Armelle LANGLOIS

Présidente de la commission économie circulaire et environnement chantier d’Entreprises générales de France

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L’absolue nécessité de la performance durable

Continuer à construire ou rénover commande l’exemplarité du secteur en matière de durabilité. Dans le processus de transition écologique de l’économie, les travaux ne sont pas le problème mais une solution, si toutes les étapes du cycle de vie des bâtiments sont traitées et si l’innovation des acteurs de la construction est soutenue.

Faut-il encore construire en France ? Le nombre de ménages augmente, d’environ 250 000 par an, et la dynamique d’installation des populations dans et autour des grandes métropoles régionales se poursuit. Les besoins en logements et en locaux sont donc assez évidents. Qu’il faille construire des locaux neufs, rénover ou réhabiliter des bâtiments existants, la réponse à cette question est évidemment positive. Mais une chose est certaine, c’est que, neufs ou non, tous ces bâtiments devront être plus performants et plus durables.

La vraie question n’est donc pas celle des besoins, qui sont criants, mais de savoir comment construire et rénover en France, sans regrets.

Rappelons que le bâtiment, qui représente plus de 40 % des consommations énergétiques annuelles et génère près du quart des émissions de gaz à effet de serre (surtout en raison des usages) 1, fait partie intégrante des sujets soulevés par le dérèglement climatique et la nécessité de retrouver une souveraineté énergétique. Mais il en est surtout la solution, pour peu que l’innovation des acteurs de la construction soit soutenue.

La première brique de la solution est d’abord réglementaire et normative : le durcissement considérable du cadre juridique au cours des dernières années (exigences financières, normes, règles techniques, etc.), aussi bien au niveau européen (paquet climat énergie 2030, normes ISR, taxonomie, directive CSRD, etc.) que français (stratégie nationale bas carbone, loi énergie et climat, réglementation environnementale 2020, etc.), a pour objectif de « verdir » tant le financement de l’économie que d’appuyer le renforcement des règles techniques afin de produire des bâtiments plus sobres, plus performants et plus durables. Et sur ce plan, la France a un coup d’avance !

Pour des raisons d’évidente efficacité, toutes ces règles envisagent de plus en plus le bâti dans sa globalité et sur l’ensemble de son cycle de vie (donc bien au-delà du simple temps de la construction) : la performance durable doit donc désormais être présente à tous les stades de vie d’un bâtiment, de sa conception à sa déconstruction en passant par son exploitation et ses différentes vies.

Le portage et le financement du projet

Avant même le premier trait de crayon, le maître d’ouvrage doit prendre en compte la durabilité de son investissement. Au cours des prochaines années, le renforcement des réglementations environnementales, qui s’appuient notamment sur la taxonomie (vocabulaire européen commun qui définit ce qu’est une activité durable), va pousser les investisseurs à délaisser les activités « non vertes » pour aller financer des activités réputées durables. Par conséquent, avant même de concrétiser son projet, le maître d’ouvrage devra, pour avoir accès au financement, s’engager sur sa performance globale, et plus particulièrement sur sa performance en matière de « durabilité ».

La conception du projet

Ensuite, au moment d’esquisser le projet, les choix architecturaux et en matière d’ingénierie figent le niveau de performance durable du projet. Par exemple avec l’application de la réglementation environnementale 2020, dont le déploiement n’est pas encore terminé, qui impose à la fois une performance énergétique et une performance carbone : les modifications éventuelles en phase d’exécution doivent être techniquement et environnementalement équivalentes ! Certaines solutions techniques sont donc fixées et ne peuvent pas être modifiées sans remettre en cause la performance globale du projet.

C’est pourquoi les démarches d’engagement sur les performances des projets se sont développées ces dernières années : il s’agit d’actions conduites par l’entreprise et ses partenaires – depuis l’esquisse du projet jusqu’à la maîtrise du bâtiment par ses occupants – qui lui permettent de s’engager vis-à-vis de son client sur les performances annoncées en phase de conception et validées en phase d’exploitation.

Dès la phase de conception et dans une optique de durabilité, il faut également imaginer qu’un bâtiment doit avoir plusieurs vies et donc pouvoir évoluer. Sa modularité, sa réparabilité, voire sa réversibilité, sont des dimensions à intégrer en amont, avec des conséquences sur les modes constructifs qui doivent permettre ces réversibilités.

ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE DU SECTEUR DU BÂTIMENT

Source : ventilation des émissions du secteur du bâtiment en 2016 issue du projet de stratégie nationale bas carbone paru en décembre 2018.

Exemple : Oxygen est une démarche d’écoconception lancée en 2010 qui offre une garantie de performance énergétique intrinsèque impliquant l’utilisateur. Concrètement, l’entreprise de travaux s’engage à obtenir les performances annoncées et validées en phase de conception selon l’usage déclaré. Au cours de la première année d’occupation, les performances du bâti et des systèmes sont mesurées in situ et comparées aux performances évaluées en conception afin de valider que le projet réagit conformément à ce qui avait été annoncé. En cas d’écart, les différents points sont corrigés. Ce concept a notamment été appliqué pour la nouvelle École de design Nantes Atlantique, sur l’île de Nantes, réalisée en conception-réalisation.

ÉCOLE DE DESIGN NANTES ATLANTIQUE

© Julien Gazeau, GPAArchitectures, M. Mimram, VCF.

Exemple : certifiée exemplaire par l’Afnor dès 2014, la démarche d’écoconception « aussi durable que possible » (ASAP : as sustainable as possible) a été encore récemment utilisée pour la rénovation énergétique de 160 maisons à Wattrelos (EnergieSprong). Elle recense une quinzaine d’enjeux de développement durable à prendre en compte dans un projet : stopper l’étalement urbain, favoriser la mobilité de proximité, renforcer la nature en ville, rendre accessible, minimiser la consommation énergétique, maximiser la production d’énergie renouvelable, préserver la santé et le bien-être, réduire la consommation d’eau potable, dépolluer, former les compagnons, utiliser des écomatériaux et en analyser le cycle de vie, favoriser la pédagogie et la qualité d’usage du bâtiment, être un chantier vert, minimiser les déchets ménagers, privilégier la déconstruction. En fonction de l’opération, ASAP prévoit une analyse complète de son cycle de vie (ACV) et l’intégration de produits innovants ou biosourcés ou encore d’enjeux de mobilité alternative.

LA DÉMARCHE D’ÉCOCONCEPTION MISE EN OEUVRE POUR RÉNOVER DES MAISONS INDIVIDUELLES À WATTRELOS (ENERGIESPRONG)

© Charles Caby. Maîtrise d’oeuvre : RedCat-Nortec/RDC.

L’exécution du projet

La phase de réalisation est, elle aussi, scannée au filtre de la durabilité. Dans les entreprises générales en particulier, les activités de construction sont réinventées pour en réduire l’impact : toutes ces étapes sont minutieusement préparées pour choisir les bons matériaux aux bons endroits en fonction de leur domaine de performance optimal, pour calculer au plus juste les méthodologies de pose et optimiser les ressources nécessaires, organiser les approvisionnements, trier, réduire, réemployer et réutiliser les déchets, préserver les milieux naturels…

Les outils numériques, parmi lesquels le BIM, sont d’une grande aide pour mesurer très précisément les quantités de matériaux nécessaires, procéder aux opérations de synthèse avant même de construire « en vrai », comme prévu et du premier coup, et de gagner ainsi en sobriété.

Les process de construction sur chantier sont d’ailleurs eux-mêmes en train de vivre de profondes mutations afin de réduire leur impact environnemental et de minimiser les nuisances.

Le développement de l’industrialisation et des activités hors site en constitue un bon exemple. Ces mutations doivent se conduire, au demeurant, avec l’ensemble des intervenants sur chantier, dont l’expertise et le savoir-faire sont primordiaux pour induire cette évolution dans les méthodes de faire.

Ces démarches sont en réalité en étroite synergie et fonctionnent en un cercle vertueux où une conception responsable répond à une réalisation performante pour une construction durable.

Exemple : la résidence étudiante de l’École nationale vétérinaire de Toulouse, réalisée dans le cadre de l’appel à projets MassiRéno (plan France Relance), est un exemple de rénovation par apport de façades isolées fabriquées hors site. Le système Rehaskeen réalisé sur mesure, durable (matériaux biosourcés), rapide à mettre en oeuvre, garantit un chantier aux nuisances réduites. La consommation tous usages, à l’arrivée, est inférieure à 60 kWh.énergie finale/ m².an, avec une performance pilotée dans la durée et garantie sur trente ans.

LA RÉSIDENCE ÉTUDIANTE DE L’ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE

© Ch. Picci, Atelier Méridional, VCF.

L’exploitation

La qualité, ou performance d’usage d’un bâtiment, recouvre de multiples aspects et présente des dimensions subjectives. C’est pourquoi il convient de la définir en amont et de pouvoir la mesurer. Pour l’encadrer, il est aisé de recourir à des formes de contrats dédiées, comme le marché public global de performance. Cette approche performancielle donne en effet la possibilité au maître d’ouvrage de cibler un ou des objectifs de performance à atteindre et de demander à l’entreprise de s’engager pour les atteindre, y compris une fois le bâtiment en usage, c’est-à-dire dans la vraie vie. Pour ce faire, il convient d’appréhender le projet de manière globale, depuis l’amont (conception) jusqu’à l’aval (utilisation).

La capacité à s’engager sur des performances, notamment en matière de carbone, mais pas uniquement (consommation d’eau, potentiel de biodiversité, recyclabilité, etc.), est l’enjeu des constructeurs et des donneurs d’ordre, qui, pour justifier les hypothèses prises au moment de la conception et mises en oeuvre à la réalisation, doivent être capable d’en mesurer les effets au cours du cycle de vie de l’ouvrage. La performance durable, c’est aussi être présent à l’aune de la mesure de sa réalisation.

Exemple : grâce à des outils de design urbain 3D à l’échelle du bâtiment, du quartier et de la ville, il est possible de développer une approche qui s’appuie sur une analyse globale et systémique de la ville durable dans toutes ses dimensions, sur le respect des spécificités du territoire et sur la primauté de l’usage et de la qualité de vie. La première concrétisation de cette approche a été menée dès 2009 à Marseille avec Smartseille, démonstrateur de l’écocité Euroméditerranée, conçu pour créer de la mixité, favoriser la cohésion sociale et accompagner les nouveaux modes de vie et de travail : logements évolutifs, boucle thalasso- thermique, autopartage, résidence intergénérationnelle, agriculture urbaine, conciergerie de quartier, etc. Ces travaux ont également débouché sur la création d’un référentiel Haute Qualité de vie (HQVie) qui intègre les plus hauts standards du développement durable aux projets urbains. Celui-ci a été mis en oeuvre, par exemple, pour l’écoquartier de la ZAC Parc d’affaires à Asnières.

SMARTSEILLE

© Thierry Lavernos, Eiffage.

La rénovation-déconstruction

À l’heure de sa fin de vie, le bâtiment doit être considéré comme une véritable banque de matériaux, dégageant encore de la performance durable. Ses différents composants peuvent en effet être prélevés pour être réemployés ou réutilisés ailleurs, grâce à des circuits courts et circulaires vertueux, notamment du point de vue du carbone. Ce qui permet de rappeler l’importance d’avoir cette idée en tête dès l’ébauche du projet pour pouvoir choisir des matériaux durables et nobles mais aussi de bien connaître notre bâti ! Sujet encore peu étudié, la performance liée au renforcement de la sécurité des approvisionnements apportée par l’essor de l’économie circulaire constitue sans doute un levier d’action majeur, à amplifier, surtout au vu des événements inédits que nous avons traversés ces dernières années (COVID, contexte géopolitique, crise des approvisionnements et de l’énergie).

Exemple : la systématisation du tri des déchets, le recyclage et le développement de la circularité sur le terrain font que chaque chantier de démolition ou de rénovation devient un gisement de produits de gros oeuvre et de second oeuvre réutilisables sur site ou pour d’autres projets. Des filières de matériaux de chantier de seconde main se développent un peu partout pour leur offrir une seconde vie. La restructuration du collège Truffaut en hôtel Pilo illustre ces démarches. Ce bâtiment classé de la Croix-Rousse, à Lyon, a été restructuré pour (re)créer un lieu de vie dédié à la jeunesse tout en veillant à la mise en valeur du bâti. Des solutions de construction bas carbone ont été trouvées (planchers bois, isolant biosourcé) et un gros travail a été mené sur la restauration (plutôt que le remplacement) et le réemploi (matériaux, matériel électrique, meubles). Un diagnostic très en amont a permis de réutiliser sur site 15 tonnes de matériaux (portes, radiateurs, etc.). L’organisation en amont du chantier a garanti le tri à la source des déchets.

RESTRUCTURATION DU COLLÈGE TRUFFAUT EN HÔTEL PILO, À LYON

© Nicolas Grosmond. BAMAA Architectes-ARCHIPAT_BB.

Notre système, en appelant à la performance durable, transforme nos modèles de pensée vers des approches à plus long terme. Cela « challenge » nos conventions et nous enjoint de penser les projets dans leur globalité, avec pour effets positifs de gagner en transversalité, en qualité, en efficacité mais aussi d’en maîtriser le coût et la performance dans la durée.

Alors, évidemment, toutes ces nouvelles réglementations, qui visent in fine à nous assurer de bonnes conditions de vie, s’imposent à tous et ont en contrepartie un coût. Ce coût est néanmoins nécessaire pour préserver un environnement en grand péril. Il est dérisoire par rapport à ce que nous devrons payer en cas d’accélération incontrôlée du réchauffement climatique.

  1. Voir ces données sur le site du ministère de la Transition écologique : https://www.ecologie.gouv.fr/construction-et-performance-environnementale-du-batiment.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2024-3/l-absolue-necessite-de-la-performance-durable.html?item_id=7897
© Constructif
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