Président du Conseil national d’évaluation des normes
Simplifier les normes pour les collectivités territoriales
Des normes inutiles et coûteuses pèsent particulièrement sur les collectivités territoriales. Impératif collectif, la simplification est en butte à un flux continu de productions législatives et réglementaires, notamment dans les domaines du logement et de l’urbanisme. Il est tout de même possible de réduire la complexification et la charge administrative en se centrant sur les usagers et en conférant davantage de marges de manœuvre aux élus locaux.
Malgré l’objectif régulièrement réaffirmé par les pouvoirs publics de simplification du droit, cette dernière est encore loin d’être lancée. L’inflation normative est alimentée par de puissants facteurs : des normes de plus en plus précises, une société rétive au risque ainsi qu’une réponse systématiquement normative à un événement médiatique.
Cette inflation normative produit des effets néfastes pour les collectivités territoriales : elle alourdit les procédures, freine la prise de décision et engendre des coûts importants. Le domaine de la construction et de l’urbanisme illustre bien ce phénomène, tant la superposition des règles législatives et réglementaires multiplie les contraintes. Dans ce contexte, il est urgent de simplifier les normes pour les collectivités afin de rendre l’action locale plus efficace, de redonner aux élus des marges de manœuvre dans les domaines décentralisés et de rapprocher l’action publique du citoyen.
Simplifier, pour qui ?
Qu’elle soit normative ou administrative, la simplification a pour but de rendre le droit et le fonctionnement administratif plus accessibles et plus intelligibles en clarifiant certains aspects des textes, en abrogeant des dispositions obsolètes et en allégeant les procédures administratives. Or, cette simplification, qui est au cœur de l’enjeu de l’efficacité de l’action publique, est de plus en plus questionnée. En effet, on peut s’interroger sur la finalité de la simplification des normes pour les collectivités territoriales. Avec celles-ci, sont concernés à la fois les élus locaux, les entreprises, les associations et bien sûr les citoyens. Ainsi, la simplification du droit applicable aux collectivités territoriales doit bénéficier non seulement aux élus mais également à l’ensemble des usagers du droit.
Les causes de l’inflation et de la complexification des normes applicables aux collectivités territoriales
La cause principale de l’inflation normative pour les collectivités locales est la surréglementation, tant sur le plan législatif que réglementaire, qui entraîne une complexification du droit. Depuis plusieurs décennies, le législateur adopte des lois de plus en plus longues et complexes dans l’objectif de tout prévoir et de tout encadrer. Par exemple, le Code général des collectivités territoriales a triplé de volume en vingt ans. En outre, sur les dix dernières années, le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) a examiné entre 200 et 300 textes par an. Ce flux très soutenu alimente le stock de normes applicables aux collectivités.
De plus, ce flux incessant de normes présente un coût préjudiciable pour les collectivités locales. En 2022, l’impact net des normes applicables aux collectivités territoriales était de 2,4 milliards d’euros ; 1,6 milliard en 2023 et 565 millions en 2024. Ce coût des normes est excessif à l’aune de la situation budgétaire des collectivités locales et paraît difficilement conciliable avec l’impératif de redressement des comptes publics.
Ce phénomène traduit également une évolution de la société qui est moins tolérante au risque et plus exigeante envers les pouvoirs publics. Les attentes des citoyens incitent parfois ces derniers à réagir dans l’urgence et à produire davantage de normes encadrant l’action locale. À titre illustratif, la loi dite « plein emploi » de 2023 a prévu la création du service public de la petite enfance, qui vient encadrer strictement le droit applicable et les marges de manœuvre des collectivités territoriales, motivée par un accident dans une microcrèche de Lyon.
Par ailleurs, en ce qui concerne le nombre de textes soumis au CNEN, l’activité normative a été stable en 2024, en dépit des circonstances institutionnelles. En 2024, le Conseil a examiné 223 projets de texte, contre 235 en 2023, soit une légère baisse de 5 % entre les deux années. Ainsi, l’activité du CNEN a peu ralenti malgré la dissolution de l’Assemblée nationale. Ce constat s’explique par un flux ininterrompu de décrets d’application qui mettent en œuvre des lois adoptées plusieurs années auparavant.
Les domaines particulièrement concernés par l’inflation normative
À la tête du CNEN, je constate que les domaines les plus concernés par l’inflation normative sont l’environnement, la protection sociale, l’urbanisme, la construction et le logement ainsi que la fonction publique.
Ainsi, la loi dite « climat et résilience » de 2021 comporte 305 articles. Ce nombre disproportionné fait perdre de vue les principes et la portée générale de la loi. Il en résulte un droit inintelligible et trop contraignant pour les élus locaux. En outre, les textes d’application alimentent à leur tour la complexité du droit applicable et annihilent toute marge de manœuvre pour les collectivités.
Dans la même veine, la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables de 2023 impose la solarisation et la végétalisation des toitures de certains bâtiments. Outre la complexité des dispositions de la loi et des décrets d’application, le coût provoqué par ces normes sera très significatif pour les collectivités territoriales.
Dans ce contexte, de nombreux élus locaux s’inquiètent de la forte augmentation des coûts de construction et d’aménagement ainsi que de la complexification du droit dans ces domaines au cours des dernières décennies. Comme le montrent les consultations menées par le Sénat à la fin de l’année 2024, le premier domaine où les élus attendent de la simplification est l’urbanisme et le logement.
Dans le domaine de la construction et de l’urbanisme, je constate que, face à des événements exceptionnels (incendie de Notre-Dame de Paris, émeutes de banlieue de 2023, Jeux olympiques de 2024, cyclone à Mayotte), sont soumis au CNEN des projets de loi portant des dérogations diverses aux Codes de l’urbanisme, de l’environnement ou de la construction et de l’habitation. Cette démarche, justifiée par l’intérêt général, appelle néanmoins deux observations. D’une part, ces nombreuses lois de dérogation au droit commun mettent en lumière la complexité des normes qui empêche une action publique efficace. D’autre part, ces dérogations suscitent un sentiment d’injustice pour les collectivités qui, quant à elles, continuent d’être soumises à un droit commun souvent trop contraignant pour une action locale adaptée aux réalités de terrain.
Comment simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales ?
D’abord, le Conseil constitutionnel a consacré un objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi en 1999 1. Or, cet objectif à valeur constitutionnelle dispose d’une portée encore limitée dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il serait souhaitable qu’à l’avenir, cette jurisprudence puisse se développer comme ce fut le cas avec la décision du Conseil constitutionnel no 2005-530 DC du 29 décembre 2005 relative à la loi de finances initiale pour 2006.
Surtout, il convient pour le législateur et pour le gouvernement de s’astreindre à la sobriété normative, à plus forte raison s’agissant des compétences décentralisées des collectivités territoriales. Ainsi, des marges de manœuvre pourraient être redonnées aux collectivités en n’adoptant que des lois d’orientation dans les domaines décentralisés. Pour rappel, depuis la révision constitutionnelle de 2003, les collectivités territoriales disposent d’un pouvoir réglementaire local prévu à l’article 72, alinéa 3, de la Constitution de 1958.
Enfin, l’action publique doit être désormais construite avec les usagers et les acteurs de terrain, dont les collectivités territoriales, comme le préconise le Conseil d’État dans son étude sur « l’usager, du premier au dernier kilomètre 2 ». En effet, une simplification réussie doit nécessairement aboutir à un allégement de la charge administrative qui pèse sur les usagers. Pour ce faire, des marges de manœuvre plus grandes doivent être attribuées à ceux qui agissent au plus près des usagers, à savoir les élus locaux. Ainsi, il est souhaitable de laisser les acteurs locaux tester et adapter les solutions au terrain.
Cela étant, une interrogation subsiste. Une plus grande liberté laissée aux collectivités territoriales leur permettant une adaptation ou une plus grande prise de risque n’ouvre-t-elle pas un champ aux contentieux et aux jurisprudences, tant judiciaires qu’administratives, qui peuvent elles-mêmes provoquer de la complexité et de l’instabilité ?
Dans une société de plus en plus judiciarisée, il faut être conscient que la simplification normative comporte un risque. L’action du juge doit donc être intégrée à cette recherche d’une simplification normative. Si les élus locaux peuvent assumer des risques grâce à une plus grande liberté d’action au service de la simplification, cela ne doit pas les exposer eux-mêmes à des risques judiciaires disproportionnés.
En définitive, ce travail de simplification s’inscrit inévitablement dans un temps long. Il faut adopter une démarche modeste et progressive axant la simplification sur des domaines circonscrits. Il convient également de renouer un lien de confiance entre l’échelon national et l’échelon local, trop souvent dégradé par des normes trop précises et trop coûteuses.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2025-10/simplifier-les-normes-pour-les-collectivites-territoriales.html?item_id=7985
© Constructif
Imprimer
Envoyer par mail
Réagir à l'article