est député du Pas-de-Calais.
L'augmentation de la CSG me paraît la solution la plus efficace
L’ancien ministre
socialiste favorise cette solution pour élargir l’assiette du
financement de la protection sociale, car elle permet d’y faire
participer les revenus du travail et du capital.
Le mode de financement de la protection sociale paraît aujourd’hui injuste, puisque la protection sociale est destinée à l’ensemble de la population. Ne serait-il donc pas plus juste que tout le monde la finance, comme ce serait le cas avec la TVA sociale ?
Jack Lang. Le financement de la protection sociale pose deux problèmes distincts. D’une part, il s’agit de garantir des ressources suffisamment abondantes pour financer des prestations sociales en constante augmentation. D’autre part, il faut faire en sorte que le mode de financement de la protection sociale ne nuise pas à la création d’emplois.
Concernant le premier point, le financement d’un certain nombre de prestations au moyen de cotisations sociales assises sur les seuls salaires ne me paraît plus aujourd’hui justifié, pour une raison essentielle : certaines prestations sont universelles (allocations familiales, maladie) et ne répondent donc plus à la logique assurantielle qui caractérise notre système de protection sociale. Or, le financement de ces prestations repose encore largement sur les seuls salaires (12,8 et 5,4 points de cotisations patronales respectivement pour les prestations maladie, maternité, invalidité, décès et pour les allocations familiales).
L’élargissement de l’assiette de ces prestations me paraît donc une mesure de bon sens. Cette évolution s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de la dynamique que la gauche avait initiée en créant la CSG en 1991. Plusieurs options sont envisageables, mais toutes reposent sur l’idée qu’il n’est plus possible de faire reposer sur les seuls revenus du travail le financement de l’ensemble du système.
Plusieurs pistes de réforme sociales ont été évoquées dernière-ment : TVA sociale, augmentation de la CSG, cotisation sur la valeur ajoutée. Quelle est, selon vous, celle qui mériterait le plus d’être retenue ?
Ces trois pistes de réforme partent toutes du principe qu’il est impératif d’élargir le financement de la protection sociale si l’on veut garantir un niveau de prestation élevé et préserver la qualité de notre système de soins. Néanmoins, toutes ne sont pas équivalentes du point de vue de l’emploi, et c’est bien là le nœud du problème.
La TVA sociale d’abord. Techniquement simple à mettre en œuvre, cette solution paraît séduisante, car parée de toutes les vertus par ses thuriféraires. Ses défenseurs soutiennent qu’elle permettrait de réduire le coût du travail tout en renforçant la compétitivité de nos entreprises, sans renchérir les prix à la consommation. En faisant baisser le prix des biens exportés – qui ne sont pas soumis à la TVA – et en augmentant celui des biens importés, la TVA sociale freinerait les délocalisations et ferait participer les producteurs étrangers au financement de notre protection sociale.
L’argument protectionniste selon lequel ce mode de financement de la protection sociale décuplerait notre compétitivité ne résiste par un instant à l’épreuve des faits : comme le soulignait récemment l’économiste Patrick Artus, que vaudrait une baisse des prix à l’exportation de 4 % quand on sait que l’essentiel de la compétitivité est aujourd’hui « hors coût » et qu’une faible appréciation de l’euro suffirait à annuler complètement le maigre avantage compétitif procuré par la TVA sociale ?
Plus fondamentalement, cette mesure ne s’attaque pas à l’une des causes fondamentales du chômage dans notre pays : le coût du travail des travailleurs les moins qualifiés. Les allègements de charges permis par la TVA sociale sont en effet généralisés, alors que seuls des allègements de charges ciblés sur les bas salaires sont de nature à relancer l’emploi en France, comme l'a montré le succès des politiques d’exonération de charges mises en œuvres depuis le milieu des années 90 et considérablement accrues par le gouvernement Jospin au moment du passage aux 35 heures.
La Contribution sur la valeur ajoutée (CVA) proposée par M. Chirac à l’occasion de ses vœux présidentiels prendrait la forme d’un élargissement des cotisations patronales à l’ensemble de la valeur ajoutée, de manière à faire participer les bénéfices des entreprises au financement de la Sécurité sociale. Les salaires représentant en moyenne les deux tiers de la valeur ajoutée, le principe de la mesure serait de remplacer un prélèvement d'un euro sur les salaires par un prélèvement mixte de 67 centimes sur les salaires et 33 centimes sur l’excédent brut d’exploitation.
Que faut-il en penser ? Malgré les apparences, la CVA partage une grande partie des caractéristiques de la TVA sociale. La différence essentielle entre ces deux impôts tient à leur mode de prélèvement : la CVA serait prélevée directement sur la somme des salaires et des bénéfices, tandis que la TVA est prélevée indirectement sur la différence entre la valeur des ventes et celle des consommations intermédiaires. L’avantage du mode de prélèvement de la CVA est qu’il réduit les risques de dérive inflationniste associés à l’instauration de la TVA sociale et liés au fait que les entreprises pourraient profiter de la réduction des charges pour augmenter leurs marges en ne diminuant pas leurs prix hors taxe. Malheureusement, outre le fait qu’un tel impôt créerait d’incontestables distorsions entre les entreprises en handicapant les activités à forte valeur ajoutée par travailleur, la CVA présente le même inconvénient que la TVA sociale : elle ne résout nullement le problème du coût du travail excessif au niveau des bas salaires.
Finalement, l’augmentation de la CSG me paraît être la solution la plus efficace. Son assiette large permet de faire participer les revenus du travail et du capital au financement de la protection sociale. Par ailleurs, le barème de ses taux peut être rendu progressif, ce qui ferait contribuer les salariés aux revenus les plus aisés au financement de la diminution du coût du travail non-qualifié, selon un principe de solidarité entre travailleurs.
Une augmentation de la TVA ne constitue-t-elle pas une mesure impopulaire ?
L’un des principaux inconvénients de la TVA sociale est en effet qu’elle risque de pénaliser lourdement les ménages les plus modestes. La hausse probable des prix qui résulterait de la mise en place de cette taxe se traduirait par une amputation du pouvoir d’achat des seuls consommateurs, sans toucher aux revenus de l’épargne. Les ménages les plus aisés, qui sont également ceux dont le taux d’épargne est le plus élevé, seraient ainsi moins touchés par cette mesure que les ménages à bas revenus. Je ne serais donc pas surpris qu’une mesure aussi contraire à l’exigence d’équité sociale suscite une forte hostilité dans notre pays.
Les économistes craignent un effet hausse de prix en cas de création de la TVA sociale. Qu’en pensez-vous ? L’exemple du Danemark, où ce risque inflationniste a été contenu par le jeu d’un accord préalable avec les partenaires sociaux, vous paraît-il probant ?
L’hypothèse selon laquelle les entreprises répercuteraient intégralement la baisse des cotisations patronales sur leur prix de vente hors taxe est hardie, pour ne pas dire franchement malhonnête. L’expérience montre qu’il existe une certaine rigidité à la baisse des prix des biens et services, surtout lorsque les entreprises évoluent sur des marchés peu concurrentiels. En entraînant l’économie dans une spirale inflationniste, l’instauration d’une TVA sociale risquerait en fait d’amputer significativement le pouvoir d’achat des salariés. Remémorons- nous l’échec cuisant d’Alain Juppé, dont la hausse de TVA n’avait abouti qu’à réduire la consommation et les recettes fiscales. Une telle perspective serait dangereuse pour notre économie et inacceptable du point de vue de la justice sociale.
Les simulations réalisées à ce sujet par la direction de la prévision du ministère de l’Économie et des Finances tendent d’ailleurs à confirmer l’impact économique défavorable de la TVA sociale. D’après les estimations de la DP, une diminution d’un point de PIB des cotisations patronales compensée par une augmentation équivalente de la TVA se traduirait, au bout de deux ans, par une réduction du PIB de 0,1 point, une augmentation des prix à la consommation de 1,3 % et une réduction de 0,13 point du revenu des ménages, sans effet notable sur le taux de chômage.
L’exemple du Danemark, où le risque inflationniste a été en partie contenu grâce à la concertation des partenaires sociaux, ne me paraît pas transposable en France. Le modèle social danois, comme celui de la plupart des pays nordiques, est fondé sur une solide tradition de concertation entre le gouvernement, les syndicats et les employeurs. Étant donné la crise structurelle que traverse aujourd’hui le paritarisme en France, je doute de la capacité de notre système à aboutir à une solution de compromis susceptible de juguler les menaces inflationnistes de la TVA sociale.
La TVA sociale vous paraît-elle un outil de la nécessaire convergence européenne ?
Il faut être précis : la TVA sociale n’est pas un dispositif largement répandu en Europe. À part le Danemark et l’Allemagne, qui l’a un moment envisagée, il ne s’agit pas d’une mesure suscitant l’enthousiasme général et à laquelle nous serions les seuls réfractaires. La multiplicité des modèles de l’État providence, mise en exergue par Esping- Andersen, a naturellement donné naissance à un large éventail d’arrangements institutionnels et fiscaux pour financer la protection sociale, arrangements qui n’ont aucune raison intrinsèque de converger.
En revanche, il n’est pas inutile de rappeler que l’Union européenne encourage l’harmonisation fiscale entre ses membres afin de garantir l’intégration européenne, la libre circulation des marchandises et afin de minimiser les pratiques de dumping fiscal. Dans ce cadre, la TVA est sans doute l’impôt sur lequel les tentatives de convergence ont le plus abouti, depuis la fameuse directive de 1977, donnant à chaque pays des objectifs d’harmonisation des taux. C’est pourquoi il me semble que la TVA sociale, prônée par Jean Arthuis comme un moyen de doper notre compétitivité, en remplaçant habilement les politiques de désinflation compétitive dont notre pays était coutumier dans les années 70, apparaîtrait plutôt comme une régression du point de vue de l’intégration européenne. En visant par une politique fiscale protectionniste et individualiste à renchérir nos importations et à favoriser nos industries d’exportation, au détriment de nos voisins, elle annihilerait les maigres efforts entrepris pour favoriser les conduites coopératives. Il est indéniable qu’en instaurant une TVA sociale, la France aura moins de légitimité pour demander à l’Irlande de relever ses taux d’imposition sur les sociétés...
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-6/l-augmentation-de-la-csg-me-parait-la-solution-la-plus-efficace.html?item_id=2704
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