L’Europe face au défi du déclin
L’évolution de la natalité
ne permet plus d’assurer le renouvellement de la population dans
l’ensemble des pays du continent, dont l’accroissement provient
largement de l’immigration. Son vieillissement va continuer à
s’accentuer.
Au 1er janvier 2005, la population de l’Union européenne s’élevait à 459,2 millions sur les 745,2 que comporte l’ensemble du continent, y compris la partie asiatique de la Russie et les républiques caucasiennes de l’ancienne Union soviétique. Cela représente une augmentation de 33,2 millions depuis 1980, toutefois deux fois plus faible que celle enregistrée au cours de la même période par les États- Unis, avec une population pourtant près de deux fois plus petite.
Un accroissement démographique en baisse
L’accroissement de la population au cours du dernier quart de siècle se répartit à peu près également en ses deux composantes : solde naturel – différence entre le nombre des naissances et des décès – et solde migratoire – différence entre le nombre des entrées et des sorties du territoire. Depuis la décennie 90, les migrations prennent une part de plus en plus grande dans l’accroissement de la population européenne. Ainsi, la part du solde naturel ne compte plus que pour 16 % de l’accroissement total depuis l’an 2000. Cette réduction tient autant à la réduction de l’excédent des naissances sur les décès qu’à l’augmentation de l’excédent des entrées sur les sorties.
Cette situation s’oppose nettement à celle observée aux États-Unis, pays réputé pour l’importance de l’immigration, où le solde naturel compte encore pour près de 60 % dans l’accroissement de la population. La différence de vitalité démographique entre ces deux ensembles apparaît à la comparaison de leurs excédents naturel et migratoire au cours des cinq dernières années. Le solde naturel est, en effet, cinq fois et demi plus faible dans l’Union européenne et le solde migratoire 1,3 fois plus élevé qu’aux États-Unis1.
L’accroissement de la population de l’Union cache d’importantes disparités à travers son territoire. Le solde naturel des nouveaux membres, issus de l’ancienne Europe de l’Est, est partout négatif, sauf en République slovaque où il est faiblement positif. Au contraire, chez les anciens membres il est partout positif, sauf en Allemagne, en Italie et en Grèce. Le solde migratoire est positif dans l’ensemble des pays de l’Union, à l’exception de la Pologne, et de deux pays baltes, Lettonie et Lituanie, mais c’est dans les pays du sud de l’Europe, Espagne et Italie notamment, que l’immigration est la plus importante. En définitive, les seuls États membres dans lesquels la population diminue sont ceux issus de l’ancienne Europe socialiste, à l’exception de la Slovénie et de la République slovaque.
Réduction du nombre des naissances et augmentation de l’immigration sont les deux facteurs de l’évolution démographique de l’Union européenne au cours de la période récente. Sur le territoire de l’Union, le nombre de naissances est passé de 7,1 millions en 1980 à 4,8 en 2004, alors que le nombre de décès restait à peu près stable entre 4,3 et 4,5 millions.
Une fécondité faible
Au cours des vingt dernières années, les caractéristiques de la fécondité ont profondément évolué : les femmes ont moins d’enfants et les ont à des âges beaucoup plus élevés. Dans le même temps, sous l’effet du recul du mariage et du développement des unions non mariées, le nombre de naissances hors mariage a fortement augmenté.
La fécondité s’établit en 2004 à 1,5 enfant par femme dans l’ensemble de l’Union européenne. Même si l’indicateur conjoncturel de fécondité est en légère augmentation, cela n’en représente pas moins une baisse de 0,2 enfant en une vingtaine d’années.
La diversité des situations est grande à travers l’Union et plusieurs régions s’opposent. La première ligne de clivage sépare les anciens membres des nouveaux. Chez les premiers, l’indicateur conjoncturel s’élève, en 2004, à 1,55 enfant par femme, alors qu’il n’est que de 1,25 chez les derniers accédants. De même, alors que le niveau de la fécondité est à peu près stable depuis le début de la décennie 1990 dans le groupe qui formait l’Union à quinze, la fécondité des dix nouveaux membres est en rapide diminution, puisque l’indicateur s’élevait encore à 2,00 en 1990. La baisse très rapide de la fécondité dans ces pays est due en grande partie aux mutations politiques, économiques et sociales qu’ont connues les huit pays issus de l’ancienne Europe socialiste après la chute de Berlin. Si dans cet ensemble l’indicateur est très voisin d’un pays à l’autre, excepté en Estonie où il atteint 1,46, dans l’Europe des quinze les niveaux sont très différenciés. Réduction du nombre des naissances et augmentation de l’immigration sont les deux facteurs de l’évolution démographique de l’Union européenne au cours de la période récente. Sur le territoire de l’Union, le nombre de naissances est passé de 7,1 millions en 1980 à 4,8 en 2004, alors que le nombre de décès restait à peu près stable entre 4,3 et 4,5 millions.
Ainsi, dans aucun pays de l’Union européenne, ou même du continent (Islande 2,04), l’indicateur conjoncturel n’atteint le niveau nécessaire au remplacement qui s’établit à 2,1 enfants par femme. C’est au cours de la première moitié des années 70 que l’indicateur conjoncturel de l’Union a atteint, pour la dernière fois, ce niveau et les derniers pays de l’Union à avoir enregistré un indicateur de 2,1 furent la Suède et l’Irlande au début de la décennie 90. Pour la Suède, il s’agissait d’une valeur exceptionnelle temporaire, provoquée par des modifications législatives.
En effet, l’indicateur conjoncturel est sensible aux modifications du calendrier de constitution des familles, cet indice surestimant la fécondité des générations lorsque les femmes mettent au monde leurs enfants de plus en plus jeunes et la sous-estimant dans le cas contraire, comme actuellement. La faiblesse des indicateurs conjoncturels de fécondité vient pour une part de ce report des naissances à des âges toujours plus élevés, mais pour une part seulement car il y a une réelle réduction de l’intensité de la fécondité.
Des naissances tardives
Les naissances surviennent de plus en plus tard dans la vie des femmes. Ainsi, si les femmes nées en 1954 avaient mis au monde leurs enfants à 26,9 ans, celles nées en 1964 seront devenues mères un an et demi plus tard. L’examen de la descendance finale des femmes, classées selon leur année de naissance, permet de s’affranchir de cet effet parasite de retardement des naissances et de mesurer la fécondité réelle des générations successives. La descendance des générations féminines a connu, elle aussi, une diminution sensible, mais plus faible que celle de l’indicateur conjoncturel, et elle est, depuis plusieurs décennies, nettement plus élevée que l’indicateur conjoncturel.
Parmi les femmes nées en 1967, les dernières pour lesquelles l’estimation est suffisamment fiable pour l’ensemble des États membres, la descendance finale ne dépasse deux enfants par femme qu’en Norvège et en France. Elle approche également cette valeur en République slovaque, mais dans ce pays, comme dans l’ensemble des anciens pays socialistes, le recul de la descendance est très rapide et elle devrait être inférieure à 1,9 enfant chez les femmes nées en 1970.
Dans un certain nombre de pays, la descendance finale des femmes est déjà très en dessous du niveau de remplacement des générations. La descendance des femmes allemandes nées en 1967 est ainsi de 1,43, celle des italiennes de 1,47. Dans ces pays, les femmes nées cette année-là n’ont donc assuré leur remplacement qu’à 70 %.
Les pays où la fécondité s’est le mieux maintenue sont ceux dans lesquels la fécondité hors mariage a suppléé, au moins en partie, la diminution du mariage. C’est l’une des raisons qui expliquent que l’Allemagne et les pays d’Europe du Sud, dont la société n’accepte guère que les couples non-mariés aient des enfants, sont les pays les moins féconds.
Une espérance de vie qui progresse
Les conditions sanitaires sont en général assez bonnes à travers l’Union européenne, si l’on en juge par le niveau de l’espérance de vie et son importante progression au cours des années récentes. Ainsi, l’espérance de vie à la naissance s’élevait, en 2003, à 75,1 ans pour les hommes et 81,2 pour les femmes, c’est-à-dire à un niveau notablement supérieur à celui observé aux États-Unis, en particulier chez les femmes qui vivent en moyenne 1,3 année de moins que les Européennes. Depuis 1995, l’espérance de vie à la naissance a progressé, respectivement, de 2,3 et 1,6 ans pour le sexe masculin et féminin.
Mais, par-delà ces valeurs moyennes, le niveau de l’espérance de vie varie fortement à travers les États membres, et encore plus à travers le continent, les conditions étant généralement beaucoup moins favorables en Europe centrale et orientale. Ainsi, l’espérance de vie féminine varie, en 2004, de 83,8 ans en Espagne à 76,2 en Lettonie, soit un écart considérable de plus de 7,5 années.
Pour le sexe masculin, la variation est encore plus large, puisqu’elle dépasse 12 années, de 78,4 en Suède à 66,1 en Lettonie. Hors de l’Union, l’espérance de vie peut être encore plus faible comme en témoigne la situation de la Russie avec des espérances de vie masculine et féminine, respectivement de 58,9 et 72,3 ans, c’est-à-dire des valeurs inférieures à celles observées, dans ce pays, au début des années 60.
Les écarts d’espérance de vie entre les populations des anciens États membres de l’Union européenne et celles des derniers accédants, qui s’élèvent aujourd’hui à 6 ans pour les hommes et 3,5 ans pour les femmes, montrent le retard que les anciens pays d’Europe de l’Est ont accumulé en matière de système sanitaire et de conditions de vie et de santé par rapport aux pays de l’Europe de l’Ouest, retard que l’on peut estimer à environ un quart de siècle. Dans l’Union européenne, c’est en Europe du Sud, en Scandinavie et en France que la longévité est actuellement la plus élevée.
Ce recul de la mort vers des âges toujours plus élevés, fait sentir ses effets à tous les âges. Ainsi, à tout âge le nombre d’années restant à vivre progresse, Mais si le nombre de ces années gagnées sur la mort diminue avec l’avancement en âge, plus l’âge observé augmente, plus les gains relatifs d’espérance de vie sont forts. Il s’agit là d’un des moteurs du vieillissement de la population, qui conduit non seulement à ce que la part des personnes âgées augmente à travers toute l’Europe, mais également à ce que la part des plus âgées parmi les personnes âgées augmente également.
Un vieillissement de la population qui s’accentue
La baisse de la fécondité et l’allongement de l’espérance de vie, dont les progrès relatifs sont d’autant plus rapides que les personnes sont plus âgées, vont se traduire, à terme, par d’importantes modifications de la structure par âge des populations européennes et par une accélération du vieillissement de la population, c’est-àdire une augmentation de la part des personnes âgées. Ce vieillissement est déjà largement avancé dans l’ensemble des pays développés et particulièrement en Europe occidentale. Provoqué dans un premier temps par la réduction de la fécondité (vieillissement par la base), il se trouve amplifié depuis quelque temps par le recul de la mortalité aux grands âges (vieillissement par le sommet).
Si ce phénomène est aujourd’hui général, le stade déjà atteint ainsi que la vitesse de diffusion est très variable d’un pays à l’autre. Au 1er janvier 2004, la part des personnes âgées de 65 ans et plus varie de 11,2 % en Irlande à 19,2 % en Italie.
La structure de l’Union européenne avant le dernier élargissement à quinze membres était plus vieillie (16,5 % de personnes âgées de plus 65 ans et plus2) que celle des nouveaux accédants (13,3 %, de 11,6 % en Slovaquie à 15,9 % en Estonie et en Lettonie). Cela a, dans un premier temps, réduit le niveau du vieillissement dans la nouvelle configuration de l’Union, mais, à terme, du fait de la faible fécondité des nouveaux membres, l’élargissement va se traduire par une accélération du vieillissement de l’Union. Ainsi, selon les projections des Nations unies, la part des plus de 65 ans va passer, dans l’ensemble de l’Union, de 16 % à 28,4 % de 2003 à 2050, mais de 13,3 % à 28,9 % chez les derniers accédants.
Cette évolution se traduira, également, par une diminution de la population active à partir de 2015 qui pourrait déboucher sur une pénurie de main-d’œuvre, puisque seules trois personnes sur quatre partant à la retraite seraient remplacées. La situation varie largement selon les États membres. Ainsi, l’Allemagne, première puissance économique de l’Union, et l’Italie pourraient voir se profiler les perspectives d’une récession. Au contraire, le Royaume-Uni, qui en 2050 sera, après le Luxembourg, le pays le moins « vieilli » de l’Union, pourrait devenir la première puissance économique de l’Union. En effet, il existe une liaison entre dynamique démographique et croissance économique c’est pourquoi il convient, à un moment où un certain déclin démographique semble appelé à caractériser l’évolution à long terme de la population européenne3, de se féliciter du renouveau de l’intérêt de la Commission européenne pour les enjeux démographiques4 . Le défi majeur de ce XXIe siècle est d’enrayer ce déclin démographique qui, par son approfondissement du vieillissement, fragilise les économies. En l’absence d’une politique volontariste permettant aux couples de concilier vie familiale et vie professionnelle et peut-être d’inverser le cours de la fécondité, les migrations internationales seront à l’avenir le facteur déterminant de l’évolution démographique.
- Notons toutefois que, pour l’ensemble de la période 1980-2004, les soldes naturel et migratoire des États-Unis dépassent ceux de l’Union européenne à 25. Les rapports s’établissent, respectivement, à 2,2 et 1,5.
- Pour un intervalle allant de 11,2 en Irlande à 18,2 en Italie.
- L’Europe est le seul continent à avoir un accroissement naturel négatif.
- Cf. Commission européenne, livre vert, 16 mars 2005.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-6/l-europe-face-au-defi-du-declin.html?item_id=2698
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