Bâtiment : inquiétudes face aux normes mais nécessité de la normalisation
Nécessaire, notamment pour la qualité et la sécurité des bâtiments, la normalisation est un enjeu de souveraineté et de compétitivité. À visée protectrice, issue de multiples sources, la production de normes tous azimuts nourrit aussi une complexité problématique. Voici posée l’équation qu’il convient de résoudre pour que la normalisation reste un levier et non un frein !
Voilà presque deux décennies que le secteur du bâtiment a entamé une mue profonde emmenée notamment par les enjeux environnementaux. Aux ambitions de transitions écologique, énergétique ou encore numérique répond l’évolution des métiers et des pratiques professionnelles. Le recours croissant aux matériaux biosourcés, l’encouragement au réemploi ou encore la construction hors site en sont quelques illustrations. La normalisation ne saurait évidemment rester étrangère à ces évolutions. Elle est nécessaire parce qu’elle revêt un caractère stabilisateur et rassurant. Normaliser, c’est constituer un socle technique, juridique et économique essentiel, garantissant la qualité des ouvrages ainsi que la sécurité des personnes et des biens. Normaliser, c’est permettre la reconnaissance de la performance des produits mis sur le marché et notamment la reconnaissance mutuelle entre professionnels qui contribuent à confectionner un produit ou réaliser un ouvrage.
Réglementation et normalisation : différentes mais complémentaires
La première précaution d’usage lorsque l’on évoque la normalisation dans le bâtiment est de rappeler ce qui la différencie de la réglementation. Dans cette dernière, on retrouve des éléments comme le Code de la construction et de l’habitation, les règles d’urbanisme, les règles thermiques, de sécurité incendie et d’accessibilité.
De leur côté, les normes peuvent concerner les essais, les calculs (les Eurocodes), les produits ou la mise en œuvre (les très fameux NF DTU, « Normes française - document technique unifié ») dont nous reparlerons par la suite.
Les deux dimensions se complètent pour encadrer l’exercice des métiers. La différence fondamentale réside dans ce que la réglementation est d’application obligatoire tandis que les normes sont majoritairement des textes d’utilisation volontaire. Elles ne deviennent obligatoires que si la réglementation l’impose, ce qui n’est le cas que pour 3 % d’entre elles. Citons par exemple la norme sur les travaux de traitement de l’amiante (NF X 46-011), sur les installations électriques basse tension (NF C15-100, chapitre X) ou encore la norme sur les boîtes aux lettres extérieures (NF D27-405).
Autre différence très concrète : l’accès à la réglementation et aux normes rendues obligatoires est gratuit. Pour toutes les autres normes de construction, pourtant essentielles, il faudra payer. C’est évidemment un frein à leur diffusion, notamment auprès des petites structures et cela n’est pas sans conséquences. En effet, de nombreux marchés privés comme publics font référence aux normes et leur non-respect peut constituer une présomption de faute de l’entreprise. En France, tous les acteurs de l’acte de construire s’accordent sur le fait que les normes contribuent à sécuriser les responsabilités contractuelles, notamment dans le cadre de la responsabilité décennale pour les entreprises de travaux. C’est pourquoi, dès que possible, la FFB s’emploie à faciliter l’accès au corpus normatif pour les entreprises de bâtiment. Par exemple, en soutenant la possibilité d’accéder à certains NF DTU dans le cadre d’une démarche de qualification.
Un empilement de textes souvent complexes, parfois contradictoires
La machine à réglementer et à normaliser s’est emballée dans tous les secteurs économiques. Le bâtiment n’échappe pas au phénomène, donnant aux professionnels la sensation d’être dans un carcan chaque jour plus resserré. Détournant la maxime des Shadoks, on serait tenté de dire que « s’il n’y a pas de normes, il n’y a pas de problèmes ». Songez que plus de 4 500 normes Afnor couvrent les différents domaines du bâtiment !
Une des explications de la grande complexité ressentie par les acteurs tient dans une réglementation de plus en plus dense, qui dépasse souvent la seule mission régalienne de l’État consistant à garantir la sécurité des personnes et des biens.
Au lieu de se limiter à fixer des exigences de résultats, à savoir des objectifs à atteindre en termes de sécurité, de performance ou d’impact environnemental, le législateur est tenté d’imposer des moyens techniques extrêmement précis, faisant référence à des guides ou des normes qui deviennent de facto obligatoires.
Dans toutes les instances où ils ont voie au chapitre, les mandataires de la FFB s’attachent à empêcher ce glissement qui transforme des documents conçus pour orienter ou aider les professionnels en outils réglementaires rigides. D’une logique de confiance et de progrès, on passe à une mécanique de défiance et de risque de sanction. Les remontées de terrain peuvent être préoccupantes. Nombre d’entrepreneurs et d’artisans estiment que les normes sont, au mieux, éloignées des réalités de chantier, au pire, totalement inadaptées. Dans ce cas, le danger est double : d’une part, une norme perçue comme trop complexe est mal appliquée ; d’autre part, elle restreint encore les capacités d’innovation. Les entreprises, surtout les plus petites, empêtrées dans un corpus normatif immaîtrisable et coûteux, finissent par baisser les bras. La normalisation agit alors comme vecteur d’exclusion.
Cette sensation de saturation est accentuée par le fait que les ministères chargés des réglementations donnent l’impression de travailler en silos, produisant un empilement de textes souvent complexes à mettre en œuvre, parfois même contradictoires. Par exemple, la superposition des exigences issues du Code de l’environnement (comme les règles relatives à la gestion des eaux pluviales) avec celles du Code de l’urbanisme (prescriptions des PLU) et du Code de la construction et de l’habitation (règles thermiques ou d’accessibilité) peut aboutir à des contradictions pour un même projet, sans coordination préalable entre les objectifs. Un cas concret : dans les zones à risques, les contraintes de la loi Littoral ou des Plans de prévention du risque inondation (PPRI) peuvent rendre inapplicables certaines dispositions pourtant exigées par ailleurs par la RE2020 ou la réglementation acoustique.
Pour une réglementation par objectifs de résultats
C’est pourquoi à la FFB, nous plaidons pour que l’État se concentre sur la fixation d’objectifs clairs et mesurables — par exemple : niveau maximal d’émissions carbone pour un bâtiment, seuil de perméabilité, ou classe de performance environnementale— en laissant au secteur privé (entreprises, experts, industriels, etc.) le soin de proposer les solutions techniques les plus adaptées pour les atteindre. Ainsi, un industriel pourra développer un béton bas carbone optimisé, une entreprise pourra choisir un système constructif innovant ou une solution biosourcée certifiée, tant qu’elle atteint les objectifs fixés par la réglementation.
Dit autrement, le rôle de l’État doit être de définir des exigences de résultats, en matière de sécurité, d’accessibilité, de performance énergétique, etc., sans imposer la manière d’y parvenir. Charge aux acteurs de terrain (experts, professionnels, industriels et artisans) de trouver des consensus et d’élaborer les normes volontaires utiles. Cela garantirait à la fois la liberté de choix, l’innovation et une plus grande adaptabilité aux spécificités de chaque projet et de chaque type de construction, voire de chaque territoire, en particulier quand on pense à nos territoires ultramarins.
Une telle approche, centrée sur des exigences de résultats plutôt que sur des prescriptions de moyens, permet également de mieux intégrer l’expertise propre à chaque métier dans l’élaboration des solutions techniques. Elle offrirait aux acteurs du terrain la possibilité d’expérimenter, d’innover, voire de coconstruire des réponses adaptées à leurs contraintes spécifiques. Cela renforcerait non seulement l’efficacité de l’action publique, mais aussi l’adhésion des professionnels aux objectifs fixés par la réglementation. C’est tout le sens du travail du Bureau de normalisation des équipements de la construction (BNTEC). Cette instance, qui agit par délégation de l’Afnor, permet aux entrepreneurs d’affirmer et de confirmer leur savoir-faire, notamment, à travers la collection des documents techniques unifiés, les NF DTU.
Les NF DTU : colonne vertébrale technique de l’excellence française
Ces normes, certainement les plus connues des entrepreneurs de bâtiment, concernent les exigences de mise en œuvre. Au nombre de 121, les NF DTU résultent d’un consensus entre les experts des différentes parties prenantes. Elles servent de référence en matière d’exécution des ouvrages. D’application volontaire, puisque ce sont des normes, leur rôle dépasse toutefois le seul cadre technique. Car la loi Spinetta de 1978 a instauré le principe fondamental de la responsabilité décennale des constructeurs, accompagnée d’une obligation d’assurance. Or, dans ce contexte, les normes, et notamment ces NF DTU, sont cruciales en ce qu’elles constituent des références pour apprécier la conformité de la mise en œuvre des ouvrages et sécurisent juridiquement les entreprises et les maîtres d’ouvrage. De sorte que si un professionnel s’écarte de leur contenu sans justification solide, il s’expose à un risque accru en cas de sinistre. À l’inverse, s’y conformer facilite la couverture par les assureurs, qui s’appuient souvent sur ces documents pour évaluer les pratiques et les garanties. Comme les experts et les tribunaux d’ailleurs.
Mais la norme n’est pas seulement française (NF), elle est également européenne (EN) et/ou internationale (ISO). De quoi ajouter à la complexité de l’écosystème. Prenons par exemple le nouveau règlement produits de construction (RPC) européen publié fin 2024. Un de ses principaux objectifs est de renforcer les exigences environnementales. De ce point de vue, la France est en avance avec, par exemple, sa réglementation environnementale 2020 (RE2020) qui impose des critères « carbone » ou des travaux de recommandations professionnelles pour favoriser le réemploi. Tout l’enjeu est de s’assurer que les autres pays européens appliqueront des standards au moins équivalents. À défaut, ceci nuirait à la compétitivité des acteurs français. Certes, l’application de ce nouveau règlement européen sera progressive (l’ancien et le nouveau coexisteront jusqu’en 2040), mais les nouvelles exigences combinées aux coûts de mise en conformité et à l’impératif de digitalisation pourraient, là encore, décourager les PME. Ajoutons un autre enjeu du RPC version 2024 : dynamiser l’adoption de nouvelles normes harmonisées européennes. Voilà qui rend indispensable le positionnement de la France dans le paysage normatif européen. Comme c’est depuis longtemps le cas dans l’aéronautique ou l’automobile, le secteur de la construction baigne désormais dans un contexte de mondialisation croissante où les normes nationales sont de véritables vecteurs d’influence. Elles ne sont plus seulement des outils techniques, mais aussi des instruments de souveraineté et de compétitivité. Ainsi, la capacité à imposer ou à faire reconnaître des normes reflétant les spécificités techniques, environnementales ou culturelles françaises devient un enjeu stratégique, notamment face aux standards européens ou internationaux.
Pour une normalisation plus efficace, mieux équilibrée et mieux comprise
Afin d’être efficace en matière de normalisation, la FFB agit à toutes les échelles et à toutes les étapes.
À toutes les échelles, en intensifiant sa présence dans les instances européennes (directement et/ou via la Fédération de l’industrie européenne de la construction) et en consolidant ses positions dans toutes les instances nationales.
À toutes les étapes, cela signifie d’abord n’avoir de cesse de marteler la nécessité de tarir le flux de nouvelles réglementations pour permettre de s’attaquer, enfin, au stock existant. Ensuite, pendant l’élaboration des textes, il s’agit d’actionner trois leviers :
- Associer systématiquement les professionnels de terrain dans l’élaboration des normes, en valorisant les retours d’expérience et les situations spécifiques (outre-mer, réhabilitation, petits chantiers, etc.).
- Hiérarchiser les priorités : concentrer les efforts de normalisation sur les enjeux clés (sécurité, performance énergétique, adaptation au changement climatique) sans prétendre tout normer.
- Simplifier les formats : favoriser des normes plus lisibles, modulables selon les typologies des métiers et des ouvrages.
Enfin, en aval, il faut accompagner les entreprises dans la prise en main des normes. La FFB s’y attèle par le biais d’outils pratiques de communication et d’appropriation des règles de l’art comme les calepins de chantier. Ces documents visuels et synthétiques permettent aux professionnels de comprendre, d’appliquer et de partager plus facilement les exigences normatives sur le terrain. Ou encore par des campagnes de sensibilisation comme « La norme utile » menée en 2022.
Dans un contexte de fortes tensions économiques et d’augmentation des prix des matériaux et des coûts de production, il est plus que jamais nécessaire de veiller à ce que les normes ne deviennent pas un frein à l’activité ou à l’innovation. Elles doivent, en effet, répondre aux besoins croissants du secteur tout en tenant compte de la réalité du terrain, notamment celle des TPE-PME du bâtiment. Cette stratégie doit rester la ligne directrice de notre politique de normalisation volontaire. À ce titre, l’installation en 2015 du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) constitue une avancée majeure : ce lieu de dialogue permet de croiser les expertises, d’anticiper les impacts et de formuler des avis éclairés. Encore faut-il que les avis rendus par cette instance ne soient pas seulement consultatifs mais réellement pris en considération dans les décisions finales. Dans un secteur aussi structurant que le bâtiment, où les normes engagent à la fois la sécurité, la durabilité et la soutenabilité économique des projets, la concertation et la transparence doivent redevenir des piliers de l’action publique.
Aussi, la normalisation, lorsqu’elle est conçue avec pragmatisme et concertation, constitue un véritable levier de qualité, d’innovation et de compétitivité. Elle permet d’élever le niveau technique des ouvrages, de sécuriser les pratiques professionnelles et de renforcer la confiance entre acteurs, du fabricant à l’utilisateur final. C’est pourquoi la FFB défend une normalisation ouverte, équilibrée et ancrée dans la réalité du terrain, accompagnant l’évolution des métiers au lieu de la freiner. Elle veut faire des normes un outil au service de la performance, plutôt qu’une contrainte administrative ! ?
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2025-10/batiment-inquietudes-face-aux-normes-mais-necessite-de-la-normalisation.html?item_id=7975
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