à rendre indirect un prélèvement direct, le financement social s’effectuant par un impôt indirect. Mais c’est une fausse bonne idée, pour deux raisons. D’abord, elle a à peu près le même effet sur les salaires réels perçus par les salariés que la cotisation sociale, car la TVA sociale implique une hausse de prix qui réduit le pouvoir d’achat des salariés. Ensuite, son introduction s’apparente à une politique de concurrence fiscale en Europe et conduit à un jeu non-coopératif dans lequel presque tout le monde se retrouvera perdant. Il en irait différemment si tous les pays européens décidaient d’asseoir sur la TVA une partie du financement de leur protection sociale, mais c’est quasiment impossible.
La TVA sociale permettrait de davantage taxer les importations et, dans le même temps, de favoriser les exportations. Elle serait donc, a priori, favorable à la production intérieure si la consommation totale reste inchangée. Partagez-vous ce jugement ?
Il faut distinguer deux cas. Si on crée une TVA sociale pour financer des services nouveaux, cela aboutira à une augmentation des prix et à une baisse des salaires… mais en compensation, il y aura ces services nouveaux. Si on utilise la TVA en substitution à un prélèvement existant, en principe il ne devrait pas y avoir de hausse de prix, car la baisse du coût salarial serait compensée par la hausse de l’impôt indirect. En pratique, il y a fort à parier que la TVA sociale aura, au moins transitoirement, un impact sur les prix, ce qui réduirait l’avantage compétitif qu’elle pourrait procurer.
En vérité, si l’Europe a créé une monnaie unique, ce n’est pas pour procéder à des dévaluations subreptices ! Or, baisser le prix des exportations et augmenter celui des importations, cela s’apparente à une dévaluation.
La TVA sociale permettrait-elle, selon vous, un enrichissement de la croissance en emplois ?
Non, je ne le crois pas. Si on supprimait toutes les cotisations sur les bas salaires – jusqu’à deux smic, par exemple – et que l’on accroissait en compensation la TVA, les prix augmenteraient et les salariés devraient accepter une baisse de leur pouvoir d’achat. En plus, je pense qu’on a été au bout de ce qu’on pouvait faire en termes de réduction des charges sur les bas salaires…
Pour conclure, quel est à vos yeux le principal obstacle à l’introduction de la TVA sociale ?
La question la plus préoccupante dans le cadre européen aujourd’hui est celle de la concurrence fiscale et sociale, d’autant que les pays de la zone euro n’ont pas beaucoup d’autres instruments pour fonder leur politique : ils n’ont plus la monnaie et leur marge de manœuvre budgétaire est limitée par le pacte de stabilité.
Il ne faut pas encourager cette concurrence car si les sièges sociaux vont aux Pays-Bas et les grandes fortunes en Belgique, c’est que l’Europe fiscale s’est déjà bien émoussée ! La TVA sociale ne serait une bonne mesure que si tous les pays de l’Union l’adoptaient mais, j’insiste, la règle de l’unanimité pour les décisions fiscales rend cette hypothèse invraisemblable.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-6/la-tva-sociale-est-une-fausse-bonne-idee.html?item_id=2707
© Constructif
Imprimer
Envoyer par mail
Réagir à l'article