Jean-Bernard AUBY

Professeur de droit public émérite de Sciences Po Paris

Partage

De nouveaux partenariats entre public et privé

Afin de continuer à construire et pour mieux construire, les partenariats classiques entre secteur public et secteur privé évoluent et se diversifient, au-delà des traditionnelles concessions. Collectivités publiques et entreprises privées coopèrent et agissent de concert, mobilisant les ressources normatives, financières et foncières.

1. Sur le berceau des actes de construction se penche le plus souvent une pluralité d’acteurs, publics et privés, que la destination de ce qui est édifié soit publique ou privée, d’ailleurs : la réalisation d’un ouvrage public fait intervenir tel ou tel entrepreneur privé, la réalisation d’une construction privée n’est possible que dans le cadre des règles posées par les autorités publiques, etc

Parfois, et c’est ce sur quoi nous allons nous pencher, certains des acteurs publics et privés impliqués dans la construction s’y trouvent inscrits dans un rapport de partenariat : leur rencontre n’est pas éphémère, ils se trouvent liés, et pour une certaine durée, par des engagements réciproques en rapport avec ce qui est construit.

Le phénomène n’est pas nouveau. Les grands réseaux de nos villes ont souvent été, et sont parfois encore, construits et gérés sur la base de concessions de plus ou moins long terme. La construction sociale est parfois réalisée par des organismes d’économie mixte, qui sont des partenariats institutionnels. Les infrastructures réalisées dans le cadre d’opérations d’aménagement le sont sur une base partenariale chaque fois que l’opération se trouve concédée.

La question que nous voudrions examiner ici est celle de savoir si l’époque contemporaine laisse percevoir une évolution de ces données, quelque chose qui modifierait l’équilibre des rapports entre acteurs publics et privés impliqués dans des partenariats liés à des opérations de construction.

La réponse nous paraît positive et due à différents facteurs qui peuvent être identifiés : nous voudrions nous en expliquer ici brièvement.

2. Dans un système comme le nôtre, qui est à la fois libéral et interventionniste, la prise en charge de la construction a toujours été distribuée entre le secteur public et le secteur privé, agissant parfois en commun dans des schémas que l’on peut dire partenariaux.

Selon les périodes, cependant, ces schémas ont été plus ou moins abondants.

À l’« âge classique » de l’émergence des grands services publics à caractère économique, autour de la Première Guerre mondiale, les collectivités décidèrent largement de les concéder. Cela était en phase avec le développement, par la jurisprudence, du concept et du mécanisme concret de la concession de service public et de travaux publics, qui est l’un des archétypes des partenariats en matière de construction.

Si l’on réserve l’ancienne méthode du lotissement, en général entre des mains privées, les opérations d’aménagement urbain, qui sont par essence sources de construction publique – les infrastructures (publiques et privées) et les immeubles à usage privé qui y sont implantés –, étaient traditionnellement de la responsabilité des collectivités publiques et réalisées directement par elles, sans arrangements partenariaux. Cette forte maîtrise publique n’a même fait que s’accentuer dans les débuts de la Ve République, où des procédures très étatisées, comme les zones à urbaniser par priorité, ont été créées.

Une forte inflexion a cependant été provoquée par la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967, qui a créé le mécanisme de la zone d’aménagement concerté, et qui a surtout permis que la réalisation des opérations d’urbanisme, de manière générale, soit confiée, le cas échéant, à des entreprises privées. Le système français de l’urbanisme opérationnel – et donc la construction publique et privée qui l’accompagne – s’est alors ouvert au partenariat sous la forme de ce qui est aujourd’hui la concession d’aménagement : dès les années 1970, près de 60 % des zones d’aménagement concerté étaient réalisées par des aménageurs privés.

L’ambiance libérale des années 1970 n’a fait que renforcer la tendance à l’externalisation, dans les deux cadres qui viennent d’être évoqués.

3. En dépit des changements qu’elles apportèrent par ailleurs, qui tenaient surtout aux importants transferts de compétences aux collectivités territoriales, les réformes de décentralisation des années 1980 n’eurent pas beaucoup d’effets sur les rapports public-privé et la tendance au développement de partenariats.

Les collectivités territoriales ne furent pas moins enclines à déléguer leurs services publics – et donc la gestion, voire la construction, des infrastructures correspondantes. Cette tendance ne s’est infléchie – partiellement – qu’ensuite, la période récente les ayant conduites parfois à reconsidérer cette organisation et à « remunicipaliser » leurs services et les équipements correspondants.

Les réformes de décentralisation basculèrent l’essentiel des compétences de l’urbanisme opérationnel entre les mains des communes, avec des restrictions en ce qui concerne les opérations prenant la forme de zones d’aménagement concerté et certaines opérations d’intérêt national. Celles-ci n’en continuèrent pas moins à s’appuyer largement sur les mécanismes partenariaux tournant autour de la concession d’aménagement.

4. Si l’on se rapproche davantage d’aujourd’hui, ce que l’on observe, c’est une diversification des mécanismes de partenariat public-privé entourant la construction. Cette évolution est le signe d’une transformation dans la répartition des rôles entre les autorités publiques et le secteur privé : les premières gardant la mainmise sur l’encadrement normatif du développement urbain et largement sur le déploiement foncier de celui-ci, cependant que le second impose plus souvent ses moyens financiers et son niveau d’expertise.

Cela produit une efflorescence de montages partenariaux, parfois très sophistiqués, parfois assez banals, que l’on peut observer en dehors des mécanismes de l’urbanisme comme en leur sein.

5. Indépendamment de ce qui a trait aux mécanismes de l’aménagement urbain, la construction d’équipements publics n’a pas cessé, dans le passé récent, de pousser les portes et fenêtres des mécanismes concessifs classiques pour aller vers d’autres types d’alliances.

Sans trop simplifier l’histoire, on peut dire que l’élément commun à ces tentatives a été le fait que des entreprises – souvent de grandes entreprises – se sont efforcées de proposer aux collectivités des arrangements dans lesquels elles prendraient en charge un ensemble complexe de tâches pouvant consister dans la construction et l’entretien d’équipements sans dépendre financièrement du taux de fréquentation par leurs usagers, parce qu’étant rémunérées forfaitairement par les collectivités.

Ici se place la saga du marché d’entreprises de travaux publics, celle, ensuite, des contrats de partenariat. Comme on sait, le premier a fini par être condamné par la jurisprudence et les seconds, passés sous des fourches caudines diverses, n’ont finalement pas décollé et se trouvent aujourd’hui enfermés dans la case des « marchés de partenariat », à la portée concrète assez restreinte – mais pas nulle, comme en témoigne, par exemple, l’opération qui a consisté dans la réalisation d’un vélodrome à Saint-Quentinen- Yvelines, couplée à un projet urbain.

6. C’est plutôt autour des dispositifs propres de l’urbanisme et, à vrai dire, souvent sans création de mécanismes nouveaux très sophistiqués que se développent aujourd’hui des relations partenariales public-privé nouvelles dans la construction.

Tous les signes convergent vers une présence accrue du secteur privé dans le développement urbain ou la réhabilitation urbaine, et ce en accord avec l’évolution générale de l’économie des villes. Cette évolution concerne notamment la financiarisation, qui fait d’opérations et de biens urbains l’objet d’investissements recherchés par de grands opérateurs financiers.

Cette présence accrue se manifeste de deux façons. Elle se traduit par l’efflorescence de projets purement privés mais, qui, par leur ampleur, ont véritablement le caractère d’opérations d’urbanisme : ainsi de grands ensembles commerciaux, comme celui de Beaugrenelle à Paris ou Lillenium à Lille. Le groupe Auchan, groupe de la grande distribution, a créé une filiale, Immochan, qui réalise des opérations mêlant commerces, bureaux, logements, voire également hôtels et loisirs. Les grands groupes de promotion immobilière cherchent d’ailleurs à développer une fonction et une expertise d’« ensemblier urbain ». C’est, entre autres, le cas de Nexity. Ils deviennent alors capables de porter véritablement la création de « morceaux de ville ».

Naturellement, les opérations de ce type ne peuvent être déployées qu’avec l’accord des collectivités publiques, ce pour quoi elles demeurent de l’ordre du partenariat : ne serait-ce que parce qu’elles supposent de régler la question de la localisation, de la nature et du financement des équipements publics. Cela dit, sur le plan juridique, cet accord ne pourra se manifester que par l’octroi des autorisations d’urbanisme indispensables – des permis de construire, qui pourront concerner des « macrolots » –, sans qu’il soit nécessaire de mettre en place quelque montage partenarial prenant la forme d’un contrat formel.

Bien sûr, la mise en place juridique de ces opérations sera en général assez complexe, ne serait-ce que parce qu’elles présentent quasi toujours un caractère mixte, qui les confronte à des législations diverses – logement social, urbanisme commercial, etc. –, avec lesquelles il n’est pas toujours facile de s’accorder. Certains de ces aspects des projets pourront être plus ou moins négociés avec la collectivité, d’autres dépendront d’administrations tierces, avec lesquelles la collectivité peut faciliter le dialogue.

Parfois, l’entente prend davantage la forme de l’association d’acteurs privés à de grands projets publics, comme la Confluence à Lyon, l’écoquartier des Docks à Saint-Ouen, le secteur Seine Amont, au sud-est de Paris, Coeur de Quartier à Nanterre, Belvédère à Bordeaux…

Ce type de partenariat peut s’appuyer sur des accords informels – ou peu formalisés – lorsque les intérêts réciproques et la confiance réciproque y suffisent.

7. À vrai dire, si ces partenariats n’empruntant pas une forme conventionnelle traditionnelle peuvent être mis en place, c’est parce que, en face des groupes privés qui disposent de ressources financières – spécialement dans cette période de « financiarisation » des villes, où celles-ci sont de façon croissante un objet de placements pour des puissances financières – et de l’expertise technique, les collectivités publiques disposent de deux ressources majeures : leur pouvoir normatif et l’emprise qu’elles ont sur le foncier.

Le pouvoir de fixer les contraintes d’urbanisme – et les ouvertures corrélatives – leur appartient pleinement. Elles disposent souvent de ressources foncières héritées et, quand ce n’est pas le cas, elles disposent de l’expropriation et, dans certains contextes, du droit de préemption.

La disposition de ces moyens dispense souvent de prendre en charge largement les opérations, et permet de se contenter d’un rôle de pilote. C’est ce que montre par exemple le développement des appels à projets – l’opération « Réinventer Paris » lancée par la ville en 2014, Imagine Angers, Dessine- moi Toulouse… – qui permettent à la collectivité, en usant des moyens fonciers dont elle dispose, de maîtriser fortement le devenir urbain sans avoir à déployer trop de ressources juridiques et financières.

En somme, à un certain niveau, la construction demeure affaire de partenariats entre public et privé. La distribution des rôles, les positionnements opérationnels varient, eux, selon les périodes : mais partiellement, parce que, dans les systèmes comme le nôtre, les collectivités publiques restent maîtresses de la règle et ont de toute façon de grands pouvoirs sur le sol.

Quelques références

  • Jean-Bernard Auby, Droit de la ville. Du fonctionnement juridique des villes au droit à la Ville, Paris, LexisNexis, 2e éd., 2016.
  • Jean-Bernard Auby, « Partenariats public-privé et aménagement urbain », Revue juridique de l’économie publique, mai 2012.
  • François Bergère et Xavier Bezançon, « 10 ans de PPP dans la commande publique », éditions du Moniteur, Paris, 2014.
  • Xavier Bezançon, « 2000 ans d’histoire du partenariat public-privé », Presses de l’École nationale des ponts et chaussées, Paris, 2004.
  • Julien Damon, « La dictature du partenariat. Vers de nouveaux modes de management public ? », Futuribles, no 273, mars 2002.
  • Werner Heinz (dir.), Partenariats public-privé dans l’aménagement urbain, Paris, L’Harmattan, 1994.
  • Frédéric Marty, Sylvie Trosa et Arnaud Voisin, Les partenariats public-privé, Paris, La Découverte, 2006.
  • Joël Idt, « Le pilotage des projets d’aménagement. Nouvelle place des entreprises publiques locales », La Revue foncière, juillet-août 2015.
  • Laurence Le Corre, « Procédures d’aménagement. Nouveaux projets, nouveaux montages », La Revue foncière, mai-juin 2015.
  • Dan Mosbah, « Comment les démarches de projets transforment les promoteurs », La Revue foncière, novembre-décembre 2017.
  • Michèle Raunet, « Les nouveaux modèles juridiques de développement de la ville », Revue française de droit administratif, 2020, p. 971.
  • Xavier Seurre, « Les opérations à maîtrise foncière partielle. Quand la gestion du foncier questionne le montage », La Revue foncière, mai-juin 2017.
  • Thierry Vilmin, « Les filières de l’aménagement : le choix des opérateurs et des outils », La Revue foncière, juillet-août 2015.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2024-3/de-nouveaux-partenariats-entre-public-et-prive.html?item_id=7899
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article