Isabelle LE CALLENNEC

Maire de Vitré, présidente de Vitré Communauté, conseillère régionale de Bretagne, coprésidente du groupe de travail logement de l’Association des maires de France

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Pour construire, il faut des maires bâtisseurs

Au coeur de la dynamique de construction, les municipalités pâtissent d’un cocktail préoccupant qui alimente la crise du secteur. Des coûts plus élevés, une accumulation de normes restrictives et changeantes, des décisions politiques inadaptées, la pression des procédures de toute nature brident gravement les volontés locales.

Jusqu’à preuve du contraire, ce sont les maires qui signent les permis de construire. Or, aujourd’hui, force est de constater un recul du nombre de dépôts et donc de mises en chantier, avec les conséquences que l’on redoute et que l’on sent sur l’activité du secteur du bâtiment. Même dans des communes où la demande de logements est forte et où les maires affichent leur volontarisme, les projets immobiliers ont du mal à sortir de terre ou prennent de trop nombreuses années.

Comment en est-on arrivé là ?

Au fil des années, mais singulièrement depuis 2017, l’environnement législatif, réglementaire et fiscal s’est révélé totalement inadapté à la réponse à apporter aux besoins en logements dans notre pays.

Augmentation du nombre d’habitants, décohabitation des familles, vieillissement de la population, perte de pouvoir d’achat… la demande est forte et a évolué, singulièrement dans les régions attractives. Mais le choc de l’offre, annoncé en 2017, n’a jamais eu lieu, ni le tassement des prix. Bien au contraire ! La baisse des aides personnelles au logement (APL), l’instauration de la réduction de loyer de solidarité (RLS), la baisse des aides à la pierre ont fragilisé les bailleurs sociaux. La fin de l’APL accession, à laquelle s’ajoute désormais le recentrage du prêt à taux zéro (PTZ), qui exclut des millions de Français, et le renchérissement du coût du foncier, conséquence de la loi climat et résilience ayant institué le zéro artificialisation nette (ZAN), ont porté un coup à l’accession à la propriété. La suppression du dispositif Pinel à la fin de 2024 est encore une attaque portée contre l’investissement locatif des particuliers, qui favorise pourtant la mobilité professionnelle et géographique dont notre pays a besoin s’il vise vraiment le plein-emploi.

Ces décisions gouvernementales, néfastes, ont été dénoncées à maintes reprises, par l’ensemble de la filière, des bailleurs sociaux aux promoteurs en passant par la FFB. Peine perdue. Notre pays s’est enfoncé dans la crise et n’en voit pas le bout.

Pour les maires, une autre décision a pesé lourd : la suppression de la taxe d’habitation – certes compensée mais pour un montant que l’on ne maîtrise pas –, qui rompt le lien financier entre l’habitant de la commune et les services proposés par la municipalité moyennant un minimum de ressources. Le seul levier fiscal dont disposent désormais les maires, c’est la taxe foncière. Elle se compose d’une base dont le montant est décidé en projet de loi de finances (PLF) chaque année en fonction de l’inflation, et d’un taux décidé librement par le conseil municipal. Or, seuls les propriétaires s’acquittent de la taxe foncière et, d’une ville à l’autre, le taux d’habitants propriétaires (par rapport aux habitants locataires) varie très sensiblement. Pour faire face à l’inflation, qui pèse sur leurs dépenses de fonctionnement, les maires sont donc tentés d’augmenter le taux de la taxe foncière, pénalisant ainsi le pouvoir d’achat d’une seule partie de leur population, ce qui n’est pas très équitable…

Mais ils peuvent également choisir de favoriser l’accession à la propriété. Plus de propriétaires, ce sont plus de rentrées fiscales, et devenir propriétaire reste un rêve pour une majorité de Français ! Les intérêts semblent donc converger.

Alors, qu’est-ce qui freine ?

On peut lister : l’inflation, le coût de la construction, les taux des crédits, le ZAN et, plus largement, le droit de l’urbanisme, les recours, et, dans certaines villes, les exigences des architectes des Bâtiments de France. L’année 2023 aura été un parfait exemple de ce cocktail si peu propice à l’acte de bâtir.

Sur le coût de la construction, nul doute que l’augmentation du prix des matières premières, la pression sur les salaires et l’accumulation de normes sont à l’origine du renchérissement ; et les entreprises du bâtiment de rechercher à innover et à optimiser pour réduire les prix tout en préservant leurs marges.

S’agissant de l’inflation ou des taux d’intérêt, ils semblent se stabiliser, mais à un niveau bien supérieur à celui auquel les Français s’étaient habitués – toutefois bien inférieur à ceux connus à certaines périodes de notre histoire. Une stabilité en la matière, voire une baisse, serait la bienvenue.

Le droit de l’urbanisme : il est complexe, changeant, sujet à interprétation. Il nourrit les recours, toujours plus nombreux. Pour une municipalité, c’est à l’aune du plan local d’urbanisme (PLU) – voire du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) – que sont examinés les permis d’aménager et les permis de construire. C’est le document qui fait référence, mais pas toujours l’unanimité. Le modifier ou, pire, le réviser prend des mois.

Les recours : ils font florès et les objectifs de densification urbaine vont les amplifier. Reconstruire la ville sur elle-même n’est pas si simple. Friches, dents creuses, surélévation, Bimby (build in my backyard) – les maires disposent d’un arsenal de possibilités. Mais en les actionnant, ils font face à la résistance, voire à l’opposition des voisins, la création de collectifs en étant la forme la plus aboutie (c’est toujours la réaction Nimby : not in my backyard). Chaque projet doit désormais faire l’objet d’un travail sur son « acceptabilité » et emprunter aux techniques de la communication de crise !

Un mot sur les Architectes des bâtiments de France. Leur expertise est tout à fait précieuse et absolument nécessaire à la préservation du patrimoine architectural de nos villes, dont les maires sont les premiers protecteurs ! Mais ces ABF seraient bien inspirés d’examiner certains projets avec souplesse et bon sens, à défaut de quoi des démolitions-reconstructions ou des rénovations énergétiques n’aboutiront jamais, dégradant toujours plus le bâti ancien, ce qui ne peut être l’objectif !

Enfin le ZAN : le cauchemar d’une majorité – hélas trop silencieuse – de maires et de présidents d’intercommunalité soutenant le développement économique et l’habitat qui va avec, mais se voient bloqués dans leurs ambitions bien pensées. Au commencement était une convention citoyenne à la légitimité contestable. Puis une loi climat et résilience adoptée par des députés qui, à de rares exceptions près, n’ont jamais eu de mandat municipal, non-cumul des mandats oblige. Ce ZAN fait penser aux erreurs, coûteuses pour le pays, commises par le passé, comme la mise en place des 35 heures, avec les conséquences que l’on sait sur le rapport au travail et la dégradation de nos finances publiques. Aucun pays européen ne nous a copiés ! Citons également le renoncement au nucléaire, dont on mesure aujourd’hui l’impact délétère sur notre souveraineté énergétique. Avec le ZAN, clairement, la France se tire une balle dans le pied.

Un dicton populaire aurait pourtant dû ramener ces parlementaires à la raison : « ce qui est rare est cher ». L’impact du ZAN a été immédiat : renchérissement du prix du foncier et spéculation. Alors, oui à une trajectoire de sobriété foncière et à la préservation des terres agricoles, mais non à une injonction venue d’en haut, tous les territoires sous la même toise, quelles que soient l’offre et la demande en matière de développement économique, d’habitat, d’équipements et de services à la population.

Bienvenue en absurdie quand, dans une commune rurale, un maire qui n’aurait le droit de consommer « que » 3 hectares d’ici à 2031, va devoir refuser l’extension d’un bâtiment à un industriel qui pèse 200 emplois et renoncer à un lotissement annoncé au cours de sa campagne électorale !

Les élus locaux ont été les premiers à réaliser l’étendue des dégâts de cette loi par trop technocratique et indifférenciante. Certains en ont accepté le principe mais reconnaissent, enfin, la difficulté de la mettre en oeuvre. Ils ont été rejoints au fil des mois par le monde économique en général et le secteur de l’immobilier en particulier, qui appellent désormais à une approche concertée de la gestion du foncier dans les régions. Un minimum, quand on mesure que moins de développement économique et moins d’habitat, ce sont moins de recettes pour les collectivités, moins de services à la population et un territoire qui s’appauvrit.

Et maintenant ?

Si le gouvernement continue dans le déni de la crise et n’opère pas un virage à 180 degrés : point de salut. Une véritable stratégie est nécessaire, ainsi qu’une loi de programmation.

Cela passe par d’abord par la consolidation de règles nationales législatives, réglementaires ou fiscales réellement incitatives, qui favorisent la production, la rénovation et la remise sur le marché de biens aujourd’hui vacants. Nous devons pouvoir jouer sur tous les leviers pour provoquer un choc de l’offre, favoriser les parcours résidentiels et accentuer la rotation. De récentes annonces du ministre de l’Économie censées favoriser l’accès au crédit ne sont pas à la hauteur des besoins des accédants, notamment les primo-accédants.

Dans le débat qui s’ouvre sur la décentralisation, puisque la politique de l’habitat semble figurer dans le périmètre, il conviendra de militer pour une déconcentration effective, corolaire de la décentralisation. La réforme de l’organisation territoriale de l’État de 2019 n’est à ce jour pas aboutie. Elle visait à désenchevêtrer les compétences de l’État avec celles des collectivités et réorganiser le réseau déconcentré de l’État, composé de services, mais aussi de plus en plus d’agences… Une circulaire de 2019 rappelait que les politiques de l’État devaient être mises en oeuvre à l’échelon départemental. L’échelon régional étant celui de l’impulsion, de l’évaluation des politiques publiques et de la coordination. D’une région à l’autre, il y aura donc un débat nourri, ne serait-ce que pour déterminer le chef de file ! Et nécessité de préciser les compétences et les prérogatives réelles des autorités organisatrices de l’habitat…

Dès lors que les parties prenantes se seront entendues, il faudra que le pouvoir central accepte de laisser une autonomie aux territoires dans la mise en oeuvre des politiques de l’habitat, y compris en matière de zonage ou de fiscalité. Il faudrait par exemple délier les taux des différentes taxes locales (la taxe sur les résidences secondaires, la taxe d’habitation sur les logements vacants, la taxe foncière) et laisser aux maires la responsabilité de les actionner.

Dès à présent, pour tenter d’enrayer la crise et de relancer l’accession à la propriété, totalement grippée, il apparaît urgent de généraliser le prêt à taux zéro à tous les territoires. Aujourd’hui a été publiée une première liste de communes qui changent de zonage et accèdent au PTZ. C’est un premier pas. Mais il est timide… et très orienté. En effet, il est possible d’en bénéficier pour l’achat d’un appartement et non d’une maison, ce qui reste pourtant le rêve d’une majorité des jeunes ménages.

Par ailleurs, l’annonce de la fin du Pinel ne peut se concevoir qu’à condition qu’il soit remplacé par un dispositif d’incitation fiscale à destination des investisseurs particuliers, ceux de la classe moyenne supérieure, qui sont déjà propriétaires et recherchent un placement dans la pierre, un bien à louer. Pour mémoire, les loyers de sortie, pour ce genre de dispositif, sont encadrés. Or, les régions attractives, pour assurer la mobilité professionnelle et géographique des salariés, ont besoin de ce type de produits.

La préoccupation des élus locaux, c’est aussi la rénovation énergétique des logements et la remise sur le marché des logements vacants, avec, à la clé, de l’activité pour les entreprises du bâtiment et des carnets de commandes qui se remplissent. Pour mémoire, d’ici deux ou trois ans, de nombreux propriétaires privés ne pourront plus louer leurs logements – qualifiés de « passoires thermiques » – classés en F et G. Ceux-ci n’auront d’autres choix que de vendre à un prix dévalué ou de rénover s’ils le peuvent. Les aides existent, mais il faut encore en simplifier l’accès, sécuriser financièrement et techniquement les opérations, lutter contre le développement des abus et des escroqueries à la rénovation.

Quant aux meublés de tourisme, dont le phénomène concerne en particulier les villes littorales, la législation devra évoluer. Mais au-delà des quotas, qui sont une réponse à faire valider juridiquement, c’est un nouvel équilibre qu’il faut trouver entre la location de meublés de tourisme, la location de meublés de longue durée et la location de longue durée d’un non-meublé. Aujourd’hui, il est moins risqué pour un propriétaire de louer son bien en meublé touristique qu’en longue durée non meublé. Si cela se passe mal avec un locataire, qui ne paie pas ou dégrade le bien, il est en effet particulièrement difficile et long de résilier le bail et de voir l’occupant partir. C’est donc bien l’incitation à la location d’un bien en longue durée, qu’il soit meublé ou pas, qu’il convient de travailler. Faisons davantage connaître le dispositif Visale d’Action logement, qui vise à faciliter l’accès au logement des locataires et à sécuriser les bailleurs en se portant garant, gratuitement, pour couvrir les risques d’impayés et de dégradations par le locataire.

En somme, pour sortir de la crise largement commentée, et pour soutenir le secteur du bâtiment, militons collectivement pour des règles nationales, simples et efficaces, avec les financements incitatifs qui vont avec. Réaffirmons qu’articuler les objectifs de production de logements, y compris de logements sociaux, avec les objectifs du ZAN sera particulièrement difficile dans certains territoires, l’augmentation du coût du foncier rendant de plus en plus difficile l’équilibre financier des opérations de production de logements. Laissons la capacité d’adaptation aux territoires, librement organisés. Incitons les maires et présidents d’intercommunalité à définir leurs besoins en matière d’habitat, en qualité et en quantité.

C’est à ces conditions que nous aurons une chance de tordre le cou à l’adage « maires bâtisseurs, maires battus ».

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2024-3/pour-construire-il-faut-des-maires-batisseurs.html?item_id=7896
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