est éducateur spécialisé, chargé de mission auprès du conseil général des Yvelines et dirige l’association Le Valdocco qui mène des actions d’insertion à Argenteuil et dans l’agglomération lyonnaise.
L’échec du collège unique
En dépit des bonnes
intentions qui ont présidé à sa création, le collège unique a enfoncé
dans l’échec certains types d’élèves. Jean-Marie Petitclerc plaide donc
pour une modification de la carte scolaire permettant le rétablissement
d’une mixité sociale et la mise en œuvre de pédagogies différenciées qui
bénéficieraient aussi aux bons élèves.
La France compte parmi les premiers pays d’Europe en ce qui concerne les dépenses occasionnées par le financement du système éducatif. Elle compte parmi les derniers en termes d’insertion sociale et professionnelle de sa jeunesse ! Spécificité française : le taux de chômage des jeunes est le double de celui des adultes. Il avoisine les 23 %. Et la situation est encore plus terrible dans les quartiers qualifiés de sensibles : en une quinzaine d’années, le taux de chômage des jeunes est passé de 28 % à près de 50 %. Le désœuvrement de la jeunesse, lié à l’absence de toute perspective d’avenir, constitue la cause principale de l’effervescence qui agite actuellement le pays.
On peut aujourd’hui parler d’un véritable échec du système éducatif français. Et le collège qui accueille les jeunes à l’âge difficile de l’entrée en adolescence constitue sans aucun doute le « maillon faible » : c’est là que se joue pour beaucoup l’avenir. Arrêtons-nous donc sur les fondements du collège unique, analysons ses dysfonctionnements afin de réfléchir à ce que devraient être les axes prioritaires d’une réforme.
Les fondements du collège unique
L’idée du collège unique, qui date des années 70, se voulait généreuse : éviter toute discrimination, en permettant à chaque jeune du pays, quel que soit son milieu d’origine ou son domicile, de pouvoir bénéficier de la même scolarité. Il s’agissait de sauver l’égalité des chances en enseignant les mêmes programmes de la même manière sur l’ensemble du territoire.
On a donc supprimé la distinction entre collèges d’enseignement secondaire, collèges d’enseignement technique et petites classes de lycées, et l’on a forgé le modèle du collège unique à partir de ces dernières. Et, de manière à ce que tous les jeunes d’un territoire donné, quelle que soit leur appartenance à une catégorie socioprofessionnelle, fréquentent le même collège, on a établi une « carte scolaire » obligeant les parents, selon le lieu de leur domicile, à scolariser leur enfant dans le collège du territoire. Des idées généreuses, qui s’avèrent aujourd’hui erronées…
La massification de l’échec scolaire
Enseigner le même programme de la même manière partout, l’idée paraît séduisante… mais on oublie que les enfants sont différents. Il est plusieurs formes d’intelligence. Certains élèves peuvent recourir facilement à l’abstraction, d’autres ont besoin de supports concrets pour développer leur intelligence. Viser l’égalité des chances nécessite bien évidemment de développer des pédagogies différenciées.
Telle ne fut pas la dynamique du collège unique. Peu à peu, toutes les activités les plus concrètes (éducation manuelle et technique, atelier technologique) furent réduites à peau de chagrin. Jusqu’à la fin des années 90, le collégien en échec en fin de 5e pouvait être orienté en 4e technologique en lycée technique et professionnel. Une telle orientation a permis à beaucoup d’élèves de renouer avec la réussite. Le changement de cadre, grâce à la valorisation liée au statut de lycéen, y était pour beaucoup.
Mais voici que pour des raisons de maintien d’effectifs, on a rapatrié ces classes dans les collèges, qui peu à peu se sont fondues dans l’ensemble. Et le collégien en échec en 6e ou en 5e, s’est enkysté dans l’échec jusqu’à la fin de sa scolarité en collège.
J’écrivais en 1999 : « La majorité des jeunes qui passent à l’acte violent souffrent d’une mauvaise image d’eux-mêmes. C’est hélas souvent le cas à l’école, où l’enfant, dévalorisé par l’institution, se venge dans la cour de récréation. Il faudrait à ce sujet savoir dénoncer avec force ces décisions récentes, prises par des recteurs d’académie, de supprimer les classes de 4e et 3e technologiques dans les lycées professionnels et techniques, pour les faire réintégrer les collèges. Au lieu de les aider à un nouveau départ, on choisit de maintenir des élèves en difficulté dans le contexte du collège qui les a mis en échec. J’ose espérer que ceux qui prennent de telles décisions ont conscience de contribuer à l’aggravation des conduites violentes dans les collèges, et qu’ils ne s’étonneront pas des atteintes qui seront commises ! »1
Tout le monde aujourd’hui déplore l’incroyable montée des phénomènes de violences scolaires observées depuis cinq ans ! Dans bien des quartiers, le collège est devenu un lieu d’affrontement entre adolescents : violences physiques, y compris à caractère sexuel, violences verbales, y compris à caractère raciste, sont devenues le lot du vécu quotidien de bon nombre de collégiens.
Les méfaits de la carte scolaire
Afin d’expliquer une telle dégradation, il faut prendre en compte une deuxième donnée : les conséquences désastreuses de la carte scolaire. Celle-ci constituait une bonne mesure lorsqu’il existait une mixité sociale sur le territoire : les enfants de l’agriculteur, du médecin, du notaire fréquentaient le même collège. Mais la carte scolaire, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, est devenue une terrible mesure dans les quartiers où n’existe plus cette mixité sociale, en particulier dans les cités sensibles : l’enfant condamné par la loi à être scolarisé avec celui qui le rackette, l’adolescent condamné par la loi à être scolarisé avec les copains de la bande avec lesquels il ne cesse de rigoler ! Tout le monde sait que dans de telles conditions, il ne travaillera pas, mais la loi l’y oblige ! Et on sait parfaitement que ce sont toujours les populations les moins favorisées qui auront le moins de facilité pour recourir à des dérogations.
L’échec comme signe d’appartenance
La grande différence entre un collège de centre-ville et un collège de zone d’éducation prioritaire, c’est que dans le premier, il est encore valorisant d’être premier de classe, alors que dans le deuxième, en particulier pour le garçon, c’est fort dangereux. Il est en effet alors automatiquement étiqueté « d’intello », de « bouffon », et il doit affronter la violence de ses congénères. Combien connais-je personnellement d’adolescents qui auraient tous les moyens d’être premiers de classe, mais qui se l’interdisent de peur d’être complètement isolés ? C’est le phénomène qu’Alain Bentolila, ce grand linguiste, qualifie de « tribalisation de l’échec scolaire » 2 : l’adolescent revendique l’échec scolaire comme signe d’appartenance à sa tribu. Lorsqu’un tel climat se développe dans une classe, même avec les meilleurs enseignants, disposant d’un maximum de moyens, l’échec massif est au rendez-vous. Car l’enseignant ne saura aider à progresser que l’enfant qui veut réussir. Que peut-il faire face à celui qui revendique l’échec pour sauver ses alliances ? Et l’on sait l’importance, à l’âge de l’adolescence – et c’est justement celui des collégiens –, du souci de l’image vis-à-vis des pairs.
Lorsque, dans notre pays, on a scolarisé les enfants des paysans, on ne les a pas rassemblés dans un collège en plein champ ! On a financé un système de bus, permettant aux enfants de la campagne d’être scolarisés avec ceux des villes et de construire ensemble l’avenir de notre pays. Il s’agit vraiment d’une aberration française que de vouloir scolariser en bas des tours tous les enfants des tours ! Il est urgent de modifier la carte scolaire, de manière à permettre, de façon volontariste, le rétablissement d’une certaine mixité sociale, favorisant échanges et stimulations. Le motif principal de l’échec du dispositif « Zone d’éducation prioritaire » (rappelons que l’objectif principal consistait à réduire l’écart entre collèges, et que, après vingt années de mise en œuvre, l’écart a plutôt grandi !) réside à mes yeux dans le concept de zonage qui a présidé à son application.
Plutôt que concentrer les moyens sur les collèges en difficulté dans les quartiers sensibles (mais une telle politique ne permet pas aux adolescents de sortir de leur quartier !), nous devrions les répartir entre les dix collèges de l’agglomération qui accueilleraient, chacun pour une part, les élèves domiciliés dans ces quartiers. La violence des émeutes de l’automne dernier a montré que le principal handicap de ces populations, et en particulier de la frange de la jeunesse, résidait dans le manque de mobilité. Dans le domaine de la ville et de l’éducation prioritaire, les politiques fondées sur ce concept de zonage, n’ont pas permis d’enrayer la spirale de ghettoïsation.
L’absence de mobilité est aujourd’hui très pénalisante pour l’insertion sociale et professionnelle. Aussi l’éducation à la mobilité me paraît-elle devoir constituer une priorité de notre système éducatif. Il est aberrant de scolariser en bas de chez eux des enfants de 2 à 16 ans ! Bien sûr, la fermeture que je préconise des collèges situés au cœur des cités sensibles doit s’effectuer de manière progressive (la première année, on disperse les 6e, la deuxième, les 5e…, l’opération s’étalant sur quatre ans) et doit être accompagnée, notamment, par l’embauche d’éducateurs spécialisés pour réguler les inévitables tensions qui existeront au début entre groupes d’élèves qui jusqu’alors s’ignoraient. Le retour de la mixité sociale doit s’accompagner de pédagogies différenciées. Une des plus grandes difficultés de notre système actuel réside en effet à mes yeux dans le fait de permettre à un jeune de toucher du bois uniquement dans le cadre d’une orientation professionnelle vers les métiers de la menuiserie, de toucher un moteur uniquement dans le cadre d’une orientation professionnelle vers les métiers de la mécanique. Alors, comme, à juste titre, on a retardé l’âge de l’orientation professionnelle (on ne va pas demander
à l’enfant de 12 ans de choisir un métier), les enfants – et j’en connais beaucoup –, qui ont besoin de toucher des pièces en bois pour comprendre la géométrie, ou ceux qui ont besoin de toucher un moteur pour comprendre la physique, se trouvent inexorablement mis en situation d’échec. Et pourtant, ils ne sont pas moins intelligents que leurs camarades ayant plus facilement accès à l’abstraction, mais ils ont besoin de recourir à des supports concrets. Une fois comprises la géométrie, la physique, ils pourront poursuivre leurs études…
Créer un collège à géométrie variable
Et s’il nous fallait inventer le collège de toutes les intelligences ? Sortons de l’ineptie de ce système où l’on a créé de toutes pièces une filière de l’excellence (la filière scientifique), et où tous ceux qui ne peuvent pas y accéder sortent du collège avec un sentiment d’échec. Développons des pédagogies différenciées, permettant à chaque élève de progresser. L’avènement d’un tel collège sera profitable tant aux élèves ayant de grandes facilités dans leurs apprentissages qu'à ceux qui sont en difficulté. Il pourra même permettre aux premiers de progresser encore davantage en se mettant au service des deuxièmes ! Une chose en effet est de savoir, autre chose est de maîtriser les savoirs au point de pouvoir les transmettre. On ne pénalisera donc pas un bon élève en lui demandant de s’occuper d’un moins bon, on l’aidera au contraire à devenir meilleur ! N’est-il pas important, pour notre pays, de former des élites qui non seulement savent, mais savent surtout transmettre leurs savoirs ?
La réforme du collège unique est une urgence pour tous !
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-6/l-echec-du-college-unique.html?item_id=2703
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